À Claude II Belin, le 14 mai 1630, note 9.
Note [9]

Guy Patin disait de Gabriel Naudé (Paris 2 février 1600-Abbeville 1653) qu’il était l’un de ses plus chers amis : ils s’étaient connus à la fin de leurs études parisiennes au collège, en 1620 (v. note [9] du Patiniana I‑4). Depuis environ la même époque, Naudé avait eu pour fidèle protecteur, et ce durant toute sa vie, Élie Diodati (mort en 1661, v. note [1], lettre 72).

Patin et Naudé avaient ensuite gagné les bancs de la Faculté de médecine. Toutefois, Naudé n’y prit aucun degré : le goût pour des livres l’ayant dévoré depuis l’enfance, il devint bibliothécaire de Henri ii de Mesmes (v. note [12], lettre 49) en 1622 ; il partit une première fois pour l’Italie en 1626, mais la mort de son père (un modeste officier des Finances) l’obligea à revenir à Paris en 1627. En 1631, Naudé devint bibliothécaire du cardinal Bagni (v. note [12], lettre 59), qui l’emmena à Rome où il séjourna onze ans. Comme en témoigne le Naudæana, il s’imprégna très profondément du génie italien de la philosophie, des lettres, des arts et de la politique. Il se fit aussi recevoir docteur en médecine à Padoue en 1633 après avoir disputé quatre thèses (réimprimées à Genève, Samuel Chouët, 1650, in‑8o) :

  • An Vita hominum hodie, quam olim brevior ? [La vie des hommes est-elle aujourd’hui plus brève que jadis ?] ;

  • An Matutina studia vespertinis salubriora ? [Étudier le matin est-il plus sain que le soir ?] (à Nicolas Peresc, v. note [10], lettre 60) ;

  • An liceat Medico fallere ægrotum ? [Est-il permis au médecin de tromper le malade ?] ;

  • De Fato et fatali vitæ termino [Sur la mort et la fin de la vie] (à Jan van Beverwijk).

Il n’est curieusement rien resté de la correspondance que Naudé et Patin durent échanger pendant cette longue période.

Le cardinal Bagni étant mort à Rome le 24 juillet 1641, Naudé fut de retour à Paris le 10 mars 1642, où les cardinaux Richelieu (mort le 4 décembre suivant) et Mazarin lui confièrent successivement le soin d’entretenir et d’enrichir leurs bibliothèques&nbs;: celle de Mazarin comptait 40 000 volumes en 1649.

En janvier 1652 (v. note [22], lettre 279), pendant la Fronde, cette splendide collection fut vendue à l’encan malgré les supplications de Naudé qui, moyennant 3 500 livres (tout son avoir), racheta les ouvrages de médecine. En juillet suivant, sans attendre le retour de Mazarin au pouvoir (février 1653), Naudé partit pour Stockholm où Christine, reine de Suède (v. note [11], lettre 127) l’avait invité à devenir son premier bibliothécaire ; mais le climat de Stockholm ne convenant pas à sa santé, il repassa en France et mourut près du terme de son périple, à Abbeville le 29 juillet 1653. Il ne reste rien non plus des lettres que Patin et Naudé se sont écrites pendant ce séjour en Suède (v. note [36], lettre 336).

Naudé a laissé de nombreux ouvrages d’érudition littéraire dont on trouve la trace au fil des lettres de Patin. Il est surtout connu pour avoir été le principal introducteur du libertinage érudit (v. note [9], lettre 60) à Paris, philosophie qu’il était allé puiser en Italie et dont il a teinté la plupart de ses écrits. Il a beaucoup influencé les lectures et les pensées de Patin, ce qui a donné à certaines de ses lettres le ton qui le fait aujourd’hui ranger parmi les libertins. Il a qualifié Naudé, célibataire endurci dont les mœurs étaient réputées irréprochables, de « terrible puritain du péripatétisme » (v. note [4], lettre 608). Sainte-Beuve b (volume ii, page 469), quant à lui, a déploré son style et en a fait « un sceptique moraliste sous masque d’érudit ».

Dans ses écrits politiques, Naudé pâtit encore d’avoir excusé toutes les actions du pouvoir, qui ne peut jamais avoir tort, selon lui, puisqu’il n’agit que pour sa conservation. Cette maxime l’a conduit, par exemple, à louer le massacre de la Saint-Barthélemy (v. note [30], lettre 211) dans ses Considérations politiques… (Rome, 1639, v. note [5], lettre 925).

Patin évoquait ici son :

De Antiquitate et dignitate Scholæ medicæ Parisiensis Panegyris. Cum orationibus encomiasticis ad ix Iatrogonistas laurea Medicinæ donandos. Auctore Gabr. Naudæo, Paris. Phil.

