Pierre BARON
DCD, DSO, DEA Ecole Pratique des Hautes Etudes en Sorbonne
Vice-Président de la SFHAD

A la fin du XVIIIe siècle, la ville de Lyon comptait avec ses faubourgs 150 000 habitants en 1790, et 102 000 en 1793 (1). Cette ville était très prospère. Ses activités principales étaient le commerce, diverses fabriques, les soieries, la chapellerie, la bonneterie, la passementerie ainsi que la quincaillerie(2) . Lyon représentait en chiffre d’affaire, à elle seule, le 1/4 du volume total d’exportations françaises(3) . Son histoire fut marquée, à la fin du XVIIIe siècle par sa rébellion armée contre la Convention.

Les Experts dentistes de Lyon (4)

Les experts dentistes faisaient partie de la Communauté des Chirurgiens, comme dans toutes les grandes villes françaises (5), et, de ce fait ne pouvaient exercer qu’ après avoir été admis aux examens et payé les droits. Cette communauté, qui avait été transformée en Collège Royal en 1775, s’opposa fortement au Collège des Médecins en 1790. En effet, après la Révolution, chaque groupe a commencé à s’octroyer des droits qu’il avait jusque là respecté, les médecins faisant des opérations chirurgicales et les chirurgiens se faisant payer des honoraires pour des consultations. Après les lois le Chapelier, le Collège des Chirurgiens essaya en 1792 de voir plus clair dans ses droits (6) :

 » Plusieurs membres du Collège de Chirurgie sont venus demander s’ils étaient assujettis au droit de patente, s’ils pouvaient prétendre quelque indemnité pour leur ancien droit de maîtrise, et si tout citoyen, en payant des patentes, pourra exercer leur art sans autre examen ? Ces questions ont été envoyées à un comité »

Avant la Révolution il n’y eut que 3 experts dentistes reçus par la Communauté entre 1785 et 1789 :

  • François Didier reçu le 19 juillet 1785
  • Jean Bertrand Loudet (7) reçu le 20 mars 1787
  • Philibert Jambon reçu le 19 décembre 1788

Un peu plus tard, 2 dentistes vont se déclarer comme « reçus »: il s’agit de Jamme (pour 1792) et Pascal (pour 1794). Mais nous savons qu’ après 1792 le Collège n’existait plus.

Si on examine les almanachs (8) de la ville de Lyon, on peut y trouver un certain nombre d’experts dentistes, pendant la période 1785-1800, mais il apparaît que tous les dentistes n’apparaissent pas, compte tenu que les almanachs ne listent que les « experts »:

1785    Laurent Lévêque (9 juin 1759)
Pierre Auzeby (10 févrierl 763)
Jean Hébert l’aîné (29 octobre 1767)
François Roubaud (8 avril 1772)
Jacques Morel de la Bourgade (30 novembre 1773) : absent
Charles Félix (9) Pélisson (27 juillet 1778)
Jean Louis Arnassant(23 juillet 1784)
1786,1787    Lévêque, Auzeby, Hébert l’aîné, Rouland, Pélisson le cadet, François Didier (19 juillet 1785), Morel absent
1788,1789    Lévêque, Auzeby, Hébert l’aîné, Rouland, Pélisson fils, Didier, Jean Bertrand Laudet (20 mars 1787), Arnassant et Morel absents
1792    Auzeby, Hébert l’aîné, Rouland, Pélisson fils, Didier, Laudet, Lévêque, Arnassant et Morel absents
An Vl – An VII (1797-1798,1798-1799)    Auzeby, Hébert, Laudet

Quelques biographies sommaires (10)

Experts Dentistes

Jean Louis Arnassant

– 1784 – 1786 : rue Grenette

– 1801 : « Jean Louis Arnassant, reçu chirurgien-juré par le ci-devant Collège de Chirurgie de Lyon, ancien chirurgien-aide-major de l’Hôpital de Montpellier, et reçu chirurgien-dentiste, par le ci-devant Collège de Chirurgie de la même ville, place des Terreaux n° 105, près le Parc »

