À André Falconet, le 8 janvier 1666, note 10.
Note [10]

La préface du premier numéro de cette réapparition du Journal des Sçavans, daté du lundi 4 janvier 1666, intitulée L’Imprimeur au lecteur, disait :

« L’interruption survenue à ce journal n’a servi qu’à le faire souhaiter davantage. Car tous les gens de lettres ont témoigné un extrême regret d’être privés d’un ouvrage qui leur faisait voir en raccourci ce qu’il y a de plus beau dans tous les livres, et qui leur donnait en même temps beaucoup de plaisir par la diversité des choses qui y étaient rapportées. Il y a pourtant eu quelques personnes qui se sont plaintes de la trop grande liberté qu’on s’y donnait de juger de toutes sortes de livres. Et certainement, il faut avouer que c’était entreprendre sur la liberté publique et exercer une espèce de tyrannie dans l’empire des lettres que de s’attribuer le droit de juger des ouvrages de tout le monde. Aussi est-on résolu de s’en abstenir à l’avenir et au lieu d’exercer sa critique, de s’attacher à bien lire les livres pour en pouvoir rendre un compte plus exact qu’on n’a fait jusqu’à présent. Et cela étant, on est assuré qu’il n’y aura personne qui n’ait la joie de voir revivre un ouvrage aussi utile et aussi agréable que celui-ci. Au reste, afin qu’on n’ait pas sujet de regretter le temps pendant lequel ce journal a discontinué, on s’est proposé de parler des meilleurs livres qui se sont cependant imprimés, de sorte que cette interruption n’empêchera pas que l’histoire savante qu’on avait d’abord fait espérer ne soit aussi complète qu’elle aurait pu être. ».

« Le Sr G.P. » {a} a signé la longue présentation des œuvres complètes du P. Théophile Raynaud {b} dans le no vi du Journal des Sçavans daté du 14 mars 1667 (pages 61‑68), dont j’ai extrait ces quelques passages :

« Il n’y a point eu d’auteur dans ce siècle qui ait tant écrit que le P. Théophile Raynaud, et qui ait traité tant de matières différentes. Il avait déjà publié spéparément la plus grande partie de ses livres ; mais comme il en avait plusieurs qui ne se trouvaient plus, d’autres qu’il avait augmentés, et qu’il en restait encore quelques-uns qu’il n’avait pas mis en lumière, il entreprit, sur la fin de ses jours, de les faire imprimer tous ensemble. La mort l’ayant empêché de voir l’entière exécution de ce dessein, il en laissa la conduite à un père de son Ordre, à qui l’on est redevable de ce que cette édition s’est enfin achevée.

Les bornes que je me suis prescrites dans ce Journal ne me permettent pas de de rendre au public un compte exact des 19 volumes in‑fo qui composent ce recueil. C’est pourquoi je me contenterai de dire quelque chose des principaux traités qui s’y trouvent. […]

Le sixième volume comprend plusieurs traités sur le sacrement de l’Eucharistie, {c} entre lesquels il y en a trois principaux. Dans l’un, cet auteur combat l’opinion de M. Descartes touchant les espèces sacramentelles ; dans l’autre, il fait voir qu’on ne doit point être assis pendant qu’on entend la messe et il montre avec combien de respect on doit assister à cet auguste Mystère. Il examine dans le troisième si l’on peut communier pour les morts, et il tâche de prouver que, bien que le Sacrifice de la messe et les œuvres satisfactoires des fidèles soulagent les âmes qui sont en purgatoire, néanmoins la Communion des vivants est d’elle-même inutile pour cet effet, aussi bien que le Baptême et les autres sacrements, qui ne profitent qu’à ceux qui les reçoivent. Ce dernier traité avait été censuré à Rome, mais l’auteur l’ayant depuis corrigé, a eu permission de le raire rimprimer. […]

