À Claude II Belin, le 12 août 1643, note 3.
Note [3]

Les Comment. F.M.P. (tome xiii, fos 141 vo‑142 ro) contiennent une transcription (reprise, sans être traduite en français, par Félix Larrieu, Pièces justificatives i, pages 112‑113) de cette célèbre audience du jeudi 14 août 1642, rédigée par Guillaume Du Val (v. note [10], lettre 73), alors doyen de la Faculté, sous ce titre :

Victor Magister Guido Patin, Doctor Facultatis medicinæ Parisiensis celeberrimus, in causa adversus Theophrastum Renaudot, Gazetarium, litigatorem importunissimum : dignus est, qui hoc loco commendetur in rei gloriosam memoriam.

[Me Guy Patin, très célèbre docteur de la Faculté de médecine de Paris, victorieux dans le procès contre Théophraste Renaudot, Gazetier, plaideur extrêmement importun : il mérite qu’on célèbre ici le souvenir glorieux de cette affaire].

La situation s’était aggravée entre la Faculté et Théophraste Renaudot (v. note [6], lettre 57). Les consultations charitables prenaient tous les jours un plus grand développement. Quinze docteurs de Montpellier assistaient Renaudot et ses fils dans le dispensaire de la rue de la Calandre, en y pratiquant ouvertement la médecine chimique ; mais de l’autre côté du pont de l’Hôtel-Dieu, la Faculté leur contestait le droit d’exercer à Paris en vertu d’une ordonnance passée à Blois en 1479. La Compagnie des docteurs régents de Paris en était fort irritée mais, contenue par Richelieu et ne pouvant faire fermer le Bureau d’adresse, elle en était réduite à une guerre de pamphlets (v. note [11], lettre 57).

Voici le récit complet du doyen Du Val :

Accusatus fuerat iniuriarium, et a Theophrasto Renaudot Gazetario inique vocatus in ius Magister Guido Patin, Vir probus ac pereruditus ; quod videlicet ipse M. G. Patin in epistola, quam ipse scripserat, et præfixam operibus Danielis Sennerti Medici percælebris dedicaverat Mo Renato Moreau Doctori Medico Parisiensis et Regio Medicinæ Professori, Inter cætera Laudum argumenta quæ congerit et commemorat, hoc unum enotasset ac celebrasset quod prædictus M. Renatus Moreau Apologiam pro Facultate scripsisset adversus quemdam nebulonem, qui fictæ pietatis et charitatis non synceræ larvam prætendis et cæt. quæ verba ratus ille Renaudot adversum se scripta fuisse a Mo Guidone Patin, litem primo contestatur monetque contra Bibliopolas qui cum declarassent se eius Epistolæ authores non esse ut pote Latinæ linguæ ignaros ; datam tamen sibi a Mo G. Patin eam Epistolam mandandam typis ; ipse statim Renaudotus Mum Gem. Patin vocavit in jus, diemque dixit coram Domo Daubray libellorum supplicum Magistro, dirimende huic liti deputato qui audito Do Patin libere ac ingenue authorem Epistolæ se confitente, sed verba illa credita iniuriosa Gazetario non esse re ipso, sed de Guidone de La Brosse Medico empirico intelligenda, qui atroces iniuria et contumelia evomuerat libro suo de plantis contra celeberrimam Medicinæ Parisiensis Facultatem, statim judex Patinum dimisit, et Gazetarium. Sed ductus odio et invidia Gazetarius, novæ litis faces accendit adversus Dom. Patin, ipsamque defuncti De La Brosse sororem, Ludovicam De La Brosse, incitare ad litigandum meditatus est ; quæ idcirco a Renaudoto impulsa litem cum ipso suscepit, ea mente ut reus contumeliarum et iniuriarum M. G. Patinus mulctaretur, atque famam honoremque ut aiunt utriusque aut utriuslibet cogeratur reparare. Convenerunt itaque in Tribunal iudiciorum regiæ Domus, vulgo aux requêtes de l’Hostel et litigantes et causidici, et quidem adversarii, qui se per sex menses ad actionem hanc nullius alioquin momenti comparaverant contra Dom. Patin, accusant, criminantur Patinum usum verbis famosis nebulo, blatero. Sed ecce insurgit animose Patinus, et Causam ipse suam diserte agens, utrumque acerrime confutat, Docet, probatque non esse verba illa nebulo, blatero iniuriosa ; atque interim arguit et acute perstringit Renaudotum (cui nasus est deformus erosus ac fere semesus ex variolis) hac e Divo Hieronymo, ad Bonasum Obtrectatorem et nasutum Rabulam scribente, ep. 16. l. i selectarum sententia. Disposui nasum secare fœtentem, timeat qui strumosus est. Quibus et aliis egregie et eleganter dictis atque extemporanea sed erudita et longiuscula oratione a Doctissimo Patino ennaratis, mirati iudices acre et promptum ipius ingenium rationesque appositissimas, et expeditissimas, eum facile absolverunt tanquam inique accusatum ; Accusantes autem emiserunt, omnibusque omni lite ac forensi Actione interdixerunt, quod vulgo dicitur Hors de Cour et de procez, præsentibus multis Auditorum millibus. Die Iovis xiii. Augusti 1642.

