Claude ROUSSEAU, Chirurgien-Dentiste, DDS,
Dr en Sciences odontologiques,
ex conservateur du Musée Pierre Fauchard,
ancien Président de la S.F.H.A.D.
22, Allée centrale,
78170, La Celle St Cloud
E-mail : Claude.ROUSSEAU7@wanadoo.fr

Résumé

De nouvelles recherches effectuées dans les registres des Archives nationales, des Archives de Paris et des Archives de l’Assistance publique, ont abouti à parfaire nos connaissances sur les couteliers Louis Grangeret, ses deux fils Simon-Pierre et Pierre Grangeret, et Pierre-François Grangeret, père et fils.

Aujourd’hui, nous sommes en mesure de révéler que Pierre-François, unique héritier de Pierre Grangeret, obtient un poinçon d’orfèvre en 1805 et atteint le sommet de la célébrité dès 1806 lorsqu’il devient le coutelier en titre de Napoléon. Malgré le changement de régime, il continue d’avoir la faveur de Louis XVIII et de Charles X.

Le « nécessaire à dents »de Pierre-François Grangeret réalisé en collaboration avec Biennais et Genu comprend deux boites en vermeil gravées d’armoiries d’époque restauration.

Nos recherches ont abouti à mettre en évidence que cet exceptionnel coffret correspond à la « boite d’instruments à dents », conçue et commandée par Dubois-Foucou au début de 1814 pour assurer les soins dentaires de Louis XVIII.

Mots clefs : coutelier, orfèvre, coffret, Dubois-Foucou, Grangeret, Louis XVIII, la Charité.

Abstract

The « Grangeret »’s parisian cutlers-goldsmiths four generations
The enigma of the Pierre-François Grangeret’s dental case

In the registers of the « Archives nationals », « Archives de Paris », and the « Archives de l’Assistance publique », new researches have been made which led to improve our knowledges of the Grangeret’s famous cutlers-goldsmiths during four generations.

In 1805, Pierre-François, heir and only son of Pierre Grangeret succeeded to obtain the « H crowned mark » and reached celebrity achieving some pieces of works for Napoléon.

After the fall of the Emperor, he would continue to get the favour of the French monarchs Louis XVIII and Charles X.

The dental case completed jointly with Biennais and Genu, includes two silver gilted boxes engraved with a blazon of Restauration period.

Resuming our efforts to acknowledge this amazing dental case, we have the clues to thoroughly affirm that this item was designed and ordered by Dubois-Foucou at the beginning of 1814 for the dental cares of Louis XVIII.

Keywords : Cutler, goldsmith, dental case, Grangeret, Dubois-Foucou, Louis XVIII, la Charité.

 

Introduction

La commémoration du bicentenaire du sacre de l’Empereur en 2004 a donné lieu à d’importantes manifestations.

Ce fut d’abord l’exposition du tableau de Louis David au Louvre représentant le sacre de l’Empereur Napoléon 1er et le couronnement de l’Impératrice Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804..

Jusqu’au 3 avril 2005 on pouvait admirer la prestigieuse exposition : « Trésor de la Fondation Napoléon » au Musée Jacquemard-André qui exposait entre autre le petit nécessaire dentaire de Napoléon présenté au Congrès de St Malo.

Lors de la vacation du 7 novembre 2004 Me Jean-Pierre Osenat mettait aux enchères à Fontainebleau des pièces exceptionnelles se rapportant à l’Empire dont le fameux coffret de chirurgie dentaire aux armes impériales signé de Grangeret que nous avions pu admirer lors du Congrès de l’ADF en 1989.

Bien qu’aucun élément historique ne soit rapporté à ce coffret, que les instruments ne portent pas le « Chiffre » de l’Empereur et que le gainage ne soit pas d’origine, un jeune collectionneur a du néanmoins pousser les enchères à 65.000 euros (75.600 euros avec les frais d’usage.) pour emporter ces précieux et insolites instruments.

Comment expliquer cette adjudication record pour un coffret de Grangeret ?

