Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 31.
Note [31]

Le juriste Charles Labbé de Monvéron {a} s’est aussi beaucoup intéressé à l’Imitation de Jésus-Christ et à Jean Gerson, {b} comme le prouve la très intéressante pièce qui figure dans le premier des trois tomes des :

Joannis Gersonii, Doctoris Theologi et Cancellarii Parisiensis Opera omnia… Opera et studio M. Lud. Ellies du Pin, S. Facultatis Parisiensis Doctoris Theologi, et Philosophiæ Professoris Regii…

[Œuvres complètes de Jean Gerson, docteur en théologie et chancelier de Paris… Par le travail et les soins de M. Lud. Ellies du Pin, {c}docteur en théologie de la sainte Faculté de Paris et professeur royal de philosophie]. {d}


  1. V. note [5], lettre 487.

  2. Mort en 1429, avant l’avènement de l’imprimerie en Europe.

  3. Louis-Ellies du Pin ou Dupin (Paris 1657-ibid. 1719), professeur au Collège de France en 1693.

  4. Anvers, Société de libraires, 1706, in‑4o en deux parties de 195 pages (4 livres du Gersoniana) et 944 colonnes (texte de Gerson).

Ce texte est la transcription d’un étonnant privilège royal, à la fin des Scriptorum testimonia [Témoignages d’écrivains] qui concluent le Gersoniana, page clxxxvii :

Privilegium Regis Christianissimi ad mandatum Typis Opus De Imitatione Christi sub nomine Gersonii. {a}

