Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 33.
Note [33]

Dans la Defensio de Coornhert (v. supra note [32], notule {d}), le passage « sur la permission de l’héréticide » se trouve aux pages 64‑66 :

Coornhert. […] Docere et persuadere omnibus seculis palmarium fuit, sed in ea nunc (proh dolor) tempora devenimus, quæ omni mansuetudine et Christiano spiritu oppresso, articulis, carceribus, lictoribus, incendiis percrepant ; quasi præclari quid esset hominem, jam jam ipsa naturæ lege moriturum, ob quædam paradoxa, quæ intelligere nequit, in ignem injicere.

Lipsius. Clementiæ non hic locus. Frustra inclementiæ accusamur, pag. 43..

Coornhert. Nil alius tamen ex tuis verbis colligi potest.

Lipsius. Miraberis quosdam ferro et igne curari, pag. 43.

Coornhert. Curari et necari tibi idem est ?

Lipsius. Ure, seca. A veteris medicinæ ritu sumptus sermo, pag. 44.

Coornhert. Si de valetudinis curatione ac medendi arte scripsisses ; voculis hisce potuisses uti ; verum illas astute adeo et fallaciter (circa auctorum sensum et opinionem) ad Hæreticorum punitionem (quæ hinc exsulatum ire jussa, non tropice sed facto ipso, ustione scilicet et sectione, alibi adhuc locum habet) detorquere, si alium quemvis, Lipsium certe non decuit, qui tam acer et austerus reprehensor est, ubi illius verba juxta sensum accipis, aut distinctiones, id est, cola, semicola, puncta, aut bipuncta non satis animadvertis. An hoc tecum statuis, Lipsi, clarissimorum virorum lenociniis et flosculis abutendo in tam arduis et difficilibus rebus, te certissima argumenta et indicia admirabilis tuæ scientiæ et artis dare ? Rhetor non opus hic tuis perniciosissimis tropis.

[Coornhert. (…) « Instruire et persuader ont de tout temps mérité la palme, mais partout en notre siècle (quel malheur !), où toute mansuétude et tout esprit chrétien ont été étouffés, retentissent lois, prisons, bourreaux, flammes ; comme si ce qu’il y avait de brillant en l’homme allait très bientôt mourir, suivant la loi qui appartient à sa nature propre, selon laquelle il jette au feu certaines opinions contraires qu’il est incapable de comprendre. »

Lipse. « Il n’y a pas de place ici pour la clémence. C’est à la légère que nous sommes accusés d’inclémence » (page 43). {a}

Coornhert. « Il n’y a pourtant rien d’autre qu’on puisse tirer de tes propres mots. »

Lipse. « Tu t’étonnes qu’on en soigne certains par le fer et par le feu » (page 43). {b}

Coornhert. « Soigner et tuer, est-ce pour toi la même chose ? »

Lipse. « Brûle, coupe : ces mots appartiennent au rituel de l’ancestrale médecine » (page 44). {c}

Coornhert. « Tu aurais pu employer ces mots si tu avais écrit sur la conservation de la santé et sur l’art de remédier ; mais les détourner si adroitement et si fallacieusement (eu égard à l’opinion de leurs auteurs et à ce qu’ils voulaient dire) {d} pour justifier la punition des hérétiques (qu’on a ordonné ici de bannir, non pas métaphoriquement, mais dans le fait même, à savoir le bûcher et la hache, alors qu’elle se pratique encore ailleurs) : voilà qui eût convenu à quelque autre, mais certainement pas à Lipse, ce censeur si pointu et âpre, si vous le prenez au mot, ou si vous ne prêtez pas suffisamment d’attention à ses ponctuations, c’est-à-dire à ses virgules, points-virgules, points ou deux-points. {e} Donner les preuves et les signes les plus solides de ton admirable savoir et de ton talent ne s’érige-t-il pas contre toi-même, Lipse, quand, sur des matières aussi délicates et ardues, tu abuses des subtilités et des ornements tirés des plus brillants auteurs ? Un rhéteur n’a rien à faire ici de tes tropes. »] {f}


  1. Renvoi au texte même des Politiques de Lipse, correspondant au bas de la page 70 ro de la traduction française de 1606 : « Et n’y doit point la clémence trouver place. »

  2. Bas de la page 70 ro‑vo de la traduction française de 1606 : « il y faut donner le feu, inciser et retrancher, afin qu’un membre meure, et soit perdu plutôt que tout le corps. »

    Lipse imitait ici Cicéron (Philippiques, livre viii, chapitre 5), parlant de son souhait qu’on mît à mort Catilina, au lieu de le gracier :

    In corpore si quid eius modi est, quod reliquo corpori noceat, id uri secarique patimur, ut membrum aliquod potius quam totum corpus intereat.

