À Christiaen Utenbogard, le 13 septembre 1662, note 2.
Note [2]

Les Annales des Provinces-Unies… {a} (La Haye, Charles le Vier, 1726, in‑4o, tome i, année 1662, § xvi, pages 659‑660) ont ironiquement commenté la destitution du nonce apostolique : {b}

« La cour de Rome est accoutumée d’humilier les têtes couronnées qui ont la faiblesse de la craindre, et de plier devant elle ; mais elle plie à son tour devant les princes qui ont le courage de lui résister ou de lui faire la loi. C’est pourquoi toute la famille du pape fut consternée de l’expulsion du nonce hors de Paris, et par les propositions que le roi faisait. Sa Sainteté convenait, dans un des brefs qu’elle lui écrivait, que ce qui était arrivé au duc de Créqui {c} était un accident exécrable, impie, horrible ; mais elle ajoutait que c’était un pur accident, reconnu pour tel par toutes les personnes qui en jugeaient sans passion ; et après avoir assuré Sa Majesté de son inclination à la contenter en tout ce qui se pourrait avec justice, et s’être plaint à son tour de la manière dont on avait traité son nonce, et de la conduite de M. de Créqui, ce pontife s’écriait : Que dira donc tout l’Univers ? que dira la République chrétienne ? que jugera Dieu lui-même, qui interroge les actions des rois et qui sonde leurs sentiments ? Notre nonce, qui tenait auprès de Votre Majesté non seulement la place de celui que Dieu vous a donné pour pasteur et pour père, et de l’Église qu’il vous a donnée pour mère, mais la place de Dieu lui-même, a été exilé par une puissance séculière, pour le crime particulier de quelques soldats. Comme nous sommes obligé de rendre compte de votre âme auprès du Roi des rois, nous avons cru vous devoir représenter paternellement toutes ces choses. La douleur d’une nouvelle si peu attendue nous a arraché des larmes, mais nous en répandrons encore bien davantage devant Dieu afin que, pardonnant à ceux qui en sont la cause, il veuille dilater notre cœur qui est maintenant serré de douleur, et vous faire connaître les voies de sa sainte volonté. On se railla en France de larmes que le Coq, Gallus, {d} faisait répandre au pape malgré lui, et l’on fit cette épigramme :

                                Dispare causa
Ille monet Petrum flere, sed ille jubet
. {e}

On se moqua des titres pompeux qu’il donnait au nonce Piccolomini. En effet, si l’on avait regardé ces titres comme sérieux et véritables, la France n’aurait jamais pu expier un attentat aussi horrible et aussi impie qu’aurait été celui de chasser du royaume le lieutenant non seulement du père et de la mère de tous les fidèles, mais de Dieu même. Mais selon toutes les apparences, ceux qui écrivent et reçoivent ces brefs pontificaux n’en pèsent pas les termes, c’est un style d’Église auquel on est trop accoutumé pour y faire attention. Cependant, les étrangers sont scandalisés de ce qu’on fait intervenir si hautement la religion et l’autorité divine dans les affaires purement politiques. Les parents du pape s’imaginèrent que la sortie éclatante du nonce entrerait en compensation de l’affaire des Corses, et que le roi n’aurait plus de si grandes réparations à demander ; mais ils se trompèrent, car il déclara qu’il ne voulait avoir de commerce avec Rome que par le moyen de son ambassadeur : ainsi on fermait la porte aux négociations, ou du moins on les voulait faire par celui qu’ils avaient offensé. D’ailleurs, on fit avancer, par provision, trois mille fantassins et mille chevaux en Italie, pour hiverner dans l’État de Parme et dans celui de Modène, sous prétexte de défendre ces ducs alliés de la France ; {f} mais le véritable dessein était de chasser de Rome ceux qui avaient offensé le roi. Enfin, on faisait craindre que Sa Majesté ne se rendît maîtresse du Comtat d’Avignon, dans lequel on avait déjà défendu les nouvelles levées. {g} Cependant, le pape espéra toujours sortir d’affaire en temporisant. Dans cette constance, il répondit aux propositions que la France avait faites, qu’il ferait examiner encore les droits des ducs de Parme et de Modène, qu’on ôterait tous les coprs de garde établis depuis le 20e d’août, jour de l’insulte, et qu’on concerterait avec le duc de Créqui la manière de son retour à Rome. Il promit ensuite d’envoyer le cardinal Chigi {h} en France et de déclarer la Nation des Corses incapable de servir ; mais cela ne suffisait pas. » {i}


  1. Écrites par le pasteur et théologien calviniste Jacques Basnage de Beauval (Rouen 1653-La Haye 1723).

  2. Sur ordre impérieux du roi et du Conseil, prononcé le 11 septembre 1662, Celio Piccolomini (v. note [21], lettre 453), nonce en France du pape Alexandre vii depuis 1657, quitta immédiatement Paris pour Meaux, puis Cambrai (alors en Flandre espagnole).

    La rixe entre les gardes corses et les gens du duc Charles iii de Créqui, ambassadeur de France (v. note [31], lettre 532), avait eu lieu à Rome le 20 août 1662, v. note [1], lettre 735.

  3. Symbole du gallicanisme, v. note [27], lettre 337.

  4. « Cause inégale : il fait pleurer Pierre, mais c’est aussi lui qui ordonne. »

  5. Les levées pouvaient être celles de murailles, de troupes ou d’impôts… V. note [9], lettre 735, pour l’annexion d’Avignon à la Couronne de France de juillet 1663 à février 1664.

  6. Le cardinal Flavio Chigi (v. note [1], lettre 735), légat en Avignon depuis 1657, fut nommé nonce à Paris en 1664.

  7. V. note [11], lettre 650, pour l’alliance de ces deux duchés à la France, contre les États pontificaux.

  8. Après que Louis xiv eut longtemps tergiversé et bien humilié le pape, l’affaire se conclut par le traité de Pise, signé le 22 février 1664 (v. note [1], lettre 772, et [4], lettre latine 241).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 13 septembre 1662, note 2.

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(Consulté le 19/04/2024)

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