Jean-François LOYENET
Etudiant en chirurgie dentaire
Année de Thèse

L’origine de leur arrivée en France

C’est avec Monsieur Houzelot, enseignant la déontologie à la Faculté de chirurgie dentaire de Nancy, que l’idée de ce sujet nous est venu. Nous avons voulu tenter de mieux faire connaître la mode du dentiste Américain à Paris au 19ème siècle.

Un bref rappel de la législation en France et en Amérique s’impose afin de mieux comprendre l’origine de l’arrivée des dentistes Américains et avant d’étudier cette mode et ses répercussions sur la dentisterie française.

En France, c’est à l’aube du 18ème siècle que va s’organiser l’art dentaire avec la promulgation de l’édit royal de 1699 créant le corps des experts.Pour François Vidal, 1699 est une date capitale pour l’odontologie française car elle comporte en effet deux répercussions majeures :

  • une réglementation : les experts en dents passent sous la juridiction du premier chirurgien du Roi
  • une reconnaissance : la France est alors le premier pays où l’art dentaire est reconnu comme une spécialité autonome.

En 1768, lors de la création du Collège royal de chirurgie, les futurs dentistes sont assis sur les même bancs que les étudiants en chirurgie.

Le 18ème siècle se révèle alors le siècle d’or de l’odontologie française avec des hommes brillants comme Pierre Fauchard que l’on surnomme le père de la dentisterie.Son ouvrage « Le chirurgien dentiste ou traité des dents » fait l’admiration du monde savant de la capitale et l’art dentaire français devient alors un modèle.

Mais les conséquences de la Révolution vont stopper ce formidable élan :

  • 2 mars 1791 et 17 juin 1791: la loi d’Allarde et Le Chapelier rend libre l’exercice des arts de guérir; une simple patente suffit pour exercer.
  • 18 août 1792: suppression des Universités, Facultés et corps savants.

Le Charlatanisme et l’empirisme vont alors de nouveau dominer le 19ème siècle. Malgré de nombreuses tentatives de réglementation, la Cour de Cassation confirme qu’exercer sans diplôme est permis, la loi du 19 Ventose an 11 ne mentionnant pas l’art dentaire.

Un vide juridique existe alors et il ne sera comblé qu’un siècle plus tard avec la création du diplôme en 1892.

L’Amérique, par contre, jusqu’à l’aube du 19ème siècle ne possède ni législation, ni centre de formation concernant l’art dentaire.C’est avec les troupes de Rochambeau et La Fayette, lors de la guerre d’Indépendance en 1776, qu’arrivent les premiers dentistes, français en l’occurrence. Jacques Gardette, dentiste français, est d’ailleurs reconnu comme le fondateur de la dentisterie Américaine. La chirurgie dentaire aux U.S.A. va alors connaître un brillant départ et l’Amérique du Nord est considérée comme le berceau de l’art dentaire moderne au 19ème siècle.

Les dentistes Hayden et Harris après l’échec des pourparlers avec la Faculté de médecine de Maryland, vont donner son autonomie à la profession :

    • en 1839 ils fondent la première école dentaire au monde: The Baltimore College of Dental Surgery .

 

    • la même année Harris crée le premier journal professionnel : The American Journal of Dental Science.

 

    • en 1840 apparaît la première société odontologique : The American Society of Dental Surgeons.

Ces deux années furent décisives et de formidables progrès technologiques suivirent.

L’histoire est ainsi ponctuée de retournements de situation : la prépondérance française passe outre-atlantique un demi siècle seulement après l’arrivée des premiers dentistes français.

Ainsi l’absence de réglementation concernant l’exercice de l’art dentaire en France d’une part, et la prospérité importante régnant à Paris sous le Second Empire d’autre part, sont les deux principales raisons qui expliquent l’origine de l’arrivée des dentistes Américains à Paris.

 

Les premiers dentistes Américains

C’est en 1833 que le premier dentiste Américain, Docteur Brewster, originaire de Charleston, s’installe à Paris, un peu par hasard. D’après Preterre, qui lui a consacré une biographie en 1857, ce fut l’imperfection de l’art dentaire à Paris, notamment au niveau des soins conservateurs, qui le décida à se fixer.

En effet, il fut le premier à réaliser des aurifications en France et un praticien à Paris lui avait déclaré: « Vous n’avez pas le sens commun d’arranger, comme vous le faites, les dents de manière à les conserver; vous gagneriez bien plus d’argent à les arracher et à en mettre d’artificielles « .

Bien que ses premières années fussent difficiles, il parvient assez rapidement à faire apprécier ses méthodes et à diffuser les progrès américains. Son cabinet, luxueux, était installé au 11, rue de la Paix.

Balzac, Mérimée, Georges Sand, Delacroix, la famille royale y compris le Roi Louis Philippe l’honoraient de leur confiance comme l’a récemment souligné le Dr. Henri Morgenstern. La renommée des dentistes Américains va alors s’amplifier grâce au Docteur Brewster qui invite un jeune et prometteur dentiste américain à devenir son associé: c’est le Docteur Thomas Evans.

Son histoire est passionnante. Né aux U.S.A. en 1823, il s’intéresse très vite à la dentisterie. Il effectue son apprentissage chez un dentiste à Philadelphie, obtient son diplôme de Docteur en médecine et reçoit ensuite une médaille d’or pour la qualité de ses aurifications.