– 1801 – 1811 : même adresse

Il semble qu’il ait fait ses études de chirurgie à Montpellier puisqu’il se déclarait Chirurgien juré et agrégé du Collège de Chirurgie de Montpellier. En tous cas, arrivé à Lyon, il se présente à l’examen pour le faubourg de la Guillotière les 4 et 5 avril 1782: ajourné. Il se représente les 19 et 20 juillet 1782: admis à la Maîtrise. Enfin il devient Expert Dentiste à Lyon le 23 juillet 1784. Il publie 2 Traités en 1787 (11) et 1809 (12)

Pierre Auzebi (Auzeby) ( Nîmes 1736 – après 1800) (13)

1771 – 1799 : rue Clermont, maison de Brosse, au Bureau de l’École royale militaire près des Terreaux.

Etudes de chirurgie à Toulouse, Bordeaux et Paris où il est l’élève de Mouton. Il arrive à Lyon en 1762 où il est reçu comme Expert Dentiste dans la Communauté des Chirurgiens le 10 février 1763, alors qu’il ne va figurer dans l’almanach qu’à partir de 1774. Auzebi n’était pas célèbre à Paris, mais avait acquis une grande notoriété à Lyon, où il s’était bien intégré dans la société, ayant épousé une Lyonnaise en la personne de Marguerite Valentin, morte à 32 ans le 24 septembre 1781 et inhumée à Saint Pierre-Saint Saturnin .(14)

Il publie un traité en 1771 (15) dans lequel il se nomme « Chirurgien Dentiste (16) de feu S.A.S. (17) le Prince de Montauban, Élève du Sieur Mouton, Dentiste du Roi ». Dans la préface il constate combien est mauvaise la réputation des dentistes et il accuse les opérateurs ambulants et charlatans de toutes sortes: « Il s’y jette un nombre infini de personnes de tous âges, sans études, qui, n’acquérant d’autre talent qu’une pratique sans principe, beaucoup de hardiesse et quelque adresse, servent mal le public ou le trompent, et s’attirent un mépris général qui influe sur la profession ». De son ouvrage on peut retenir principalement que pour les caries il pensait que l’origine était un déséquilibre des humeurs, théorie tout à fait classique à cette époque, et qu’il inventa, comme beaucoup de ses contemporains, quelques formules. Il inventa un baume antiscorbutique, une liqueur pour favoriser la sortie des dents (18), ainsi qu’un élixir sédatif qui pouvait également servir contre la carie par application directe sur les dents. Comme sédatif de l’odontalgie il fallait en mettre X à XII gouttes dans le creux de la main et aspirer fortement, ce qui provoquait un éternuement et un larmoiement, qui calmaient la douleur dentaire.

Il fut nommé dentiste du Grand Théâtre de Lyon, et nous retrouvons son nom en 1786 dans la liste des spectateurs bénéficiant d’entrées gratuites.(19)

Il passa une annonce après avoir eu un ennui de santé en 1795 .(20)

« Le Citoyen Pierre Auseby, Chirurgien Dentiste, demeurant à Lyon, rue Clermont, maison Forey, n° 24 avertit le public, qu’étant de retour des bains de Balaruc, et sa santé rétablie, il continue avec succès son état de dentiste et vend toujours un baume de sa composition pour les maladies scorbutiques, et toutes sortes d’opiats pour la bouche ».

La date de sa mort n’est pas connue : il apparaît encore dans l’almanach de l’an VI (1798-1799) (21) .

François Didier

1786-1792: place des Terreaux

Jean A. Hébert

1771: rue Neuve 1774-1776: place des Terreaux, maison Allemand 1776-1778: place des Terreaux, maison Allemand: au café Anglois 1786-1799: Hébert aîné place des Terreaux 1801 – 1803: à l’angle de la rue de la Cage et de la place des Terreaux 1806: n’est plus mentionné

Etudes de Chirurgie à Paris où il fut reçu expert . Il semble avoir pratiqué dès 1743 (22), et son nom figure dans les almanachs « Herbert , rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés » en 1759 et 1761 (23). Il vint ensuite à Lyon où il fut reçu expert le 29 octobre 1767 (24). Il se dit: « Breveté de la Ville et du Consulat pour le soulagement des pauvres », ce qui est réel .(25)

