Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 3 manuscrit, note 49.
Note [49]

Le contexte des deux citations latines aide à comprendre le propos déroutant du Borboniana, qui assimile les poètes aux carmes déchaussés (v. note [22], lettre 198).

  1. La « caste d’hommes la plus inoffensive » provient du commentaire en prose de Dominicus Baudius {a} qui suit son poème intitulé In obitum Philippi ii Hispaniarum Regis [Sur la mort de Philippe ii, roi des Espagnes], page 500 des Poemata (Leyde, 1607). {b} Baudius s’y justifie d’avoir crûment décrit la très singulière mort du souverain, en 1598, dévoré par les poux : {c}

    Quæ meditatio quum penitus animo meo insedisset, simul etiam studio partium incitatus fui forte nonnihil acerbior atque intemperantior, quam homini privato in supremam potestatem licere fas piumque sit. Sed difficile est tenere modum, ubi semel prævalidi isti affectus animum occupaverunt, quibus regendis impares sumus. Illud etiam vehementiam styli exasperavit quod non memineram quenquam excelsæ dignitatis principem interisse tali genere mortis, nisi qui vel sæviendo, vel divinos honores affectando humanitatem exuisset. Ferunt tamen duos poetas, genus hominum innocentissimum phtiriasi consumptos fuisse, Pherecyden et Alcmanem, e quibus ille Philosophi nominis inventorem Pythagoram disciplum habuit, et primus inter ethnicos asseruit æternitatem animarum.

    [Cette méditation s’est profondément installée dans mon esprit, en même temps aussi que l’examen soigneux des faits m’y a incité ; mais peut-être ai-je néanmoins été plus acerbe et plus excessif que la règle et le respect ne le permettent à un modeste particulier envers le pouvoir suprême. Il est toutefois difficile de garder la juste mesure quand ces très vifs sentiments, qui rendent partiaux à l’égard des souverains, vous ont préoccupé l’esprit. Ce qui a aussi attisé la véhémence de ma plume fut que je n’avais pas souvenance d’un prince du plus haut rang qui eût jamais succombé à une telle sorte de trépas, à part celui-là qui mourut après avoir déchaîné tant de furie et s’être tant acharné contre le respect dû à Dieu. On raconte cependant que deux poètes, caste d’hommes la plus inoffensive, {d} ont été rongés par la phtiriase : {e} Phérécyde et Alcman ; {f} le premier des deux eut pour disciple Pythagore, l’inventeur du mot philosophie, et fut le premier parmi les païens à revendiquer l’immortalité de l’âme].


    1. V. note [30], lettre 195.

    2. V. note [36] du Patiniana I‑3.

    3. V. note [4], lettre 831.

    4. Mise en exergue du passage cité par le Borboniana.

    5. Lésions cutanées provoquées par les poux, v. note [29], lettre 146.

    6. Phérécyde de Syros est un philosophe présocratique du vie s. av. J.‑C., l’un des Sept Sages de la Grèce (v. notule {e}, note [24] du Borboniana 9 manuscrit) et l’oncle de Pythagore (v. note [27], lettre 405).

      Alcman est un poète lyrique grec du viie s. av. J.‑C.

      Aristote, dans son Histoire des animaux (livre v, chapitre xxv, § 3) dit qu’ils sont tous deux morts dévorés par les poux.

      Diogène Laërce (Vies des philosophes illustres, livre i, chapitre 122) cite cette lettre de Phérécyde à Thalès (v. note [26], lettre latine 4) :

      « Puisses-tu connaître une belle mort quand viendra pour toi ce qui doit advenir. La maladie m’a surpris alors que je recevais ta lettre. J’étais tout entier couvert de poux et la fièvre me terrassait. J’ai donc enjoint à mes serviteurs, lorsqu’ils m’auront enseveli, de t’apporter ce que je t’ai écrit. […] Alors que j’étais toujours davantage opprimé par la maladie, je ne laissais plus entrer aucun des médecins ni des compagnons ; comme ils se tenaient à la porte et me demandaient comment j’allais, en faisant passer mon doigt par le trou de la serrure, je leur montrai comme j’étais dévoré par le mal. Et je leur ai dit à l’avance de venir le lendemain pour les obsèques de Phérécyde. »

  2. « la caste irritable des poètes » vient de la lettre 2, livre ii des Épîtres d’Horace (vers 102) :

    Multa fero ut placem genus irritablie vatum.

    [J’en supporte énormément pour plaire à l’irritable caste des poètes].

L’Ordre des carmes déchaussés a été fondé au xvie s. par Thérèse d’Avila (v. note [6], lettre 758) et par le moine espagnol Jean de la Croix (1542-1591), bienheureux (1675), saint (1726) et docteur (1926) de l’Église catholique. La grande qualité littéraire de ses poèmes mystiques lui a valu d’être consacré au xxe s. « Prince des poètes » espagnols.

Nicolas Bourbon, ne s’intéressant qu’aux livres latins, {a} avait pu lire les :

Opera mystica V. ac Mystici Doctoris F. Ioannis a Cruce primi religiosi discalceati ordinis D.V.M. de Monte Carmelo et Seraphicæ Virginis Theresiæ fidelissimi coadiutoris. Ex Hispanico idiomate in Latinum nunc primum translata, per R.P. F. Andream a Iesu Polonum eiusdem Ordinis Religiosum. Una cum Elucidatione Phrasium Mysticarum, quas Author in his suis Operibus usurpat. Quorum seriem versa pagina docebit.

[Œuvres mystiques du Frère Jean de la Croix, vénérable et mystique docteur, premier religieux déchaussé de l’Ordre des frères de Notre Dame du Mont Carmel, et très fidèle coadjuteur de Thérèse, vierge séraphique. {b} Pour la première fois traduites de l’espagnol en latin par le R.P. André de Jésus, religieux polonais du même Ordre. Avec un éclaircissement des expressions mystiques que l’auteur emploie dans ses œuvres, dont la page suivante procure la liste]. {c}


  1. V. supra note [43].

  2. Thérèse d’Avila.

  3. Cologne, Henricus Krafft, 1639, in‑4o en deux parties de 469 et 200 pages.

Sachant tout cela, il appartient à chacun de décider ce qu’a voulu dire le Borboniana : si Nicolas Bourbon se moquait des carmes déchaussés (va-nu-pieds), des poètes (dont il était lui-même), ou des deux castes à la fois. Nous en savons toutefois un peu plus sur l’exécration qui poussait les écrivains à imaginer que leur pire ennemi était mort dévoré par les poux, hors de toute vraisemblance médicale.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 3 manuscrit, note 49.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8204&cln=49

(Consulté le 28/03/2024)

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