Pierre BARON

INTRODUCTION

1699

C’est par les Lettres Patentes de Louis XIV de 1699 que les empiriques, arracheurs de dents et charlatans divers furent dans l’obligation de se former auprès d’un maître et de passer des examens auprès de la Communauté de Chirurgiens de la ville dans laquelle ils comptaient opérer. Ils devenaient ainsi « experts pour les dents ».

Ici pour Paris c’était à Saint Côme que la Communauté de Chirurgiens se réunissait.

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1768

A partir de 1768 les dentistes furent obligés, avant de passer des examens, de suivre des cours dans les Collèges Royaux de Chirurgie où l’enseignement était relativement complet.

Mais tout au long du XVIIIe siècle la mise en place de ces règlements pour tout le royaume fut très lente, les passe droits étaient nombreux.

Parmi les non-diplômés il y avait des dentistes qui étaient brevetés par le Roi ou attachés à un Prince quelconque, et d’autres qui obtenaient des autorisations temporaires d’un bailli. Enfin, il y avait aussi des empiriques ou des charlatans qui échappaient à tout contrôle.

Puis avec la Révolution les titres ayant disparu en 1791, nous retombions dans la situation légale antérieure à 1699. Cette situation ne se clarifiera qu’à la fin du XIXe siècle avec la loi du 30 novembre 1892 instituant le diplôme de Chirurgien-Dentiste.

 

MODES DE PENSEE

On peut dire que les chirurgiens dentistes du XVIIIe siècle avaient deux grands modes de pensée. L’un qui les amenait à prendre des décisions thérapeutiques simples pour extraire, plomber, limer ou bien encore blanchir. L’autre était plus complexe, d’inspiration galénique. Ils se rapprochaient en cela des médecins par le raisonnement galénique basé presque entièrement sur l’équilibre des humeurs et des éléments. Nous sommes de nos jours tellement éloignés de ces notions qu’il faut nous imprégner des grands principes physiologiques et thérapeutiques du XVIIIe siècle pour arriver à suivre le mode de pensée qui était celui des chirurgiens-dentistes de ce siècle.

Définition :

Qu’entend-on par « mode de pensée » ?

Le mode de pensée est le processus intellectuel par lequel le praticien utilise les différentes données scientifiques du moment, afin d’établir un diagnostic, un plan thérapeutique et un pronostic pour un cas donné. Pour en arriver là il va se baser sur les indications du patient concernant ses tourments et ses desiderata ainsi que sur sa propre observation.

De nos jours si un patient se présente dans un cabinet dentaire pour consulter un chirurgien-dentiste qui lui a été recommandé afin que ce dernier lui remette en état toute sa bouche négligée depuis longtemps, mal suivie et mal traitée auparavant, que va faire classiquement le praticien averti ?

 

  • Interrogatoire du patient afin d’établir l’historique, les problèmes et les espérances de celui-ci

  • Investigations diverses afin de mieux cerner les données : examen clinique, examens radiologiques et, au besoin, examens biologiques, moulages, photographies éventuelles, et d’autres types d’investigations comme par exemple l’analyse de l’état parodontal.

  • Diagnostic et pronostic

  • Thérapeutiques diverses selon le cas : chirurgie, parodontie, orthodontie, endodontie, dentisterie opératoire, implantodontie, prothèses provisoires et enfin prothèses définitives ou plutôt prothèses à long terme

 

Qu’a fait ce praticien ? Il n’a fait que mettre en œuvre une réflexion sur le problème présenté en utilisant les données scientifiques dont il dispose par rapport aux données exprimées par le patient et les données de sa propre observation. Après discussion avec son patient, le praticien va mettre en œuvre sa propre technique afin de réaliser le projet établi.

Il en était de même du praticien du XVIIIe siècle. Utilisant les raisonnements médicaux et chirurgicaux de son époque il n’a rien fait d’autre dans le principe que le praticien du XXIe siècle.

