Pierre LAUDET
Docteur en Sciences Odontologiques,
Conservateur du Musée Dentaire de Toulouse

Dans l’exposé qui va suivre, notre propos n’est pas de faire une présentation exhaustive de la réglementation de l’exercice de la médecine, de la pharmacie, de la chirurgie, de l’art dentaire ou autres professions, le temps qui nous est imparti n’y suffirait pas, mais plutôt de  » peindre  » sommairement ce XVIIIe siècle français en présentant divers aspects de ces modes d’exercices (légaux ou illégaux) ayant une relation proche ou lointaine avec l’art dentaire.

De nombreux textes concernant le XVIIIe siècle en France font apparaître que la pratique de l’art dentaire à cette époque fut le fait de toutes sortes de gens.

L’exposé qui va suivre a pour but d’essayer de montrer que du début du XVIIIème siècle jusqu’à la révolution de 1789 l’exercice illégal de la chirurgie en général et de la chirurgie dentaire en particulier fut presque toujours dénoncé et les illégaux poursuivis.

L’évolution de la réglementation concernant la chirurgie, les textes qui définissent et limitent les rôles des métiers ayant rapport avec la santé plaident déjà en faveur de cette thèse.

Peut-on dire que ces textes ne furent pas toujours respectés ? Certes oui.

Le furent-ils moins qu’à d’autres périodes de l’histoire de France : nous ne le pensons pas.

Y avait-il une  » tolérance » pour la pratique illégale de la chirurgie et de la chirurgie dentaire en particulier en France au XVIIIe Siècle ?

Nous ne le croyons pas non plus, en tout cas pas avant la période révolutionnaire.

Au XVIIIe Siècle en France, plusieurs mots désignent certains types de métiers ou d’activités pas toujours très bien définis. Voici les principaux :

  • barbiers,
  • chirurgiens, maîtres-chirurgiens,
  • barbiers chirurgiens, chirurgiens-barbiers,
  • médecins, docteurs,
  • opérateurs (certains qualifiés précisément : opérateurs pour les dents, pour les yeux, etc…)
  • apothicaires,
  • vendeurs de drogues, (notamment vendeurs d’orviétan)
  • dentistes,
  • experts pour les dents,
  • experts-dentistes,
  • chirurgiens dentistes, (avec ou sans trait d’union)
  • arracheurs de dents,
  • charlatans,
  • guérisseurs,
  • empiriques,
  • illégaux,
  • saltimbanques, amuseurs, acteurs de théâtre, etc…

Devant ces dénominations ou ces qualificatifs, la confusion règne car ils ont été souvent appliqués à tort et à travers.

Par exemple : On a souvent désigné les personnes ambulantes sillonnant les sentiers de France dressant théâtres ou tréteaux à l’occasion parfois de foires ou de marchés, sous le vocable de baladins, de saltimbanques, de charlatans, d’opérateurs, de dentistes, de vendeurs de drogues, d’empiriques ou d’illégaux, etc…

Il s’agissait parfois de la même personne : l’étude de leur cas fait souvent apparaître en effet des individus possédant des diplômes ou des autorisations.

Il semble que leur situation, lorsqu’elle fut illégale, ne le fut pas longtemps, qu’elle fut très peu tolérée et en tout cas presque toujours dénoncée, poursuivie, jugée ou punie.

La réglementation de la chirurgie pour les villes et les campagnes pour Paris et la Province comprenait tout le territoire de France.

VIDAL et COLL écrivent : 

En 1699, parmi ceux qui participaient aux soins donnés aux malades et aux blessés, arrivaient très largement en tête les empiriques et les guérisseurs. Ils étaient partout présents et agissaient en toute liberté et en toute impunité.

Il faut ajouter à cette médecine des guérisseurs miracles, une chirurgie de gens sans titre… .  Il s’agissait d’opérateurs utilisant des procédés en général assez éloignés des règles classiques. C’était la chirurgie de l’aventure… .

Un certain mépris était attaché aux soins de la vessie, des articulations et des dents.

Les qualificatifs servant à désigner ceux qui remplissaient ce rôle montrent bien ce que l’on pensait d’eux : renoueurs d’os…, arracheurs de dents… .

Cette chirurgie empirique… était aussi imprécise et variée, que le nom servant à désigner ceux qui la pratiquaient.