« Louis par la grâce de Dieu, etc. À nos amés et féaux, etc. Salut. Notre cher et bien-aimé Charles Labbé, ancien avocat en notre Cour de Parlement de Paris, nous a remontré qu’il a travaillé pour restituer le livre De Imitatione Christi en sa première intégrité, pureté et splendeur, ainsi qu’à son vrai auteur ; et que par le moyen de la conférence qu’il a faite des modernes et dernières éditions de ce livre avec des manuscrits, et des premières et plus anciennes impressions, il a restitué plusieurs lieux et passages qui étaient corrompus ès {b} impressions modernes et dernières ; et même, a rétabli des termes et périodes qui y défaillaient ; comme aussi, a-t-il trouvé preuve entière, par ces mêmes manuscrits, et premières et plus anciennes impressions, au grand honneur de la France, que ce livre a été composé par un Français nommé M. Jean de Gerson, chancelier de l’Église et Université de Paris, et curé de Saint-Jean-en-Grève. {c} Et encore a trouvé preuve aussi très certaine et entière, par les livres propres de ceux qui attribuent ce livre De Imitatione Christi à Thomas de Kempis, qu’icelui Thomas de Kempis l’a seulement transcrit et copié, ainsi qu’il a transcrit et copié le Pentateuque de la Bible. Et aussi, il a trouvé preuve, par les livres qui le donnent à Jean Gersen, abbé de Verceil, qu’il a été mis en écrit, en leurs manuscrits de ce livre, Gersen pour Gerson, ainsi que Consolarius {d} pour Cancellarius, en l’épitaphe de l’auteur de ce livre, qui se trouve dans le plus ancien de leurs manuscrits, et qui, sans doute, ne peut convenir à autre qu’à Gerson, chancelier de l’Église et Université de Paris, et professeur en théologie. Comme encore a trouvé et observé que, tant au commencement qu’à la fin des manuscrits, et des plus anciennes et dernières impressions de ce livre, est le nom de Gerson, et toujours avec la qualité de chancelier de l’Université de Paris, comme étant l’auteur de ce livre. Et encore a-t-il trouvé et observé qu’en suite et à la fin de ce livre De Imitatione Christi est mis et joint le traité De Meditatione cordis, {e} avec le même nom de Gerson, comme en étant aussi l’auteur ; et que cette jonction est conforme à ce qui se trouve écrit au commencement du premier chapitre de son premier livre, De Imitatione Christi, que méditer en la vie de Jésus-Christ soit notre souverain soin, notre plus grande étude ; et que ce traité De Meditatione cordis n’a été disjoint d’avec le livre De Imitatione Christi, ni le nom de Gerson changé en celui de Kempis, que depuis que l’abbé Mauburne et l’imprimeur nommé Iodocus Badius Ascensius, {f} Flamands de nation, ainsi que Thomas de Kempis, ont pris habitude en notre ville de Paris et ont entrepris d’attribuer ce livre De Imitatione Christi à Thomas a Kempis, leur compatriote, et de même Ordre et de même maison de religieux qu’icelui Mauburne, ainsi que de même nation ; l’un et l’autre étant de l’Ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, et ayant demeuré en même monastère à Windesheim en Flandres ; et flamands ainsi que Iodocus Badius ; et de fait, que la première impression de ce livre en latin qui ait porté cette disjonction a été celle que Iodocus Badius a faite en 1523 des œuvres de Thomas de Kempis, en laquelle il n’a pas mis, à la suite du livre De Imitatione Christi, ce traité De Meditatione cordis, comme il était en l’impression des mêmes œuvres de Thomas de Kempis faite à Nuremberg en 1494 ; mais l’a mis à la fin du même volume sous un titre séparé ; et encore y est-il dit au commencement, en l’indice des chapitres du premier livre, que, anciennement, ce livre De Imitatione Christi était attribué au Chancelier de Paris, à Maître Jean Gerson. Et cette reconnaissance est au commencement ou au titre des impressions qu’ils ont fait faire jusqu’en 1606 ; y en ayant une, faite à Cologne en cette même année 1606 par Brickman, {g} qui porte que vulgairement ce livre est attribué à Gerson, chancelier de Paris. Et la plus ancienne de celles par lesquelles il ait été révoqué en doute n’est qu’une traduction en français imprimée en 1494. {h} Et il en a vu et manié des latines faites en la seule ville de Paris, en moins de sept ans, jusqu’au nombre de six, datées de 1489, 1492, 1493, 1494 ; et deux d’une même année 1492 ; et une, plus ancienne que toutes les susdites, ayant été faite, ainsi qu’il appert par icelle, dès lors que l’art d’imprimer a été inventé et mis en usage, qui a été en 1442 ou 1459 ; toutes portant le nom de Gerson au commencement et à la fin de ce livre De Imitatione Christi ; et après et ensuite le traité De Meditatione cordis, aussi avec le nom de Gerson. Et encore a-t-il trouvé et découvert que ceux qui ont entrepris d’abolir et anéantir cette vérité ont fait plusieurs autres mutations et mutilations, lesquelles il a indiquées et, en les indiquant, réfutées et détruites ; ainsi que celles faites d’autre part pour attribuer ce même livre De Imitatione Christi à un autre, qu’ils ont nommé et qualifié Jean Gersen, abbé de Verceil, Italien de l’Ordre des bénédictins. Et que, sur ce, il {i} a composé des livres, l’un d’iceux intitulé, suivant les manuscrits, et les premières et plus anciennes éditions : Gerson Cancellarius Parisiensis De Imitatione Christi, et contemptu vanitatum Mundi, et de Meditatione cordis ; Autor suis libris restitutus ; libri suo Autori et nitori redditi ; pluribus in locis auctiores et correctiores quam antehac editi, ex duobus Manuscriptis, et duodecim antiquis Exemplaribus, Parisiis ante ducentos aut circiter annos impressis, opera Caroli Labbæi. {j} Et l’autre de ces livres intitulé : De vero Autore librorum iv De Imitatione Christi, observationum Caroli Labbæi, specimen seu summarium. His probatur evidenter et liquido ex duobus Manuscriptis Codicibus certissimis ; et etiam ex Libris a Kemensibus, et Gersensibus editis, verum Autorem horum iv librorum esse Magistrum Joannem Gerson, seu de Gersono, Cancellarium Parisiensem, non Thomam de Kempis, nec Joannem Gersen Abbatem Vercellensem. {k} Et en français : Synopse ou sommaire des observations de Charles Labbé pour la restitution du livre De Imitatione Christi en son entière splendeur et à son vrai auteur, M. Jean Gerson, Chancelier de l’Église et Université de Paris. Lesquels livres il désirerait faire imprimer, mais craignant, etc. {l}

À ces causes, nous avons permis au dit Labbé de faire imprimer lesdits livres en tel volume et autant de fois que bon lui semblera pendant le temps de quinze ans, etc. Car tel est notre bon plaisir, etc.

Donné à Paris le 12e jour de septembre, l’an de grâce 1654, et de notre règne le 12e. {m} Par le roi en son Conseil, signé Boucot et scellé du grand sceau de cire jaune, etc. » {n}


  1. « Privilège du roi très-chrétien pour imprimer le livre de l’Imitation de Jésus-Christ sous le nom de Gerson. »

  2. Dans les.

  3. V. note [10], lettre 293.

  4. Consolarius, pour « consolateur », n’est pas attesté dans les lexiques latins anciens ou modernes ; sans doute faut-il lire consiliarius, « conseiller ».

  5. « La Méditation du cœur » :

    Tractatus venerabilis Johannis Gerson, cancellarii Parisiensis, de Meditatione, et ponuntur decem et septem considerationes, quarum prima est ista : Meditatio cordis mei in conspectu tuo, semper felix certe qui cum propheta potest ex sententiam dicere verbum istud.

