Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 27.
Note [27]

Triade 41.

Pour ce retour sur les suicides {a} causés « 1. par la pauvreté ; 2. par l’amour ; 3. par la maladie », j’ai consulté :

Les Œuvres de Me Simon d’Olive, sieur du Mesnil, {b} conseiller du roi en la Cour de parlement de Toulouse. Divisées en deux volumes. Le premier, contenant les Questions notables du droit, décidées par divers arrêts de la Cour de parlement de Toulouse. Le deuxième, contenant les Actions forenses {c} et les Lettres. {d}

Le chapitre xl et dernier de son livre premier (pages 144‑154) est intitulé Des morts volontaires, et de la peine qui leur est imposée, et s’ouvre sur ce propos :

« Le Philosophe traitant en ses Morales {e} de la force et de la magnanimité du courage, qui est une vertu de grand emploi dans les fonctions de la vie civile et domestique, met en question si ceux qui préviennent leur mort naturelle par une fin tragique et violente, qu’ils se procurent de leurs propres mains, doivent être mis au nombre des forts et des magnanimes ; et il résout que ce titre ne leur appartient nullement, et que ce qu’ils font en se défaisant eux-mêmes, est une action de faiblesse et de lâcheté. En effet, c’est le propre d’un homme constant et généreux de mépriser la mort, plutôt que de haïr la vie ; de soutenir la mauvaise fortune, plutôt que de céder à ses coups ; et de se conserver dans le monde par l’espérance plutôt que de se soustraire à la lumière du jour par le désespoir. Les stoïques n’ont pas eu le même sentiment sur ce sujet. Ils ont considéré la mort comme une porte de derrière que la nature, prenant compassion des misères humaines, leur avait mise en main pour échapper aux maux de la vie et aux persécutions de la fortune ; ils ont rendu grâces à Dieu de ce que, ne leur ayant donné qu’un moyen pour entrer au monde, et celui-là encore long et difficile, il leur en avait laissé plusieurs, courts et faciles, pour en sortir, et ont tenu pour maxime qu’il n’y avait nulle nécessité de vivre à la merci de l’infortune et de la nécessité. » {f}


  1. V. supra triade 7, note [9].

  2. Simon d’Olive, sieur du Mesnil, mort en 1645.

  3. Plaidoiries.

  4. Toulouse, Pierre Bosc et Arnaud Colomiez, 1639, in‑fo de 502 et 382 pages, pour la plus ancienne de plusieurs éditions ; je n’ai pas trouvé celle de 1646.

  5. Début de longue note 1 (page 151) d’Olive du Mesnil :

    « Aristoteles voluntariæ mortis duas caussas affert lib. 3. Ethicor. c. 7. paupertatem et amorem ; adjicit tamen, aut si qua sit alia caussa molestia plena.

    [Aristote, au livre iii des Éthiques, chapitre vii {i} attribue deux causes à la mort volontaire : la pauvreté et l’amour ; il y ajoute cependant tout ce qui provoque une profonde affliction].

    Le mauvais état des affaires domestiques est une des causes les plus ordinaires qui fait conjurer les hommes non seulement contre l’État, mais aussi contre leur propre vie. »

    1. Éthique à Nicomaque, loc. cit. :

      « [L’homme] accepte et supporte ce qu’il est beau d’affronter et honteux de fuir. Mais se donner la mort parce qu’on veut échapper à la pauvreté, ou par suite de chagrins d’amour ou de toute autre affliction, n’est pas le fait de l’homme courageux, mais bien plutôt du lâche. Quelle mollesse de ne pas supporter les dures épreuves ! L’homme que nous envisagions à l’instant ne se résigne pas à la mort parce qu’il est beau de le faire, mais pour éviter un mal. »

  6. Sic, pour la répétition du mot « nécessité ».

    Dans son traité De la Vertu des païens, {i} François i de La Mothe Le Vayer {ii} a ainsi résumé l’avis des stoïciens sur ce sujet (pages 185‑186) :

    « Nous achèverons la peinture de ce sage stoïque, et de ses paradoxes, par l’un des plus contraires à la lumière naturelle et à notre religion. La première abhorre ces morts violentes qu’on se donne à soi-même par désespoir, ou par quelque autre passion aussi déréglée ; ce que les Grecs ont exprimé avec le seul mot αυτοχειρια, dans une liberté de composition qu’ils prenaient, qui n’a pas succédé aux Latins, et qui nous est beaucoup moins permise. La seconde, qui est la religion, les défend expressément, sans que l’exemple de Samson, ni celui de quelques vierges semblables à cette Sophronie sous Maxence, puisse être allégué, parce que, dit saint Augustin, ce sont des actions où l’esprit de Dieu agissait d’un instinct particulier, et qui n’en peuvent pas justifier d’autres par leur autorité. Les stoïciens soutenaient au contraire que, comme l’on quitte le jeu quand on veut, et qu’on sort de table, de même, le sage pouvait aussi abandonner la vie quand bon lui semblait, et que de là dépendait le principal point de sa liberté. Je sais bien qu’ils n’ont pas été seuls qui ont enseigné cette doctrine, et que ceux mêmes qui mettaient le souverain bien dans la volupté ont été de même avis. » {iii}

    1. Paris, 1642, v. note [36] du Naudæana 3.

    2. V. supra note [24].

    3. Les notes [51] et [52] du Borboniana 7 manuscrit complètent le propos de La Mothe Le Vayer.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 27.

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(Consulté le 24/04/2024)

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