Par ailleurs le « nécessaire à dents » de Pierre-François Grangeret que nous présentons en exclusivité comprend deux boites en vermeil gravées avec les mêmes armoiries que le couteau de Pierre-François Grangeret, référencé dans le catalogue de l’orfèvrerie du Musée du Louvre.

Le descriptif de ce couteau, bien que daté 1819-1830 ne donne pas d’attribution aux armoiries. Se rapportent-elles à Louis XVIII ou à Charles X ?

Les couteliers et leurs statuts

Le Guide des corps des Marchands et des Communautés des Arts et Métiers de 1766 nous renseigne sur l’origine des statuts du coutelier :

«  Leurs statuts sont de 1505, confirmés par lettres patentes du Roi Charles IX. »

Ile furent aussi confirmés par Henri III en 1586 et par Henri IV en mars 1608. »

« On ne peut être Maître sans avoir fait apprentissage et chef-d’oeuvre, excepté les fils de Maîtres qui ont travaillé cinq ans chez leur père.» (1)

« Ces statuts les nomment Maîtres Feures-couteliers, graveurs, et doreurs, sur fer et acier trempé et non trempé. »

« Cet art consiste à faire toutes sortes de couteaux, canifs, ciseaux, rasoirs, instruments de chirurgie, etc. ; »

Le Procès verbal de la cour des Monnaies pour l’insculpation des poinçons de Maîtres- Couteliers du 23 septembre 1772, nous révèle qu’au XVIIIe siècle les couteliers sont aussi autorisés à travailler l’or et l’argent.

«  Il a été ordonné que les poinçons qui leur serviront à marquer leurs ouvrages d’or et d’argent de leur profession seront insculpés en la manière accoutumée à coté de leurs noms, gravés sur la table de cuivre accoutumée…

Ce qui explique que les ouvrages de Simon-Pierre, Pierre et Pierre-François Grangeret sont répertoriés dans le catalogue d’orfèvrerie du Musée du Louvre.

Faits qui ont marqué de 1735 à 1834 la vie des Grangeret
La première génération

 

Louis Grangeret, rue Tirecharpe: (aujourd’hui, rue du Pont-neuf)

  • Le 1er septembre 1735, Louis Grangeret est reçu Maître Coutelier comme apprenti. (2)
  • Le 27 mars 1740, Louis Grangeret fait partie des quatre jurés présents pour la ratification de la marque de Thomas Vitaligon. (3)

La deuxième génération

Simon-Pierre Grangeret

  • L’Almanach général des marchands, négociants et armateurs, le situe rue de l’Arbre sec. (4-5)
  • Le 16 octobre 1736. Naissance à Paris, de Simon-Pierre Grangeret, Paroisse St Germain l’Auxerrois. (6)

  • Le 26 juin 1758 Simon-Pierre Grangeret est reçu Maître Coutelier comme fils de Maître. (7)

  • Le 26 août 1770, Mariage de Simon-Pierre Grangeret : « fils majeur du défunt Louis Grangeret » avec Marie-Madeleine Thierry. (8)

  • Le 19 août 1772, il est Elu juré de la communauté. (9)

  • Le 19 septembre 1772, un Arrêt de la Cour des monnaies accorde à Simon-Pierre Grangeret le K couronné pour poinçon. (10)

    Le catalogue de l’orfèvrerie du Musée du Louvre décrit au N° 108 pp 86 : Couteau de voyage, 1773-1774, par S.P. Grangeret, Pl, XCVII, 343 « Manche droit de nacre, monté en or à filets et moulures. Une lame d’or, l’autre d’acier à dos doré. Poinçons et marque du coutelier: K couronné » Collection Puiforcat ».