Ennemi d’Auzebi avec qui il est en concurrence pour la plus grande notoriété, il publie en 1773 un traité (26) où il critique point par point le traité d’Auzebi, et en 1778 son fameux « Citoyen Dentiste » .(27)

Dans sa « Réfutation » de 1773, il ne signe pas de son nom, mais il cite à 4 reprises, pages 7, 11, 20 et 35, la collection d’anatomie d’ Hébert, ce qui le dévoile au moins autant que son acharnement à démonter tous les arguments d’Auzebi. Dans son avertissement, il annonce clairement son intention

 » avec tous les égards dus aux personnes qui se trompent et dont on n’indique les méprises que pour contribuer aux progrès de la science…. Ce sera sans aigreur, ni désir de nuire que je ferai la critique de cet ouvrage. L’amour seul de la vérité conduira ma plume »

Il semble que Hébert ait fait des dissections pour mieux comprendre la différence entre l’os et la dent. Dans son « Citoyen Dentiste », il confirme son esprit de chercheur, puisqu’il fait des observations au microscope:

« Lorsque le fœtus n’a encore que trois ou quatre mois de conception, la matière première de la formation des dents est gélatineuse, claire, transparente, enfermée dans une membrane fort déliée, fort fine, à travers la texture de laquelle, à l’aide d’un bon microscope… »

Il pratique l’orthodontie, puisqu’il y consacre de nombreuses pages. On peut lire :

« Lorsque les incisives et les canines penchent les unes contre les autres et qu’elles se croisent, il ne faut pas limer pour retrancher les portions qui se surmontent : il faut leur donner l’espace nécessaire en arrachant de chaque côté la première petite molaire, en faisant occuper la place de celle-ci par les dents canines : pour cet effet on entrelace un fil assez gros et fort, autour de la première grosse et de la seconde petite molaire… »

Il soutient, contrairement à Bourdet et Auzebi, que l’on peut tout à fait extraire des dents de lait. Il conseille le grattage journalier de la langue dès l’âge de 4 ans. Il préconise le lavage de la bouche chez les enfants dès l’âge de 6 à 9 ans, complété par un nettoyage dentaire avec un cure-dents, et un rinçage avec de l’eau ou un dentifrice. Il donne plusieurs formules de dentifrices. Avec les dents définitives il préconise le nettoyage des dents avec la friction digitale, pour compléter l’hygiène. Il insiste sur les rapports de la pyorrhée et du tartre, qui détruit le périoste en pénétrant entre lui et la racine. Il donne la formule d’un pain à accrocher au cou des enfants lors de l’éruption dentaire, ce pain ayant la forme d’un hochet, démontrant par là que le hochet raboteux d’Auzebi n’est pas bon.

Il eut en 1753 un fils, Mathieu, qui s’inscrit comme élève en chirurgie à l’Hôtel Dieu (28). La date de sa mort n’est pas connue, toutefois il apparaît encore dans l’almanach de l’an XI (1802-1803). Il est sur la liste de l’assemblée du 2 mars 1789 pour la nomination des chirurgiens députés chargés de la rédaction des cahiers du Tiers Etat (29). Toutefois il est inscrit sous le nom de Jean Gauthier Hebert .(30)

Philibert Jambon (1741/1809)

1806-1811: rue Vaubucour

Ce fut le dernier Expert dentiste reçu par le Collège Royal de Chirurgie de Lyon, puisqu’il le fut le 19 décembre 1788. On ne trouve son nom sur aucun des almanachs consultés, mais il habitait toujours à Lyon, puisqu’il assista avec Hebert et Loudet à l’assemblée du Collège le 2 mars 1789, pour la désignation de ses députés à la rédaction des cahiers du Tiers Etat .(31)

Jean Bertrand Laudet (Loudet) (1762-63/ -)

1788-1799: place du Change Né à Cezuer dans le canton d’Auch, il fut, de 1783 à 1786, élève aux Ecoles Royales de Chirurgie de Lyon .(32) Il fut reçu comme Expert Dentiste à Lyon le 20 mars 1787 (33), mais le procès verbal de son examen a été rayé dans le registre des réceptions (34). Il assista le 2 mars 1789 à l’assemblée générale du Collège de Chirurgie pour la désignation de ses députés pour la rédaction des cahiers du Tiers Etat (35). En 1791, il fut élu par sa Section, celle du Change, Chirurgien aide Major de son bataillon (36), et en 1792 Chirurgien Major. Il avait postulé au poste de dentiste du Roi de Bavière. Il exerçait encore sous l’Empire.