Toujours d’après VIDAL et COLL :

Ces opérateurs n’avaient pas leur place dans le monde des chirurgiens, puisqu’ils n’avaient aucun titre et qu’ils n’étaient pas [en 1699] soumis à des règles corporatives…

Venaient ensuite, par le nombre et par l’audience qu’ils avaient auprès des malades, les chirurgiens.

Presque tous les chirurgiens assuraient la vente des drogues…

Peu nombreux étaient les médecins. Ils n’exerçaient que dans les villes.

D’après VIDAL et COLL, en 1699, on en comptait à peine un millier pour tout le Royaume.

Telle était la situation à la fin du XVIIe Siècle.

L’Edit Royal de 1699 va essayer de mettre un peu d’ordre dans cette situation et créer les  » chirurgiens particuliers  » dont l’activité, le savoir et l’adresse se limitaient à une ou quelques parties de la chirurgie.

Parmi eux on va définir les premiers experts pour les dents.

VIDAL dit :  » qu’on veut éliminer les trop nombreux charlatans qui s’étaient infiltrés dans les communautés ou les collèges « . 

De même qu’il crée des  » spécialistes « , l’Edit de 1699 va réglementer la chirurgie en général et l’exercice de l’art dentaire en particulier : L’article [ 50] précise :  » il sera fait défense à tous bailleurs, renoueurs d’os, aux experts pour les dents… et tous autres exerçant telle partie de la chirurgie qui soit… d’avoir aucun étalage ni exercice dans la ville et faubourgs de Paris,… s’ils n’ont été jugés capables… » etc…

D’autres textes (1719 pour Versailles, 1723 pour l’ensemble du Royaume) compléteront l’Edit de 1699. En 1728 on peut lire dans le traité  » Le chirurgien-dentiste ou traité des dents  » de Pierre FAUCHARD :  » des gens sans théorie et sans expérience pratiquent l’art dentaire n’ayant ni principe ni méthode « .

FAUCHARD ne désigne pas là des illégaux. Il fait référence seulement au savoir ou à l’expérience, non au droit d’exercice. Ceci doit être souligné.

En 1730 des Lettres Patentes reprenant l’Edit de 1699 légifèrent pour la Province Française entière.

Ainsi, peut-on dire qu’à partir de 1730 en France, nul ne pourra exercer exclusivement l’art dentaire s’il n’a été au probable jugé apte par la Communauté des chirurgiens.

L’autorisation d’exercer donnée par la Communauté n’avait de valeur que pour le territoire où s’étendait son pouvoir de juridiction.

Lorsque un expert-dentiste pénétrait dans une ville ou faubourg soumis à la loi d’une autre Communauté, il devait se faire recevoir à nouveau ou bien se faire  » agréger  » par cette nouvelle communauté.

En 1730, que faire pour calmer une douleur dentaire ?

On pouvait utiliser des médicaments.

La distribution de ceux-ci était réglementée mais cette législation n’entre pas dans le cadre de notre étude.

Il semble toutefois qu’en dehors des apothicaires, certaines personnes parfois nommées  » opérateurs  » faisaient le commerce de drogues, tels les marchands d’orviétan ou de thériaque.

Pierre BARON en a longuement parlé. Ces marchands (sédentaires ou itinérants) pouvaient se doubler parfois d’un titre légal de docteur régent de la Faculté de Médecine de Paris, tel Charles DIONIS (1710-1776). Son grand-père, Pierre DIONIS (1643-1718) avait rendu hommage à certains opérateurs pour les dents dans son  » cours d’opérations de chirurgie démontrées au jardin du Roi  » en 1707 :

 » Il faut convenir que ces messieurs… peuvent exceller dans cet art plutôt que les chirurgiens… « .

La plupart des experts pour les dents vendaient leurs propres poudres ou élixirs odontalgiques et parmi eux le grand Pierre FAUCHARD lui-même.

De tout temps on a eu recours aux médicaments ou aux drogues pour calmer la douleur dentaire.

Au 18e Siècle, outre les apothicaires, les médecins, les chirurgiens ou les experts pour les dents pouvaient proposer des odontalgiques. Mais à côté d’eux existaient toutes sortes de gens munis d’autorisations ou de brevets vantant les bienfaits de leurs poudres ou leurs opiâts-dentaires.

Il semble qu’au 18e Siècle, en France tout particulièrement entre 1730 et 1789, ceux qui s’adonnaient au commerce de ces drogues n’empiétaient pas dans le domaine de la chirurgie.