  • Le 5 octobre 1787, décès de Simon-Pierre Grangeret « âgé d’environ 50 ans, frère de Pierre Grangeret ». (11)

  • Le 13 novembre1787, Inventaire après décès à la requête de sa veuve Marie-Madeleine Thierry ; Pierre Grangeret son frère est nommé à la qualité de tuteur des quatre enfants mineurs. (12)

Les marchandises composant le fond de commerce de coutellerie de Simon-Pierre Grangeret ont été mises en vente par un huissier commissaire-priseur au Chatetet de Paris et estimées par deux Maîtres-couteliers experts, Jean Coignet et Louis Le Sueur « en leur âme et conscience ».

Cet inventaire comprend 62 lots en majorité composés de rasoirs, ciseaux, couteaux dotés souvent de manches de nacre ou d’ivoire et de lames d’acier, d’argent ou d’or.

Les instruments de chirurgie, peu nombreux sont composés de quelques bistouris et de 4 lots de chirurgie dentaire :

  • le lot N°2, « deux pélicans et neufs daviers prisés trente deux livre » ;

  • le lot N°3, « quarante cinq outils à dents et quatre garnitures prisés quarante trois livres »;

  • le lot N°4, « deux douzaines de tire-bouchons, deux autres douzaines de pinces, une autre douzaine de scalpels et une clef à la « Garangeau », prisés trente quatre livres. »

  • N°33, «  sept trousses à la «  Garangeau » non complètes prisées quatre cent vingt huit livres ».

Pierre Grangeret

  • Naissance de Pierre Grangeret (frère de Simon-Pierre) vers 1731

  • Le 27 avril 1752, Pierre Grangeret est reçu Maître-Coutelier comme fils de Maître (13)

  • Le 27 mai 1769, mariage entre Pierre Grangeret et Catherine Gaudin. « Furent présents le Sieur Pierre Grangeret, Marchand Coutelier demeurant rue des Saints Pères, faubourg St Germain, paroisse St Sulpice., fils majeur du défunt Sieur Louis Grangeret, aussi Marchand et Maître coutelier à Paris et de Nicolle-Thérèse Herluison son épouse et maintenant sa veuve ». (14)

  • Le 19 septembre 1772, Arrêt de la Cour de Monnaies qui accordé à Pierre Grangeret un H couronné comme poinçon. (15)

    Le catalogue de l’orfèvrerie du Musée du Louvre décrit au N° 107- pp.85-86 : Paire de couteaux à dessert, 1781-1782, par Pierre Grangeret, Pl XCVII, 35Manche de nacre à monture d’or, une lame d’or l’autre d’acier « Marque : une hermine. Lame d’acier marquée « Grangeret cout. du roi  et H couronné ». Ce titre indique que Pierre Grangeret était le coutelier attitré de Louis XVI. (16).

  • Le 27 Nivose an 10. (28 décembre 1801), Donation mutuelle entre Pierre Grangeret et MarieCatherine Gaudin. Pierre Grangeret, Md coutelier et son épouse demeurant rue des Saints Pères N° 42, division de l’Unité 10 e arrondissement. (17)

  • Le 15 Prairial an 10 (4 juin 1802), Déclaration de décès de Pierre Grangeret, décédé rue des Saints Pères N°42. (18)

  • Le 8 Brumaire an 11, Déclaration de succession de Pierre Grangeret. Le rappel de la communauté de biens spécifiée dans le contrat de mariage du 29 mai 1769 précise :« Pierre (François) son fils seul et unique héritier de Pierre Grangeret décédé à Paris rue des Saints Pères N°42 le 15 Prairial an 10 » (19)

  • Le 4 avril 1850, acte de décès de Marie-Catherine Gaudin, décédée à Charonne Seine, rue de Paris N° 59 à l’age de soixante seize ans. (20)

La troisième génération

Pierre-François Grangeret

  • Le 23 janvier 1776 naissance à Paris paroisse St Sulpice, de Pierre-François Grangeret.(21)

  • Le 27 Floréal an XI (17 mai 1803), adjudication d’un bail à Pierre-François Grangeret, à l’hôpital de l’Unité, rue des Saints-Pères N°45 et 47, pour la période du 20 juin 1803 au 1er juin 1812. Loyer 3090 francs ; notaire Fourchy. (22)

L’hôpital de la Charité, anciennement hôpital de l’Unité

L’hôpital de la Charité, fondé en 1601 par les frères Saint Jean de Dieu, doit son existence à Marie de Médicis qui fait appel à cette communauté florentine pour soigner les indigents.

