< L. latine 10.
> À Nicolaas Heinsius, le 8 janvier 1647 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Nicolaas Heinsius, le 8 janvier 1647
Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1043 (Consulté le 10/12/2024) | ||||||||||||
[Universiteit Leiden Bibliotheken | LAT ] Au très distingué M. Nicolaas Heinsius, à Rome. Très distingué Monsieur, [a][1] J’ai bien reçu la lettre que vous aviez envoyée de Florence et en ai expédié ma réponse à Venise, à l’adresse de ces marchands que vous m’aviez indiqués. J’en reçois maintenant une autre, datée de Rome, où j’apprends que vous séjournez à présent et demeurerez pendant au moins trois mois. Puisse Dieu vous conserver sain et sauf pendant tout ce temps que votre voyage d’Italie vous tiendra occupé, pour qu’à la fin vous nous en reveniez bien vivant et solide. Je vous sais profondément gré de vous souvenir souvent de moi et en écrivant, de dissiper mes doutes sur votre bonne santé. Je pense que vous voulez rire quand vous évoquez ma bienveillance à votre égard ; c’est pour me pousser à m’indigner, car ce rire me reproche mon infortune, moi qui n’ai jamais pu être bienfaisant à l’égard de personne, si vous exceptez quelques rares malades, tant je suis malheureux et né sous une mauvaise étoile. Mais il est dans la nature des hommes que beaucoup d’entre eux soient infortunés : la plupart sont inutiles et mauvais ; pauci, quos æquus amavit Iupiter, aut ardens evexit ad æthera virtus, [1][2] sont de bonne naissance ou utiles au bien public ; et parmi ceux-là, très distingué Monsieur, vous tenez un haut rang et je souhaite que, comme vous méritez, vous l’occupiez heureusement et fort longtemps, pour la bonne marche de vos affaires et de la république ; et que ces nobles et extraordinaires talents, que vous avez hérités de votre très distingué père, [3] prospèrent en vous et se transmettent sûrement à votre postérité. Venons-en à ce qu’on publie en Italie, car vous m’y incitez si diligemment et si souvent que, bannissant toute pudeur, j’ose vous demander de me rechercher un livre : je vous prie de m’acheter (et je vous rembourserai, quel qu’en soit le prix) Fabii Pacii Vicentini, Commentarios in sex priores Galeni libros Methodi medendi, ainsi que son commentaire sur son 7e livre ; ce sont deux petits volumes in‑fo, publiés à Vicence en 1598 et 1608. [2][4][5] Vous n’avez vraiment aucune raison de me présenter votre Rome, cette Rome qui est spurcum cadaver pristinæ venustatis, et turpem imaginem puritatis antiquæ : [3][6] qu’ai-je en effet à voir avec Rome ? qu’a donc à y voir un homme de bien et fort accaparé avec negotiosa illa tot otiosorum matre, corrupta, constuprata, contaminata ? [4] Que celle qui, Ocellus quondam, nunc Lacuna Fortunæ [5] se tienne bien loin de moi et s’occupe de ses propres affaires. Comme a dit Pétrarque en fin connaisseur, elle n’est rien d’autre quam impura illa Officina, in qua cuditur quidquid scelerum, fraudum et imposturarum spargitur per universum Orbem terrarum. [6][7] Et même, si je ne vous connaissais bien, vous le plus agréable des amis, je vous exhorterais volontiers à vous méfier de ses séductions et de ses pièges, tant que vous y séjournez. Je vous prierais au moins de vous rappeler la très belle lettre de Juste Lipse à Philippe de Lanoye, noble jeune homme flamand, pour qui ce voyage outre-mer fut tragique (centurie i, épître xxii). [7][8][9] Pardonnez-moi pourtant, très doux ami, je vous en supplie, de vous mettre en garde, bien que vous ne manquiez point de bon conseiller. C’est mon amour pour vous qui me pousse à cela, et cette sérieuse crainte qui m’incite à vous écrire ces mots d’une main tremblante ; mais que ma peur se dissipe, car je n’ai pas si mauvais sentiment de vous. Badinons donc un peu après tous ces sujets sérieux. Le prince de Condé, qui fut jadis un grand protecteur des jésuites, est ici mort âgé de 58 ans ; [10][11] il s’en est allé dans l’au-delà, là où il reconnaîtra la bonne foi de ces compagnons qu’il a tellement favorisés par le passé, non sans faire souffrir les hommes de bien. Notre ami Spon vous salue obligeamment. [12] Naudé [13] a visité quelques villes d’Allemagne, dont il déplore l’abandon, et tout particulièrement le dénûment d’hommes savants, il n’en a presque trouvé aucun, hormis Buxtorf à Bâle. [14] Il nous est enfin revenu, sain est sauf, au milieu de l’hiver, avec de nombreux paquets de livres qu’il a recueillis çà et là. [8][15] Tout ce qu’a fait Frater Ludovicus est dans diverses bibliographies, et il ne s’agit que de celui-là seul car nul autre de ce nom n’est digne d’y figurer. [9] Vous vous souvenez de ce que disait des moines l’immortel ornement de votre Hollande, Désiré Érasme, [17] et Alciat dans l’emblème où il parle d’eux :
Mais tandis que vous demeurez à Rome, je vous demande d’aller voir Famiano Strada pour savoir de lui quand donc il nous permettra de voir la seconde partie de son histoire : ô comme je souhaite qu’il la publie vite ! [11][19] Il circule ici beaucoup de bruits sur la paix ; [20] les hommes emunctæ naris [12][21] et ceux qui s’y connaissent en politique ne les tiennent pour rien d’autre que des intrigues impériales visant à tromper le peuple et à soutirer de l’argent. Ah, comme cette Vierge catholique qui est aux cieux nous ferait de bien si elle nous ramenait jure postliminii ! [13] Il n’y a ici rien de nouveau en librairie. Vale et vive, très distingué Monsieur, et aimez-moi comme vous faites. De Paris, ce 8e de janvier 1647. Vôtre de toute mon âme, Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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