À Hugues II de Salins, le 3 mars 1656, note 4.
Note [4]

Un apéritif (du latin apertus, ouvert) est un médicament qui ouvre les voies naturelles (urinaires, biliaires, intestinales, etc.) pour aider à évacuer les humeurs des cavités qu’elles drainent.

Pour les mets ayant cette vertu, on employait aussi le mot ragoût, dans son sens premier de « ce qui est fait pour donner de l’appétit à ceux qui l’ont perdu, soit par quelque indisposition, soit par la satiété. La gourmandise a inventé mille ragoûts qui sont nuisibles à la santé » (Furetière).

La décoction apéritive de Rabelais fait allusion à une facétie de l’« auteur François » rapportée dans un ouvrage anonyme de par François Béroalde de Verville {a} dans :

Le Moyen de parvenir. Œuvre contenant tout ce qui a été, est, et sera : avec démonstrations certaines et nécessaires, selon la rencontre des effets de Vertu. Et adviendra que ceux qui auront nez à porter lunettes s’en serviront ; ainsi qu’il est écrit au Dictionnaire à dormir de toutes les langues. S. {b} Recensuit Sapiens ab A, ad Z. Nunc ipsa vocat res. {c} Hac iter est. Æneid. ix. 320. {d} Imprimé cette année {e}

La rabelaisienne « décoction » est décrite au mot Vidimus [Nous avons vu (choses vues)] (pages 30‑31 de l’édition de Paris, Garnier frères, 1879) :

« Ne parlez plus de clavicules ou clavifesses, {f} ni d’arts apéritifs, canons et artillerie, qui sont engins grandement ouvrants, puisque vous avez ces cahiers de vérité, ce bon volume, qui est la grosse clef d’ordonnance, à laquelle pend le trousseau de toutes clefs. Pour le prouver, j’ai le père Rabelais le docte, qui fut médecin de Monsieur le cardinal Du Bellay ; {g} et je le mets ici en avant parce que les substances de ce présent ouvrage et enseignements de ce livre furent trouvés entre les menues besognes de la fille de l’auteur. Ce cardinal étant au lit malade d’une humeur hypocondriaque, fit assembler les médecins pour consulter un remède à son mal. Il fut avisé par la docte conférence des docteurs qu’il fallait faire à Monsieur une décoction apéritive qui, réduite en sirop, serait accommodée à son usage ordinaire. Rabelais ayant recueilli cette résolution, sort et laisse Messieurs achever de caqueter pour mieux employer l’argent ; et fait ledit sieur mettre au milieu de la cour un trépied sur un grand feu, un chaudron dessus plein d’eau où il mit le plus de clefs qu’il put trouver ; et en pourpoint comme ménager, remuait ces clefs avec un bâton pour les faire prendre cuisson. Les docteurs descendus voyant cet appareil et s’en enquêtant, il leur dit : “ Messieurs, j’accomplis votre ordonnance, d’autant qu’il n’y a rien tant apéritif que des clefs ; et si vous n’en êtes contents, j’enverrai à l’arsenal quérir quelques pièces de canon ; ce sera pour faire la dernière ouverture. ” Après l’exhibition de ces apozèmes, {h} je pense que cette preuve est de mérite : avisez donc bien et diligemment épluchez, et voyez avec curieuse conférence tous les autres prétendus livres, cahiers, volumes, tomes, œuvres, livrets, opuscules, libelles, fragments, épitomes, {i} registres, inventaires, copies, brouillards, {j} originaux, exemplaires, manuscrits, imprimés, égratignés {k} bref, les pancartes des bibliothèques, soit de ce qui a été, ou est, ou qui jamais encore ne fut, ou ne sera, sont ici {l} en lumière, prophétisés ou restitués. »


  1. François Vatable Brouard (Béroalde de Verville (Brouard, Brovardus), François, écrivain facétieux, philiatre et chanoine de Toursardus, Paris 1556-Tours 1626), écrivain rabelaisien et homme de cour, avait passé sa jeunesse à Genève, où son père s’était établi pour cause de religions. Après y avoir étudié la médecine, Béroalde de Verville (Brouard, Brovardus), François, écrivain facétieux, philiatre et chanoine de Toursardus revint en France et se lia à Pierre de L’Estoile (v. note [95] des Deux Vies latines de Jean Héroard), qui l’introduisit à la cour des rois Henri iii et Henri iv. Converti au catholicisme, il fut nommé chanoine de la cathédrale de Tours. Féru de paracelsisme, il a laissé quelques romans et ouvrages d’inspiration paracelsiste, mais doit d’être aujourd’hui connu à son Moyen de parvenir. On lui attribue les 300 quatrains de la satire morale et politique intitulée La Sérodokimasie, ou Recherche des vers qui filent la soie, de leur nature et gouvernement (sans lieu ni nom ni date, petit in‑fo de 44 pages).

    Le lecteur curieux trouvera maints renseigenements complémentaires dans la Notice sur Le Moyen de parvenir de l’édition établie par Paul L. Jacob (Paris, Charles Gosselin, 1841). Il considère ce livre comme une sorte d’ana (v. note [2] de l’Introduction aux ana de Guy Patin), mais déguisé, de Rabelais.

  2. Salut au lecteur : chacun des chapitres (non numérotés) de cet ouvrage disserte sur un mot (de Poinct à Argument), mais pêle-mêle, sans du tout suivre un ordre logique, et encore moins alphabétiques. P.L. Jacob (note 2, page 337) a établi que « Dictionnaire à dormir » est une référence au chapitre xiv de Gargantua, citant les ouvrages que son pédagogue, « vieux tousseux nommé maître Jobelin bridé », lui faisait lire, dont en dernier « dormi secure pour les fêtes » : ce « dors en paix » est un recueil de sermons latins.

  3. « Le sage l’a attentivement lu de A à Z. Désormais, il donne aux choses leur nom exact. »

  4. « Voilà le chemin » : Virgile, à l’endroit cité.

  5. Sans lieu ni nom ni date [1610 pour P.L. Jacob], in‑12 de 617 pages, avec ce mystérieux mais touchant quatrain pour toute dédicace :

    « Si Madame m’eût survécu,
    J’eusse commencé cet ouvrage :
    Quand la Mort s’en torcha le cul,
    J’eus le cœur mou comme fromage. »

  6. v. note [28], lettre de Charles Spon datée du 12 février 1658, pour les ouvrages intitulés « clavicule » ; « clavifesse » est une grivoiserie facétieuse dont le sens se prive de commentaire.

  7. V. notes [53] du Borboniana 10 manuscrit pour la vie monastique de François Rabelais, et [15], notule {b‑3}, du Faux Patiniana II‑3 pour le cardinal Jean Du Bellay.

  8. Potion composée de diverses substances, souvent laxative : v. note [7], lettre 80.

  9. Abrégés.

  10. Brouillons.

  11. Graffiti.

  12. Dans les ouvrages de Rabelais.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 3 mars 1656, note 4.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0436&cln=4

(Consulté le 29/03/2024)

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