    [Traité du vénérable Jean Gerson, chancelier de Paris, sur la Méditation, qui présente dix-sept considérations, dont la première est : la Méditation de mon cœur dans ta contemplation, toujours heureux est celui qui, avec le prophète, peut sincèrement prononcer ces paroles].

  6. Jean Mauburne est le nom français de Jan Mombaer (Bruxelles 1460-Paris 1501), chanoine régulier de Windesheim (Overijssel), auteur d’hymnes et d’ouvrages sur la méditation.

    Jodocus Badius Ascensius est celui de Josse Bade (Gand 1461-Paris 1535), imprimeur qui a exercé à Lyon puis à Paris où il s’est notamment associé à Robert i Estienne (v. note [7], lettre 659).

  7. Je n’ai pas mis la main sur ces éditions, mais ces deux mentions de l’année 1606 sont à corriger en 1506, car l’Histoire de l’imprimerie et de la librairie. Où l’on voit son origine et son progrès jusqu’en 1689. Divisée en deux livres (Paris, Jean de La Caille, 1689, in‑4o) a parlé de Brickman en ces termes (page 27) :

    « Quelques années après [1484], un nommé François Brickman, qui avait été à Paris en 1500, y vint et imprima en cette ville de Cologne […] et 1526 et 1529 ; lequel eut un fils nommé Arnold, qui imprima en 1567 […]. »

  8. Le livre très salutaire de l’Imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ et du parfait contentement de ce misérable monde, nommé en latin De Imitatione Christi et de contemptu mundi et se commence Qui sequitur me non ambulat in tenebris [Qui me suit ne marche pas dans les ténèbres] (Paris, Jean Trepperel, 1494, in‑4o>), avec cette introduction, page aii :

    « Ici commence le livre très salutaire […], lequel a été par aucuns jusques à présent attribué à saint Bernard ou à maître Jehan Gerson. Toutefois, l’auteur d’icelui, sous < la dictée de > notre seigneur, fut un vénérable père très dévot, religieux chanoine réglé, vivant en son temps en observance régulière selon la règle < de > monseigneur saint Augustin, nommé frère Thomas de Campis, prieur en un prieuré d’icelui Ordre, appelé Windesheim, diocèse d’Utrecht. »

  9. Charles Labbé.

  10. « Gerson, chancelier de Paris, de l’Imitation de Jésus-Christ et du mépris des vanités du monde, et de la Méditation du cœur. L’auteur est restitué à ses livres, et les livres rendus à leur auteur et à leur éclat, plus copieux et mieux corrigés en plusieurs endroits qu’en leurs précédentes éditions, à l’aide de deux manuscrits et de douze anciens exemplaires imprimés à Paris voici deux cents ans ou presque ; par les soins de Charles Labbé. »

  11. « Du véritable auteur des quatre livres de l’Imitation de Jésus-Christ : échantillon ou sommaire des observations de Charles Labbé. Il prouve de manière évidente et limpide, à partir de deux manuscrits tout à fait authentiques, et aussi à partir des livres parus sous les noms de Kempis et de Gersen, que le véritable auteur de ces quatre livres est Jean Gerson, ou de Gerson, chancelier de Paris, et non Thomas a Kempis, ni Johannes Gersen, abbé de Verceil. »

  12. Fâcheux « etc. » qui nous prive de connaître les raisons du mutisme de Labbé. Ses craintes pouvaient être liées à l’ardeur de la querelle monastique qui crépitait alors à Paris entre génovéfains et mauristes sur l’attribution de l’Imitation à leur champion respectif, Kempis ou Gersen (v. les citations fournies à la fin de la note [32] infra) : comment un simple amateur, avocat érudit en droit romain, pouvait-il sérieusement oser proposer une tierce solution ?

  13. Le règne de Louis xiv avait débuté le 14 avril 1643, à la mort de son père, Louis xiii.

  14. Boucot pouvait être Claude Boucot du Clos-Gaillard, secrétaire du roi et échevin de Paris.

    Charles Labbé mourut le 11 janvier 1657. La notice bibliographique établie par la BnF donne une imposante liste des ouvrages juridiques qu’il a mis au jour, mais aucun des titres n’y est en relation avec le De Imitatione Christi. Labbé n’a donc jamais mis à profit de ce privilège royal en publiant les trois livres qu’il y annonçait, et Gerson s’est évanoui dans la dispute sur le véritable auteur de l’Imitation de Jésus-Christ.

    O quam cito transit gloria mundi ! [Que la gloire du monde passe donc vite !], comme il est écrit dans ce dévot ouvrage (livre i, chapitre iii, § 6, page 13 de l’édition citée au début de la note [32] infra).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 31.

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(Consulté le 16/04/2024)

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