Laurent Lévêque

1771-1791: rue Lanterne

Charles Félix Pélisson (Plisson) (37)

Reçu comme Expert Dentiste à Lyon le 27 Juin 1778, Il se dit  » gradué  » (38) . Il publie deux livres, l’un en 1781 et l’autre en 1788 (39) qui comporte en exergue, sous le titre, une citation de Maret dans son « Discours sur les Anti-septiques »: « Le raisonnement sans l’observation ferait des Théoriciens dangereux. L’observation sans le raisonnement produirait des Empiriques non moins redoutables ». Dans ce traité il parle des moyens de calmer les douleurs dentaires: la rugine, le cautère, le vinaigre, les essences, les élixirs, dont le but est la destruction du nerf dentaire.

Charles Pélisson Fils (Plisson) (1763-1793)

1783-1793 : 66 rue Ecorche-Boeuf, aux Recluses (40)

En 1793, il exerçait la profession de dentiste. Inscrit en 1777 comme élève à l’Hôtel Dieu de Lyon (41), on le retrouve en 1792 Capitaine de la Garde Nationale, nommé par la section du Port du Temple à laquelle il appartenait (42). Il a été ensuite arrêté sur dénonciation (43) et incarcéré à la Maison des Recluses, Comme il avait porté les armes contre la Convention, le Tribunal le condamna à mort le 1er nivôse (44), malgré l’intervention de sa Section pour essayer de le sauver. Il fut fusillé le jour même (1/12/1793) aux Brotteaux .(45)

François Rouland

1773-1792: rue Dubois

Dentistes non experts

Jamme (Jammé)

1802-1811: rue Clermont

Il prétendait avoir été reçu au Collège en 1792, dernière année d’activité pour ce dernier, mais nous n’avons de traces de cet « expert » qu’au début du XIXe siècle .(46)

Pascal

1802 : place de la Boucherie des Terreaux n°33.

1806-1811 :

« Pascal, maison du change de Londres, faisant l’angle de la rue Ste-Catherine et de la montée de la Glacière, vis à vis la rue Romarin, n°4 au troisième étage »

Il se disait reçu au Collège en 1794, mais nous savons qu’après 1792 le Collège n’existait plus. Il n’apparaît pas dans les derniers almanachs du siècle, mais, en revanche, dans celui de l’an XI (1802/1803).

Vaucher

On ne sait rien de ce personnage, sauf qu’il a passé en 1797 une annonce dans le Journal de Lyon pour annoncer son installation dans la ville .(47)