Son association avec le Docteur Brewster en 1847 va lui permettre d’avoir de nombreux contacts avec l’aristocratie française qui très vite apprécie sa compétence.

Il s’installe en 1850 à son propre compte et une carrière aussi magnifique qu’unique commence. Son état d’esprit est ainsi résumé dans une de ses communications écrites :

« J’ai peut-être très peu à donner, mais ce peu est au service de chacun des membres de ma profession, et je verrai avec joie le jour où tout ce qui a une valeur en science et en art sera mis en commun. C’est par la discussion des sujets qui intéressent notre profession, par la contribution de chacun suivant ses capacités, par la comparaison des différentes méthodes de travail et en faisant connaître toutes les nouvelles découvertes et tous les nouveaux perfectionnements que nous élèverons de plus en plus le niveau de notre profession ».

Il vulgarise ainsi de nombreux procédés :

  • l’anesthésie générale au protoxyde d’azote que le Docteur Crane avait été le premier à introduire en France d’après Marguerite Zimmer.
  • l’utilisation du caoutchouc vulcanisé
  • les aurifications entre autres…

C’était également un diplomate né qui possédait une manière extraordinaire de se faire des relations au plus haut niveau grâce à un sens aigu du contact humain. Napoléon III, qu’il soigna et qui d’ailleurs avait rencontré Eugènie dans sa salle d’attente, en fit son conseiller diplomatique. C’est d’ailleurs sur avis d’Evans, qu’il décida de ne pas intervenir en faveur du sud, lors de la guerre de sécession. En prouvant toute sa loyauté au couple impérial, sa plus grande renommée lui viendra de son rôle actif dans la fuite de l’Impératrice Eugènie, lors de la chute de l’Empire après la défaite de Sédan en 1870, qu’il accompagnera jusqu’en Angleterre

 

La mode Américaine

Ainsi la profession qui souffrait alors d’un déficit de considération va en sortir grandie. Dans les classes aisées de la population, selon la mode en usage à la Cour de Napoléon III, on commence à accorder une faveur marquée aux Dentistes Américains munis du diplôme des écoles dentaires du Nouveau Monde.

Mais comme toute mode, elle allait vite être copiée :

  • Le Docteur Preterre, dentiste français formé aux Etats Unis s’intitulera  » faussement Dentiste Américain « , carte de visite prestigieuse dont il usera en première page de ses livres, brochures et journaux.
    Il fonde en 1857 le premier journal professionnel  » l’Art Dentaire  » dont nous avons pu retrouver le premier numéro à la Bibliothèque Dentaire de la Faculté de Médecine à Paris. Cette revue participera d’ailleurs à vulgariser les procédés américains comme l’anesthésie, la prothèse.
  • De nombreux praticiens, sans aucune formation américaine, vont alors profiter d’inscrire abusivement des titres très pompeux sur leurs publicités très utilisées à l’époque: Grand Etablissement Américain, Docteur Américain… dans un but lucratif et mercantile.

 

L’American Dental Club of Paris.

Les Dentistes Américains sentirent alors l’intérêt de se regrouper. C’est le Docteur John Spaulding, dentiste américain réputé à la fin du 19ème siècle, qui prit l’initiative de réunir à son domicile quelques confrères et le 13 octobre 1890, le Docteur Evans fut nommé Président de l’ADCP , dont le Docteur Jacques Foure, ex-président de l’ADCP, a publié un historique fort intéressant. Nous pouvons y retrouver un schéma chronologique avec les grands noms de la dentisterie américaine à Paris.

Dans l’article 2 de la constitution de l’ADCP nous pouvons lire :

« Les objectifs de ce club seront de cultiver une relation professionnelle et sociale plus profonde au sein de ses membres, la promotion de la recherche et de la connaissance scientifique en ce qui concerne l’art dentaire et maintenir haut le niveau de l’art dentaire Américain à l’étranger ».

L’influence du club s’exercera alors à la fois au point de vue scientifique, technique, social et professionnel.

 

Conclusion

Les dentistes américains contribuent ainsi au 19ème siècle à relever dans l’esprit du public le prestige de la profession ainsi qu’à diffuser de nombreuses techniques nouvelles. Leur éclatante réussite va être bénéfique en créant une émulation parmi les dentistes français.

En 1879, la profession commence à s’organiser avec la création de la chambre syndicale de l’art dentaire par le Docteur Andrieux puis, comme l’a souligné le Dr. Claude Rousseau, se constitue le cercle des dentistes de Paris par Charles Godon.

Celui-ci déclare alors devant le cercle :

« Nous sommes en présence d’un danger qui menace les dentistes nationaux: l’occupation de tous les cabinets en France par des confrères étrangers. C’est pour porter remède à cet état de choses que je viens vous proposer la fondation d’une école professionnelle dentaire ».

Tout s’accélère et dès le début des années 1880 sont créées les deux premières écoles :

  • L’école et l’hôpital dentaire libre de Paris en 1880
  • L’école dentaire de France en 1884

Le diplôme de chirurgien dentiste est ensuite créé en 1892 pour concurrencer le DDS Américain qui, néanmoins ne perdra rien de son prestige auprès des dentistes Français.