Deuxième hôpital après l’Hôtel Dieu, la Charité s’est acquise au cours des siècles une solide réputation et qui dure encore sous l’Empire.

La Charité se situe au niveau des numéros impairs, de 39 à 47 de la rue des Saints-Pères.

Les numéros pairs 42, 44, 46 de cette rue correspondent à l’ancienne numérotation de la période révolutionnaire de l’hôpital dénommée « hôpital de l’Unité ».

Le 19 Vendémiaire an XII (7 octobre 1803), Pierre-François Grangeret est locataire de la division de l’hôpital de l’Unité, rue des Saints-Pères N°44-46. Réparation pour 119 et 34 francs. (23)

1806, Grangeret est locataire de l’hôpital de la Charité, rue des Saints-Pères N°45. Travaux de maçonnerie, menuiserie, serrurerie, vitrerie pour 188,39 francs. (24). Le 25 juin 1812 adjudications de baux pour trois, six ou neuf années au choix des parties. Notaire Champion, (25)

1°) Un bail d’une maison provenant de l’hôpital de la Charité située à Paris rue des Saints Pères N° 41, comprenant « un corps de logis double en profondeur, élevé au-dessus des caves d’un rez-de-chaussée, de deux étages carrés éclairés chacun de trois croisées sur la rue, d’un étage en mansarde et d’un grenier au-dessus ». Le rez de chaussée est composé « d’un passage de porte cochère, boutique, arrière boutique sur cour au fond de laquelle une petite serre, un cabinet d’aisance et un puits, pour la somme de seize cent francs ». Signée Pierre-François Grangeret, coutelier de S.M. l’Empereur et Roi, demeurant rue des Saints Pères N°45-47.

Le 7 août 1812, Madame Jeanne-Antoinette Clerc, épouse de Pierre-François donne son adhésion en l’étude de Maître Champion du procès-verbal d’adjudication du bail.

2°) Un bail d’une maison provenant de l’hôpital de la Charité située à Paris rue des Saints-Pères N° 45 et 47 « composée d’un grand corps de logis sur la rue dans lequel se trouve la grande porte d’entrée de l’hôpital de la Charité, élevée d’un étage en entresol, de trois étages carrés, d’un quatrième en mansarde avec grenier au-dessus, cabinet d’aisance, deux petites cours et puits mitoyen. Au rez de chaussée, trois boutiques et leurs dépendances »pour la somme de quatre mille francs, Signé Pierre-François Grangeret, Coutelier de S.M.l’Empereur. demeurant rue des Saints-Pères N°45-47.

Le 30 juin 1826, adjudications de baux pour trois, six, neuf années au choix des parties .Notaire Champion. (26)

1°) Un bail d’une maison provenant de l’hôpital de la Charité située à Paris rue des Saints Pères N° 41, comprenant les mêmes locaux que ceux décrit dans le bail de 1812, pour la somme de2420 francs de loyer. Signé Pierre François Grangeret, Md, coutelier du Roi demeurant rue des Saints-Pères N°45 et 47.

2°) Un bail d’une maison provenant de l’hôpital de la Charité située à Paris rue des Saints-Pères N° 45 et 47, composée du même grand corps de logis que celui décrit da le bail de 1812, pour la somme de 6320 francs de loyer.(L’ancienne porte d’entrée de l’hôpital désaffectée, est maintenant remplacée par celle de la rue Jacob). Signé Pierre- François Grangeret, Marchand, Coutelier du Roi, demeurant rue des Saints-Pères N°45 et 47.

3°) Transfert de bail de Monsieur de La Gastine à Pierre-François Grangeret concernant une maison située rue des Saints-Pères N° 49.