[Le Gazetier, Théophraste Renaudot avait accusé l’honnête et très savant Maître Guy Patin de l’avoir injurié et l’avait iniquement sommé de comparaître en justice. Ledit M. Patin avait, il est vrai, lui-même écrit l’épître liminaire des Opera de Daniel Sennert, très célèbre médecin, qu’il avait dédiées à M. René Moreau, docteur en médecine de Paris et professeur royal. Parmi d’autres motifs de louanges qu’il y rassemblait et évoquait, il notait et célébrait en particulier le fait que susdit M. René Moreau avait écrit une Défense de la Faculté, adversus quemdam nebulonem, qui fictæ pietatis et charitatis non synceræ larvam prætendis etc. {a} Ledit Renaudot ayant pensé que ces mots avaient été écrits contre lui par Me Guy Patin, il engagea d’abord un procès contre les libraires, qui déclarèrent ne pas être auteurs de cette épître, étant donné qu’ils ne savaient pas le latin, mais que M. G. Patin la leur avait donnée à imprimer. Sur-le-champ, ledit Renaudot a cité M. G. Patin en justice et fixa un jour où se présenter devant M. D’Aubray, maître des requêtes, {b} à qui avait été confiée la charge de trancher ce litige. Lors de l’audience, M. Patin confessa volontiers et sincèrement être l’auteur de l’épître, ajoutant pourtant que ces mots tenus pour injurieux n’étaient pas à considérer comme adressés au Gazetier, mais au médecin empirique Guy de La Brosse qui, en son livre sur les plantes, avait vomi d’atroces insultes et affronts contre la très célèbre Faculté de médecine de Paris. Le juge a aussitôt renvoyé les deux adversaires dos à dos. {c} Toutefois, conduit par la haine et la jalousie, le Gazetier a rallumé les flambeaux d’un procès contre M. Patin, et a entrepris d’engager dans ce litige la propre sœur du défunt de La Brosse, Louise de La Brosse : ainsi Renaudot l’a-t-il poussé à s’associer à lui devant la Cour, dans l’idée de châtier les insultes et affronts de M. G. Patin, pour obtenir à la fois, disaient-ils, réparation de leur bonne renommée et de leur honneur. Comparurent donc, devant le tribunal des Requêtes de l’Hôtel, plaignants, avocats et toutes les parties adverses qui s’étaient préparés six mois durant à cette action, du reste sans la moindre importance, contre M. Patin, lui reprochant et l’accusant d’avoir employé ces fameux mots de vaurien et babillard. {a} Mais voici que Patin se lève avec détermination et, plaidant lui-même sa cause avec éloquence, {d} il réfute ses deux adversaires, il démontre et prouve que ces mots de vaurien et babillard ne sont pas injurieux ; et ce faisant, il convainc Renaudot d’erreur et le pique finement (car il avait le nez difforme, mangé et à demi rongé de vérole) par cette citation de saint Jérôme écrivant contre Bonasus, son détracteur, orateur braillard qui avait un long nez (lettre 16, livre i) : Disposui nasum secare fœtentem, timeat qui strumosus est. {e} Par ce propos et bien d’autres, que Me Patin dit avec goût et distinction, en un discours improvisé mais érudit et de bonne longueur, les juges, admiratifs de son intelligence vive et acérée, et de ses arguments parfaitement placés et assurés, l’acquittèrent de bon cœur, en déclarant son accusation injuste. Les plaignants furent quant à eux déboutés, et interdits de toute action judiciaire et de tout procès, ce qu’on appelle en français hors de Cour et de procès, en présence de plusieurs milliers d’auditeurs, le jeudi 13e d’août 1642].


