Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 37.
Note [37]

Triades 67‑69.

  1. « Le Christ nous offre de prendre trois pilules {a} salutaires : 1. aimez vos ennemis ; 2. faites du bien à ceux qui vous haïssent ; 3. priez pour ceux qui vous font du tort. {b} Trois choses, vous dis-je, nous sont prescrites : aimez, faites le bien, priez. » {c}


    1. Le mot pilule peut surprendre ici, mais cette métaphore peut s’expliquer de deux manières, en se référant aux définitions de Furetière.

      1. Médicalement, c’est un « médicament qu’on prend à sec en forme de petite boule. Les médecins chimistes ne guérissent guère qu’avec des pilules. On les a inventées en faveur de ceux qui ont de la peine à boire des médicaments dissous. Il y a des pilules anodines, {i} somnifères, laxatives, apéritives, hystériques, {ii} antinéphrétiques. Il y a aussi des pilules dorées, qui sont de couleur jaune ; d’autres de Nicolas sine quibus, on sous-entend esse nolo, {iii} à cause des bons effets qu’elles produisent pour purger la pituite et la bile, et pour guérir les maladies de la tête.

        La base des pilules est d’ordinaire l’aloès, et l’on y mêle la scammonée, l’agaric, le turbith, les hermodactes, le séné, la rhubarbe, le mercure, etc. Les pilules agrégatives de Mésué sont nommées vulgairement polychrestes, {iv} parce que de toutes parts elles amassent les humeurs corrompues, afin que la nature les jette dehors plus aisément. Les pilules gourmandes de Mésué sont composées d’aloès pour base, de mastic et de roses rouges, et sont appelées stomachiques, parce qu’elles fortifient l’estomac, et gourmandes, parce qu’on les prend avant le repas, et qu’elles n’empêchent point de manger. {v} Les médecins les dosent différemment. Il y a des pilules que le peuple appelle blanches, et les apothicaires béchies, {vi} ainsi nommées parce qu’elles sont propres pour la toux, qu’en grec on appelle bix.

        On les appelle aussi hypoglottides, parce qu’on les laisse fondre doucement sous la langue. On enveloppe les pilules ordinaires d’une feuille d’or, de pain à chanter, {vii} ou de sucre, afin qu’on n’en sente pas le mauvais goût.

        On les a ainsi nommées à cause de leur figure ronde, comme une petite balle, ou de pila, le nom du mortier où on pile les drogues. »

      2. Moralement, « pilule se dit figurément des fâcheuses nouvelles, des afflictions ou injures qu’on est obligé de souffrir. “ Il a eu beau se plaindre de cette taxe, il a été obligé d’avaler la pilule, de payer. On lui a doré, sucré la pilule, quand on lui a appris cette nouvelle on y a apporté quelque adoucissement. ” » {viii}

        1. Antalgiques.

        2. Propres à déclencher les règles (menstruation).

        3. V. note [3], lettre 15, pour l’antidotaire de Nicolas de Salerne, dit Præpositus. Sine quibus esse nolo [Sans lesquelles je ne sais exister] veut dire indispensables à la bonne santé, c’est une litote pour éviter le mot opium (ou laudanum) : v. note [14], lettre 75, pour les pilules narcotiques, surtout employées pour abréger les souffrances des malades incurables.

        4. V. notule {b}, note [32] de l’Ultime procès de Théophraste Renaudot contre la Faculté de médecine de Paris, pour le polychreste de Jean Pidoux, repris par Renaudot.

        5. V. note [24], lettre 332, pour quelques éclaircissements sur toutes ces subtilités thérapeutiques.

        6. Sic pour béchiques, v. note [7], lettre 121.

        7. V. note [7], lettre 1055.

        8. Telle que formulée ici et sous la plume probable de Guy Patin, l’exhortation du Christ est à rattacher au premier sens, médical, et peut-être à rapprocher du Τρεις καταπτειν σπυραδας [Prescris trois pilules à avaler] d’Hippocrate (v. note [3] du Mémorandum 19).