 » Arrivé depuis quelque temps dans cette ville, VAUCHER, Chirurgien-Dentiste, y a déjà fait plusieurs opérations, qui toutes sont de nature à faire connaître ses talens supérieurs en cette partie, mais dont toutes ne peuvent être publiées.
Le dit VAUCHER respecte trop les secrets des personnes qui l’honorent de leur confiance, pour en citer d’autres que celles qui veulent bien y consentir : il a trouvé cette complaisance dans la personne de Marie CHARMY, fille domestique, demeurant chez le citoyen GUYON, horloger, Port du Temple, n°39; non seulement elle a permis de la nommer, mais l’habileté qu’elle connaît audit VAUCHER, pour tout ce qui concerne le rapport des dents, l’a encore fait consentir à faire savoir l’ouvrage fait dans sa bouche, à tous ceux qui désireraient s’édifier par eux-mêmes: ils verraient quatre dents contigues si artistement placées, qu’on défie même un connaisseur, de les distinguer d’avec les naturelles, s’il n’est prévenu de l’endroit qu’elles occupent.
Il n’emploie dans ses ouvrages, tels que celui qui vient d’être cité, aucuns crampon, ni ligatures, sans qu’aucuns pivots paraissant même intérieurement; cependant ces dents ne sont pas moins solides que les naturelles, puisqu’elles font le même service sans plus de précautions. Ceux qui désireraient prendre connaissance de l’ouvrage dont il s’agit, peuvent s’adresser à ladite Marie CHARMY, chez ledit citoyen GUYON, horloger, et en son absence, aux voisins dudit GUYON, qui tous se rappelleront le vide qui existait dans sa bouche avant l’opération ci-dessus rappelée.
Certainement ledit VAUCHER peut dire, sans craindre aucune censure, qu’aucun de ceux qui se sont livrés à l’art de la dentition jusqu’à ce jour, ne sont parvenus à ce degré de perfection. Ses talents mécaniques ne se bornent pas seulement à poser des dents artificielles: il croit pouvoir se flatter de la même supériorité dans tout ce qui concerne la bouche, soit dans ses maladies, soit dans sa propreté.
C’est à des études assidues et particulières sur cette partie, depuis nombre d’années, qu’il doit tout ses succès. Il demeure place de l’Herberie, à l’angle de la rue Longue, n’122, au second étage. Sa résidence est définitivement fixée à Lyon. »

Ce Vaucher est peut être un expert, mais, s’il l’est, il a été reçu auprès d’une autre communauté de Chirurgiens que celle de Lyon. Il se peut également que ce soit un autodidacte ou encore qu’il ait suivi un enseignement chez un dentiste, comme cela se faisait en cette fin du XVIIIe siècle. Si nous accordons du crédit à son annonce, il faut en tirer les conclusions suivantes: sa patiente avait une édentation antérieure (visible), maxillaire ou mandibulaire, que Vaucher a comblée au moyen d’une restauration prothétique. Nous ne pouvons pas savoir s’il s’agit d’une prothèse fixe ou mobile. Mais il affirme que ce n’est pas visible. Du point de vue social, toujours si nous accordons du crédit à cette annonce, il est intéressant de noter que cette Marie Charmy est domestique de son état. Cela confirme que les dentistes faisaient des travaux prothétiques à des personnes pauvres.

Médecins et chirurgiens

Nous constatons ainsi que Lyon, comme les autres grandes villes françaises à la fin du XVIIIe siècle, n’avait que peu d’Experts Dentistes. Or nous savons bien que, compte tenu que la population avait de nombreuses caries (48), il y avait d’autres personnes que les Experts dentistes et dentistes pour pratiquer l’art dentaire.

Nous savons que certains Maîtres en Chirurgie le faisaient, comme G. Girard, reçu agrégé au Collège Royal de Chirurgie en 1783 (49), B. Collomb, qui avait été Lieutenant du ler Chirurgien du Roi (50) ou encore M. A. Petit .(51)

Dalivet, médecin, fit une thèse de dentisterie en 1799 . (52) Mais ce sont soit des observations cliniques, soit des rapports sur des soins paraissant occasionnels. On peut avoir des doutes sur une réelle activité de dentiste de la part de ces gens-là.

Empiriques

Laurent Mourguet (1769-1844) (53)

Né à Lyon le 3 mars 1769, il était l’aîné de 5 enfants. Ses parents déménagèrent dans le quartier Saint-Georges en 1778. Fils et petit-fils de canut (54), il commença très tôt son apprentissage. Bien qu’un de ses oncles était instituteur, Mourguet n’alla pas à l’école et, s’il savait à peine lire, il ne savait pas écrire. Il épousa à l’église Saint-Georges le 22 novembre 1789, Jeanne Esterle, ouvrière de la soie et fille d’un vigneron de Sainte-Foy-lès-Lyon. Ils eurent 10 enfants dont le premier naquit le 20 août 1797 et le dernier le 28 août 1809. Les ventes de la soie ayant diminué, Mourguet se met certains jours à décharger des marchandises sur les quais de la Saône. En 1793 les événements politiques de Lyon rendent les conditions de vie encore plus difficiles. Cela incita Mourguet à devenir marchand ambulant. Ayant habité au début de son mariage le quartier Saint-Georges, il habita rue du Bœuf, puis emménagea place Saint-Paul en 1795, où il restera jusqu’en 1840. Il se mit ensuite à vendre quelques drogues et remèdes, et enfin se mit à partir de 1797 à arracher des dents. Faisant les marchés, il installa un petit théâtre de marionnettes pour attirer les passants et leur vendre quelque élixir ou leur arracher une dent douloureuse .(55) Il n’eut les deux activités que jusqu’en 1804. Il se consacra ensuite exclusivement au théâtre.

