À Charles Spon, le 10 août 1649, note 18.
Note [18]

La Circulation est la troisième des quatre parties des Opera anatomica vetera… (1649, v. note [25], lettre 146), intitulée Liber de Circulatione sanguinis [Livre sur la circulation du sang (en 25 chapitres, pages 543‑603)].

À l’instar des médecins de l’Antiquité, Jean ii Riolan comparait le mouvement du sang, vers et hors du foie, à celui des marées du Méandre (v. infra) ou de l’Euripe (v. note [4], lettre 483) ; la même idée a servi à Guy Patin pour qualifier la vérole euripienne de Théophraste Renaudot (v. note [64], lettre 101). Dans le Discours contenant le jugement général du sieur Riolan, touchant le Mouvement du sang, tant aux brutes qu’aux hommes, tiré de la Réponse qu’il a faite à Slegel ; et les utilités de la Circulation (traduction de l’Encheiridium, 1672, sous le titre de Manuel anatomique et pathologique, ou Abrégé de toute l’anatomie…, page 711), se lit ce point de vue qui mêle curieusement la poésie à la science anatomique :

« Il n’y a personne de bon sens qui veuille soutenir que le sang soit immobile et se repose dedans les vaisseaux ; mais aussi plusieurs sont en doute, et non pas sans raison, s’il a un mouvement perpétuel et circulaire. Car on n’a pas encore assez visiblement reconnu ni décidé de quelle façon il se meut dans nos corps : si c’est par un flux ou reflux continuel parcourant toujours les mêmes vaisseaux qui lui sont propres, de sorte que le sang artériel vienne et revienne dans les artères seulement, le sang veineux de même par ses propres vaisseaux, comme le Méandre, fleuve de Carie dans l’Asie Mineure, le mouvement duquel est fort bien décrit par Ovide au liv. viii des Métamorphoses par ces vers :

Non secus ac liquidus Phrygiis Mæandros in arvis
Ludit, et ambiguo lapsu refluitque fluitque
Occurensque sibi, venturas aspicit undas
Et nunc ad fontes, nunc ad mare versus apertum
Incertas exercet aquas
. {a}

On a aussi sujet de douter si le sang passe des artères dans les veines et réciproquement, des veines dans les artères, par leurs anastomoses mutuelles, ainsi qu’a cru l’Antiquité ; ou bien s’il a un mouvement circulaire continuel qui dure jour et nuit par tout le corps ; car on est encore incertain comment ce mouvement se fait. »


  1. « Tel le Méandre se joue dans les champs de Phrygie : dans sa course ambiguë, il suit sa pente ou revient sur ses pas, et détournant ses ondes vers leur source, ou les ramenant vers la mer, en mille détours il égare sa route et roule ses flots incertains » (vers 162‑167).

Riolan, qui fut le plus influent anatomiste français au xviie s., prenait résolument le contre-pied de William Harvey : s’inspirant d’Hippocrate et d’Aristote, il réfutait la petite circulation (passage du sang du cœur droit dans le cœur gauche au travers des poumons), demeurant figé sur l’erreur que des pores invisibles font communiquer le ventricule droit avec le ventricule gauche ; le passage périphérique du sang des artères dans les veines n’existait pas non plus ; en revanche, comme Aristote l’a décrit, on voyait nettement que le cœur possède trois ventricules (le droit, le médian, le gauche) et non deux (droit et gauche). Riolan affirmait sans vergogne avoir redécouvert la véritable circulation du sang, telle que les Anciens l’avaient conçue sans la nommer : c’est un mouvement extrêmement lent (accompli deux fois par jour, à l’instar des marées) qui, suivant des modalités et des voies incompréhensibles, permet des échanges entre les deux compartiments sanguins, celui des veines qui apporte la nourriture aux parties du corps et celui des artères qui leur communique la chaleur produite par le cœur. La veine porte (qui pénètre dans le foie, v. notule {b}, note [18] de Thomas Diafoirus et sa thèse) forme un compartiment à part : venu du tube digestif le sang qu’elle contient est impur et chargé d’aliments ; capté par le foie, il y est transformé en sang riche et noble, capable de nourrir les parties du corps. L’essentiel pour Riolan était que son système plus qu’approximatif lui permît, au prix d’acrobaties aussi obscures qu’Deschamps, Étienne Agard (Stephanus Dechamps, alias Antonius Ricardus), théologien jésuite françaisabrantes, d’expliquer les vertus immémoriales de la purge et de la saignée, et même d’en perfectionner la méthode pour leur donner plus d’efficacité. Guy Patin fut jusqu’à la fin de sa vie l’aveugle prosélyte des idées fumeuses de son maître.