    [Si quelque partie de notre corps compromet l’existence du reste, nous la faisons amputer ou brûler, préférant la perte d’un membre à celle de tout le corps].

  3. La traduction française de 1606 a éludé ce passage, mais il est dans la source latine (page 39 de la 2e partie des Politiques, réédition d’Amsterdam, 1632), avec une explication de Lipse pour s’en justifier :

    Ure, seca.] O verba nata in turbas ! periissent illa, et calamus, cum scripsi. Et tamen ratione si dijudicamus, quid peccant ? A veteris medicinæ ritu sumptus sermo, qui in ulcere aut vulnere secabant, et deinde sistendo sanguini urebant.

    [Brûle, coupe.} Que ces mots ont donc semé de trouble ! Qu’ils périssent donc, avec la plume qui les a écrits, qui est la mienne ! Et pourtant, si nous les examinons avec discernement, en quoi pèchent-ils ? Ils appartiennent au rituel de l’ancestrale médecine où, en cas d’ulcère ou de blessure, on coupait, puis ensuite on brûlait pour arrêter l’hémorragie].
  4. Coornhert reprochait légitimement à Lipse d’avoir détourné la citation de Cicéron (v. supra notule {b}), qui visait le complot politique de Catilina, pour justifier la mise à mort des hérétiques.

  5. Les préliminaires des Politiques de Lipse contiennent Monita quædam, sive cautiones [Quelques avertissements ou mises en garde] que la traduction française a omis. Coornhert se référait ici à la iiie (première partie, page 14 de l’édition de 1632) :

    Ut distinctiones multo magis : id est, in fine cujusque clausulæ cola posita, semicola, puncta, aut bipuncta. Nam pro his, sententia tibi tota terminanda est scilicet, aut sustentanda : videbisque universam orationem per membra sua et periodos curiose a nobis sic discretam. Nec enim finis semper sententiæ in fine clausulæ : sed pendet ea sæpe ac hæret.

    [Quant à la ponctuation, il y a bien plus important : virgules, points-virgules, points ou deux-points marquent la fin de chaque clause. Cela vous permet de savoir si la phrase est entièrement terminée, ou seulement suspendue. Vous verrez que nous avons ainsi soigneusement scindé l’ensemble du discours en paragraphes et en phrases. En effet, la fin d’une phrase ne marque pas toujours celle d’une clause : souvent elle continue en se liant à ce qui suit].

  6. En rhétorique, la trope est une figure « par laquelle la propre et la naturelle signification d’un mot est changée en une autre » (Furetière).

La Defensio de Coornhert ne contient pas d’échange de fato [sur le destin]. Ce considérable sujet, car il touche à la grâce (prédestination ou libre arbitre), est abondamment traité dans l’ :

Epitome Processus de occidendis hæreticis, et vi conscientiis inferanda. Inter Iustum Lipsium Politicorum auctorem anno 1589. ea asseverantem, et Theod. Coornhetrium eadem refringentem.

[Abrégé du progrès qui consiste à tuer les hérétiques et à forcer les consciences. Entre Juste Lipse, auteur, en 1589, des Politiques, qui en est partisan, et Theod. Coornhert qui le réprouve]. {a}


  1. Gouda, Zaffenus Hoenius, 1597, in‑8o de 235 pages, avec deux citations en exergue du titre :

    • Proverb. 24. 11. 12.

      Erue eos qui ducuntur ad Mortem : et qui trahuntur ad Interitum liberare ne cesses.
      Si dixeris, Vires non supetunt ; qui inspector est cordis, ipse intelligit ; et servatorem animæ tuæ nihil fallit, reddetque homini iuxta opera sua
      .

      [Délivre ceux qu’on traîne à la mort ; ceux qui vont en chancelant au massacre, sauve-les !
      Si tu dis : « Mais ! nous ne le savions pas ! » Celui qui pèse les cœurs ne le voit-il pas ? Celui qui veille sur ton âme ne le connaît-il pas, et ne rendra-t-il pas à chacun selon ses œuvres ? (Proverbes 24:11‑12)].

    • Psalmo 2. 10.

      Erudimini qui judicatis terram.

      [Soyez instruits, vous qui êtes les juges de la terre (Psaumes 2:10)].


Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 33.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8200&cln=33

(Consulté le 25/04/2024)

Licence Creative Commons