Ceux qui étaient diplômés comme « Experts pour les dents » se sentaient d’autant plus savants que depuis que Fauchard avait rédigé son magnifique traité en 1728, la transmission du savoir ne se faisait plus uniquement par la voie orale, mais également par les nombreux ouvrages que cette période a vu paraître (1) et par les cours de l’Académie Royale de Chirurgie créée en 1731. Fauchard en France en 1728 (Photo 3) et Pfaff en Allemagne en 1756 (Photo 4) fixent par écrit un savoir empirique important. La France était le chef de file de la dentisterie dans le monde. Grmek (2) a bien souligné l’importance grandissante du chirurgien dans le monde des arts de guérir. Et même si le chirurgien-dentiste ou expert pour les dents, tout en faisant partie du monde de la chirurgie, en était un parent pauvre, il pouvait tout de même se satisfaire des progrès accomplis.

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Aux XVIIe et XVIIIe siècles la chirurgie quitte petit à petit le statut de servante illettrée pour triompher complètement au XIXe siècle. C’est au cours du XVIIIe siècle que la chirurgie va s’appuyer sur l’anatomie pathologique et la physio-pathologie expérimentale pour passer de l’empirisme à une technique fondée sur des connaissances scientifiques précises. La chirurgie devient une activité clinique au sens plein du terme. L’enseignement rejoint et dépasse rapidement les autres branches médicales.

Et quelle magnifique pratique que la chirurgie, et par là la chirurgie dentaire : « Le métier de chirurgien exige une alliance du cerveau et de la main, un accord parfait entre le jugement intellectuel et l’habileté manuelle. L’action y est clairement sanctionnée par les résultats et laisse peu de place aux hypothèses ad hoc et au sauvetage à tout prix des préjugés théoriques. Dans les maladies dites externes, auxquelles se limitaient autrefois les interventions chirurgicales, le succès ou l’échec d’une opération était évident et mettait constamment à l’épreuve le raisonnement sous-jacent au diagnostic et à l’intervention » (3)

 

Processus

Dans ce contexte intellectuel que nous venons d’établir comment fonctionnait la pensée du praticien du XVIIIe siècle ?

Etant, comme de nos jours, à mi-chemin entre la mentalité médicale et la mentalité chirurgicale, il faut rappeler ce qu’étaient ces mentalités (4):

Mentalité médicale : l’approche des problèmes posés était naturelle

 

  • 1/ Interrogation des malades

  • 2/ Observation des symptômes avec leur évolution

  • 3/ Diagnostic

  • 4/ Pronostic

  • 5/ Thérapeutique

 

Deux principes dirigeaient le médecin :

 

  • – Lutte entre la maladie et l’organisme

  • – Mobilisation et aide des forces internes de guérison

 

Mentalité chirurgicale : privilège des composants solides du corps

 

  • 1/ Localisation et découverte des lésions avec effort de compréhension de leur structure anatomique

  • 2/ Inspection, palpation, épreuves fonctionnelles

  • 3/ Diagnostic

  • 4/ Intervention :

     

  • a) vider ou enlever les parties lésées

  • b) réparer les os brisés

  • c) réparer les chairs déchirées

 

Nous pouvons commenter et critiquer ces grands principes dominés principalement par la théorie galénique, d’autant plus que le chirurgien-dentiste peut paraître très éloigné dans son comportement par la spécificité de sa pratique. Mais il est important de souligner que, petit à petit, tout au long du XVIIIe siècle, le nombre de chirurgiens-dentistes ayant une bonne pratique appuyée sur des connaissances théoriques plus en rapport avec l’exercice de cette profession, et bien ce nombre n’a cessé d’augmenter. Ainsi, pour ceux qui étaient passés par la filière noble des études, des examens sanctionnant ces études, en même temps qu’un apprentissage chez un Maître, ils appliquaient les grandes lignes énoncées ci-dessus en les adaptant à leur pratique. Autrement dit ils étaient imprégnés de ces théories galéniques dans leur comportement que ce soit pour un acte médical ou pour un acte chirurgical.

 

Le Galenisme

La théorie galénique est basée sur le rôle joué par le déséquilibre des humeurs. La santé est due au maintien de la juste proportion du sang, du phlegme, de la bile jaune et de la bile noire, dont l’action est associée aux quatre qualités élémentaires (Air, Feu, Terre, Eau). Les humeurs circulent entre les mailles solides qui composent le corps humain (Photo 5)

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La maladie est le résultat d’un déséquilibre des humeurs soit par excès soit par déplacement de l’une ou de plusieurs de ces humeurs.