En 1737, le Sieur Louis de BLACHE, Opérateur, reçut du Parlement de Toulouse (Th. P. Laudet, 1980, P. 92) la permission de  » dresser son théâtre pour y faire des opérations publiquement ou en particulier lorsqu’il en serait requis, vendre son orviétan, son baume et ses autres remèdes, etc… « .

Ces opérations étaient-elles chirurgicales ? Ceci n’est pas spécifié.

Le 21 Juillet 1741, le Sieur LEBRUN et le 28 juin 1749, le Sieur Claude Charles de MAFFEY, opérateur Vénitien, eurent des autorisations semblables : (Arch. Parl. B. 1513, Fol.433 – Toulouse).

21 Juillet 1741 « Vu la requête, les pièces y jointes et les conclusions du Procureur Général du Roi, la Cour faisant droit sur la dite requête a permis et permet au dit LEBRUN de débiter dans l’étendue du Ressort de la Cour les remèdes qu’il composera dans les hôtels de ville par permission des juges de police des lieux et en présence des médecins, chirurgiens et apothicaires des dits lieux , lui permet aussi de dresser et élever des théâtres dans les places publiques et de faire ses opérations publiquement ou en particulier « .

Nous ne connaissons pas les pièces jointes et donc quels étaient les titres ou brevets de l’individu.

Toutefois, l’autorisation qui lui est donnée de débiter ses drogues est faite avec le consentement des apothicaires, médecins et chirurgiens qui devaient être présents en outre lors de ses opérations.

Le texte ne dit pas à quels types d’opérations pouvait se livrer l’individu LEBRUN.

Une publicité de la dame DIONET parue dans les  » Affiches et annonces de Toulouse  » dans les années 1775 et 1777 montre cependant comment certaines personnes jouaient sur les mots :

Mercredi. 26 Juillet 1775 :

La Dame DIONET reprend ses petites opérations sur la bouche…

On sait qu’elle est experte pour nettoyer les dents, elle a une opiate… qui embellit et conserve les dents…

De plus, elle les limera, plombera, et tout ce qui sera nécessaire pour garantir et empêcher la fluxion et la douleur des dents…

Quoique les dents soient cariées, il y a plusieurs choses à faire, et par conséquent elle est surprise qu’on les arrache si communément.

Mais elle termine en précisant :

La dame DIONET apprend qu’elle n’est point dentiste, elle travaille pour la conservation des dents.

Mercredi 8 fév. 1777 :

La Dame d’Yonet nettoie les dents… avec beaucoup d’adresse…

Elle vend une opiate qui les embellit…

Au moyen de son opiate, on peut se dispenser de faire arracher les dents.

Nous le voyons, la Dame ne fait pas publicité d’actes de chirurgie.

Ces opérateurs s’adonnaient-ils seuls à de petites interventions dont les extractions dentaires ?

Probablement oui mais en toute illégalité et sans l’appui des autorités.

Un arrêt du Parlement de Toulouse de 1756 (Arch. Parl. B.1614) leur ordonnait en effet  » de se conformer aux arrêts, statuts et règlements concernant l’art de chirurgie « , et défense leur était faite  » de vendre des médicaments à moins qu’ils ne soient détenteurs de permissions ou de brevets « .

La vente de ces remèdes elle-même va faire l’objet d’une réglementation plus sévère par la suite.

Le 18 Nov. 1772, le Parlement de Toulouse enregistre une déclaration de Louis XV datée du 25 avril 1772 (Arch. Mun. de Tlse – AA 31 n°117)  » qui établissait une Commission Royale de Médecine pour l’examen des remèdes particuliers … « .

Le 26 Mai 1780, soit 9 ans seulement avant la Révolution de 1789, Louis XVI supprimera par de nouvelles lettres patentes  » tous brevets et permissions de vendre et de débiter des remèdes avec défense à tous officiers de donner semblables autorisations sans production d’un brevet régulier de la Société Royale de Médecine de Paris « .

Outre les drogues pour calmer les douleurs dentaires, l’avulsion fut aussi une intervention largement pratiquée.

On peut supposer qu’en l’absence d’anesthésie, les patients devaient la redouter.

Ce n’est certainement qu’en dernier recours que la plupart d’entre eux s’en remettaient aux barbiers-chirurgiens, aux chirurgiens, aux médecins ou aux experts pour les dents.

Ces derniers ne furent donc pas les seuls à extraire des dents.