Cet auteur a fait plusieurs autres ouvrages qu’on n’a point mis dans ce recueil pour des raisons particulières. On n’y trouve point les apologies contre Hurtado, qu’il a intitulées Depilationes parce que ce religieux est d’un Ordre qu’on appelle en Italie Pelosi. {d} On n’y voit point le livre dans lequel il traite si l’on peut se confesser par lettres ; ni celui qui est intitulé Hipparchus, {e} où il examine s’il est permis aux religieux de se mêler du trafic. On n’y a point mis non plus les traité de immunitate Cyriacorum a censuris, qui est contre les jacobins ; {f} ni celui qui a pour titre Religio Bestiarum, où la prédétermination des thomistes est réfutée ; {g} ni un autre qui est contre le P. Combefis. {h} Il manque encore dans ce recueil quelques autres traités de cet auteur, qui sont faciles à connaître par le catalogue de ses œuvres qu’il a fait imprimer plusieurs fois. Il voulait faire un volume de tous ces livres et l’intituler Apopompæus, {i} qui est le nom que les Juifs donnaient à cette victime qu’ils chargeaient de malédictions et qu’ils abandonnèrent au désert ; mais la mort interrompit ses desseins. […]

On voit par les ouvrages de cet auteur qu’il avait l’esprit hardi et décisif, l’imagination vive et une mémoire prodifieuse. Ces avantages de la nature joints au travail infatigable avec lequel il s’était appliqué à l’étude depuis les premières années de sa hjeunesse jusqu’à l’âge de 79 ans, qu’il est mort, l’avaient rendu un des plus savants hommes de son siècle. Mais il était trop piquant et trop satirique, ce qui lui avait attiré l’inimitié de quantité de personnes. Son style, quoique d’ailleurs très net, paraît obscur à cause qu’il affecte de se servir de termes difficiles et de mots tirés du grec. {j} Il a aussi quelquefois des pensées assez extraordinaires, comme lorsqu’ayant à traiter de la bonté de notre Seigneur dans un chapitre du iie volume, il l’intitule Christus bonus, bona, bonum. {k} Sa grande érudition lui fournissant une infinité de choses sur toutes sortes de matières, il s’éloigne souvent du sujet dont il s’était proposé d’écrire, comme dans le traité de la Rose bénite, dont il emploie une bonne partie à examiner de quelle manière on observait le carême dans la primitive Église. {l} On peut encore remarquer qu’il n’a pas assez donné à son génie, se contentant de rapporter ce qu’il avait lu dans les anciens auteurs, et se servant souvent de leurs paroles pour exprimer ce qu’il aurait peut-être mieux dit lui-même. Tout cela n’empêche pas que ses ouvrages ne méritent d’être extimés et ne soient très utiles à ceux qui s’appliquent à la théologie et à la prédication. »


  1. Cet article faisant preuve d’une singulière érudition sur les ouvrages du R.P. Théophile, tout me laisse croire que l’auteur en est bien Guy Patin, écrivant en dépit du fait que, dans sa livraison du 23 février 1665, le Journal avait éreinté le livre de son fils Charles sur les médailles (v. note [6], lettre 814).

  2. Lyon, 1665, v. note [6], lettre 736.

  3. V. note [6] du Borboniana 5 manuscrit.

  4. Thomas Hurtado appartenait à la Congrégation italienne de clercs réguliers qui porte le nom de Pelosi [Poilus]. Les « épilations » du R.P. Raynaud sont dans son traité pseudonyme intitulé :

    Theologia antiqua de veri Martyrii adæquate sumpti notione, ad Spumosam Καινολογιαν et fragosum Taratantara Thomæ Hurtado Buccaressi, de Seir, Iterato vulsi, ac depiliati, a Leodegario Quintino Heduo S.T.D.

