Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 27.
Note [27]

« ne niait pas l’existence du Christ, mais niait qu’il fût dieu : il tenait la Cabale pour la source de tous les miracles attribués à la toute-puissance de Jésus-Christ et le tenait pour le meilleur des cabalistes ; mais c’était pure impiété de la part de ce juif, car les cabalistes n’ont jamais accompli aucun miracle. »

  • Achille de Harlay de Sancy (Paris 1581-Saint-Malo 1646), fils de Nicolas i (v. note [36] du Borboniana 6 manuscrit), avait interrompu sa carrière ecclésiastique pour devenir ambassadeur de France au Levant (1610-1619). Pendant son long séjour à Constantinople, il avait appris les langues du Proche-Orient et constitué une riche collection de manuscrits. De retour en France, il était entré chez les prêtres de l’Oratoire (v. note [1], lettre 29) ; nommé évêque de Saint-Malo en 1631, il dirigea ce diocèse jusqu’à sa mort. Il n’a publié aucun ouvrage, mais sa précieuse bibliothèque est aujourd’hui conservée par la BnF. Le « docteur Jacob » dont il avait parlé à Nicolas Bourbon (qui était lui aussi oratorien) n’est pas identifiable, mais son propos justifie quelques explications.

  • La Cabale (Kabbale ou Cabbale) sacrée (judaïque), mot hébreu signifiant « réception, tradition », est un vaste ensemble de commentaires rabbiniques, toujours augmentés, sur l’Écriture (Torah). Elle est tout à fait distincte de la Massore, qui est son étude philologique, destinée à établir la pureté du texte (v. note [2], lettre latine 223). Dans son long article sur ce mot, le Dictionnaire de Trévoux en a ainsi défini l’origine et le propos :

    « Les juifs […] croient que Dieu donna à Moïse non seulement la Loi, mais encore l’explication de la Loi sur la montagne de Sinaï. Quand il était descendu et qu’il s’était retiré dans sa tente, Aaron l’allait trouver et Moïse lui apprenait les Lois qu’il avait reçues de Dieu, et lui en donnait l’explication, que lui-même avait aussi apprise de Dieu. Quand il avait fini, Aaron se mettait à la droite de Moïse, Eléazar et Ithamar fils d’Aaron entraient, et Moïse leur disait ce qu’il avait déjà dit à Aaron. Après quoi, s’étant placés l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, venaient les 70 vieillards qui composaient le Sanhédrin, et Moïse leur répétait encore tout ce qu’il avait dit à Aaron et à ses enfants. Enfin, on faisait entrer tous ceux du peuple qui voulaient et Moïse les instruisait encore comme il avait fait les autres. De sorte qu’Aaron entendait quatre fois ce que Moïse avait appris de Dieu sur la montagne ; Eléazar et Ithamar l’entendaient trois fois ; les 70 vieillards, deux ; et le peuple une fois. Or, des deux choses que leur apprenait Moïse, les lois que Dieu imposait et l’explication de ces lois, on n’en écrivait que la première, c’est-à-dire les lois, et c’est là ce que nous avons dans l’Exode, le Lévitique et les Nombres. Pour ce qui regarde l’intelligence et l’explication de ces lois, on se contentait de se l’imprimer bien dans la mémoire ; et ensuite, les pères l’apprirent à leurs enfants, et ceux-ci aux leurs, et ainsi de siècle en siècle jusqu’aux derniers âges. C’est pour cela que la première partie de ce que Dieu avait donné à Moïse s’appela simplement Loi, ou Loi écrite, et la seconde, Loi orale, ou cabale ; car voilà originairement ce que c’est que cabale, et le sens propre et primitif de ce nom. Quelques rabbins prétendent que leurs pères l’avaient reçue des Prophètes, qui l’avaient reçue des Anges. […] Les rabbins apportèrent de Chaldée les rêveries de la cabale et y ajoutèrent une infinité de fables. » {a}


    1. La Chaldée (actuel Irak), autrement nommée la Mésopotamie ou Babylonie, est le berceau d’où les hébreux migrèrent vers la Terre promise sous la conduite d’Abraham. Elle est aussi le berceau de l’astrologie.

      Le Trévoux explique ensuite longuement les diverses méthodes utilisées par les rabbins pour trouver les sens cachés de l’Écriture : permutation des lettres dans un mot, transposition des mots, numérisation des lettres, etc. ; ce qui définit la cabale dite artificielle, avec ses implications ésotériques, voire magiques.