Les boutiques de l’hôpital de la Charité, rue des Saints-Pères

Elle se situe dans un bâtiment de la chapelle Saint-Pierre désaffectée qui avait été adjoint à l’hôpital de la Charité en 1776. Elle comprend « un corps de logis sur la rue composé d’un rez-de-chaussée, d’un entresol et de deux étages carrées avec grenier au-dessus »

A cette date il est ainsi locataire de quatre boutiques et arrières boutiques. Le libellé de la signatures des baux de 1826 atteste que Pierre-François Grangeret est le coutelier attitré de Charles X. (27)

Le catalogue de l’orfèvrerie du Musée du Louvre décrit au N°301, pp 208 : Couteau, 1819- 1830, par Pierre-François Grangeret. PL. XCIV, 371. Ivoire et or. Le manche en ivoire côtelé est doté d’un médaillon ovale d’or ciselé aux Armes de France : d’azur à trois fleurs de lis d’or. Inscription sur l’épaisseur du manche: « Grangeret coutelier du Roi» L’écu est sommé de la couronne royale et entouré des colliers des Ordres de St Michel et du Saint-Esprit. Poinçons : Maîtrise de Pierre-François Grangeret,- 3e titre or, Paris 1819-1838. Grosse garantie or 1819-1838.  Provient du Mobilier de la couronne.

Le médaillon du manche du couteau de Pierre-François Grangeret.

L’auteur du catalogue ne précise pourtant pas si la couronne royale se rapporte à Louis XVIII ou à Charles X.

Pour résoudre cette énigme nous nous sommes référés à l’ouvrage d’Olivier, Hermal et Roton qui consacrent un chapitre entier aux armes de Louis XVIII et de Charles X.

Ces deux rois, fils de Louis, dauphin, fils de Louis XV et de Marie-Josèphe de Saxe, possèdent des armoiries qui présentent de grandes similitudes et une grande variété de modèles.

Dans le chapitre sur Louis XVIII, les auteurs précisent « Les fers de Louis XVIII sont extrêmement simples: pas d’ornementation tout au plus deux branches entrelacées »

Les modèles 4, 5 et 7 des Pl. 2497correspondent au dessin et à la simplicité des armoirie du médaillon du couteau de Grangeret.

Par contre tous les modèles présentés dans le chapitre de Charles X sont plus richement ornés et sans similitude avec celui de Grangeret.

Les auteurs soulignent « que les fers propre à Charles X ont pour caractéristique, l’adjonction du bonnet à l’intérieur de la couronne et des armes de Navarre qui viennent s’accoler aux armes de France. »

Tous ces éléments se conjuguent pour attribuer les armoiries du couteau de Grangeret à Louis XVIII. (28)

 

Le Poinçon d’orfèvre de Pierre-François Grangeret

En 1796, un Arrêté du Directoire du 21 Brumaire an V rétablit l’obligation pour les fabricants en métaux précieux d’avoir un poinçon.

Et c’est en 1797 que la loi relative à la surveillance du titre et à la perception des droits de garantie des matières et d’ouvrages d’or et d’argent est promulguée. (19 Brumaire an VI).

Elle met fin au laxisme et aux fraudes engendrés par l’abolition des Jurandes et Maîtrises de la loi Le Chapelier du 2 mars 1791.

L’ouvrage d’Armington, Beaupuis et Bilinoff, nous apprend au N°02946 qu’un poinçon d’orfèvre a été accordé à Pierre-François Grangeret en 1805-1806 (29)

Le poinçon comprend « Un triangle avec une tête de Mercure au-dessus » Grangeret Pierre-François. La coutellerie. (Coutelier de Sa Majesté l’Empereur et roi) 45 rue des Saints-Pères.

Insculptation : 1805-1806. N°de Préfecture : 869. N° de Garantie : 799.

Documentation :

– Archives de la Garantie, Paris, Planche d’insculptation N°12

– Almanach du commerce 1806, Drouet (SP)

– Tableau des symboles de l’Orfèvrerie de Paris, 1806.

– Almanach Azur 1811 à 1822.