C’est Mourguet qui inventa les personnages de Gnafron et de Guignol. Ainsi il créa une pièce intitulée : « Un dentiste » qui eut un grand succès. Dans cette pièce, Gnafron suggère à son ami Guignol de devenir dentiste pour gagner suffisamment d’argent, le métier de tailleur ne rapportant que trop peu. On peut lire:

Gnafron
– Tiens (il réfléchit). Nous dînerons… Fais-toi dentiste.
Guignol
– Est-ce que je connais la dentisterie ? Tu me prends pour une mâchoire.
Gnafron
– T’as tout ce qu’il faut pour être dentiste. Faut un toupet d’aplomb et être un bon menteur.
(56)

Mourguet mourut à Vienne le 30 décembre 1844. Il resta célèbre, justement parce qu’il était le créateur de Guignol : de nombreuses études lui ont été consacrées .(57)

1 Journal de Lyon par Pelzin. N° 97. 10 pluviose an IV. Samedi 3 0/l/1796.
2 Clincaillerie in Journal de Lyon op cit.
3 Lyon exportait vers la haute Allemagne, les Pays Bas et la Hollande, les pays du Nord, l’Italie, ainsi que par la mer vers le Levant et les Indes.
4 Travail basé sur: Jean Rousset, « L’art dentaire à Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles ». Lyon. Société OdontoStomatologique de Lyon. 1962. 4 1 p.
5 L’édit de septembre 1723 avait étendu à toutes les villes du royaume le règlement du 28 février 1719, enregistré au Parlement le 16 mars 1720, établi pour la Communauté des Chirurgiens de Versailles. Il fut rendu exécutoire à Lyon par juridiction consulaire du 5 octobre 1725. Le règlement de 1730, rendu exécutoire à Lyon en 1733, complété par celui de 1736 va préciser la nécessité de passer un examen et de payer des droits pour « exercer la partie de la Chirurgie appelée Herniaire ou ne s’occuper qu’à la cure des dents… »
6 Journal de Lyon 1792 N°3 Dimanche 8 janvier p. 34.
7 Loudet on Laudet.
8 Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon. Lyon. De La Roche. 1768 à 1803
9 Pélisson ou Plisson est bien noté dans le registre des réceptions avec le prénom de Charles alors que son fils Charles était lui aussi dentiste et que, âgé de 14 ans en 1777, élève à l’Hôtel-Dieu de Lyon, il est noté comme étant le fils de Félix PLISSON dentiste ( Archives Hospitalières FHD 4, p. 141, le 7 juin 1777).
10 Les adresses ont été relevées dans des almanachs antérieurs à 1812. Dans l’édition de 1806 il y a une liste de dentistes intitulée, de façon anachronique, « Experts-Dentistes »-. Arnassant (1780) (sic), Jambon (1788), Jammé (1792), Pascal (1794), Fracheron (an XII).
11 Réflexions sur les progrès des connaissances en anatomie, et sur l’état des dents dans les différents âges de la vie. Lyon. 1787. 15p. in 8°.
12 Abrégé de l’art du chirurgien dentiste. Ballanche. Lyon. 1809.
13 Enriore-Jarrix Christine: Pierre Auzebi et Jean Hébert dentistes lyonnais au XVIII’ siècle. Thèse Doctorat en Chirurgie Dentaire. Lyon 1978. 91 p.
14 Tricou J. :Les Valentin. 1944. Lyon. Badiou Editions. 13 8p 8pl in 8° p. 136.
15 Traité d’Odontalgie où l’on présente un système nouveau sur l’origine et la formation des dents, une description des différentes maladies qui affectent la bouche et les moyens de les guérir. Rosset. Lyon. 1771..3 f. 167p. in 8° et Didot. Paris. 1772