Riolan a rudement rejeté les justes démonstrations de Jan de Wale sur la circulation sanguine dans le chapitre vii (Examen opinionis Vallæi [Critique de l’opinion de Wale]) de son Liber de circulatione sanguinis (page 565 des Opera anatomica vetera…) :

Cum igitur mentionem fecerim Eruditissimi Vallæi, et ad manus meas pervenerint eius duæ Epistolæ auctæ, Institutionibus Anatomicis Bartolinis secundo editis insertæ, et doctissimi Primerosi ad eas reponsio : Cogor ea paucis examinare, quæ Harvei rationibus et experimentis superaddidit. Ille adhuc liberalior ter millenas in hora Cordis pulsationes observavit : semunciam sanguinis in singulis pulsationibus Cordis humani effundi opinatur, ac proinde intra horæ quadrantem totius sanguinis circulationem absolvi eo fine, ut calefactus sæpius, atque rarefactur magis perficiatur, et in sua integritate conservetur, quamvis admittat venosum et arteriosum sanguinem esse consimiliem : utrumque fibrosum et concrecere.

Ut autem inveniat viam patentem et facilem huic traductioni adeo veloci, negat cordis septum esse previum, ideoque per medios pumones traduci sanguinem celeriter a dextro ventriculo in sinistrum. Istius circulationis rapidæ fundamentum consistit in illa traductione per pulmones, quam cum demonstraverim esse impossibilem, huic propositioni iam satisfeci. Sed experimentis certat Vallæus ex Anatome viventium animalium petitis, quæ describit accurate, et elegantibus iconibus delineavit. Ac sane laudo plurimum eius industriam ac diligentiam, et sæpius id olim præstiti, ad explorandos motus Cerebri, Cordis, Pulmonum, Diaphtagmatis, Intestinorum, atque etiam in Fœtu ovis prægnantis, more Galeni, qui in hac parte Anatomica fuit admirabilis, sed ingenue fateor cum Celso, colorem, lævorem, mollitiem, duritiem similiaque omnia non esse talia inciso corpore, qualia integro fuere. Vesisimile est interiora, quibus maior mollities, lux ipsa nova fit, sub gravissimis vulneribus, et ipsa trucidatione mutari. Addit, neque quidquam esse stultius, quam quale quodque vivo homine est, tale est existimare moriente. Ideoque in ista præcipiti et obscura propter largam sanguinis effusionem, observatione, mult nostros oculos effugiunt, nec possumus veras actione Cordis, et arteriarum innotescere : Sic Celsus pulsum rem fallacissimam in vivente iudicavit ; Non ulterius examinabo Vallæi opinionem, quia Notas scripsi ad binas eius epistolas ; ad quas lector recurret, sub finem huius tractatus.

[J’en viens maintenant à parler du très savant Vallæus, car j’ai sous la main ses deux lettres qu’on a augmentées et rééditées avec les Institutiones Anatomicæ de Barrtholin, avec la réponse que le très savant Primerose leur a faite. {a} Je pense n’ajoute pas grand-chose d’important aux raisonnements et aux expériences de Harvey. Plus généreux que lui, Vallæus a compté mille pulsations du cœur en une heure. Comme il juge qu’une demi-once {b} de sang s’écoule à chacun de ses battements, c’est donc le quart de tout le sang {c} qui circulerait en une heure et devrait être aussi souvent réchauffé, bien parachevé et dilaté, et conservé dans son intégrité ; et pourtant, il admet que les sangs artériel et veineux sont semblables, c’est-à-dire tous deux riches en fibres qui les rendent capables de se figer. {d}

Quant à trouver une voie ouverte et commode pour un passage aussi véloce du ventricule droit au ventricule gauche, comme il nie que le septum du cœur soit perméable, il la situe dans les poumons. Cette circulation rapide se fonde sur la traversée des poumons et comme j’ai démontré qu’elle est impossible, je n’ai jamais adhéré à cette proposition. Pourtant, Walæus prend à témoin des observations expérimentales qu’il a recueillies sur les animaux vivants, et les décrit soigneusement en les illustrant d’élégantes figures. Je loue hautement, comme je l’ai souvent fait jadis, son exactitude et son habileté à explorer les mouvements du cerveau, du cœur, des poumons, du diaphragme, des intestins, et ce, même chez le fœtus de la brebis pleine, comme a fait Galien, qui a été admirable en cette partie de l’anatomie ; toutefois, j’avoue avec Celse que la couleur, le poli, la souplesse, la dureté, etc., ne sont par telles en un corps ouvert qu’elles sont quand il est intact. Dans les plaies les plus graves, il est probable que les parties intérieures, pour qui la lumière en elle-même est nouvelle, deviennent plus souples et soient transformées par le carnage qu’elles ont subi. Il ajoute, et il n’y a rien de plus sot, que l’on peut déduire exactement de l’homme mourant tout ce qu’il a été quand il était bien vivant. Convenons que beaucoup de choses échappent à nos yeux dans cette observation fugace et obscurcie par l’abondante effusion de sang, et que nous ne pouvons y discerner clairement l’action du cœur et des artères ; Celse a jugé que dans ces conditions l’observation de leurs pulsations était tout à fait trompeuse. Je n’examinerai pas plus avant l’opinion de Vallæus parceque j’ai écrit des Notes contre ses deux lettres, que le lecteur trouvera à la fin de ce traité]. {e}


