Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 16.
Note [16]

Lettre de Joseph Scaliger à Isaac Casaubon, datée de Leyde, le 22 avril 1606, (Ép. lat. lettre cxx, livre ii, pages 313‑314) :

De Lipsii nostri obitu non potest te latere. Primus ergo in Batavis nuncium illum accepi. Negari non potest in illius morte, et literis iacturam et amicis luctum summum contigisse. Amavi hominem ut amicum ; colui ut bene de literis meritum. Non dubito eum sæpe levitatis pœnituisse, quod relictis Batavis, a quibus tanquam numen διοπετες colebatur, se ad ea loca contulisset ubi alieno arbitrio illi vivendum fuit ; quod aliqua tolerabile esset, nisi etiam illis, quibus obnoxium se fecerat, lusus pilaque esset. Expertus est quam sæpe homines fallat iudicium suum, quum, quod ille sperabat, tantum abest ut eo positus sit, ut minus quam sperabat consecutus sit. Ambitio enim, quæ maxima in eo fuit, ad institutum mutandum impulit hominem. Accedebat importunæ mulierculæ uxoris eius superstitio, quæ illius animum ambitione ægrum sollicitabat, neque prius destitit quam virum ad illas partes perduxerit in quibus neque invenit quod, ut dixi, sperabat, et hominum odium atque invidiam in se concitavit. En quo ambitio illum amicum nostrum perduxit ! Neque ditior, neque meliore fama obiit quam alibi obiisset. Certe in utrisque partibus honoratior illi mors in Batavis contigisset, qui ne in illis quidem partibus apud omnes bene audivit.

[Il est impossible de vous celer le décès de notre ami Lipse. J’ai été le premier des Hollandais à en recevoir la nouvelle. {a} Sa mort a indéniablement représenté une perte pour la science et un immense chagrin pour ses amis. J’ai aimé cette homme comme ami, je l’ai honoré comme ayant bien mérité des lettres. Je ne doute pas que lui-même ait souvent regretté sa frivolité : elle l’a fait s’éloigner du reste des Hollandais, qui l’adoraient comme une divinité céleste, pour se rendre en un lieu où il a dû vivre sous ce régime étranger au leur. {b} Cela eût été compréhensible si ceux dont il avait choisi de dépendre ne l’avaient tenu pour un sujet de dérision et de moquerie. Par ses avis il a très souvent cherché à tromper les hommes, mais ce qu’il espérait était si loin de ce qu’il pensait vraiment qu’il a été moins suivi qu’il ne l’espérait. Il avait puissamment en lui cette prétention qui pousse un homme à changer la règle établie. S’y ajoutait la superstition de sa fâcheuse petite bonne femme d’épouse, dont l’ambition lui tourmentait maladivement l’esprit, et elle l’a sans relâche attiré vers ces pays où, comme j’ai dit, il n’a pas trouvé ce qu’il espérait, et où il s’est attiré la haine et la jalousie des gens. Voilà où elle a mené celui qui fut notre ami ! Il y est décédé sans être plus riche ni plus célèbre que s’il était décédé ailleurs. Sous ces deux aspects il serait mort plus honoré en Hollande, s’il n’avait pas écouté tous ceux qui lui vantaient cette autre contrée]. {c}


  1. Vanité mensongère de Scaliger : Dominicus Baudius, alors à Leyde, a su la nouvelle bien avant lui (v. la 2e lettre transcrite dans la note [26] infra).

  2. Bayle a ainsi résumé les errances religieuses de Lipse :

    « Un des plus grands défauts qu’on reproche à Lipse est l’inconsistance en matière de religions. On fonde ce blâme sur ce qu’étant né catholique, il professa le luthéranisme pendant qu’il fut professeur à Iéna. {i} Ensuite, étant retourné dans le Brabant, il y vécut à la catholique ; et puis, ayant accepté une charge dans l’Académie de Leyde, il y fit profession de ce qu’on nomme le calvinisme. Enfin, il sortit de Leyde et s’en retourna aux Pays-Bas espagnols où non seulement il vécut dans la communion romaine, mais aussi il se jeta dans une bigoterie de femme, ce qu’il témoigna par des livres imprimés. Ce qu’il y eut d’étrange dans sa conduite, et qui ne lui a pas été pardonné, fut qu’étant à Leyde dans la profession extérieure de l’Église réformée, il approuva publiquement les principes de persécution qui se pratiquaient par toute l’Europe contre cette Église. On l’embarrassa étrangement lorsqu’on lui fit voir les conséquences de son dogme ; et ce fut sans doute l’une des raisons qui l’obligèrent à sortir de la Hollande. » {ii}

    1. V. infra note [20].

    2. Lipse avait volontairement quitté Leyde en 1591, où Scaliger lui avait succédé en 1593 (v. supra note [10]).

  3. Les Pays-Bas espagnols.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 16.

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(Consulté le 29/03/2024)

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