Danielle Gourevitch
Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (Paris)
21, rue Béranger, 75003 Paris
dgourevitch@noos.fr

Résumé

L’auteur examine certains documents archéologiques rémois et retrace leur histoire, notamment celle de cachets d’oculistes et d’un monument peut-être funéraire, avec femme allaitant.

Mots-clés : Rome, Reims-Durocortorum, cachets à collyre, femme allaitant, savants rémois, médecine, archéologie

Abstract

Medicine and Roman archaeology in Reims

The author present a few archaeological documents from Reims, mainly collyrium stamps and a monument showing a woman suckling a child.

Keywords : Rome, Reims-Durocortorum, collyrium stamps, suckling woman, scholars from Reims, medicine, archaeology.

Pour les antiquisants, Reims s’appelle Durocortorum; c’est la cité des Remi, en Gaule belgique, surtout célèbre pour son « cryptoportique », construction semi-souterraine sur trois côtés, sur l’actuelle place du Forum, vraisemblablement lieu de stockage et de vente de denrées alimentaires. C’est là que j’aurais voulu vous faire ma présentation, mais cela n’a pas été possible ! Par contre la visite au musée Saint-Rémi a permis de voir quelques objets auxquels je me réfère, et, grâce à Thibault Monier, leur photographie illustre mon propos.

I. CACHETS À COLLYRE

Les cachets d’oculiste ou cachets à collyre sont des pierres dures en forme de parallélépipède rectangle plat, inscrites sur leurs quatre petites faces pour imprimer des médicaments composés, lors de leur phase molle ou pâteuse. Ils sont, semble-t-il, considérés comme des biens relativement précieux, puisqu’ils sont évoqués dans quelques textes de droit romain, relatifs à l’héritage des médecins. Il arrive aussi que ces petites pierres soient ensevelies avec ses autres instruments professionnels dans la tombe du médecin.

La plupart de ceux que nous connaissons sont destinés à l’oculistique, d’où l’expression consacrée, mais nous verrons que l’usage d’estampiller les remèdes n’est pas le propre de l’oculistique. Sans qu’on s’explique vraiment pourquoi, de tels cachets ne se trouvent pour ainsi dire que dans les Gaules. Ils ont fait l’objet de catalogues successifs, jamais complets, car on ne cesse d’en trouver de nouveaux. Le dernier catalogue est celui du docteur Jacques Voinot, Les cachets à collyres dans le monde romain, avec une préface de Ralph Jackson (conservateur du Romano-british department au British Museum de Londres), Montagnac, Ed. Monique Mergoil, 1999, viii, 368 p. C’est dans la première édition, celle de1981, que j’ai puisé, avec sa numérotation.

Reims avait alors livré treize de ces cachets, presque tous disparus pendant la grande guerre. Dans ce cas, ils sont connus par des photographies directes, ou par les photographies de moulages faits avant leur disparition. Ces moulages sont conservés à Saint-Germain-en-Laye.

Le premier (Saint-Germain 850) a été découvert en 1854 dans une tombe avec des instruments de chirurgie et une balance, ainsi que deux monnaies qui le datent avec un terminus post quem (Antonin le Pieux et Marc Aurèle). La tombe contenait aussi une certaine quantité d’un collyre sec (cf. II 1). En stéatite noire, il porte en abrégé le nom du préparateur ou du propriétaire : G Firm Sever, à comprendre au génitif, de Caius Firmus (ou Firminus) Severus, et son ingrédient principal diasmy = dia smyrnion, translittéré du grec, « à la myrrhe ». Reims 12, trouvé en 1897, en stéatite grise, disparu, très incomplet, probablement cassé lors de la fabrication , peut-être à la myrrhe si on doit bien lire dias comme sur le premier. Reims 10, de1886, tombé dans un hypocauste, ce qui est inquiétant pour l’hygiène dans les bains romains (moulage 34328, l’original est disparu), est encore à la myrrhe (myrnes).