  1. V. notes [6], lettre 191, et [7], lettre 311, pour Jan de Wale (Vallæus ou Walæus) et pour ses deux lettres absolument remarquables (datées des 22 septembre et 1 décembre 1640) qu’il a écrites à Thomas Bartholin sur les voies du chyle et la circulation du sang (Leyde, 1641).

    Abraham du Prat avait traduit en français les Institutions anatomiques de Gasp. Bartholin…, augmentées et enrichies pour la seconde fois… par Thomas Bartholin (Paris, Mathurin et Jean Henault, 1647, in‑4o). Les Deux Lettres de Monsieur Jean Walæus, du mouvement du chyle et du sang, à M. Thomas Bartholin fils de Gaspar se trouvent à la fin (pages 589‑656).

  2. Seize grammes, soit environ autant de millilitres, contre la centaine qu’éjecte en réalité chaque systole du ventricule gauche. Le nombre horaire moyen des pulsations cardiaques est plus proche de quatre mille que de mille ; ce qui corespond au brassage de quelque 40 litres de sang par le cœur en une heure.

    Riolan ne rapportait pas l’estimation exacte de Walæus (première lettre, page 609page 609) :

    « Mais posons le cas que ce soit un scrupule [1,4 grammes] seulement, puisque le cœur fait plus de 3 000 pouls en une heure, plus de dix livres [5 litres] de sang passeront à chaque heure par le cœur, qui est une quantité que les aliments que nous prenons, ni le foie, par conséquent, ne peut fournir au cœur. »

  3. Le volume sanguin total est d’environ 5 litres chez l’homme, qui font chaque heure environ huit fois le circuit complet.

  4. Riolan ne pouvait admettre que se fassent dans le cœur et les poumons, et à la vitesse prescrite par Walæus, toutes les opérations requises pour chauffer et « dilater » le sang, et le rendre ainsi capable d’assurer sa fonction primodiale et visible de coagulation (transformation du fibrinogène soluble en fibrine solide). Si le cœur servait effectivement à réchauffer le sang, tout le reste ne pouvait se faire que lentement et dans le foie (ce qui n’est pas faux pour la formation du fibrinogène). Voici l’exact propos du clairvoyant Walæus dans sa première lettre (pages 592‑593 :

  5. « Le sang qui sort des plus grandes artères disséquées est plus chaud, plus subtil, plus rare et plus vermeil que celui qui coule des veines ouvertes. Je ne voudrais pas dire pour cela que la forme du sang artérieux soit tout à fait différente de celle du sang veineux, car le sang artérieux peut avoir cet avantage sur l’autre, à cause que sortant fraîchement comme du foyer, il a plus de chaleur et plus grande abondance d’esprits ; de sorte qu’il ne diffère de l’autre < que > comme le lait bouillant de celui qui est est refroidi. En effet, il semble que le sang artérieux ne tient ces qualités d’ailleurs que de la plus grande quantité de chaleur et d’esprits, car on peut remarquer que celui des petites artères, qui est plus éloigné du foyer, n’est pas si diffrent de celui des veines. Et certes, nous n’avons pu jamais remarquer aucune différence entre le sang que nous avons pris des plus grandes artères, et même du cœur d’un animal vivant, et des veines, et que nous avons laissé refroidir et coaguler, l’un et l’autre. De manière qu’on ne peut croire autre chose, sinon que le sang artérieux est de même espèce que le veineux. »

  6. Les Ioannis Riolani Notæ ad duas Epistolas Ioannis Valæi [Notes de Jean Riolan contre les deux lettres de Johannes Walæus] occupent les pages 605‑622 du livre de Riolan.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 août 1649, note 18.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0192&cln=18

(Consulté le 20/04/2024)

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