    2. Évangile de Luc (6:27‑28).

    3. Cette triade est intégralement empruntée au début du 2e paragraphe de la page 48 sur le Feria Sexta post cineres [Sixième jour suivant les cendres (premier mardi du carême)] des très pieux :

      Observationes in Evangelia Quadragesimalia Passionis et Resurrectionis Domini, in gratiam Verbi Dei Concionatorum. Per R.P.F. Iacobum Corenum Ord. Minimorum Regularis observantiæ S. Ludovici ex provincialem. Nunc primum in lucem opus editum.

      Observations sur les Évangiles du carême de la Passion et Résurrection du Seigneur, pour le profit des prédicateurs du Verbe divin. Par le R.P. Iacobus Corenus, {i} ancien provincial de l’Ordre des frères mineurs de l’Observance de Saint-Louis. Publiées pour la toute première fois]. {ii}

      Sans autre source que saint Luc, ce propos est suivi d’un bref commentaire médicamenteux :

      Pilulæ absorbendæ sunt, non gustandæ, aut dentibus comminuendæ, ne prægustetur amaritudo. Sic huius modi præcepta non sunt examinanda, sed adimplenda ; illum tantum consideremus, qui ea ordinavit et præcepit. Ad hoc nos hortatur Augustinus. Attende Christum medicum ægritudinis tuæ. Considera medicum, non medicinam, quæ licet sit amara, tamen est profutura ; illam tibi tam bonus medicus non præciperet, nisi salutem tibi allaturam agnosceret.

      [Les pilules doivent être absorbées sans être goûtées ni brisées avec les dents, afin de ne pas sentr leur amertume. Des préceptes de cette sorte ne sont pas à débattre, mais à appliquer, en n’ayant d’égard que pour celui qui nous les a ordonnés et recommandés. C’est ce à quoi nous exhorte Augustin. Honore Christ, qui est le médecin de ton mal. Considère le médecin et non le remède qui, bien qu’il soit amer, te sera secourable : un si bon médecin ne te le prescrirait pas s’il ne savait qu’elle te procurera le salut].

      1. Le franciscain hongrois Jakob Koren (1570-1631).

      2. Lyon, Ant. Chard, 1627, in‑8o de 825 pages.

      3. Saint Augustin, 2e Sermon sur saint Étienne (référence indiquée dans la marge) : « Fais-toi ce remède, et tu guériras, n’est-ce pas dire : Sacrifie et tu conserveras la vie ? Si tu ne le prends pas, tu mourras, n’est-ce pas dire : Mort à toi, si tu ne sacrifies ? » (sermon cccxviii).

  2. « L’Église, dit Chrysostome, n’est pas une boutique de barbier ou de parfumeur, ou d’autre marchand, mais le séjour des anges, le séjour des archanges, le palais de Dieu : je dirais presque que c’est en vérité le ciel même. » {a}


    1. Homélie xxxvi (chapitre 5) de Jean Chrysostome {i} sur la première Épître de Paul aux Corinthiens, qui en commente le verset 14:20 :

      « Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement ; mais faites-vous enfants sous le rapport de la malice, et, pour le jugement, soyez des hommes mûrs. »

      Le tome 10 des Sancti Joannis Chrysostomi Opera omnia [Œuvres complètes de saint Jean Chrysostome] {ii} (haut de la 2e colonne, page 397) en donne cette traduction du grec en latin, un peu différente de celle du Borboniana :

      Non enim Ecclesia est tonstrina, neque ungentaria officina, neque ulla alia opificum qui sunt in foro taberna, sed locus Angelorum, locus Archangelorum, regnum Dei, ipsum cœlum.

      [En effet, l’Église n’est pas une boutique de barbier ou de parfumeur, ni quelque autre échoppe d’artisans qui sont sur le champ de foire, mais c’est le séjour des anges, le séjour des archanges : c’est le royaume de Dieu, le ciel même].