16 Titre non agréé mais qui avait déjà été proposé par Pierre FAUCHARD en 1728 dans son Traité.
17 S.A.S. abréviation fréquemment usitée pour: Son Altesse Sérénissime.
18 Les Chirurgiens Majors Dufieu et Guérin l’ont essayée pendant 3 ans à l’Hôtel Dieu de Lyon. Il faut noter ici, d’une part, que les experts dentistes avaient des rapports professionnels avec les chirurgiens, et, d’autre part, que ces derniers accordaient un certain crédit à ces dentistes.
19 Il figure avec sa femme en 1786 : il s’était donc remarié, puisque Marie Valentin était décédée depuis 1781. Voir : Vallas L. Un siècle de musique et de théâtre à Lyon 1688-1789. 1932. Lyon. P. Masson Editions 559p in 4° p. 437.
20 Auseby in Journal de Lyon N° 87 26 frimaire an IV. Jeudi 17 décembre 1795 p. 280. La pagination est erronée, il s’agit de p. 730.
21 Pour Breghot du Lut et Pericaud aimé: Catalogues des Lyonnais dignes de mémoire. Techener. Paris. 1839. 336p. in 8° comme pour « La France Littéraire » de QUERARD il serait mort en 1791. Rousset l’admet, mais ne comprend pas pourquoi il apparaît encore dans l’almanach de l’an IX. Nous venons de voir que c’est faux puisqu’il fait passer une annonce dans le Journal de Lyon n’ 87 de 1795 et que l’almanach de 1798/1799 (an IX) le cite encore.
22 Il semble qu’il exerçait depuis 1743 selon le Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie de janvier 1780, vol LIII, p. 187. Paris. Thiboust. In 32°.
23 Jeze 1759: Tableau de Paris. Paris. Claude Hérissant éditeur. In 12° 300p.
1761 : Etat ou tableau de la ville de Paris. Paris. Prault, Guillyn, Duchesne, Panckoucke éditeurs. In 8° 150p.
24 Registre Archives Municipales HH 44.
25 Archives Municipales BB 337 1769.
26 Réfutation d’un nouveau Traité d’ Odontalgie. Genève. 1773, 59p. in 12°.
27 Le Citoyen Dentiste ou l’art de seconder la nature pour se conserver les dents, et les entretenir propres, Rosset. Lyon 1778. 95 p. in 8°.
28 Archives Hospitalières FHD 4, p. 136 : « Mathieu HEBERT 22 ans, fils de M. HEBERT chirurgien dentiste demeurant chez son père dans cette ville » Le 8 novembre 1775.
29 Archives Municipales HH 70. 2 mars 1789. Procès verbal de l’Assemblée des Chirurgiens pour désigner leurs députés chargés de la rédaction des cahiers du Tiers Etat. Expédition de l’acte des notaires Chazal et Détour.
30 Rousset op cit voit là la trace d’un frère de Hébert, alors qu’il paraît dans l’almanach avec la mention Hebert l’aîné. Mais il faut plutôt interpréter de cette façon: Jean Hébert est noté avec tous ses prénoms soit Jean Gauthier pour l’assemblée, et avec la mention l’aîné, dès que son fils devient élève en chirurgie (ou chirurgien-).
31 Archives Municipales HH 70. 2 mars 1789.
32 Archives Municipales HH 51. Registre des Professeurs de 1783 à 1786. Registre du Lieutenant. Registre du Prévôt.
33 Archives Municipales HH 51. livre pour les Actes de légère expérience, p. 79.
34 Archives Municipales HH 49. Registre des réceptions, p.69.
35 Archives Municipales HH 70. 2 mars 1789
36 Archives Municipales HH 44. Registre p. 112.
