Xavier DELTOMBE
Docteur en Chirurgie Dentaire,
Secrétaire de la SFHAD

PERIODE : DE 1555 à 1789

FREQUENCE : 275 arrêts de remontrances sur 6033, soit 4,5%

MOTIFS DES ARRETS :

Maladies contagieuses 97
Peste 45
« Soignants » 44
Epidémies 34
Divers 19
Rage 10
Maisons de santé 10
Prostitution 6
Enfants 4
Prévention des accidents 4
Prisons 1
Lèpre 1

II existe plusieurs ouvrages extrêmement complets, détaillés, qui abordent les problèmes de santé en Bretagne, en particulier celui d’Alain CROIX – La Bretagne aux 16 ème et 17 ème siècle.

Nous connaissons assez bien par ces ouvrages les problèmes d’hygiène aux 16ème, 17ème et 18ème siècle, c’est à dire les problèmes de santé publique auxquels sont confrontés les autorités locales, les médecins, les chirurgiens, et les autorités religieuses principalement. Les registres des communautés des villes, les registres des hôpitaux et bien entendu les registres paroissiaux fournissent l’essentiel des informations, auxquelles il faut ajouter quand c’est le cas les registres personnels des professions de santé. Nous avons tous travaillés un jour ou l’autre sur ces documents et nous en connaissons la richesse des informations quelle que soit la région de France.

J’ai souhaité par cette étude des remontrances connaître seulement l’attitude et les décisions des parlementaires du Parlement de Bretagne. En effet ce Parlement a un pouvoir législatif et exécutif sur des problèmes de santé publique. C’est un pouvoir politique.

Ces arrêts se regroupent en 4 parties :

  • La vie quotidienne, c’est à dire les affaires générales de la province, les usages, la police, le commerce, l’artisanat, mais aussi le respect de la religion, la mendicité, les impôts, les guerres, les questions ecclésiastiques, le protestantisme.
  • La justice, c’est à dire les affaires de justice
  • Les paroisses
  • Les affaires diverses: les jésuites, les abbayes, les ponts et chemins, les monnaies, les prisons…etc..

L’étude a été faite sur 6033 arrêts, de 1555 à 1789.

J’ai relevé 275 arrêts de santé publique sur 6033, soit 4,5%.

Nous en citerons quelques uns.

 

LES MOTIFS

La lèpre

1609 mesures de protection et de soins concernant les Iépreux de Quimper. La lèpre est en disparition au début du 17ème siècle.

Les prisons

1773 Assignation d’un boulanger qui a fourni du pain de qualité si mauvaise qu’il a provoqué des vomissements aux prisonniers et les a rendus malades

Prévention des accidents

Accidents dus aux animaux en divagation dans les villes et faubourgs.

Enfants

1767 Rappel de l’arrêt de 1757, concernant l’interdiction de se rendre dans les cabarets avec les nouveaux-nés après leur baptème.

Prostitution

La lutte contre la prostitution est une lutte dans le cadre d’un ordre moral, mais c’est aussi une lutte contre la prostitution d’enfants.

Maisons de santé
1701         Conflit entre les prévots et les directeurs de l’Hôtel-Dieu, parce que  » Au grand dommage des malades, il pleut dans la plupart des lits des malades ».
1783         Ordonnances de police de Rennes concernant les conditions des inoculations contre la petite vérole pour en prévenir les inconvénients supposés.
Interdiction de louer des maisons pour l’inoculation.
1721         Remontrance contre le manque total d’assiduité du médecin auprès des malades de l’hôpital Saint-Yves.
Rage

Arrêts 1705 et suivant concernant la lutte des chiens enragés en divagation, vecteurs de la rage.

Divers
1590         Etude de la proposition d’une habitante de Rennes, ( La dame de Vauclerc) qui propose d’amasser les immondices de Rennes en un endroit bien spécifique.
1590         injonction aux habitants pour la propreté des rues de Rennes
1623         interdiction de jeter quoi que ce soit par les fenêtres.
1618         Arrêts pour la répurgation des cloaques des prisons.
1605         Mesures d’hygiène contre les immondices et les mendiants pour prévenir en particulier la peste.
Epidémies

Entre les épidémies, la peste et les maladies contagieuses, il n’y a pas de véritables limites, les explications du monde médical étant très floues. L’emploi constant de ce terme en cas d’épidémie s’explique d’autant mieux que, du point de vue des contemporains, d’autres maladies apparaissent, liées à la peste.