Par contre leur spécialité plaidait en faveur d’une grande dextérité dans ce domaine et sans doute pouvait-on espérer éviter, en raison de leurs connaissances et de leur compétence, le geste tant redouté.

Si l’on additionne tous ces chirurgiens, barbiers-chirurgiens et médecins : leur nombre seul suffit largement pour pratiquer ces avulsions.

Les experts sont par contre pratiquement les seuls à proposer des soins conservateurs ou des prothèses dentaires. Ce sont eux qui remplaceront les charlatans ou les empiriques des siècles précédents, notamment du XVIIe Siècle. Sans doute est-ce eux également qui dresseront leurs tréteaux sur des foires ou des marchés. Ils pourront s’entourer de saltimbanques ou de musiciens pour dédramatiser l’acte chirurgical et couvrir certains cris de douleur des patients.

Ces mises en scène ne prouvent en rien que l’on a affaire à des charlatans ou à des illégaux.

En Ariège, certaines personnes âgées se souviennent encore d’une dame qui se produisait dans les villages les jours de foires entouré de musiciens. On l’appelait  » la Barthelotte « .

Nous avons retrouvé aux Archives Départementales de Foix, le titre de chirurgien-dentiste de son mari, Monsieur BARTHELOTTE, délivré à Paris en 1895. Nous supposons qu’elle même était diplômée. Des recherches futures sont prévues pour le vérifier.

Ainsi, nous le constatons, la législation concernant la vente des remèdes et l’exercice de la chirurgie va-t-elle évoluer tout au long du XVIIIe Siècle pour définir de mieux en mieux le rôle et la formation de chaque acteur dans la pratique de la médecine, la pharmacie et la chirurgie.

L’art dentaire pourra être exercé par des barbiers-chirurgiens, des chirurgiens, des experts pour les dents et des médecins.

Les Communautés de chirurgiens veilleront scrupuleusement à ce que les textes régissant la chirurgie soient respectés et n’hésiteront pas à saisir la justice chaque fois que nécessaire et quels que soient les individus mis en cause.

Nous en voulons pour preuve plusieurs procès intentés par Saint-Côme.

Sans nous étendre dans leur détail nous citerons :

1. Le procès de DELGA (Arch. Dépt. de Tlse). Se référant en partie aux statuts des Maîtres Chirurgiens de Versailles de 1719, de l’Edit du Roy de sept. 1723 et aux règlements généraux pour les chirurgiens de province de 1730 (Arch. Dépt. de Tlse E.1173), la Communauté des chirurgiens de Toulouse va faire condamner le Sieur DELGA de La Bastide de Sérou (Ariège) pour exercice illégal de la chirurgie en juillet 1756.

Mais le 23/01/58,  le Sénéchal autorisera DELGA à travailler en présence d’un maître en chirurgie.

Le 01/02/1758,  la Communauté des chirurgiens va faire appel de cette décision. Voici quelques extraits de son argumentation : 

Le Sénéchal, en permettant au Sieur DELGA de travailler avec une permission, n’explique point en premier lieu qui est-ce qui doit accorder cette permission. Est-ce la Communauté ou un maître en chirurgie ?

Ne pourrait-on pas dire en suivant l’esprit de l’appointements que la permission d’un membre de la Communauté devrait suffire puisqu’à défaut de permission le Sénéchal n’a exigé que la présence d’un maître.

En second lieu, si on laissait subsister les appointements du Sénéchal, non seulement le Sieur DELGA mais tous autres opérateurs ou charlatans pourraient en abusant de la facilité d’un maître de la Communauté on en surprenant sa Religion, faire impunément dans la ville toute sorte d’opérations, ce qui livrerait le public aux entreprises d’une troupe d’ignorants et gens sans aveu qui ne pourraient qu’être funestes aux habitants de la ville.

C’est pour toutes ces raisons et plusieurs autres que l’on croit que l’appel est fondé et que le succès en est infaillible.

Mais en appuyant le plus sur le grief d’appel qui tombe sur la dernière disposition de l’appointements les consultants ne doivent point négliger d’en libeller un contre la première qui relaxe le Sieur DELGA sous prétexte qu’il a opéré en présence de deux maîtres en chirurgie. La délibération que la communauté a pris contre les deux membres réfractaires servira à faire prononcer des inhibitions aux particuliers d’assister à des pareilles opérations.