  1. « contre un certain vaurien qui, sous un masque de feinte piété et de fourbe charité, etc. »

    V. note [12], lettre 44, pour cet extrait complet de l’épître dédicatoire des Opera [Œuvres] de Daniel Sennert (Paris, 1641), datée du 1e juin 1641, signée par les cinq libraires associés qui avaient imprimé le livre, mais que Patin avait lui-même écrite.

  2. Simon Dreux D’Aubray (v. note [8], lettre 180)

  3. V. notes [3] et [8], lettre 60, pour Guy de La Brosse (mort en 1641), fondateur du Jardin du roi, et ses cinq livres des plantes (Paris, 1628), dont le troisième était une apologie en 19 chapitres de la médecine chimique.

    D’Aubray n’y avait pas regardé de bien près car René Moreau ne s’était pas spécifiquement opposé à ce livre, dont la préface « Au liseur » ne s’était attaquée que de manière oblique (mais brillante) aux dogmatiques de la Faculté (et aux alchimistes) :

    « Plusieurs entreprendront de me juger, et ne doute pa qu’ils ne condamnent ma franchise ; mais, afin que le procédé en soit bon, je leur donne avis que je ne me paye d’aucune autorité si elle n’a subi l’examen, non plus que je m’en suis servi en toutes ces conceptions, si ce n’est de leurs auteurs contre eux-mêmes ; car c’est une monnaie hors de mon usage et de laquelle je ne fais ni mise ni recette. Si, s’en servant à la façon ordinaire, ils la prennent pour loi contre mes sentiments, il faut qu’ils en soient prévenus. Pour cela, je leur déclare qu’étant préoccupés de quelque opinion, soit ancienne, soit nouvelle, soit de leur cru, que je ne les reçois ni pour mes censeurs ni pour mes juges. Ils ne se pourraient porter à cette action qu’avec l’intérêt d’une passion anticipée ; voire, me pensant condamner à l’aventure, formeraient-ils leur honte. Ils doivent croire que je puis avoir des pensées raisonnables ainsi que les autres humains qu’il convient effrayer par la raison. Je ne me saurais imaginer que pour pareil différend ils voulussent être juges par des partiaux [préjugés]. Mesurant donc cette étoffe à leur aune, je proteste contre leur jugement et les avertis encore que je n’ai pas dressé ce traité des plantes pour suivre les Anciens ni pour imiter aucun qui en ait écrit avant moi, mais seulement pour dire ce que j’en pensais, m’étant fait croire qu’il est permis à un chacun d’étaler ses expériences et ce qu’il peut avoir connu des choses qu’il a maniées.

