À Charles Spon, le 1er avril 1653, note 5.
Note [5]

« et je n’en suis cependant pas surpris car je ne perds nullement de vue que l’auteur du livre est homme loyolitique ».

Dans les Erotemata [Interrogations] du P. Théophile Raynaud sur les « bons et mauvais livres » (Lyon, 1653, v. note [7], lettre 205) où Guy Patin avait « jeté un œil », la critique d’Érasme (1466-1536, v. note [3], lettre 44) se trouve aux pages 22‑23, dans la Partitio i (Libri Atheorum, num damnandi [Livres des athées à condamner maintenant] Erotemata iv (Libri eorum proscribendi ; ac primum impie facetorum, ut Rabelesii, atque Erasmi [Leurs livres qu’il faut proscrire, et en premier ceux dont les facéties sont impies, comme Rabelais et Érasme]) :

Locum sibi suum, in hac classe scurratum, de sapientissimorum hominum sententia, vendicat Desiderius Erasmus. Nam quamvis aliis præterea, nec tenuibus maculis sordent eius pleraque scripta, tamen eo nominatim ex capite reprehensioni proborum patuit, quod de rebus sanctissimis, tam iocularia, et ridicula chartis commisit, ut alter Lucianus audiret, mysteriis Christianæ fidei, et dogmatibus Christianis impia dicacitate et facetiis, eodemplane modo ac more exagitatis, quo Lucianus Deos suos derisit : de quo idcirco Eunapius in proœmio operis de vita Sophistarum et Philosophorum, illud breviter, ac vere dixit : [Lucianus Samosatensis, homo ad concitandum risum factus.] Quanquam Lucianus eatenus laudari poterit, quod specie dicacitatis, et urbanitatis, polytheismum acriter insectatus est, ut propterea Platonici eum valde commendarent : soli autem Poëtæ, tanquam Deorum suorum obscœnissimorum exagitatorem proscinderent, referente Isidoro Pelusiota lib. 4 epist. 55. At Erasmus, circa ipsa Sancta egit morionem. Gravissime, et merito, quoad Erasmum, de hoc expostulavit Albertus Pius, et in Antapologia pro Pio, Genesius Sepulveda, retundens diligenter, quæ Erasmus in Moria, (cuius plusquam viginti millia voluminum cusa, ipsemet Erasmus gloriatur in Apologia ad Iacobum Stunicam ;) itemque in libris colloquiorum, impiis illis iocis scatentium, ad suam qualemcumque purgationem protulerat.

Expostulat quoque Petrus Canisius lib. 5 de Deipara, cap. 10 Erasmum dum in rebus sacris Momum agit, magnam simul fenestram Luthero, et aliis erronibus aperuisse, ad religionem universam innovandam, eosque tumultus concitandos, quibus Christiana religio misere conscissa est ; non enim aliud fere Lutherus habuit, cuius exemplo ad audendum moveretur, quam Erasmi licentiam iocularem ; nisi quod Erasmus, callide duntaxat, non aperte, et ita ut iocos potius captare videretur, rem Christianam appetivit ; Lutherus, (ut erat proiectissimæ audaciæ,) abiecta persona, qua Erasmus nequitiam tegebat, manifeste ac palam grassatus est.

