À Johann Georg Volckamer, le 5 mars 1655, note 2.
Note [2]

L’inventeur de l’antimoine est réputé être Basile Valentin, énigmatique moine et improbable alchimiste alsacien du xve s., dont les œuvres ne parurent, d’abord à Leipzig, qu’au tout début du xviie s. La plus fameuse est écrite en allemand et intitulée :

Triumphwagen des Antimonii Fratris Basilii Valentini, Benedicter Ordens…

[Le Char triomphal de l’antimoine du frère Basile Valentin, de l’Ordre des bénédictins…] {a}


  1. Leipzig, Jacob Appels, 1604, in‑8o, édité par Johann Thölde (vers 1565-1624), médecin et alchimiste allemand qu’on croit en être le véritable auteur.

Sans le dénigrer, Alexandrian (pages 204‑206) a qualifié Basile Valentin de héros légendaire et de mythe de l’alchimie :

« son nom même – réunion d’un mot grec et d’un mot latin signifiant roi et en bonne santé – vise à en faire un maître de la médecine spagirique. {a} Le Char triomphal de l’antimoine, préfacé par Joachim Tancky, professeur de l’Université de Leipzig, {b} sortit au moment où la guerre entre partisans et adversaires de l’antimoine était déclarée. Les partisans invoquèrent l’autorité du pseudo-Basile Valentin, qui démontrait que “ l’antimoine est créé pour purger l’or et les hommes ”, enseignait la manière de faire de l’huile d’antimoine afin de soigner les ulcères, ou de préparer la “ pierre de feu ” (autrement dit “ la teinture de l’antimoine, fixe et solide ”) dont il disait : “ Cette pierre guérit non seulement les hommes mais aussi les métaux. ” Les adversaires prétendirent que Basile Valentin avait empoisonné les moines de son monastère en voulant les fortifier avec du stibium, qu’on avait appelé depuis lors antimoine à cause de cela. […] Ce furent vraisemblablement des disciples allemands de Paracelse qui inventèrent ce personnage pour faire croire que les idées de leur maître sur l’antimoine et les propriétés occultes des métaux étaient déjà soutenues par un bénédictin ; mais les détracteurs de Paracelse en conclurent qu’il avait plagié Basile Valentin.

Ainsi, de même qu’un groupe de mathématiciens a édité sous le nom de Bourbaki des manuels sur la théorie des ensembles, {c} de même, un groupe d’alchimistes a utilisé celui de Basile Valentin comme signature collective. Ces supercheries ne sauraient diminuer notre admiration pour l’alchimie, dont les adeptes se sont constitué une Légende dorée. » {d}


  1. Chimique, alchimique (v. note [44], lettre 1019).

  2. Ioachimus Tanckius (Joachim Tancke, Perleberg 1557-Leipzig 1609), dont la préface (Voredde) est datée de Leipzig, le 1er mai 1604.

  3. Au xxe s.

  4. Audacieuse allusion à la véritable Légende dorée (v. note [21] du Patiniana I‑3).

Dans sa Science du plomb sacré des sages, ou de l’Antimoine… (Paris, 1651, v. note [13], lettre 271), Jean Chartier ne s’est pas privé de chanter la louange de Basile Valentin et de son invention (Article xi, pages 35‑36) :

« < Le chimiste > est un sage qui sait par la science d’Égypte connaître les mélanges des éléments que la Nature a donnés par sa justice à chaque corps mêlé ; d’où vient que le grand philosophe Basile Valentin, duquel vous avez lu les traités sur le Char triomphant de l’Antimoine, reconnaît ce minéral pour être bienfaisant aux parties nobles ; il l’appelle Balsamum vitæ (le Baume de la vie) et medentem Mumiam, la Momie curative, {a} où après qu’il a fait réflexion sur toutes les sortes de préparations par lesquelles il le reconnaît être sudorifique, vomitif, purgatif et fortifiant, il s’écrie Verum verum dico non est sub Cælo Medicina sublimior ; c’est-à-dire “ je vous dis en vérité qu’il n’y a pas sous le Ciel une Médecine plus excellente ” ; à cause qu’elle chasse les poisons ; qu’elle débouche les obstructions cachées dans le corps des hommes ; fond et résout les excréments par les sueurs, ou par les vomissements, ou par les selles ; et par ces quatre vertus, diaphorétique, émétique, cathartique et alexitère, n’est-il pas le véritable Tetragωnon d’Hippocrate ? » {b}


  1. Outre un corps embaumé à la manière des anciens Égyptiens (d’ailleurs utilisé par certains comme médicament, v. note [9] de l’observation x), la momie ou mumie était en médecine chimique et selon Van Helmont (Thomas Corneille) :

    « l’esprit implanté, surtout dans les cadavres, d’où les esprits influents se sont dissipés et envolés. L’esprit influent est nommé pareillement quelquefois momie dans les sujets vivants, et il peut servir pour la transplantation, pourvu qu’un tiers l’attire et le détermine ; une plante, par exemple, qui d’un sujet le porte à un autre, où étant, il se joint étroitement avec la momie ou esprit tant implanté qu’influent du nouveau sujet où il est porté. Il naît de cette union une inclination naturelle entre ces deux sujets, la distance n’empêchant pas la momie magnétique d’agir mutuellement. C’est en cette source que l’on doit tirer et expliquer les cures magnétiques et d’autres pareils miracles de la nature. »

    Avant cela, Paracelse avait donné à la mumie, ou baume radical, un sens physiologique bien plus crédible, et même admirable, aujourd’hui (Alexandrian, page 309) :

    « La chirurgie de Paracelse se fonde sur “ l’anatomie essentielle ” (anatomia essata) qu’il oppose à l’anatomie vulgaire. Il dit aux anatomistes qui dissèquent des pendus qu’ils font l’anatomie de la mort, et que ce n’est pas en étudiant comment sont disposés les organes dans un cadavre qu’ils apprendront le secret de leur fonctionnement. On doit observer l’homme vivant et comprendre ses réactions, car la base de la sceince médicale est l’anatomie de la vie. Or, on découvre ainsi que le corps humain contient un baume radical, la mumie, qui se trouve en la chair, mais aussi dans les os, les nerfs, les tissus internes ; la mumie des os recolle les os rompus, celle de la chair guérit les plaies, etc. “ Ainsi, chacune partie du corps contient en soi la cause efficiente de sa guérison, c’est-à-dire son médecin naturel, qui conjoint et attache ensemble les parties qui étaient séparées. Parquoi {i} que le chirurgien se souvienne que ce n’est pas lui qui guérit les plaies, mais que c’est le propre baume naturel qui est en la partie même. ” {ii} On a beaucoup disserté sur la mumie de Paracelse, y voyant tantôt l’humeur radicale de Galien, tantôt la lymphe plastique, tantôt l’esprit de sang : elle est en tout cas chez lui l’agent omniprésent de la cicatrisation. » {iii}

    1. C’est pourquoi il faut.

    2. La grande Chirurgie… de Paracelse traduite par Claude Dariot (Lyon, Antoine de Harsy, 1589, in‑8o, page 20).

    3. En médecine moderne, la mumie de Paracelse, ainsi définie, peut être assimilée aux deux acteurs majeurs de la cicatrisation que sont les cellules conjonctives (fibroblastes et leurs apparentés) et le collagène qu’elles produisent.

  2. Un alexitère ou alexipharmaque est un contrepoison. V. note [7], lettre 54, pour le tetragonum d’Hippocrate.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 5 mars 1655, note 2.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1064&cln=2

(Consulté le 19/04/2024)

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