– Jean Boivin : Les anciens orfèvres français et leurs poinçons 1925, N° 297

Grangeret Pierre-François: « Un triangle avec une tête de Mercure au-dessus »

Coutelier de sa Majesté l’Empereur et Roi. (30)

Un « nécessaire à dents » de Pierre-François Grangeret

Aucun document ne subsiste de la période du Consulat, à l’exception des Archives de l’Assistance publique qui révèlent que Grangeret fournissait dès 1803 des instruments de Chirurgie à l’hôpital de la Charité.

Quand il devient le coutelier attitré de l’Empereur en 1806, sa production se partage entre les pièces de coutellerie fine et les instruments de chirurgie destinés au Service de Santé, au Premier chirurgien, au chirurgien-dentiste Dubois-Foucou et aux hôpitaux de la Marine. (31)

A partir de 1813, sa production va de plus en plus privilégier l‘instrumentation chirurgicale et fournir les hôpitaux des colonies.

Sous la restauration, Louis XVIII, CharlesX, les grands dignitaires de la Cour et l’Empereur de Russie seront les clients attitrés de Grangeret. Curieusement, Louis XVIII ne tiendra pas rigueur à Grangeret d’avoir été le coutelier de l’ « l’usurpateur ». Par contre, les services de Dubois-Foucou ne furent maintenus que grâce à son titre de dentiste de Louis XVI. (32)

La lettre de Dubois-Foucou du 14 janvier 1815.

Le 14 janvier 1815, Dubois-Foucou envoie une lettre au Ministre de la Maison du Roi qui précise q’il a commandé à Grangeret quelques temps avant l’arrivée du Roi un nécessaire dentaire pour soigner le bouche de Sa Majesté, conformément aux modèles qu’il lui a fournis. .Ce qui signifie que cette commande a été faite pour Louis XVIII avant avril 1814 et que Dubois-Foucou est le concepteur de cette instrumentation. (33)

Dans une lettre du 16 mars 1815, le Secrétaire général du Ministre de la Maison du Roi désire avoir l’avis de Monsieur Dubois-Foucou sur la somme de 1162 francs demandée par Monsieur Grangeret qui lui paraît très élevée, pour « la boite d’instruments à dents » qu’il a fourni au Roi. (34)

La description du nécessaire dentaire de Grangeret va déterminer si ce coffret correspond bien à la « boite d’instrument à dents »remise début 1815 à Louis XVIII dont parlent Dubois-Foucou et le Secrétaire général du Ministre de la Maison du Roi.

Le coffret aux armes de France.

Le coffret en acajou flammé, est richement orné à son pourtour d’une frise incrustée en argent composée de volutes, rosaces et palmettes. Au centre, un cartouche en argent gravé est flanqué des armes de France. Les experts attribuent ce coffret à Martin-Guillaume Biennais. L’entrée de serrure en trèfle est accompagnée de sa clef.

Le coffret ouvert.

On remarquera que les tranches du coffret sont ornées de motifs incrustés d’argent, semblables au nécessaire de Fouché par Biennais. La serrure est gravée : « Grangeret coutelier du roi à Paris »

Une des boites en vermeil de Genu.

Richement ouvragées, les boites en vermeil présentent sur leur couvercle des armoiries entourées des colliers des l’Ordre de St Michel et du Saint-Esprit, strictement similaires à celles gravées sur la médaillon du couteau de Pierre-François Grangeret. Elles correspondent d’autre part aux fers 4, 5 et 7 de Louis XVIII des Pl 2497 de la 3e partie de l’ouvrage d’Olivier, Hermal et Roton.

Sur le fond de ces boites on note la présence des poinçons :

  • de Jean-Marie-Gabriel Genu, orfèvre attitré de Biennais

  • du titre d’argent au premier coq (Paris 1797-1809)

  • de la grosse garantie argent Paris 1797-1809)

Les flacons en cristal sont munis de bouchons en or ciselé aux armes de France

Le plateau supérieur.

Ce plateau supérieur est composé de rugines à détartrer en acier poli à manche de nacre avec écusson gravé aux armes de France, viroles et culots en or.