Pour soigner il faut rétablir l’harmonie humorale originelle. Les soins sont basés sur la théorie des contraires.

Exemple : LA CARIE

3 origines possibles :

1/- vermiculaire : les vers qui rongent la dent. (Photo 6). Cela fait mal. Donc il faut faire une fumigation pour tuer ces vers. (Photo 7) Ici c’est un soin qui n’est pas basé sur le Galénisme

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2/- déséquilibre des humeurs : si les humeurs froides et humides sont en excès dans le cerveau, elles passent sous forme de pituite à travers la lame criblée de l’ethmoïde pour tomber dans la cavité buccale et détruisent les dents. Donc il faut soigner par du chaud et sec. (Photo 8)

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Bunon (1743) :  « C’est la pituite du cerveau qui, tombant sur les mâchoires carie les dents » (5)

Mais le déséquilibre des humeurs entraînant des caries pouvaient aussi être provoqué par des causes digestives, principalement l’estomac et ses vapeurs acides, des causes climatiques, le froid et l’humidité, ou bien encore des dysfonctionnement de l’âme, contrariétés, colères, dépressions ou mélancolie. (6)

Lécluze (1754) écrit « La carrie provient encore d’une salive âcre & chargée d’acide, ou d’une humeur provenant du vice du sang & de la limphe qui s’arrête autour des dents & dont les particules communiquent à celles de l’émail des impulsions qui en détachent les parcelles les unes des autres. »

3/- causes locales (malpositions)

Bourdet (1757) : « les dents peuvent se gâter quand elles sont trop serrées, parce que sous la pression réciproque les fibres osseuses s’affaissent et que les fluides n’y circulent plus librement » (7)

Lécluze (1754) : « Les Dents se carrient, soit pour être trop pressées & pour retenir dans leurs interstices quelques portions acides des alimens, soit pour avoir été cassées dans la mastication par la rencontre d’un corps dur, ou par quelque coup, soit pour être altérées par l’effet de la lime conduite sans précaution, ou appliquée mal-à-propos. » (8)

 

Traitement des caries

 

Mouton (1746) «  L’emploi fréquent de l’or…pour en remplir les cavités faites par la carie… »(9)

Orthodontie :

Mouton (1746) « L’emploi fréquent de l’or… soit en plaques, ou en lames pour redresser les Dents des enfans… »(10)

 

Traitement des abcès

L’abcès était appelé « fluxion ». Mais il y a deux sortes de fluxions. Toujours Lécluze : « Les Dentistes sont si souvent tombé dans de fâcheuses méprises, faute de savoir distinguer la Fluxion phlegmoneuse d’avec l’érésipélateuse… »

Traitement : « La Fluxion ne doit point être abandonnée aux soins de la nature, sur-tout lorsque les amygdales & les glandes parotides se gonflent ; il faut la résoudre dans son commencement, & réprimer promptement l’humeur qui la rend phlegmoneuse… Le premier soin sera d’aider la circulation des liqueurs, & de prevenir l’extrême engorgement des vaisseaux, par quelques saignées… on donnera aux heures commodes des Lavemens émolliens et laxatifs… » (11)

Le praticien est à l’écoute du patient: « S’il (le malade) est tourmenté de grandes douleurs, de fièvres violentes ou de veilles continuelles, on modèrera les mouvemens du sang avec quelques Juleps rafraîchissans, dans lesquels on ajoutera un grain de Laudanum, ou bien deux ou trois grains de Syrop de pavot blanc… »(12)

Qu’est-ce qu’un julep ?

« Julep, s.m . C’est un médicament magistral liquide, ainsi nommé par les Arabes et les Grecs modernes, par les Persans juleb, et par les Latins julepus ou julapium : ces divers noms signifient tout breuvage, ou potion douce et plaisante… La composition de ces médicamens est fort simple ; ils sont formés le plus ordinairement par le mélange d’un sirop calmant, pectoral, apéritif ou acide, délayé dans des eaux distillées analogues aux sirops employés, ou dans des émulsions… Il ne faut pas les confondre avec les potions qui sont beaucoup plus composées… »(13)

 