Du second du catalogue de Voinot, Reims 2, découvert en 1854 comme Reims 1, reste un moulage (Saint-Germain 34327) ; il est en stéatite verte. On reconnaît le nom du médecin, deux fois, un certain Plotinus ; l’ingrédient qu’est la myrrhe ; et deux indications thérapeutiques : ad cla oc = ad claritudinem oculorum, « pour la bonne vision des yeux », et sur l’autre face postimpe, post impetum, « après la phase d’accès ». Le nom claritudo, acuité visuelle, bonne vision, assure qu’il s’agit bien là d’un cachet pour médicament oculaire.

Le troisième a été trouvé en 1870 (moulage Saint-Germain 34322) ; également en stéatite verte, il est gravé sur ses quatre petites faces, ce qui permet le maximum d’usage. Il est exceptionnel qu’une grande face porte une inscription, mais celui-ci semble en avoir porté une sur une grande face, que le moulage n’a pas reproduite. On pense que les grandes faces servaient de support pour broyer le médicament sec quand le moment de l’utiliser était venu : alors il fallait en effet le broyer finement pour le mélanger à un excipient. Ici les indications sont les phases d’accès des maladies des yeux, ad impetus oculorum ; et ad aspritudine(m), probablement l’induration des paupières. Parmi les ingrédients, la myrrhe encore, et les raclures de cuivre (lepis)

Le quatrième (moulage Saint-Germain 34323) est en schiste vert. Une des faces porte une indication d’un type que nous n’avons pas encore rencontré : penicille, qui indique vraisemblablement une application au pinceau fin après dilution.

Avec Reims 5, trouvaille non datée (moulage 34324), en schiste gris cette fois, on retrouve l’indication d’aspritudo et d’impetus. Plus un nom-clef de la nosographie oculaire, lippitudo, la maladie grasse de l’œil, toute maladie impliquant un écoulement épais et suintant.

Reims 6, découvert en 1880, en schiste vert, est à base de fleur de cuivre, dia lepidos (grec translittéré mais non latinisé) ; il vise la bonne cicatrisation des lésions, ad cicatri = ad cicatrices, au pluriel, ou ad cicatricem, au singulier, soit que le remède évite les chéloïdes, soit qu’il les efface ou les atténue.

Reims 8, trouvé en1882 dans un cimetière antique, a fini par atterrir à Mayence, tandis que son moulage est à Saint-Germain (34325). Il signale notamment un remède adoucissant lenem, et précise que, dans ce cas, il faut mélanger le médicament composé avec de l’œuf (d’habitude du blanc d’œuf) ex ovo.

Reims 9, 1883, en stéatite verte, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale avec le numéro 4707.7, offre une indication nouvelle, ad diathes = ad diathesin, mot grec, pour une gêne de l’œil plutôt qu’une maladie franchement déclarée. Et un ingrédient nouveau, diami = dia misu, également translittéré du grec, à base de métal, un métal de couleur jaune, non clairement reconnu, minerai de cuivre ou terre vitriolée selon les différents avis. Notons que le même tiroir de médailler abrite aussi des fragments de collyre inscrit, provenant de Reims ; ils portent le mot nardinum, et on envisage leur analyse chimique.

Quant à Reims 11, il est particulièrement intéressant s’il a vraiment été trouvé en zone funéraire (cimetière du IIe-IIIe siècle de notre ère) à côté d’une urne qui contenait des os calcinés bien sûr, mais aussi un couteau pliant à lame courte et les restes d’un étui en cuivre, ainsi que des fragments d’os de seiche, ce qui ne prouve pas une activité médicale mais ne la contredit pas non plus. Le mort incinéré pourrait donc être le Gentianus qui apparaît sur les quatre faces du cachet de stéatite verte, très bien gravé, et qui se trouverait aujourd’hui au Musée d’histoire de la médecine, à Paris.. Comme nouveauté par rapport à ce que nous avons déjà vu, il apporte le mot herbacium (erbac sur une grande face), médicament aux simples.

On remarquera la relative fréquence des pierres vertes, par un curieux effet d’assimilation : la couleur verte reposant la vue, la pierre verte du cachet prépare en quelque sorte ce repos oculaire.