    Théologie ancienne sur la notion du Matyre véritable, défini de manière adéquate, contre l’Extravagance et le bruyant Remue-ménage de Thomas Hurtado, Bouche de fer de Seir, {i} que voici de nouveau renversé et épilé, par Leodegarius Quintinus Heduus, {ii} docteur en sainte théologie]. {iii}

    1. Je ne garantis pas entièrement ma traduction de ce bizarre gréco-latin, où le sens de « Seir » m’a échappé.

    2. V. notule {a}, note [6], lettre 645, pour ce pseudonyme du R.P. Raynaud.

    3. Lyon, Antonius Jullieron, 1656, in‑8o de 114 pages.

  5. Ouvrage paru en latin (Francopolis, 1642) puis traduit en français (Orange, 1645), et signé René de La Vallée : v. note [15], lettre 73.

  6. Diatribe contre les dominicains, parue vers 1662, v. note [15], lettre latine 207.

  7. Calvinismus, Bestiarum Religio. Et appellatio pro Dominico Banne Calvinismi damnato, a Petro Paulo de Bellis Italo, Ordinis Prædic. Apostata. Per R.P. A. Riviere, Doct. Paris. Ordinis S. August. Editio altera, Parisiensi nitidior.

    [Le Calvinisme, Religion des bêtes. Et un appel en faveur de Dominicus Bannis {i} que Petrus Paulus de Bellis, apostat italien de l’Ordre des frères prêcheurs, a condamné pour calvinisme. Par le R.P. A. Rivière, {ii} docteur de Paris, de l’Ordre de Saint-Augustin. Seconde édition, plus riche que celle de Paris]. {iii}

    1. Domingo Bañez (1528-1604), théologien dominicain espagnol.

    2. Autre pseudonyme du R.P. Raynaud ; je n’ai pas identifié Petrus Paulus de Bellis, dominicain italien, c’est-à-dire thomiste, adepte de la prédestination défendue par Thomas d’Aquin, accusée de faire agir les hommes en bêtes.

    3. Lyon, Claudius Landry, 1630, in‑12 de 180 pages.
  8. V. note [16], lettre latine 207.

  9. Titre du volume xx (Cracovie, 1669, in‑4o) des Opera du R.P. Raynaud.

  10. V. note [18], lettre 605.

  11. Les trois genres (masculin féminin et neutre) de l’adjectif « bon » sont ainsi attribués au Christ (grammaticalement masculin) dans le titre du chapitre iii, première section du traité de Attributis Christi, secundum se considerati [sur les Attributs du Christ, coformément à la manière dont il s’est lui-même considéré] (Opera, tome iipage 18‑30).

  12. Traité contenu dans le tome x (pages 401‑530 des Opera du R.P. Raynaud, dont le titre exact est :

    Rosa Mediana, Romani Pontificis Benedictione, consecrata. Ritus sacer Dominicæ Quartæ Quadragesimæ, enucleatus : incentiva explendi quadragintadiale ieiunium illustrata.

    [La Rosa Mediana, consacrée par la bénédiction du pontife romain, expliquant le rite sacré du quatrième dimanche de carême ; {i} illustrée par une incitation à remplir le jeûne de quarante jours]. {ii}

    1. Dans le rite romain, ce quatrième des cinq dimanches du carême porte le nom de Lætare (en raison des premiers mots de son introït, Lætare Jeusalem [Réjouis-toi Jérusalem]. Le chapitre i explique que, pour des raisons liturgiques difficilement intelligibles,il est aussi appelé Dominica mediana [Dimanche du milieu], ce qui a valu à la rose qu’on y consacre le nom de Rosa mediana, « Rose du milieu » qu’on peut moins obscurément traduire en « Rose bénite ».

    2. Carême est une contraction de Quadragesima [quarante jours] (v. note [10] du Naudæana 3) : il n’est pas illogique de lier le carême à la « Rose bénite ».

    3. Lyon, Claudius Landry, 1630, in‑12 de 180 pages.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 janvier 1666, note 10.

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(Consulté le 16/04/2024)

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