« JULEP (ju-lèp). Du temps de Ménage, on prononçait julè), s. m.  Terme de pharmacie. Potion adoucissante ou calmante dans laquelle il n’entre ni huile, ni substances purgatives, ni poudres ou substances extractives, mais qui est composée simplement d’eau distillée et de sirops. Plus, dudit jour, soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-cinq sols, MOL. Mal. imag. I, I. »(14)

«  Si le corps est d’ailleurs maldisposé & que les premieres voyes soient trop remplies, on purgera le Malade avec des remèdes très doux, comme la Rhubarbe, la pulpe de Casse, les Thamarins gras, l’Amande grasse & le Sel végétal. On appliquera sur la partie affligée des Résolutifs faits avec du Lait chaud, pour dissoudre & subtiliser les liqueurs grossieres contenues dans les vaisseaux engorgés ou dans leurs interstices, & pour leur rendre une fluidité capable de les faire rentrer ou circuler dans leurs vaisseaux, de les faire transpirer par les pores, & même de s’évacuer par les canaux excrétoires des glandes. On peut pour cela se servir d’un cataplasme fait avec le lait & les quatre farines résolutives, qui sont le lupin, l’auréole, le fenugrec & la fève, auxquelles on ajoutera les Huiles de lys, de lin & le saffran commun. »(15)

Les cataplasmes furent largement employés en médecine au XIXe siècle et même au XXe, nous pouvons dire jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Il ne faut donc pas s’étonner de ce type de traitement. Lécluze en donne différentes formules.

Mais cela n’empêchait pas Lécluze, en dernier recours, d’utiliser un moyen chirurgical :

« Lorsque le pus est formé, & que le phlegmon ne perce pas naturellement, il faut l’ouvrir avec le scalpel dans l‘endroit le plus bas de l’abcès, & en évacuer promptement toute la matière, pour ne lui pas donner le tems de communiquer sa malignité aux parties voisines, & de former des sinus fistuleux »(16)

 

Traitement des maladies des gencives

Gonflement, Epoulis, Paroulis, Ulcère, Fistule, Scorbut, Gangrène, Sphacèle : autant de pathologies, autant de descriptions. Lécluze en vient ensuite à la « curation », autrement dit aux différents traitements de ces affections. Nous allons voir le type de pensée de ce praticien par les principes qu’il établit :

« â€¦ La Pratique Chirurgicale qui renferme en général quatre opérations importantes, qui sont la Synthese ou réunion, la Dierese ou séparation, l’exherese ou retranchement des choses superflues, & la Prothese ou addition aux parties qui manquent. »(17)

Examinons plus en détail :

 

  • Synthèse : réunion des plaies, de la gencive avec le collet des dents, des os fracturés

  • Diérèse : incision d’une gencive gonflée, d’un abcès, d’une tumeur + cautère

  • Exérèse : enlever le sang après avoir ouvert une gencive à la lancette, le pus d’un abcès, les corps durs du sinus, les dents cariées et les racines

  • Prothèse : dents postiches, dentiers, obturateurs

 

Extractions

Les praticiens du XVIIIe siècle n’ont eu de cesse d’essayer d’améliorer les instruments existants dans le but de fracturer moins de dents et d’os alvéolaire, tout en facilitant la manœuvre.

« Il est tellement prouvé que l’on peut tirer cette Dent sans intéresser la vûe, que le Mercredi des Cendres 1748, je fus conduit chez Mademoiselle Marchand (en note : Femme de chambre de Feüe Sa Majesté la Reine de Pologne) demeurant à Lunéville, pour lui ôter une pareille Dent, qui avoit communiqué sa carrie à l’os maxillaire, & formé un abcès considérable, rempli d’une humeur âcre & corrosive, laquelle avoit carrié l’os par sa fermentation, & détruit les enveloppes membraneuses. Je fis les opérations nécessaires, & lui procurai les remèdes convenables pour parvenir à la guérison de cette maladie, à laquelle je réussis très-heureusement, ainsi qu’à beaucoup d’autres, dont il est inutile de faire ici le détail. »(18)

En 1754 Lécluze invente la langue de carpe, instrument inégalable, puisque de nos jours certains catalogues l’ont encore dans leur liste, et même quelquefois encore avec le nom de l’inventeur attaché. (Photo 9)