Deux cachets sont aujourd’hui visibles à Saint-Rémi. Et d’abord le cachet en stéatite de Férox, crocodes, ad veteres cicatrices : il s’agit de Reims 7, découvert en 1880, en schiste ardoisier, qui précise sur quel type de cicatrices le remède entend agir, les cicatrices invétérées, veteres. Il est à base de safran (crocodes), ou du moins il est de couleur jaune pour faire penser au safran. Mais on a pu vérifier que des médicaments ainsi labellisés pouvaient ne pas comporter de safran du tout, le laissant croire cependant par leur couleur. Le mot de cicatrix ne vise pas uniquement les cicatrices, et c’est là un cas qui peut faire douter de la spécialisation ophtalmologique de ces sceaux. Puis celui, plus complexe, de C. Censorinus Vérus, en schiste, Reims 13, trouvé à Reims en 1905, et gravé sur ses quatre petites faces : pour un médicament au misu, un sulfate, encore contre les cicatrices ; un autre à base de safran, crocodes, est utile ad ect(ropion), mot grec qui désigne le retournement de la paupière inférieure. Un troisième, désigné comme euodes, « qui sent bon », en grec translittéré, est prescrit ad diatheses, mot déjà évoqué ; et le dernier, Palladi ad as(pritudines) : le nom de la maladie a déjà été commenté ; mais c’est le nom du remède (Palladium) qui apporte une nouveauté, car ce « médicament de Pallas » (ou Athéna) est mis en quelque sorte sous la protection de la déesse « aux yeux pers », célèbre pour son regard.

II. LA COMPOSITION DES MEDICAMENTS ESTAMPILLES

Les médicaments estampillés sont généralement des « collyres » au sens antique, petit pain ou petit boudin de remède, duquel on coupe la dose nécessaire. On peut aujourd’hui y prélever des échantillons pour en faire l’analyse chimique, comme on peut aussi analyser d’autres médicaments conservés secs, des « pastilles » à l’antique, plats et circulaires, plus petits, ou tout récemment l’extraordinaire crème de beauté trouvée presque intacte dans sa pyxide d’étain, à Londres, qui n’est encore que partiellement publiée.

Or dans la tombe attribuée à C. Firminus Severus, le cachet de 1854 (Reims 1 = Saint-Germain 850) était, on s’en souvient, accompagné d’une masse médicamenteuse d’environ 40 grammes, répartie en une vingtaine de fragments estampillés, sur lesquels on peut reconnaître le nom d’un illustre spécialiste des yeux, Marcellinus ou d’un homonyme avide de gloire, et celui de deux ingrédients, nardinum = nard, et libanum = encens. Malheureusement il n’allait pas de soi que de tels remèdes fussent alors analysés : le Dr Octave Guelliot (1854-1943), qui s’intéressait aux cachets et aux bâtonnets de remèdes, eut ainsi l’occasion d’écrire deux articles dans les Travaux de l’Académie de Reims, 107, 1889-1890, le premier saluant « Deux nouveaux oculistes gallo-romains », p. 183-193, l’autre décrivant le « Bâton à collyre à la marque de M. Jucundus », p. 187-193, où il exprimait des regrets, considérant qu’« il eût été certainement intéressant de faire une analyse chimique du bâton de collyre que nous décrivons ; (mais)… la pièce est assez rare pour qu’on la conserve dans toute on intégralité ». Autre temps, autres mœurs archéologiques ; conservatrices en apparence, dangereuses en réalité, puisque la plupart de ces pièces rémoises allaient disparaître sous les bombes.

Duquénelle et Baudrimont dont nous allons parler plus bas avaient été plus audacieux, et s’étaient lancés dans l’analyse de certains collyres de Reims : dans le collyre au nard, ou « collyre brun », ils trouvèrent matière organique azotée, silice, peroxyde de fer, oxyde noir de cuivre, oxyde de plomb, carbonate de chaux. Le « collyre rouge » était plus riche en plomb et en fer.