Le procès se poursuivra de Juillet 1756 au mois de septembre 1761.

Le 17 Juillet 1761 DELGA sera condamné à payer 500 livres d’amende et interdiction lui sera faite de faire des opérations de chirurgie à Toulouse et dans le diocèse de Toulouse.

Le 5 septembre 1761, DELGA paiera son amende de 500 livres.

Aucun des documents consultés ne donne le prénom de ce DELGA mais nous pensons qu’il s’agissait de Guillaume DELGA né vers 1734 qui donnera naissance le 20/09/1756 dans le village de Labastide de Sérou à un fils prénommé également Guillaume, futur dentiste Toulousain et neveu de Pierre DELGA, premier dentiste de l’Hôtel Dieu Saint-Jacques de Toulouse qui prodigua ses soins à Voltaire et Marie-Antoinette.

2. Nous avons déjà publié une biographie des deux dentistes Toulousains. Pierre DELGA « oncle » et Guillaume DELGA « neveu ».

Nous avons retrouvé des documents très intéressants concernant Guillaume « neveu » (1756-1819).

Guillaume DELGA fut reçu le 22/11/1780 maître-chirurgien pour la ville de Saint-Lizier en Ariège, après avoir fait son apprentissage comme élève puis aide-major (28 août 1779) à l’Hôtel Dieu Saint-Jacques de Toulouse.

Il servira sous les ordres du célèbre VIGUERIE qui a donné son nom à la rue Viguerie dans laquelle siège une partie de l’actuelle Faculté dentaire de Toulouse.

Un jugement du parlement de Toulouse du 10/01/1784 montre que la Communauté des chirurgiens de Toulouse a refusé de lui faire passer les examens d’expert herniaire et dentiste considérant que celui-ci refusait de payer les droits de réception que l’on exigeait des candidats à la maîtrise en chirurgie, droits beaucoup plus importants que les 150 livres exigées pour les simples experts.

Le Parlement de Toulouse soulignera la différence entre les experts et les maîtres en chirurgie.

L’arrêt faisant référence aux statuts et règlements du collège de chirurgie, confirmés par lettres patentes de 1754, confirmées et enregistrées en 1763, confirmera que les experts ne devaient payer que 150 livres pour tous droits pour chacune des parties de la chirurgie pour lesquelles ils se destinaient à exercer.

La Communauté devra reconvoquer Guillaume DELGA pour procéder aux examens de l’intéressé qui offre de payer seulement les 150 livres exigibles pour tous droits et  » pour chacune des parties à l’exercice desquelles il aspire « .

Le Parlement ne donnera que trois jours à la Communauté pour s’exécuter faute de quoi il autorisera Guillaume DELGA  » par provision d’exercer les parties de la chirurgie dont il s’agit et de mettre l’enseigne d’expert herniaire et dentiste « .

Le Tribunal fera inhibition et défense aux dits maîtres et tous autres…  » de donner aucun trouble ni empêchement au dit DELGA sous peine de sanctions sévères et condamnera la Communauté à payer sans délai la somme de 45 livres 6 sols 6 deniers comptant avec menaces de saisie, des biens, meubles et effets des dits prévôts et maîtres en chirurgie « .

C’est ainsi que Guillaume DELGA, neveu du célèbre Pierre DELGA, expert-dentiste Toulousain s’installera en 1784 et annoncera qu’il exerce  » les parties de la chirurgie concernant la cure des dents et des hernies « . Il succédera le 6 mars 1809 à son oncle comme dentiste de l’Hôtel Dieu.

Le 25 Juin 1784 (Arch. Dépt. Tlse E.1172) paraîtront les conclusions de cette affaire pour souligner la distinction à faire entre les simples experts et les maîtres en chirurgie.

Ce procès montre l’absence d’indifférence de la Communauté des chirurgiens de Toulouse devant l’exercice de la chirurgie et de son souci de contrôle de celle-ci.

Nous voyons toutefois que force restait à la Loi et que l’interprétation des textes restait du ressort des juristes.

Nous connaissons également l’exigence de la Communauté des chirurgiens de Toulouse vis-à-vis de Jean-Marie RUSCAT, reçu expert-dentiste à Bordeaux puis à Toulouse de produire devant elle le brevet du frère du Roi lui ayant accordé le titre de  » dentiste de Monsieur « .

Nous rappellerons qu’ailleurs qu’à Toulouse, d’autres Communautés de chirurgiens se sont opposées à des autorisations abusives données à des praticiens.