      1. V. note [4], lettre latine 322.

      2. Paris, Gaume frères, 1838, in‑4o de 1 039 pages (grec et latin juxtalinéaires).

  3. « “ Trois hommes ont, que je sache, jadis été honorés du nom d’omniscient : Hippias, qu’on surnommait omniscius, {a} Jérôme de Stridon, {b} Alphonsus Tostatus. {c} Dépeignant Hippias, le philosophe de Madaure (c’est-à-dire Apulée, au livre ii des Florides) l’a dit être le premier de tous par la multiplicité de ses talents. {d} Jérôme tient le second rang parmi les omniscients : au temps d’Augustin, {e} on disait déjà communément que nul n’apprendrait aisément ce que Jérôme n’a pas su, car il s’est consacré à étudier tous les livres. En troisième vient Tostatus, évêque d’Avila, qui a écrit 16 fort gros volumes ; et son immense érudition a fait dire à ses concitoyens :

    Le monde entier est en extase devant celui qui explique tout ” {f}

    (Drexelius, Salomon, chapitre xviii, page 186, édition in‑24). » {g}


    1. Érasme a ainsi surnommé Hippias d’Élis {i} dans le le second de ses commentaires De duplici copia Verborum et Rerum [Sur la double Abondance des mots et des matières], {ii} à propos de l’expression Cyclopædiam absolvit [Il atteint l’omniscience] (livre ii, page 277) :

      Omnibus naturæ fortunæque dotibus præditus. Hoc si cui libeat explicare, commemorabit singula corporis commoda ; deinde singulas ingenii, atque animi dotes ; postremo genus, opes, patriam, successus, et quicquid a fortuna solet obvenire. Rursum tertium exemplum erit Hippias omniscius.

      [Il est muni de tous les dons de la nature et de la fortune. Qui aura plaisir à bien comprendre cela se rappellera qu’il s’agit d’abord de tous les avantages du corps ; ensuite, de toutes les qualités du talent et de l’esprit ; et enfin, de la bonne naissance, de la richesse, de la patrie, du succès, et de tout ce que la bonne fortune a coutume de procurer. Hippias l’omniscient servira de modèle sur ce dernier point].

      1. V. note [16], lettre 176.

      2. Bâle, 1540, v. première notule {i}, note [54] du Borboniana 10 manuscrit.
    2. Saint Jérôme, v. supra note [35], triade 64.

    3. Alonso Tostado d’Avila, Alphonse Tostat, évêque d’Avila et natif de cette province d’Espagne, v. note [53], lettre 183.

    4. Apulée (v. supra note [33], triade 59) était natif de Madaure (en actuelle Algérie). Son propos exact est (à l’endroit cité) :

      Et Hippias e numero sophistarum est, artium multitudine prior omnibus, eloquentia nulli secundus.

      [Et au nombre des sophistes, Hippias est le premier de tous par la multiplicité de ses talents, et n’est le second d’aucun pour l’éloquence].

    5. Saint Augustin (v. note [5], lettre 91) et saint Jérôme sont tous deux nés vers le milieu du ive s.

    6. Épitaphe gravée sur la tombe d’Alphonse Tostat (mort en 1454) dans la cathédrale d’Avila.

    7. Cette triade est la transcription intégrale d’un passage sur les omniscients, à la page 186, § 12 du chapitre xviii, Salomon Architectus [Salomon l’architecte], de la référence indiquée :

      Salomon Regum sapientissimus descriptus et morali doctrina illustratus a R.P. Hierem. Drexelio Societ. Iesu.

      [Salomon, le plus sage des rois…, dépeint et glorifié pour sa doctrine morale par Jeremias Drexel {i} de la Compagnie de Jésus]. {ii}

      1. V. note [62], lettre 150.

      2. Anvers, veuve et héritiers de Ioannes Cnobbarus, 1644, in‑12 (et non in‑24) de 357 pages, pour la première édition.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 37.

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(Consulté le 28/03/2024)

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