Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 48.
Note [48]

triade 94.

« “ Il faut entendre ce propos de Servius {a} sur ce passage. {b} ‘ Trois forces embrassent en effet la vie humaine : la Nature, qui ne permet pas de vivre au delà de 120 années solaires ; le Destin, pour qui 90 années, c’est-à-dire trois cycles de Saturne, {c} fixent le terme, à moins, peut-être, que la bienveillance d’autres astres n’autorise à dépasser ce troisième cycle ; la Fortune, c’est-à-dire le hasard, qui intervient dans tous les accidents venant du dehors, comme sont la ruine, les incendies, les naufrages, les empoisonnements. ’ Telle est la distinction qu’il {a} établit dans son commentaire quand le Poète dit avec talent : Peregi cursum, quem dederat fortuna, {b} en semblant exclure la Nature et le Destin. Cicéron, contre Antoine, fait de même : Multa mihi imminere videbantur præter Naturam, præterque Fatum ; {d} et c’est ce que dit Virgile dit plus bas sur Didon,

Nam quia nec fato, merita nec morte peribat
Sed misera ante diem
 ; {e}

c’est-à-dire, non par Destin ni par Nature, mais par Fortune. Je crois que la distinction établie par Servius {a} est identique à celle que j’avais observée dans Virgile, quand il attribue les choses à la Fortune, au Destin, à la Divinité. De fait, les anciens philosophes entendaient la Nature quand ils parlaient de la Divinité, car la Nature n’est rien d’autre que ce que Dieu a établi au commencement du monde. Voici ce qu’en dit exactement Virgile : ici, Dulces exsuviæ, dum Fata Deusque sinebant ; {f} plus loin, il parle de la Fortune, qu’il avait omise, Vixi, et quem dederat cursum Fortuna peregi. {b} Plus haut dans ce même chant, il y a aussi, etc. {g} Macrobe n’en est guère éloigné quand, au livre i des Saturnales, chapitre xix, il dénombre trois dieux qui président à toute naissance : Dieu, Fortune, Destin. ” {h} Voyez la Cerda sur les premiers livres de L’Énéide de Virgile, page 479. » {i}


  1. Maurus Servius Honoratus, éditeur et annotateur des œuvres de Virgile, au ive s. (v. note [49] du Borboniana 6 manuscrit). La phrase qui suit (entre guillemets anglais) est de sa plume.

  2. La suite fait comprendre qu’il s’agit de ce vers de Virgile : Vixi et quem dederat cursum fortuna, peregi [J’ai vécu et j’ai mené à son terme la course que m’avait assignée la Fortune] (Énéide, chant iv, vers 653) ; paroles de Didon (v. note [23], lettre 551) avant de se donner la mort, dans le désespoir où le départ d’Énée (v. note [14], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661) l’a plongée.

  3. Saturne est « une des sept planètes, la plus éloignée de la terre, et dont le mouvement paraît le plus lent. Il est placé entre le firmament à l’orbite de Jupiter. Quoiqu’il paraisse la plus petite des planètes, c’est pourtant la plus grande, car son diamètre contient 97 fois celui de la terre. Il fait sa révolution dans le Zodiaque en 29 ans, 157 jours et 22 heures » (Furetière).

  4. « Bien de choses paraissaient nous menacer, outre la Nature et le Destin » : Philippiques, discours i, chapitre iv, § 10, contre Marc Antoine (v. note [8], lettre 655).

  5. « Elle ne mourait ni par un coup du Destin, ni par mort méritée, mais par une mort avant l’heure », c’est-à-dire volontaire (vers 696‑697 du même chant, v. note [23], lettre 551).

  6. « J’ai chéri ses vestiges quand le Destin et la Divinité me le permettaient » (vers 651) ; les « vestiges » (exuviæ ou exsuviæ) étaient les souvenirs laissés par Énée, l’amant de Didon : ses vêtements, ses armes, etc.

  7. Le Borboniana abrégeait ici ce passage de la Cerda (qui tend à faire passer Virgile pour un croyant monothéiste) :

    Supra etiam in hoc libro,

    Si modo, quod memoras, fatum, Fortuna sequatur.
    Sed fatis incerta feror, an Iuppiter unam
    esse velit Tyriis urbem, Troiaque profectis ?

    Quo loci Iovem pro Deo posuit.

    [Plus haut dans ce même chant, il y a aussi,

    « Si seulement, une fois accompli ton dessein, la Fortune pouvait suivre ! Les destins me font douter : Jupiter admet-il que les Tyriens et ceux qui viennent de Troie n’aient qu’une seule ville ? » {i}

    Ici, il dit Jupiter pour Dieu].

    1. Vers 109‑111 : propos sceptiques de Vénus à sa mère, Junon, qui l’envoie auprès de Didon afin que, profitant de son fol amour pour Énée, elle accepte l’union de Carthage et de Rome. Les Tyriens sont les habitants de Tyr en Phénicie (Liban moderne).
  8. Macrobe (v. note [2], lettre 52), à l’endroit cité :

    Ægyptii protendunt, deos præstites homini nascenti quattuor adesse memorantes, Δαιμονα, Τυχην, Ερωτα, Αναγχην : et duos priores solem ac lunam intellegi volunt, quod sol auctor spiritus caloris ac luminis humanæ vitæ genitor et custos est, et ideo nascentis daimohn, id est deus, creditur : luna tucheh, quia corporum præsul est quæ fortuitorum varietate iactantur : amor osculo significatur : necessitas nodo.

    [Les Égyptiens disent que quatre dieux président à la naissance de l’homme : les Divinités supérieures, la Fortune, les Amours, la Nécessité. Par les deux premiers, ils entendent le Soleil et la Lune. Le Soleil, étant le principe de la chaleur et de la lumière, est l’auteur et le conservateur de la vie humaine : c’est pourquoi il est regardé comme le daïmôn, c’est-à-dire le dieu du nouveau-né. La Lune est appelée la Fortune parce qu’elle est la divinité des corps, qui sont sujets aux hasards fortuits des événements. L’Amour est figuré par le baiser des serpents, et la Nécessité, par l’accouplement].

  9. Cette triade 94 est intégralement empruntée aux commentaires de Juan Luis de la Cerda sur les « Six premiers chants de L’Énéide de Virgile » (Lyon, 1612, v. supra note [39], triade 73) : paragraphe intitulé « Mort naturelle, fatale, fortuite » (Naturalis, Fatalis, Fortuita mors), page 490 (et non 479), portant sur le vers 653 cité dans la notule {b} supra.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 48.

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(Consulté le 28/03/2024)

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