1725         Commandement au médecin, au chirurgien et à l’apothicaire d’aérer les maisons qui sont demeurées fermées depuis les maladies. Nous retrouvons la doctrine aériste de lutte contre la peste, l’une des nombreuses mesures de lutte contre les causes du mal. Tout au long du 16 ème,l7 ème, et du 18 ème siècle, la » colère divine » est la première dans la hiérarchie des causes de la peste et des épidémies.  » II a plu à Dieu nous visiter de la maladye contagieuse »; ainsi s’exprimait le maire de Nantes en 1583 (AM Nantes BB 38) en ouvrant l’assemblée générale réunie pour traiter des problèmes de la contagion.
1751         La paroisse de Pleumieux du diocëse de Saint Malo est désolée par une dysenterie qui en a déjà enlevé plus de 250 habitants. Cependant les paysans continuent de contrevenir aux arrêts interdisant les inhumations à l’intérieur des églises. ( II y a des arrêts répétés).
1771         Commandement au général de la paroisse de saint Potan de s’assembler dimanche prochain, attendu la célérité du fait, pour délibérer sur les moyens les plus prompts pour arrêter la maladie épidémique qui ravage la dite paroisse.

Soignants

1708         Appel d’une sentence des juges de la police de Rennes concernant des pratiques magiques de la nommée Guillon.
1754         En dépit de la sentence rendue, le dénommé René Guérin continue d’exercer la chirurgie.
1758         Défense à la nommée Jeanne Uguet de faire les tonctions de sage-femme, après les notoires acccidents survenus, et les mises en garde de sa propre famille et du Recteur.
1770         Arrêt pour un exercice illégal de la médecine et de la chirurgie.
1786         Défense à Joseph et à Anne Navarre sa femme d’exercer la médecine et la chirurgie, les habitants de campagne qui donnent dans le merveilleux courent chez lui de fort loin.
1633         Arrestation du nommé Bon-Désir  » affronteur contrefaisant I’opérateur à Rennes.
1786         Arrêts concernant des empiriques plus dangereux que le mal qu’ils promettent de guérir.
1788         Arrêts contre les « matrones ignorantes »dénoncés par plusieurs recteurs.

Peste
1624         Dispositions précises pour empêcher I’entrée à Rennes d’habitants des paroisses affligées par la peste.
1622         « Commandement à tous les escolliers des paroisses voisines de dix lieues proches de cette ville de vider promptement icelle ».
1680         Interdiction aux navires venant d’Espagne d’aborder les ports de la province. 1666 avec les villes d’Ostende, Nieuport et Bruges.
1605         Mesures de prévention de la peste à Rennes, concernant principalement les immondices de la ville, et les mendiants.

L’interdiction d’entrer en ville pour les étrangers peut parfaitement relever d’une doctrine contagionniste, comme d’une doctrine aériste. Le relais de Dieu, c’est I’air.

Maladies contagieuses
1628         Interdiction aux messagers de Rennes à Saint Malo de passer par Saint Domineuc. On retrouve là une doctrine contagionniste de lutte contre la maladie.
1625         Prohibition en particulier „ I’intention des habitants de Morlais et de Saint Malo, du commerce de marchandises provenant de Londres, en raison de la peste.
1664         idem avec Hambourg.
1625         Arrêt pour I’enterrement en dehors des cimetières des personnes décédées de la peste.
1630, 1635         Interdiction de nombreuses foires.

Conclusions

En 230 ans il ne s’est pas trouvé d’innovation dans les mesures de luttes contre les épidémies. Pourtant la science semble en avance sur le sentiment collectif, car ni les médecins consultés, ni les décisions des parlementaires ne se réfèrent à une quelconque intervention divine. Par contre, pour la population le relais de Dieu, c’est l’air. Il existe bien un ensemble de mesures de prévention que les parlementaires essaient d’appliquer, par des arrêts. La vie est précaire, les épidémies sont fréquentes et dévastatrices. A la fin du 18ème siècle, il y a de grandes épidémies de dysenterie dans l’ouest de la France.

Il est possible de faire deux remarques :

Pierre Baron, Vice-Président de la SFHAD, et moi-même venons de publier un article dans Dental Historian sur la production, la distribution et la commercialisation des produits dentaires en France au 18ème siècle (Congrès de York, octobre 1996).

Nous avons constaté un très grand développement des produits contre la douleur, mais aussi concernant l’esthétique (ce qui plait à l’oeil), avoir des dents, et des dents blanches.

La deuxième remarque provient de la lecture de la thèse du Dr. Kurdyk sur Dubois de Chemant et les dents minérales en porcelaine. Un mot est essentiel dans les publicités : c’est le mot incorruptible, qui ne peut être corrompu. On met ainsi définitivement fin à cette théorie de la carie, du ver qui ronge la dent, du ver qui ronge le corps après la mort et le mortel que nous sommes, semble y trouver la forme d’immortalité. Il est étonnant de constater le succès de ces prothèses complètes qui ne permettent pas de parler, qui ne permettent pas de mâcher, mais qui ont un but esthétique. Il y a donc d’un côté des problèmes majeurs de santé publique, de mortalité très élevée, d’épidémies assez insolubles, et de l’autre un besoin d’esthétique, de paraître, et c’est cette opposition entre l’être et le paraître qui peut être soulignée dans cette étude.