[Au jugement des hommes les plus sages, Érasme mérite bien sa place dans cette classe de flagorneurs. Quoique beaucoup de ses écrits, par-dessus ceux de quelques autres, soient souillés d’erreurs à ne pas tenir pour mineures, il a nommément donné prise au blâme capital des honnêtes gens car il a mis en ses livres tant de plaisanteries que de bouffonneries sur les plus saintes choses ; à tel point que ses plaisanteries et sa causticité impie à l’encontre des dogmes chrétiens et des mystères de la foi chrétienne le font sonner comme un autre Lucien : {a} il les a éreintés en recourant aux mêmes façon et manière que celles dont Lucien s’est servi pour railler ses dieux ; sur quoi Eunape, dans l’introduction de son ouvrage sur les Vies de sophistes et de philosophes, {b} a justement et sèchement dit « Lucien de Samosate, cet homme acharné à exciter le rire ». Quoique Lucien puisse être loué, au point que les platoniciens tout particulièrement l’ont fort recommandé pour avoir fustigé énergiquement et sans relâche le polythéisme en usant de la causticité et de la plaisanterie. Comme a dit Isidorus Pelusiota (livre 4, lettre 55), {c} les poètes sont les seuls à pouvoir déchirer celui qui tourmente leurs propres dieux les plus obscènes. Mais Érasme a agi en bouffon sur les questions saintes elles-mêmes. Avec beaucoup de gravité et avec raison, Alberto Pio s’est plaint là-dessus jusqu’auprès d’Érasme, {d} et Iohannes de Sepulveda, dans l’Antapologia pro Pio, {e} réprime avec soin ce qu’Érasme avait proféré, comme pour se purifier par tout moyen, dans son Éloge de la folie (laquelle Érasme lui-même, dans l’Apologie pour Iacobus Lopis Stunica, s’est glorifié d’avoir imprimé à plus de vingt mille exemplaires) ainsi que dans ses Colloques, livres qui fourmillent de ces passages impies.

Petrus Canisius (de Deipara, livre 5, chapitre 10) {f} se plaint aussi d’Érasme quand il a agi en Momus à propos des choses sacrées, {g} comme s’il avait ouvert une grande fenêtre à Luther et à d’autres vagabonds de son espèce, {h} pour renouveler la religion universelle et pour inciter au tumulte ceux qui ont mis la religion chrétienne en pièces ; c’est qu’en effet Luther n’a presque rien employé d’autre que la drôlerie effrénée d’Érasme, sur l’exemple de qui il aurait puisé son audace ; avec cette différence qu’Érasme a attaqué la chrétienté avec habileté seulement, non ouvertement, de sorte qu’il a plutôt paru chercher à plaisanter, quand Luther (car il était pourvu d’une audace sans limite), personne vile dont Érasme couvrait la fourberie, l’a quant à lui pourfendue ouvertement et manifestement].


  1. Lucien de Samosate : v. note [15], lettre 300.

  2. Eunape de Sardes, v. note [56] du Patiniana I‑4.

  3. Isidorus Pelusiota, théologien ascétique d’Alexandrie au ve s., auteur de 2 000 lettres recueillies en 4 volumes.

  4. Alberto iii Pio, comte de Carpi (1475-1530), prince humaniste italien lié aux Médicis et neveu de Pic de La Mirandole (v. note [53] du Naudæana 2), auteur de Tres et viginti libri in locos lucubrationum variarum D. Erasmi Roterdami quos censet ab eo recognoscendos et retractandos [Vingt-trois livres sur les passages des diverses élucubrations (v. note [2], lettre de François Citois datée du 17 juin 1639) d’Érasme de Rotterdam, qu’il estime devoir réviser et révoquer] (1531).

  5. Juan Ginés de Sepulveda (Cordoue 1490-1573), humaniste et théologien dominicain espagnol : Antapologia pro Alberto Pio in Erasmum Roterodamum [Antapologie (Anti-apologie) en faveur d’Alberto Pio contre Érasme de Rotterdam] (1532).

  6. Pierre Kanijs, jésuite hollandais (1521-1597) : Commentariorum de verbi Dei corruptelis Tomi duo. Prior de venerando Christi Domini præccursore Ioanne Baptista, posterior de sacrosancta Virgine Maria deipara disserit… [Deux tomes de commentaires sur les corrupteurs de la parole de Dieu. Le premier disserte sur la vénération de Jean-Baptiste précurseur du Christ notre Seigneur, le second sur la Vierge Marie, sainte et sacrée mère de Dieu…] (1583).

  7. V. note [37], lettre 301, pour Momus, dieu de la raillerie et des bons mots.

  8. Martin Luther (1483-1546), v. note [15], lettre 97.

V. note [15], lettre 745, pour un autre extrait de ce chapitre contre Érasme.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er avril 1653, note 5.

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(Consulté le 30/03/2024)

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