À André Falconet, le 8 décembre 1664, note 11.
Note [11]

Marie-Anne de France, troisième enfant du couple royal, était née le 16 novembre précédent (v. note [1], lettre 799), mais les historiens datent sa mort du 26 décembre 1664 : ou Guy Patin était mal informé, ou les chroniqueurs se sont mépris, ou la lettre a été antidatée par les transcripteurs (ce que le reste du contenu ne permet pas d’admettre).

Les amateurs de mystères historiques ont mis en doute la mort même de Marie-Anne et supposé qu’elle ait pu survivre pour devenir la « Moresse religieuse à Moret fort énigmatique », dont a parlé Saint-Simon (Mémoires, tome i, pages 446‑447). Placée toute jeune dans ce « couvent borgne » et très richement dotée, elle y aurait reçu de fréquentes visites de la reine Marie-Thérèse, sa prétendue mère, puis de Mme de Maintenon :

« Ni l’une ni l’autre ne prenaient pas un soin direct de cette Moresse qui pût se remarquer ; mais elles n’y étaient pas moins attentives. Elles ne la voyaient pas toutes les fois qu’elles y allaient, mais souvent pourtant, et avec une grande attention à sa santé, à sa conduite et à celle de la supérieure à son égard. Monseigneur {a} y a été quelquefois, et les princes ses enfants une ou deux fois, et tous ont demandé et vu la Moresse avec bonté. Elle était là avec plus de considération que la personne la plus connue et la plus distinguée, et se prévalait fort des soins qu’on prenait d’elle et du mystère qu’on en faisait ; et quoiqu’elle vécût régulièrement, on s’apercevait bien que sa vocation avait été aidée. Il lui échappa une fois, entendant Monseigneur chasser dans la forêt, de dire négligemment : “ C’est mon frère qui chasse. ” On prétendait qu’elle était fille du roi et de la reine, que sa couleur l’avait fait cacher et disparaître, et publier que la reine avait fait une fausse couche, et beaucoup de gens de la cour en étaient persuadés. Quoi qu’il en soit, la chose est demeurée une énigme. »


  1. Le Grand Dauphin.

Certains sont allés jusqu’à prétendre que le page noir de la reine, nommé Nabo, aurait été le père adultère de l’enfant royal et qu’on l’en aurait puni en l’emprisonnant à vie avec un masque pour cacher son visage ; mais cette hypothèse, comme tant d’autres, est chargée d’invraisemblances (Petitfils b, pages 145-151).

La version officielle donnée par l’extraordinaire de la Gazette intitulé La Pompe funèbre de Madame Marie-Anne de France (no 4 du 9 janvier 1665, pages 25‑32) n’a pas alimenté ces rumeurs :

« À prendre la chose dans le bon sens, ne voyons-nous pas qu’il {a} ne nous a enlevé cette jeune princesse que par un effet de l’amour qu’il a pour nos Lis, {b} et qu’il s’était réservé ce précieux rejeton de leur grande et pompeuse tige : n’ayant pu souffrir que la Nature l’ait fait naître dans le terme de sa maturité, d’autant qu’il voulait la lui donner parmi ses anges ? On dirait même qu’il ne nous ait voulu accorder la guérison de notre souveraine qu’à condition que nous lui en rendions ce tribut, et que c’est pour cette raison qu’en même temps qu’il nous a eu assurés de la santé de la mère, il nous a privés de l’enfant ; nous ayant, durant 39 jours qui ont fait tout son âge, préparés à cette perte par sa langueur continuelle, qui faisait bien juger que la terre n’était pas destinée pour son séjour. […]

Ce jour-là 27, on en sépara le cœur pour être porté dans un cœur d’argent au Val-de-Grâce, la reine mère l’ayant demandé pour les religieuses de ce monastère, et le corps fut enfermé dans un cercueil de plomb, {c} sur lequel on attacha une lame de cuivre où étaient les armes de l’illustre défunte, et ces mots :

C’est le corps de très haute et très puissante princesse Madame Marie-Anne de France, seconde fille du roi Louis, xive de ce nom, et de Marie-Thérèse d’Autriche, décédée au château du Louvre le 26 décembre 1664, âgée de 39 jours.


  1. Le Ciel.

  2. « Fleurs dont l’écu de France est chargé » (Furetière).

  3. Qui fut déposé en la basilique de Saint-Denis.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 décembre 1664, note 11.

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(Consulté le 28/03/2024)

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