37 Pour cet expert il est difficile de bien établir les faits: il apparaît comme Plisson fils reçu en 1778. Or si c’est bien celui qui était élève à l’Hôtel Dieu en 1777, il n’aurait que 15 ans (!). On peut supposer aussi qu’il y ait 3 générations de dentistes et que Plisson fils reçu en 1778 soit déjà le fils d’un dentiste.
38 Gradué correspond à Maître es-arts, soit le Baccalauréat actuel.
39 Observations sur un nouveau moyen de guérir certaines douleurs de dents. Lyon. 1788. 23p. in 8°.
40 Archives du Rhône 42L 101
41 Archives Hospitalières FHD 4, p. 141 du 7 juin 1777, fils de Félix Plisson, dentiste à Lyon.
42 Archives du Rhône 42 L 101 Liste des 62 détenus de l’Arrondissement Affranchi 17.
43 Archives du Rhône 42 L 101 Liste des incarcérés de la section de Bataillon-Affranchi, 43ve, n°66.
44 Archives du Rhône 42 L 27 : Jugements, p. 125.
45 Portallier A. : Tableau général des victimes de la Révolution en Lyonnais. 1911 . Saint-Etienne. Thiolier Editions. 520p. in 8° p. 354.
46 Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon.47 Journal de Lyon N° 170. 10 pluviose an V. Dimanche 29 janvier 1797. p.476.
48 Félix Plisson : Observations…. 1788 op cit
49 G. Girard: Mémoires et observations de Médecine. Ruisand. Lyon. 1829. 80p. in 8′. p. 71.
50 B. Collomb .- Oeuvres Médico-Chirurgicales. Bernuset. Lyon. An VI ( 1798-1799). 544 p. in 8°. P. 320-321.
51 M.A. Petit : Essai sur la Médecine du cœur. Garnier. Lyon. 1806, 344 p. in 8′. p. 223.
52 J.F.M. Dalivet : Considérations … sur la dentition difficile. Izar et Ricard . Montpellier. An VII (1799-1800).
53 Cony Gérard : Laurent Mourguet, dentiste forain et père de Guignol. Le Chirurgien Dentiste de France. 1995. N° 752. 8 juin. pp 33-40.
54 Ouvrier Lyonnais spécialisé dans le tissage de la soie, qui était rémunéré selon une ancienne unité de mesure appelée la canne, d’où le nom de canut découle.
55 Déjà au XVII’ siècle, à Paris, Pierre Datelin ou Brioché, ancêtre d’une longue lignée d’arracheurs de dents, était marionnettiste et empiriste sur le Pont Neuf. Il avait son fameux singe Fagotin.
56 L’expression :  » Menteur comme un arracheur de dents  » est encore très usitée de nos jours.
57 Nous citerons ici les principales
• Onofrio Jean-Baptiste, « Théâtre Lyonnais de Guignol » Lyon 1865/1870 Scheuring, 2 vol.
• Lemercier De Neuville, « Histoire anecdotique des marionnettes modernes ». Paris 1892 Calmann Lévy
• Maindron Ernest, « Marionnettes et Compagnies » Paris 1900 Félix Juven
• Gien Prosper, « La vie modeste et tourmentée de Laurent Mourguet- Vienne 1943, Fernet Martin
• Chesnais Jacques, « Histoire générale des marionnettes » Paris 1947 Bordas
• De France Henry, « Les marionnettes pour tous », Paris 1949 L’Ermite
• Baty Gaston et Chavance René, « Histoire des marionnettes » Paris 1959 PUF Que sais-je
• Leroudier Henri, « Lyon Guignol » Lyon 1970 Résonances
• Simmen René, « Le monde des marionnettes » Zurich 1972 Silva
• Fournel Paul, « L’histoire véritable de Guignol » Lyon 1975 Fédérop
• Deschamp Nicole, « Laurent Mourguet : canut, arracheur de dents et génial inventeur de guignol », Lyon 1984, Thèse Doctorat Chirurgie Dentaire
• Marescot Claudie, « Marionnettes et Compagnies » Paris 1995 Le Temps Apprivoisé