    J’assure donc, et on le verra, que mes pensées ne s’appuient d’aucune autorité, et ne crois pas que les sujets recherchés dedans les vieux chaperons de la décrépite Antiquité vaillent mieux que les nouveaux ; et si l’on y prend garde, ce n’est que friperie qui n’agrée pas à tous. Pour moi, je dirai franchement que ces redites des vieilles opinions ne me plaisent pas ès [dans les] livres nouveaux ; il me semble plus à propos de les chercher à la source et de les trouver chez leurs auteurs, si l’on en a besoin, qu’en ces nouvelles tissures [compilations] pleines d’allégations, souvent mal entendues et ordinairement expliquées contre le sens de ceux qui les ont enfantées. Tels livres n’appartiennent à leurs docteurs que de la façon : la matière est dérobée et pillée çà et là, les raisons et l’étoffe en sont à autrui, voire il n’y a autre raison que l’autorité et l’opinion qui ont passé par les crédules des sciences comme en lois, ou parce qu’elles sont vieilles, ou qu’elles ont été reçues par plusieurs ; lâcheté trop grande pour des hommes de courage et raisonnables, aussi estimons-nous à rien ce qui se traite de la sorte. »

  4. Pour ne pas échapper au lecteur, ce passage est repris dans la marge du manuscrit : Guido Patin causam suam agit ipse in Senatu [Guy Patin défend lui-même sa cause devant la Cour].

  5. « J’ai entrepris de couper un nez puant, que le scrofuleux se tienne donc sur ses gardes » : v. note [15], lettre 642, pour cet citation de saint Jérôme, que Du Val écorchait en donnant à Onasus (Segestanus) le nom de Bonasus.

La Préface de la première édition des Lettres (1683) et ses auteurs (Charles Patin et Jacob Spon) raconte le pied de nez que Patin fit à Renaudot en sortant de l’audience : v. note [30], lettre 240.

V. le second rondeau « sur le nez pourri de Théophraste Renaudot » dans la note [64], lettre 101, pour une autre saillie de la même veine, en 1644.

Ces boutades jouent sur l’avantage prétendu d’avoir un nez d’un pied de long au lieu d’un nez retroussé (ou camus, comme avait Renaudot), et sur le sens figuré de pied de nez : « On dit aussi, qu’il a eu un pied de nez, pour dire qu’il n’a pu venir à bout de quelque chose, qu’il a donné lieu à la raillerie » (Furetière). Avec ce navrant coup de pied de l’âne, Patin songeait sans doute à l’attaque de Renaudot contre lui, en 1641, dans ses Remarques sur l’Avertissement… (page 31) : {a}

« Que ne lui {b} peut-on pas reprocher, puisqu’on lui met en avant qu’il est inconnu : lui que toute la chrétienté connaît, et possible quelques-un par delà. Sur quoi, l’auteur de cet Avertissement {a} lui donne son avis qu’il se souvienne de la Gazette de son beau nez, duquel nous avons, dit-il, vu les relations de toutes les paries du monde. Dans la Réponse à la Défense de l’École, {c} il a été parlé de la révérence de celui qui s’était mêlé de blâmer la Gazette : contre laquelle, ce carabin {b} ici ne portant aucun coup, je le renvoie à ce qui a été dit sur ce sujet ; et tous ses apostilles, {d} qui n’y conviennent en aucune façon, seront cause que ledit sieur Renaudot, au lieu de se rendre à leurs injures niaises, continuera de leur faire partout deux pieds de nez pour allonger le sien. »


  1. V. note [11], lettre 57, pour ce libelle qui répondait à l’Avertissement à Théophraste Renaudot… (Paris, 1641), attaque anonyme attribuée à Jean ii Riolan ou à Patin.

  2. Le gazetier, Renaudot.

  3. Mot à prendre au vieux sens, militaire, de carabinier.

  4. La Réponse de Renaudot à la Défense de la Faculté de médecine (anonyme de René Moreau) : libelles parus en 1641 analysés dans Un manuscrit de Patin dontre les consultations charitables.

  5. Les apostilles (mot masculin au xviie s.) sont les annotations portées dans la marge d’un texte.

Les fils de Théophraste, Isaac et Eusèbe, faisaient rudement les frais de ces échanges de pieds de nez (v. note [16], lettre 104).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 12 août 1643, note 3.

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(Consulté le 19/04/2024)

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