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Jourdain, son élève, pour ne pas être en reste avec son maître a amélioré le classique pélican, que Lécluze avait déjà transformé (Photo 10)

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Prothèses

Dent à tenon

Le Chirurgien dentiste Mouton (1743):

 

« Une Dame dont j’entretiens la bouche, se trouvant chez une de ses amies, & voyant arriver un Dentiste, fit tomber la conversation sur les Dents artificielles, dont elle fait usage : Elle voulut principalement avoir son avis sur celles qui sont attachées par le moyen des racines,& qu’on appelle en termes de l’Art, Dents à tenon. Le Dentiste se récria beaucoup sur cette espèce de Dents ; il dit qu’il n’y avait rien de plus dangéreux, qu’elles étoient capables de causer des abcès dans la bouche, de trouer les joues, de pourir les os de la mâchoire, & d’y produire une infection insuportable : la Dame aux Dents postiches eut la patience d’écoûter le Docteur jusqu’au bout, & lui demanda si ces accidens arrivoient bientôt après l’operation. Il répondit que dès le jour même que les Dents étoient posées, on commençoit à sentir de vives douleurs, qui annonçoient tout ce désastre. Cette Dame alors pour le convaincre de son ignorance, lui fit voir à la mâchoire supérieure trois fausses Dents de ma façon, qu’elle gardoit depuis quatre ans, sans qu’il lui fut arrivé le moindre mal »(19)

« â€¦ les incisives… Car lors même qu’elles sont détruites par la carie, au point de se casser par le moindre effort au bord des gencives… leurs racines sont d’un grand usage pour y substituer des Dents à tenon…Au reste, l’idée de ce pivot d’or qu’il faut, pour ainsi dire, y sceler, ne doit effrayer personne. On le fait entrer sans violence… On ne fait qu’envelopper le tenon dans toute sa longueur, d’un fil propre à se gonfler, aussi-tôt que l’humidité le pénètre… » (20) (Photo 11)

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Prothèse mobile à fil

 

Mouton (1743) « La solidité des Dents appliquées ou assises sur les gencives, ne dépend que des Dents voisines qui leur servent d’appui, au moyen d’un fil passé dans la [OU LES] Dent postiche, & qui s’attache ensuite aux Dents les plus proches… pourvu que de chaque côté de la mâchoire qu’on veut regarnir, il reste quelques Dents assez fermes… » (21)

Dentiers à ressorts  [ Prothèses totales]

 

Mouton (1743) « Les Dentiers à ressorts sont simples ou doubles. Les Dentiers simples consistent en un seul ratelier… Les Dentiers doubles sont composés de deux rateliers complets, qui tiennent seulement l’un à l’autre par des ressorts communs, qui leur font suivre les mouvemens de la mâchoire. » (22) (Photos 12 et 13)

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Dents naturelles, devenues postiches [attelles de contention] :

Mouton (1743) « Les Dents dont le tartre a totalement détruit les gencives, sont sujettes à s’ébranler, au point qu’elles ne peuvent plus se soutenir, & sont prêtes de tomber à chaque instant. On les raffermit l’une par l’autre, (soit) en les enchaînant avec un fil d’or… » (23)

Matière des Dents artificielles :

 

Mouton (1743) «  Les Dents humaines, dans bien des cas sont préférables à toutes les autres… Mais il faut qu’elles proviennent de gens qui n’aient point eu de maladies ou trop longues ou trop violentes ; & plus la mort a été prompte, plus elles conservent de qualité. Ainsi les Dents de ceux qui sont morts de quelque accident imprévû, ou subitement, sont très bonnes…Il en est de même des Dents que l’on ôte à ceux qui en ont de doubles…Quant à celles qui sont tirées de cadavres…elles ne manquent point de noircir en très peu de tems… Il a donc fallu chercher dans les animaux… La Dent de Bœuf est d’un excellent usage… La Dent de l’Hippopotame, ou Chev al Marin, & celles de plusieurs autres Animaux, & Poissons de Mer, sont encore d’un grand usage… » (24)

 