Nous pensons à Antoine et François CARNELLI dont Claude ROUSSEAU nous a brillamment exposé certains aspects de leur vie.

Après s’être élevé dans un premier temps contre les autorités Communales d’Amiens qui avaient autorisé François CARNELLI à exercer l’art dentaire, la Communauté des chirurgiens de cette ville lui avait refusé dans un second temps de présenter des examens au vu de certificats jugés peu favorables.

Néanmoins, François CARNELLI obtiendra cette autorisation et sera reçu expert pour les dents le 31 déc. 1779. Claude ROUSSEAU dit qu’il sera reçu  » en tant que chirurgien dentiste à Abbeville et en la même qualité à Amiens « .

On constate que François CARNELLI ne pourra exercer son art qu’après avoir subi les examens exigés par la loi et contrôlés par la Communauté des chirurgiens.

De même en 1777 Antoine CARNELLI déclarait dans un placet qu’il exerçait l’art dentaire à Aix-en-Provence (Claude ROUSSEAU).

Nous supposons que la Communauté exigea de lui qu’il passe des examens puisque le 1er avril 1783 une publicité du courrier d’Avignon confirmée par une autre publicité des Affiches et Annonces de Toulouse et du Haut-Languedoc de 1789 signale que le Sieur CARNELLI a été reçu au Collège Royal d’Aix.

Conclusion

Nous voici en 1789, date célèbre de l’histoire de France.

Jusqu’à cette date les règlements pour l’exercice de la chirurgie et de la chirurgie dentaire en particulier en France tendront vers l’amélioration des connaissances et de la pratique des chirurgiens en général et des praticiens spécialisés en art dentaire en particulier.

Les affaires juridiques dont nous avons parlé montrent l’intérêt porté par certaines communautés de chirurgiens pour l’application stricte des textes et la lutte de celles-ci contre les abus d’autorité de quelques administrations provinciales.

Nous pensons que toutes les Communautés de chirurgiens en France ont veillé également à ce respect des textes et que s’il existe des exceptions, elles demeurent des cas isolés.

Il semble que parfois l’on a confondu les pratiques des XVIIe et XVIIIe Siècles.

Les statuts et règlements de 1719, 1730, 1743, 1768 faisant référence à l’art dentaire, les créations des Académie et Ecoles Royales de Chirurgie, les publications de Pierre FAUCHARD  » Père de l’Art dentaire « , BOURDET, LÉCLUSE, RUSCAT, etc… sont tellement importants pour l’histoire de notre profession qu’ils effacent les quelques inévitables dérapages que l’on pourrait trouver dans l’application des textes dans quelque lieu reculé des provinces françaises.

Il semble que de nos jours à la lecture des bulletins du Conseil National de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes, on trouve bien plus de plaintes et de condamnations pour exercice illégal de l’art dentaire dans les plus grandes villes de France qu’au 18e Siècle.

Les futurs historiens en déduiront-ils plus tard qu’au XXe Siècle et même à l’aube de l’an 2000, notre pays fut en grande partie livré à une foule innombrable de charlatans ?

Nous laissons la réponse à cette question à votre jugement.

Bibliographie

  • DELTOMBE Xavier, Les praticiens de l’art dentaire à Rennes à la fin du XVIIIe siècle. 17 sept. 1994
  • DELTOMBE Xavier, L’exercice illégal en Bretagne à la fin du XVIIIe siècle (CDF, 2 Nov. 1995, n° 768).
  • Documents des Archives Municipales de la Haute-Garonne (Toulouse)
  • Documents des Archives Municipales de l’Ariège (Foix)
  • Documents des Archives Municipales de La Bastide de Sérou (Ariège)
  • LAUDET Pierre – Histoire de l’Art dentaire à Toulouse des origines à nos jours, Thèse doct. Toulouse, 1980.
  • ROUSSEAU Claude : – Antoine et François CARNELLI face à la législation Française avant 1789 – (Communication à la SFHAD – 1996)
  • VIDAL François et COLL. Histoire d’un diplôme (1699 – 1892) (in le CDF- 1992)
  • VIDAL François, Enseignement et organisation de la médecine et de la chirurgie sous l’ancien régime (Le CDF – 1982 – n° 141 ET 142).
  • VIDAL François, L’EDIT Royal de Mai 1699 (CDF, 3 sept. 1981, n° 123).