Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 21.
Note [21]

Le Roman de la Rose est l’une des plus célèbres œuvres poétiques françaises du Moyen-Âge ; elle a en effet été écrite entre 1275 et 1280 par Jean de Meung (Chopinel ou Clopinel, vers 1240-vers 1305), qui a grandement prolongé ce qu’avait entrepris Guillaume de Lorris (vers 1200-vers 1238).

Gabriel Naudé se référait sans doute au court Extrait du Roman de la Rose, où J. Clopinel, dit de Meung, parlant des faits tant de Nature que de l’art, son imitateur, écrit (Lyon, 1618, pages 57 ro‑58 vo, v. supra notule {a}, note [20]), texte dont voici quelques vers choisis (qui figurent dans le Roman original) :

« Œuvre l’homme tant qu’il vivra,
La nature n’aconsuivra. {a}
Que d’alchimie tant apreigne, {b}
Que tous métaux en couleur teigne :
Il se pourrait ainçois {c} tuer,
Que les espèces transmuer. […]

Nonobstant, c’est chose notable,
L’alchimie est art véritable,
Qui sagement en œuvrerait
Grands merveilles y trouverait.
Car, comme qu’il soit des espèces,
Au moins les singulières pièces
En sensibles œuvres soumises,
Son muables en tant de guises
Qu’elles peuvent leurs complexions,
Par diverses digestions,
Changer entre elles, par tel change
Qu’il les met sous espèce étrange
Et ôte de la leur première. […]

Mais ainsi ne feront-ils mie, {d}
Qui œuvrent de sophisterie : {e}
Travaillent tant comme ils voudront,
La nature n’aconsuivront. » {a}


  1. N’atteindra.

  2. Apprenne.

  3. Plutôt.

  4. Point

  5. Par sophismes (inférences fallacieuses).


Additions et corrections du P. de Vitry
(1702-1703, v. note [12] des Préfaces), pages 210‑212 :

« Nicolas Flamel : ce que l’on fait dire ici à M. Naudé est un peu plus supportable que ce qu’il avait avancé dans le Mascurat, pages 341 et 342. {a} Du moins n’y est-il point parlé {b} de l’édit de Philippe-Auguste qui chassa les juifs de France comme de la cause de la fortune de Flamel. Cette bévue était indigne de M. Naudé puisqu’entre le temps de Philippe-Auguste et celui de Flamel, il y a près de 300 ans de différence. {c} Il ne faut pas croire cependant que le sentiment de l’auteur du Naudæana soit beaucoup plus exact. Je ne sache point d’arrêt rendu contre les juifs sous Charles vi, qui les ait contraints de se retirer : {d} ainsi, ce n’est pas plus ce commerce avec les juifs et leurs débiteurs qui lui a fait amasser ces prodigieuses richesses qu’il avait, que la vertu transmutatrice qu’on lui attribue. On pourrait croire qu’étant un écrivain public, comme on n’en peut douter, et faisant à peu près les mêmes fonctions que nos notaires à présent, il ne lui a pas été plus difficile de s’enrichir qu’à mille autres de notre temps, qui n’ont point eu d’autre pierre philosophale qu’une adresse particulière à savoir profiter des avantages que leur fournissaient {e} leurs charges. Outre que le grand nombre de legs pieux qu’il a faits aux églises et hôpitaux peut faire douter que sur la fin de ses jours, il n’ait voulu rendre à Dieu ce qu’il avait pris aux hommes. Au reste, je ne puis m’empêcher de remarquer une autre bévue de l’auteur du Naudæana : c’est quand il dit que les auteurs du Roman de la Rose sont Jean de Mehun et Clopinel ; tout le monde sait qu’il fallait dire Jean de Mehun dit Clopinel et Guillaume de Lorris. »


  1. Le Mascurat de Gabriel Naudé est le sous-titre qu’on a donné à son Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin… {i} Les pages 341‑342 correspondent à cet échange entre Saint-Ange (S) et son compagnon Mascurat (M), sur l’attribution d’un Recueil de diverses histoires et du Roman de la Rose à Nicolas Flamel :

    – S. Que dirais-tu d’avoir été ainsi trompé, toi qui fais profession de ne te laisser surprendre à personne ?
    – M. J’avouerais la dette, {ii} mais je ne puis pas m’être trompé à ces manuscrits de Flamel, car ils sont très bien écrits, et il n’y a pas d’apparence que celui qui les aurait faits eût eu besoin de s’avantager ni accréditer sous le nom de Flamel, puisque le sien ne devait pas être moins connu ni estimé. {iii} Or, parce que ce Flamel était un courtier des juifs, et qu’il leur faisait prêter de grandes sommes d’argent à beaucoup de particuliers, il arriva que Philippe-Auguste les ayant chassés de France, et confisqué tous leurs biens, comme remarque Guillelmus Brito en sa vie,

    Nec mora, de Regni totius abegit eosdem
    Finibus, et nocua regnum putredine soluit,
    Indulto miseris tamen apto tempore, quo res
    Seque suosque parant ad iter prout exigit usus
    , {iv}

    Flamel composa très avantageusement avec lesdits particuliers des sommes dont ils étaient redevables aux juifs parce qu’autrement, il menaçait de leur faire tout perdre en les dénonçant à la justice. Et par ce moyen, il devint si riche en peu de temps que ceux qui n’en savaient pas la cause, et qui connaissaient peut-être Flamel pour un souffleur, {v} eurent occasion de croire qu’il avait trouvé la pierre philosophale. »

    1. Paris, 1649, v. note [127], lettre 166.

    2. « On dit proverbialement qu’un homme avoue, confesse la dette, pour dire qu’il est convaincu, qu’il reconnaît qu’il a tort » (Furetière).

    3. Pour dire que ni le contenu ni la qualité de ces ouvrages ne justifiaient que leur auteur se dissimulât sous un pseudonyme.

    4. « Sans tarder, il les chassa hors des frontières de tout le royaume, et lava la France d’une nuisible pourriture. Comme veulent pourtant les bonnes manières, il accorda à ces misérables et à leurs familles le temps requis pour se préparer au voyage. »

      Guillelmus Brito (Guillaume Le Breton, 1165-1225) est un prêtre et chroniqueur breton qui a laissé une biographie de Philippe-Aguste, intitulée Gesta Philippi regis [Geste du roi Philippe] et traduite en français sus le nom de Philippide.

    5. Alchimiste.
  2. Dans le Naudæana.

  3. Philippe ii Auguste a régné de 1180 à 1223 et a prononcé son édit contre les juifs en 1182, soit exactement 236 ans avant la mort de Flamel.

  4. Sans lui jeter la pierre, car je m’y laisse aussi volontiers prendre, Vitry n’avait pas suffisamment cherché : v. supra note [20], notule {c}.

  5. Sic pour « fournissent ».

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 21.

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(Consulté le 25/04/2024)

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