Pus tard le colonel Espérandieu, qui s’occupait alors du tome XIII du CIL, Corpus inscriptionum latinarum, dans lequel entraient les cachets, demanda une expertise au célèbre Marcellin Berthelot, qui s’attaqua à un prélèvement sur un collyre appartenant à Mowat : il y trouva céruse, carbonate de chaux, oxyde de fer, phosphate de chaux et diverses substances azotées, ni zinc ni étain. Par la suite l’ophtalmologue parisien, Marc-Adrien Dollfus, historien de sa discipline, demanda à Serge Lantier, alors conservateur du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, de reprendre le problème en confiant à Charonnat ce qui restait des collyres rémois : celui-ci ne put le faire car il mourut accidentellement lors d’une excursion organisée par l’Association Guillaume Budé !

C’est la superbe découverte de Lyon qui a fait très sérieusement avancer la connaissance de ces produits composés, grâce à un ensemble exceptionnel et à une très belle étude pluridisciplinaire.

III. Après Octave et Marcellin, Victor, Ernest et Robert…

Après Octave Guelliot déjà évoqué, je supposerai connu Marcellin Berthelot, le savant chimiste poussé vers l’Antiquité par son ami Ernest Renan, et j’en arriverai à Victor Duquénelle : je n’en connais pas les dates, mais j’ai pu trouver que, membre de l’Académie de Reims, il avait écrit un Catalogue de médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en novembre 1843, 1844 ; une Physiologie de l’antiquaire, en 1849 ; une Note sur quelques antiquités trouvées à Reims, 1853 ; et un Catalogue de monnaies romaines découvertes à Signy-l’Abbaye (Ardennes), Reims, Impr. de Dubois, 1865. À l’occasion de la XXVIIIe session du Congrès Archéologique de France, qui s’était tenue à Reims, à l’Aigle, à Dives et à Bordeaux en 1861, il avait présenté un Mémoire sur les antiquités trouvées à Reims : Sculptures.-Vases en verre.-Bronzes, publié par la Société française d’Archéologie, Paris, Derache, Caen, Chez A. Hardel, 1862.

Ernest Baudrimont (1821-1885), pharmacien, s’intéressait aux substances alimentaires et médicamenteuses. Il collabora aux rééditions successives, dans les années 1870, de l’ouvrage d’Alphonse Chevallier, Dictionnaire des altérations et des falsifications des substances alimentaires, médicamenteuses et commerciales. J’ai repéré aussi par exemple une note sur l’« Analyse du gaz contenu dans les gousses du baguenaudier », arbrisseau méditerranéen, dont les fruits, remplis d’air, éclatent avec bruit quand on les presse. Et sa leçon inaugurale du deuxième semestre 1872, en tant que professeur à l’École supérieure de pharmacie.

A joué un rôle dans la conservation des cachets, un certain commandant Robert Mowat (1823-1912), d’origine britannique par son père, Anglais naturalisé, passionné d’archéologie depuis ses douze ans dans la bonne ville de Metz. Devenu polytechnicien, puis élève de l’Ecole d’application d’artillerie, il fait une carrière honorable mais non brillante. Prisonnier oisif à Stettin, il se forme en épigraphie en lisant Mommsen malgré la gallophobie de ce savant. En retraite en 1877, il s’installe à Paris, et se livre à sa passion antiquisante. Il n’écrit que de la « micrographie », selon la formule de Salomon Reinach, aime les petits articles minutieux et, sentant la mort venir, donne (ou vend ?) une bonne part de ses collections au Cabinet des médailles, notamment 410 pièces contremarquées et une belle série de cachets d’oculiste : c’est ainsi que fut sauvé l’un des cachets de Reims, n° 9 de notre série. Il avait notamment écrit sur « Un nouveau cachet d’oculiste romain, trouvé dans la commune de Coullanges (Puy-de-Dôme) », Clermont-Ferrand, F. Thibaud, 1881, fascicule in-8˚, de 7 pages avec figure, extrait des Mémoires de l’Académie de Clermont.