Transplantation des Dents
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Mouton (1743) « La transplantation d’une ou de plusieurs Dents d’une bouche dans une autre, malgré toutes les expériences que nous en avons, est regardée encore aujourd’hui, même par de fort habiles gens, comme une chimère & une opération impossible. Ce n’est pourtant rien moins qu’une vision, & les exemples ne sont pas rares. Il faut d’abord observer qu’on ne transplante jamais que les Dents de devant ; c’est-à-dire les incisives, les canines, & quelquefois les petites Molaires… Ce qui rend l’opération difficile, est la difficulté de pouvoir s’assurer de la forme & des proportions des racines, soit pourtant de ces circonstances de la Dent qu’on doit extirper, pour en mettre une autre, soit de celle qu’on veut transplanter à sa place ; & c’est, que tout le succès dépend. En effet, on peut bien prendre de justes mesures pour le corps extérieur de la Dent qu’on transporte ailleurs, attendu qu’il est en évidence : Mais si la proportion, ou la direction de la racine qui est absolument cachée, est différente de celle de l’alvéole qui doit la recevoir, c’en est assez pour faire manquer l’opération ; parce que la moindre disproportion peut former des vuides entre la Dent & l’alvéole ; ce bassin rempli de sang par l’extraction de la Dent naturelle en laisse échapper dans ces vuides, qui peut se corrompre & produire une légère suppuration, qui suffit pur empêcher les fibres nerveuses, soit du périoste de la Dent, soit du bassin même, de se rapprocher. Car il faut, pour que la Dent reprenne, & devienne solide, que ces mêmes fibres se trouvant placées vis-à-vis les unes des autres, s’embouchent & se réunissent assez exactement, pour communiquer à cette Dent les sucs nourriciers, qui lui sont nécessaires… Un sang moins pur, une lymphe vitiée, un âge trop avancé, une gencive rongée, quelques précautions qu’on prenne d’ailleurs, sont toujours un grand obstacle au succès de la transplantation. » (25)

Dents replantées [réimplantations]

 

Mouton (1743) « J’ai fait plus d’une fois l’épreuve d’une autre opération, qu’on peut regarder comme une véritable replantation…Quand j’ai été appellé assez-tôt pour quelques Dents, qu’un accident avait fait sortir de leur alvéole entièrement… j’ai commencé par les replacer, & ensuite je les ai assûré avec des fils que j’attachois aux autres Dents. » (26)

Parodontologie

Lécluze (1754) aborde, un des premiers, le problème de la destruction de ce tissu que nous nommons aujourd’hui maladie parodontale, tout en se basant sur la théorie Galénique des humeurs

« Le Gonflement des gencives exige souvent que les Dents soient nettoyées, & que l’on ait grand soin d’ôter le tartre qui s’insinue entre l’une & l’autre ; il n’est pas moins nécessaire de couper les portions excédentes des gencives avec des cizeaux bien pointus, soit courbes, soit droits, & de les scarifier avec la pointe d’une lancette enveloppée d’une bandelette depuis le milieu de la chasse jusqu’à la pointe, tant pour la mieux affermir que pour ne point effrayer la personne sur laquelle on opère; cette scarification sera plus ou moins profonde & réitérée, selon le Gonflement des gencives. Pendant cette opération, & en nettoyant les Dents, s’il y a du tartre on fera fréquemment rincer la bouche du malade avec de l’eau tiède pour faciliter l’évacuation du sang & de l’humeur infiltrée dans les gencives ; cette opération faite, on se gargarise la bouche trois fois par jour pendant une semaine entière avec du vin rouge dans lequel on aura fait bouillir de la petite sauge de Provence, de la poudre de gland de chêne, de l’écorce de grenades, & une pincée de roses rouges. On mettra quinze gouttes de mon Elixir dans l’eau simple conformément aux règles prescrites au chapitre V de mon Traité sur les Maladies des Dents des enfans. » (27)

« Lorsqu’elle (la dent) commence à sortir de son bassin, cette espèce de luxation est occasionnée par une maladie de la membrane, commune aux parois intérieurs de l’alvéole & à la racine de la Dent ; & la maladie de la membrane cause le relâchement, & souvent la désunion de ses fibres charnues. Si les vaisseaux qui la parcourent sont rompus ou rongés par la dépravation des liqueurs qui y circulent, il se fait un épanchement de ces mêmes liqueurs qui se corrompent en fermentant, & produisent ensuite de petits ulcères dans l’alvéole. Ces petits ulcères détachent peu à peu la Dent de la membrane & de la gencive. Alors la Dent n’ayant plus d’adhérence au périoste & à la gencive, elle est en partie expulsée de l’alvéole par le gonflement de cette membrane commune. » (28)