[Panégyrique de l’ancienneté et dignité de l’École de médecine de Paris ; avec les éloges des neuf bacheliers lauréats de médecine. Par Gabriel Naudé, philiatre de Paris]. {a}


  1. Paris, Jean Moreau, 1628, in‑8o.

Ce titre est suivi de la devise de Naudé qui, on le remarque, ne se targuait que du titre de philiatre (étudiant en médecine) de Paris, n’y ayant pas même atteint le grade de bachelier (iatrogonista, « enfant de médecine ») : Divitiis animosa suis [Fière de ses trésors] (attribut de la vertu dans Claudien, Panégyrique sur le consulat de Manlius Theodorus, vers 25). Le privilège est daté du 2 août 1628 et la première dédicace, au Collège des médecins de Paris (alors dirigé par le doyen Nicolas Piètre), du 1er du même mois. La seconde dédicace (pages 10‑11) est adressée au chancelier de l’Université de Paris (v. note [39] des Décrets et assemblées de la Faculté de médecine de Paris en 1651‑1652, dans les Commentaires de Guy Patin sur son décanat) qui avait invité Naudé à prononcer ce discours de vespérie (bien qu’il ne fût pas docteur en médecine de Paris) :

Pareo lubens tuis mandatis (Illustrissime Cancellarie) meque acerrimi tui judicii censura ad hanc præconiis, aut potius Encomiastæ provinciam selectum, coram te sisto ; ut qui mihi onus illud gravissimum imposuisti, et periculosæ plenum opus aleæ injunxisti ; sic etiam, et vires ad illud sustinendum, et mentem ad fortiter agendum, et linguam omni vinculo solutam ad eloquendum, ex singulari benevolentiæ tuæ consuetudine non deneges : atque mihi in procinctu ad dicendum constituto, jam jamque laboriosissimos Iatrogonistas ad Bravium, et Coronam vocanti, tanta, tamque benigna gratiæ non vulgaris, et favoris aura cum insigni potestatis tuæ concessa lenius aspiret ; ut, o Brabeuta sapientissime !

Dulcem qui strepitum Pieri temperas,
O mutis quoque piscibus
Donature cygni si libeat sonum,
Totum muneris hoc tui sit,

Quod dicam, quod orem, quod laudem, quod placeam.

[Je me soumets volontiers, très illustre chancelier, à vos ordres et à la censure de votre jugement si pénétrant. M’ayant choisi pour prononcer ce discours, ou plutôt cet éloge, je me présente à vous comme à celui qui m’a imposé cette très lourde charge et cette tâche pleine de péril. Aussi donc, par votre habituelle et particulière bienveillance, vous ne dédaignerez ni l’énergie que j’ai mise à y parvenir, ni mon ardeur à le faire hardiment, ni ma langue déliée de toute entrave à déclamer. Dans cette joute oratoire que je me suis assignée pour inviter bientôt les enfants de médecine à la victoire et à la couronne, soufflera la si grande et bienveillante réputation de grâce hors du commun et de faveur, qui s’accorde avec la distinction de votre pouvoir. En sorte que, ô très sage arbitre !

« toi qui modères le doux murmure de Pierus, toi qui donnerais le chant du cygne {a} aux poissons morts, si on t’en confiait la charge », {b}

voilà ce que je dis, ce que je plaide, ce que je loue, ce qui m’est agréable.


  1. V. notule {b}, note [8], lettre 325.

  2. Citation d’Horace dont Naudé a fourni la source (Odes, livre iv, 3, vers 18‑21). Pierus est le père des Muses.

Les deux odes préliminaires prouvent combien leurs auteurs, Pierre Gassendi et Guy Patin, étaient amicalement liés à Naudé. La première (pages 12‑14) est une longue parénèse (exhortation). Le quatrain de Patin, son compagnon d’études (alors tout jeune docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, reçu en décembre 1627), se lit plus facilement (page 14) :

Dum reddis luci Asclepi, Naudæe, nepotes
Doctaque turba libro stat rediviva tuo ;
Iamdudum meritis numquam peritura reponis
Præmia, et Iatricæ redditur artis honos
.

[Ô Naudé, voici que tu amènes à la lumière les enfants d’Esculape, et leur docte troupe s’en trouve revivifiée. Tu confères maintenant leurs prérogatives éternelles à ceux qui les ont bien méritées, et tu honores l’art de soigner].

Le discours de paranymphe recense sans grand relief les gloires passées et présentes de la Faculté de médecine de Paris. Viennent enfin les éloges (discours encomiastiques) des neuf licenciés de 1628, rangés dans leur ordre (lieu) de mérite : Nicolas Brayer de Château-Thierry (v. note [2], lettre 111), Pierre Guénault d’Orléans (v. note [6], lettre 97), Sébastien Rainssant de Châlons-en-Champagne (v. note [6], lettre 240), Jean-Baptiste Ferrand d’Angers (v. note [38], lettre 523), Jean Vacherot (v. note [11], lettre 325), Nicolas Héliot (v. note [4], lettre 164) et Hugues Chasles (v. note [25], lettre 417) de Paris, Georges Joudouin de Rouen (v. infra, note [10]), et enfin Jean Complainville de Paris (v. note [11], lettre 7).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 14 mai 1630, note 9.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0003&cln=9

(Consulté le 25/04/2024)

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