IV. LA STELE DE LA FEMME ALLAITANT

L’archéologue Philippe Rollet, de l’AFAN de Reims, fut l’inventeur en 1999, rue Belin, d’un bloc sculpté sur trois faces, mais mutilé, resté inédit jusqu’à la contribution de Mme Nicole Moine pour les Mélanges Jean-Pierre Martin, présentée en 2004 et sous presse. Haut de 83 cm (au lieu d’1 m 30 env. dans sa version intacte), large de 107 et épais de 65, 5, ce bloc appartenant à un monument funéraire, taillé dans un calcaire local, relativement tendre et facile à travailler, date de la deuxième moitié du IIIe siècle. Malheureusement sa face antérieure a été retravaillée ou mutilée, aplanie en tout cas, les sculptures n’étant plus lisibles que dans la partie centrale, avec trois adultes et un enfant. Celui-ci semble chercher à saisir un pan du manteau de l’adulte placé à sa droite. Mais c’est la face latérale gauche qui nous intéresse particulièrement, car c’est là que figure la femme allaitant, dans une scène très différente de la fameuse scène de l’autel de Cologne (qui lui est postérieure), dans laquelle la nourrice Sévérina allaite le poupon qui lui a été confié par sa famille. Je ne peux en publier la photographie, car sa publication n’est pas achevée.

« Vue de trois quarts, tournée a droite, (elle) est assise sur un siège (avec coussin), vêtue d’une ample tunique à manches longues, qui forme un épais bourrelet sous les cuisses, et largement échancrée. Le pied gauche posé à plat, le droit calé sur un banc, elle est penchée en avant pour mieux offrir son sein gauche, soutenu de la main droite, à un enfant en tunique assis sur un de ses genoux et qu’elle enserre de son bras gauche ». On peut la comparer à la nourrice Sévérina, sur son autel funéraire, à Cologne.

Ce qui est tout à fait étonnant à mes yeux, c’est que le petit enfant porte une tunique qui lui couvre les genoux, alors que, à ma connaissance, pour ainsi dire toutes les autres scènes d’allaitement du monde gallo-romain, anecdotique ou religieux, font apparaître des bébés dans les langes. On rappellera une statuette aujourd’hui disparue qui faisait partie des collections du musée Habert de Reims, précisément, qui représentait une Mère, assise, donnant le sein à un poupon emmailloté qu’elle tenait sur les genoux, elle-même ayant le pied gauche légèrement surélevé sur un petit tabouret, la position de sa jambe lui permettant ainsi de tenir facilement l’enfant au bon niveau.

Le musée Saint-Rémi a permis de voir des statuettes de déesses-mères tenant contre leur sein des poupons qu’elles allaitent, et un bébé étroitement langé dans son berceau, terre-cuite hors contexte, mais qui est très probablement un ex voto, provenant de Bavay, Bagacum gallo -romain, également en Gaule belgique, dans le nord de la France.

L’enfant debout sur la face principale de ce nouveau monument est-il celui de cette face latérale ? Dans un contexte de nécropole riche, s’agit-il d’un monument de nourrice, particulièrement inhabituel ? Ou le monument est-il romain, et non gallo-romain, les Romains préférant l’image de l’enfant petit homme en tunique, les gallo-romains celle du poupon ? On connaît bien en Gaule romaine, plus précisément à Saintes, une femme allaitant ayant sur les genoux un petit enfant en tunique, et dont se voient bien les jambes, mais celui-ci est le grand frère assis sur la jambe gauche de la femme, qui tient dans son bras droit le poupon emmailloté qu’elle allaite à droite. Ou encore s’agit-il d’une scène symbolique, d’allaitement mythique, pour un personnage ou une famille dont nous n’avons pas idée, une sorte de charité romaine renouvelée ?

Faut-il la rapprocher d’une statuette de terre cuite, assez surprenante elle aussi, provenant de Bordeaux et conservée au Musée des antiquités nationales, qui montre une Mater assise écartant sa tunique pour donner le sein (droit) à un petit bonhomme debout, déjà grandet, jambes et fesses nues, qu’elle maintient contre elle en lui tenant les épaules ? Il semble en tout cas avoir largement dépassé l’âge du sevrage !