CONCLUSION

De nos jours nous pouvons sourire en lisant ce que nos prédécesseurs ont pu imaginer comme théories sur la carie avec les conséquences que nous avons vu sur les soins. N’oublions pas qu’il a fallu attendre la théorie chimico-parasitaire de Miller en 1889-90 pour que l’origine de la carie soit mieux expliquée. N’oublions pas également que l’électricité n’est apparue dans les cabinets dentaires qu’au début du XXe siècle entraînant une bonne vision et des instruments rotatifs

Et si nous nous projetons dans une fiction où, par exemple la carie serait définitivement éradiquée : quels sourires ne verrions-nous pas sur les lèvres de nos successeurs en visionnant photos et films nous montrant soignant la carie.

BIBLIOGRAPHIE

1 Pierre Baron : Bibliographie de l’art dentaire au XVIIIe siècle. In : Xavier Deltombe : Les soins dentaires à Rennes au XVIII ième siècle. In : Conférences Rennaises d’Histoire de la Médecine et de la Santé 1992-1994. Faculté de Médecine de Rennes. 1995. Vol 5 pp 199-220
2 Mirko D. Grmek : La main, instrument de la connaissance et du traitement. In Histoire de la pensée médicale en Occident. Vol. 2 : De la Renaissance aux Lumières. p 229. Sous la direction de Mirko. D. Grmek. Paris. Seuil. 1997
3 Mirko D. Grmek : La main… p 225
4 Guenter B. Risse : La synthèse entre l’anatomie et la clinique. In Histoire de la pensée médicale en Occident. Vol. 2… p 178.
5 Robert Bunon, Essay sur les maladies des dents, où l’on propose les moyens de leur procurer une bonne conformation dès la plus tendre Enfance, & d’en assurer la conservation pendant tout le cours de la vie. Avec une lettre où l’on discute quelques opinions particulières de l’auteur sur l’orthopédie (Paris: Briasson, 1743).p 402
6 François Vidal François Vidal : Les dentistes de la fin du XVIIIe siècle et la thérapeutique médicale galénique. Le Chirurgien-Dentiste de France. 2001.N° 1028. pp 72-75
7 Étienne Bourdet, Recherches et observations sur toutes les parties de l’Art du Dentiste. Paris: Jean Thomas Hérissant. 1757 p 38
8 Lécluze : Pratique abrégée du Dentiste. Paris. Delaguette. pp 134-135
9 Mouton : Essay d’ondototechnie, ou Dissertation sur les dents artificielles. Paris. Antoine Boudet. 1746. p 130
10 Mouton : Essay d’ondototechnie… p 130
11 Lécluze : Pratique abrégée… p 154
12 Lécluze: Pratique abrégée… p 154
13 Dictionnaire des Sciences Médicales, par une société de médecins et de chirurgiens. Paris. C.L.F. Panckoucke. 1812-1822. Vol 26. 1818. pp 490-491. Article signé Nachet
14 Dictionnaire Littré électronique. Edition 1872. Supplément 1879
15 Lécluze : Pratique abrégée…pp154-155
16 Lécluze : Pratique abrégée… p 161
17 Lécluze : Pratique abrégée…p 181
18 Lécluze : Traité utile au Public. Nancy .1750 pp 35-36. Paris . Delaguette. 1754 pp 41-42
19 Mouton : Essay d’ondototechnie,… pp 44-46
20 Mouton : Essay d’ondototechnie…pp 78-79
21 Mouton : Essay d’ondototechnie… p 91
22 Mouton : Essay d’ondototechnie… p 93
23 Mouton : Essay d’ondototechnie…pp 105-106
24 Mouton : Essay d’ondototechnie…pp 123-129
25 Mouton : Essay d’ondototechnie…pp 108-119
26 Mouton : Essay d’ondototechnie…pp 119-120
27 Lécluze : Pratique abrégée … pp 183-185
28 Lécluze : Pratique abrégée … pp 210-211