An centre une exceptionnelle paire de ciseau en vermeil ciselée. La photo en gros plan met en évidence le H couronné.

Le plateau inférieur comprend une série d’instruments de dentisterie opératoire à manche de nacre et écusson aux armes de France.

Notons la présence :

  • d’un tube en vermeil ciselé contenant un porte-crayon de nitrate d’argent intitulé « pierre infernale » par Maury.

  • d’un bistouri avec embouts en or ciselé et émaillé dont le gros plan met en évidence le marquage : « Grangeret à Paris »

Le fond du coffret.

Le fond du coffret est composé :

  • d’un carnet de feuilles d’étain destinées aux obturations et plusieurs paquets de limes.

  • d’une exceptionnelle brosse à dent en or ciselé et émaillé.

Elle porte un poinçon : petite garantie or, Paris 1809-1819.

Cette brosse à dents révèle, d’autre part, une parfaite similitude avec celle de Bonaparte du Musée de la Malmaison ; elle se différencie par les armes de France qui remplacent le B de Bonaparte.

La brosse à dents aux armes de France

La présence de cette brosse avec la petite garantie or de Paris 1809-1819 corrobore encore la thèse de l’appartenance de ce nécessaire à Louis XVIII.

Deux arguments viennent encore appuyer cette attribution :

  • Tous les documents concernant « le nécessaire à dents du Roi » correspondent à la période de Louis XVIII et aucun n’apparaisse dans les archives après 1824.

  • Dubois-Foucou,qui était le créateur des coffrets de Napoléon et de Louis XVIII n’était plus en activité en 1826 biens qu’il ait conservé son titre, comme l’atteste un document du 15 décembre 1826.(35)

La Quatrième génération

Sur l’Almanach du commerce de 1829 et 1830, il est écrit : Grangeret fils rue St Honoré N°278

Les Archives nationales précisent que le 27 mars 1834, Pierre François Grangeret fils renouvelle le bail de la maison provenant de l’hôpital de la Charité située 45 et 47 rue des Saints-Pères composée de locaux identiques à ceux de 1812.pour la somme de cinq mille francs adjugée à « Pierre-François Grangeret fils, marchand coutelier, demeurant Rue des-Saints-Pères N°45 »

Le 8 août 1936, Madame Pauline Vimeux, épouse de M. Grangeret fils a donné son adhésion, au procès-verbal de l’adjudication du bail.

Ce document révèle que le fils de Pierre-François Grangeret n’a plus les titres honorifiques de son père. (36)

Le 28 décembre 1843, un second mariage est enregistré de Pierre-François Grangeret fils « coutelier Rue St Lazare N°120, fils majeur de Pierre François et de Jeanne-Antoinette Clerc son épouse d’une part et de Marie-Anastasie Chidé » (37)

Conclusion

L’enchère record de Grangeret à Fontainebleau s’explique certes par la présence des armoiries impériales sur ce coffret de chirurgie dentaire mais aussi par la qualité exceptionnelle du travail du coutelier.

Le raffinement des réalisations de Pierre-François Grangeret, est confirmé par la présentation de son « nécessaire à dents » dont l’appartenance à Louis XVIII est attestée par le résultat de nos recherches.

Ce coffret est, par ailleurs, le seul qui soit à la fois complet avec son gainage d’origine et réalisé avec la collaboration de Biennais et Genu.

Ce nécessaire confirme enfin leur collaboration avec Grangeret pour les coffrets d’exception.

Les honneurs furent rendus à Pierre François Grangeret aux expositions françaises du Louvre avec une mention honorable en 1819, avec l’obtention de la médaille de bronze en 1823, et les félicitations du jury en 1827 « pour son exécution remarquable des objets de la coutellerie fine et la précisions des instruments de chirurgie » (38)

Les résultats de ces recherches nous permettent d’affirmer que la confiance témoignée aux Grangeret par Louis XVI, Napoléon, Louis XVIII et Charles X constitue un cas unique dans les annales de l’orfèvrerie française.