Terre blanche, fine, très dure… Le fauteuil est aussi haut que la femme assise… La femme, assise, le corps penché en avant et à gauche, entoure de son bras droit un enfant debout dont la chemise à manches longues est ceinturée, relevée sur les reins… Les jambes et les fesses de ce dernier sont nues… Son bras droit est posé sur la cuisse droite de la femme et sa main sur le poignet gauche de cette dernière qui relève sa robe au-dessus du sein droit auquel il boit. La femme est assise, les jambes en biais, pour que l’enfant soit à l’aplomb du sein droit… Le mouvement des bras est joli, le geste maternel… » d’après Michèle Rouvier-Jeanlin, Les figurines en terre-cuite au Musée des Antiquités nationales, supplément XXIV à Gallia, Paris, CNRS, 1972, n° 417.

La publication de l’ensemble du monument rémois est très attendue.

Notes

[1] Muriel Pardon, auteur d’une thèse récente sur l’oculistique dans le monde romain, en prépare une nouvelle édition, plus conforme aux usages académiques.
[2] Pour ce mot on verra la communication de Muriel Pardon « Les noms grecs des affections palpébrales attestés dans le De medicina de Celse », à paraître dans les Actes du colloque de La Corogne (2004), Textes médicaux latins antiques et médiévaux.
[3] Cf. pour les estampillages de remèdes, Marie-Hélène Marganne, « Les médicaments estampillés dans le corpus galénique », in A. Debru ed. Galen on pharmacology, Leyde, Brill, 1997, p. 153-174, et pour une synthèse sur leur composition, Danielle Gourevitch, « Collyres romains inscrits », Histoire des sciences médicales,23, 1998, p. 365-372.
[4] Pour la fabrication de ces remèdes, cf. Danielle Gourevitch, « Fabriquer un médicament composé, solide et compact, dur et sec : formulaire et réalités », in Manus medica, études réunies par Françoise Gaide et Frédérique Biville Publications de l’université de Provence, Aix-en-Provence, 2003, p. 49-68.
[5] Pour les « pilules » cf. Danielle Gourevitch, « Pilules romaines. Noms et réalités », Etudes luxembourgeoise, Vol. 3, La thérapeutique dans l’Antiquité. Pourquoi ? Jusqu’où ?, 1999, p. 40-60.
[6] Il allait aussi écrire sur un « Cachet inédit de l’oculiste Gentianus », Reims, H. Matot, 1891, un petit in 8° de 12 pages, extrait de L’Union nationale du Nord-Est, du 15 février 1891.
[7] Cf. Bernard Guineau, « Étude physico-chimique de la composition de vingt collyres secs d’époque gallo-romaine », Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1989, p. 132-140 ; et sous la direction de Raymond Boyer, « Découverte de la tombe d’un oculiste à Lyon », Gallia, 1990, « Les collyres », p. 235-246 de Boyer et Guineau.
[8] Voir sa notice nécrologique par Victor Chapot, dans le Bulletin de la Société des antiquaires, 3 mai 1916, p. 67-86.
[9] Sur cette craie, on lira Gilles Fronteau sur le site internet « AFAN Reims ». L’AFAN a aujourd’hui été rebaptisé l’INRAP.
[10] Cf. Danielle Gourevitch, « Les gestes de la maternité : autour d’une stèle de Cologne », Bulletin des antiquités luxembourgeoises, 21, 1991-1992, p. 177-193, 4 fig.
[11] Communication sous presse de Nicole Moine pour les Mélanges Jean-Pierre Martin.
[12] Les collections de ce musée ont disparu dans un incendie dû à la guerre. La sculpture est connue grâce au petit livre de Salomon Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, Paris, 1ère édition, 1897, nombreuses rééditions.
[13] On verra des éléments de réponse dans une précédente contribution de Nicole Moine, « Images de l’enfant en Gaule romaine. À propos d’un livre récent (= Gérard Coulon, L’enfant en Gaule romaine, Paris, 1994, p. 49-52, lequel a été largement modifié pour la réédition de 2004) », in P. Ellinger dir. L’Enfant et la mort, Reims, PU Reims, 1997, p. 107-123.

Remerciements à Thibault MONIER pour ses photos de Saint-Rémi.