    L’Encyclopédie a disserté plus longuement encore sur la cabale, en donnant des explications sur ses liens avec le Christ et sur les miracles bibliques, en montrant que le docteur Jacob n’extravaguait pas entièrement dans son propos cabalistique :

    « La première émanation, plus parfaite que les autres, s’appelle Adam Kadmon, le premier de tout ce qui a été créé au commencement. Son nom est tiré de la Genèse, où Dieu dit : “ Faisons l’homme ou Adam à notre image ” ; et on lui a donné ce nom, parce que, comme l’Adam terrestre est un petit monde, celui du ciel est un grand monde ; comme l’homme tient le premier rang sur la terre, l’Adam céleste l’occupe dans le ciel ; comme c’est pour l’homme que Dieu a créé toutes choses, l’Éternel a possédé l’autre dès le commencement, avant qu’il fît aucune de ses œuvres, et dès les temps anciens (Proverbes, ch. viii, vers. 22). Enfin, au lieu qu’en commençant par l’homme […], on remonte par degrés aux intelligences supérieures jusqu’à Dieu ; au contraire, en commençant par l’Adam céleste qui est souverainement élevé, on descend jusqu’aux créatures les plus viles et les plus basses […].

    Comme tout ce qu’on dit de cet Adam premier semble convenir à une personne, quelques Chrétiens, interprétant la cabale, ont cru qu’on désignait par là Jésus-Christ, la seconde personne de la Trinité. Ils se sont trompés, car les cabalistes […] donnent à cet Adam un commencement : ils ont même placé un espace entre lui et l’infini, pour marquer qu’il était d’une essence différente, et fort éloigné de la perfection de la cause qui l’avait produit ; et malgré l’empire qu’on lui attribue pour la production des autres mondes, il ne laisse pas d’approcher du néant et d’être composé de qualités contraires ; d’ailleurs les juifs qui donnent souvent le titre de fils à leur Seir-Anpin, ne l’attribuent jamais à Adam Kadmon, qu’ils élèvent beaucoup au-dessus de lui.

    La cabale se divise en contemplative, et en pratique : la première est la science d’expliquer l’Écriture Sainte conformément à la tradition secrète, et de découvrir par ce moyen des vérités sublimes sur Dieu, sur les esprits et sur les mondes ; elle enseigne une métaphysique mystique et une physique épurée. La seconde enseigne à opérer des prodiges par une application artificielle des paroles et des sentences de l’Écriture Sainte, et par leur différente combinaison.

    Les partisans de la cabale pratique ne manquent pas de raisons pour en soutenir la réalité. Ils soutiennent que les noms propres sont les rayons des objets dans lesquels il y a une espèce de vie cachée. C’est Dieu qui a donné les noms aux choses et qui, en liant l’un à l’autre, n’a pas manqué de leur communiquer une union efficace. Les noms des hommes sont écrits au ciel ; et pourquoi Dieu aurait-il placé ces noms dans ses livres s’ils ne méritaient d’être conservés ? […] Les cabalistes ne se contentent pas d’imaginer des raisons pour justifier leur cabale pratique, ils lui donnent encore une origine sacrée et en attribuent l’usage à tous les saints. En effet, ils soutiennent que ce fut par cet art que Moïse s’éleva au-dessus des magiciens de Pharaon et qu’il se rendit redoutable par ses miracles. C’était par le même art qu’Élie fit descendre le feu du ciel et que Daniel ferma la gueule des lions. Enfin, tous les prophètes s’en sont servis heureusement pour découvrir les événements cachés dans un long avenir.

    Les cabalistes praticiens disent qu’en arrangeant certains mots dans un certain ordre, ils produisent des effets miraculeux. Ces mots sont propres à produire ces effets, à proportion qu’on les tire d’une langue plus sainte : c’est pourquoi l’hébreu est préféré à toutes les autres langues. Les miracles sont plus ou moins grands, selon que les mots expriment ou le nom de Dieu, ou ses perfections et ses émanations ; c’est pourquoi on préfère ordinairement les séphirots, ou les noms de Dieu. Il faut ranger les termes, et principalement les soixante et douze noms de Dieu, qu’on tire des trois versets du xive chap. de l’Exode, d’une certaine manière, à la faveur de laquelle ils deviennent capables d’agir. On ne se donne pas toujours la peine d’insérer le nom de Dieu : celui des démons est quelquefois aussi propre que celui de la Divinité. […] Les cabalistes ont fait du démon un principe tout-puissant, à la manichéenne, et ils se sont imaginés qu’en traitant avec lui, ils étaient maîtres de faire tout ce qu’ils voulaient. Quelle illusion ! Les démons sont-ils les maîtres de la nature, indépendants de la Divinité ; et Dieu permettrait-il que son ennemi eût un pouvoir presque égal au sien ? Quelle vertu peuvent avoir certaines paroles préférablement aux autres ? Quelque différence qu’on mette dans cet arrangement, l’ordre change-t-il la nature ? Si elles n’ont aucune vertu naturelle, qui peut leur communiquer ce qu’elles n’ont pas ? Est-ce Dieu ? est-ce le démon ? est-ce l’art humain ? On ne peut le décider. Cependant on est entêté de cette chimère depuis un grand nombre de siècles. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 27.

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(Consulté le 16/04/2024)

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