Remerciements

Nous tenons à exprimer notre gratitude à Anne Dion-Tenenbaum, Conservateur au département des Objets d’arts du Musée du Louvre pour son précieux concours et un chaleureux merci pour l’accueil qu’elle nous a réservé pour effectuer les photos des pièces du Musée.

Bibliographie

1- Guide des corps des marchands et des communautés des arts et métiers. A Paris, chez la Veuve Duchesne, Librairie, rue Saint Jacques. M, DCC LXVI. (B.N.4049)
2- (Arch.nat. Y/9323)
3- (Arch.nat. Minutier central ET/XVI/699)
4- (1799 (BN V 25867),
5- (1785 (BN V 25868)
6- (Arch. de Paris, Fiche alphabétique des Actes de naissance antérieurs à 1860, 5 MI 2 864)
7- (Arch.nat. Y/9329)
8- (Arch. Nat. Minutier central ET/XXXIV/677)
9- (Arch. nat. Y/2332)
10- (Arch. nat. Z/1B/429)
11- (Extrait du registre de l’acte de décès des Arch. de Paris)
12- (Arch. nat. Minutier central, ET/XCVII/558)
13- Registre de réception de Maîtrise de la ville de Paris au Châtelet de Paris. (Arch. nat. Y 9327)
14- (Arch.nat. Minutier central, ET/ X/ carton /610, Me Collet notaire)
15- Arch. nat. Z/1b/429)
16- Musées nationaux, Départements des objets d’arts, Musée du Louvre et Musée de Cluny, Catalogue de l’orfèvrerie du XVIIe, du XVIIIe, du XIXe siècle. Paris, Edition des Musées nationaux 1958, pp.85-86. (Département des objets d’arts du Musée du Louvre)
17- (Arch. Nat., Minutier central ET/VIII/1333)
18- (Arch. de Paris DQ8 71 et 140)
19- (Arch. de Paris DQ7 1787)
20- (Arch. de Paris, DQ8 915-Archives du département de Seine-St Denis)
21- (Arch. de Paris; (Fiche alphabétique des actes de naissance antérieurs à 1860- 5MI 2 864)
22- (Arch. de l’AP-HP, 435 FOSS 1)
23- (Arch. de l’AP-HP, An XI à An XIII, Cote : 136 Foss V- F° 428)
24- (Arch. de l’AP-HP, 1806, cote: 136, Foss VI, F° 61-63)
25- (Arch. de l’AP-HP, 435 FOSS 1, Arch.nat., ET/LVI/536)
26- (Arch. nat. ET/LVI/631-632)
27- (Arch. nat. MC, Et/ LVI/ /631-632) répertoire 22. (Arch. de Paris, Sommier foncier DQ8 330
28- OLIVIER Eugène, HERMAL Georges, et ROTON ; Manuel de l’amateur de reliures armoriées françaises. Paris Ch. Bosse, 1933. 25e séries (Souverains et Princes français) 3e partie, Pl. 2486 à 2501. (B.H.V.P.-4° K 14)
29- ARMINJON Catherine, BEAUPUIS James, BILINOFF Michèle : Dictionnaire des poinçons de fabricants parisiens d’ouvrages d’or et d’argent, Paris, 1798-1838, t. I, N°02946,pp 292. (B.H.V.P., 149364, p 1991-94),
30- BOIVIN Jean, Les anciens orfèvres français et leurs poinçons 1925, N° 297 (B.N. Fol LN 10, 297)
31- (Arch.nat., O2 816)
32- (Arch.nat., O2 815)
33- (Arch.nat., O3 349)
34- (Arch.nat., O3°349
35- (Arch. Nat., O3 348
36- (Arch. nat. ET/LVI/725)
37- (Arch. de Paris de l’Archevêché D6J 728)
38- PAGE Camille, La coutellerie depuis les origines jusqu’à nos jours, Paris, H. Rivière 1896, t. II, pp 233-238 (B.N. 4° V 43-75)