Micheline RUEL-KELLERMANN
Secrétaire Générale de la Société française d’Histoire de l â€˜Art Dentaire
Présidente de la Société Française d’Odontologie Psychosomatique

Trois jours avant sa naissance, Henri IV confie le Dauphin à Jean HÉROARD (1551-1628) Docteur de la Faculté de Médecine de Montpellier.

Dès le premier jour, seront consignés tous les détails concernant la nature, la prise des aliments, les boissons, les exercices, les moments de repos, le sommeil, les réveils, l’état de santé (pouls, température, troubles fréquents) et ce qui n’en est que trop connu : la quantité, la consistance et la couleur des évacuations de cet enfant royal. La richesse de ce journal (manuscrit de 11.054 pages) tient peut-être encore plus à la relation des comportements, des gestes, des paroles, des mots souvent déformés (phonétiquement transcrits), des humeurs de cet enfant à la fois attachant et difficile et à la présentation, insérés entre les feuilles du journal, de ses tout premiers dessins et pages d’écriture.

Il lui restera dévoué et l’accompagnera partout jusqu’à sa mort, à 77 ans, lors du siège de la Rochelle. Louis XIII n’a pas 27 ans et soupirera en disant :  » j’avais encore bien besoin de lui « .

Henri IV avait enfin l’héritier tant désiré qu’il aimera réellement, lui consacrant tout le temps qu’il lui était possible,mais se montrera autant capable, dès sa deuxième année, d’une sévérité et même parfois d’une brutalité dans un souci de dressage contrastant avec de remarquables moments de tendresse, voire de faiblesse. Son fils l’adorera et le craindra comme nul autre.

Quant à Marie de Médicis, elle n’aime pas cet enfant, encore moins que les autres, avec lequel elle se montrera toujours froide, sèche, dédaigneuse, se baissant à peine pour l’embrasser sur le front. Louis ne l’aime pas, mais la respecte et la craint.

Héroard qui ne l’apprécie guère, ne manquera pas de noter :  » caressé pour la première fois par la Reine «  ( l’enfant a 6 mois) et souvent :  » pleure quand la Reine s’approche « .

La venue au monde

Après 22h de travail, le 27 septembre 1601 sur les onze heures du soir, à Fontainebleau, naît Louis, pratiquement inanimé  » pour avoir longtemps séjourné en attendant à l’arrière faix «  (le placenta) d’entre les mains de Louise Bourgeois dite Boursier, sage-femme. Henri IV est présent et raconte t-elle, la pria vivement de ne pas attendre qu’on apporte une cuillère et de faire comme avec tout autre enfant ; c.a.d que se saisisant de la bouteille, le roi lui emplit la bouche de vin, qu’elle souffla aussitôt dans la bouche de Louis qui  » a l’heur même revint et savoura le vin que je lui avais donné 

Le corps est lavé avec du vin vermeil, meslé avec de l’huile ; et lorsqu’il est prêt à être emmailloté,  » il porte ses mains jointes à sa bouche comme pour les baiser. Il cria fort peu, mais point en enfant, qui est une des choses les plus remarquables en luy. « .

L’Odyssée nourricière

Après ce premier geste main-bouche des plus gracieux, et peu probable, les premières épreuves lingales surviennent: la nourrice Cath Hotman, déclare  » sa peine à téter et l’on conclut à la nécessité de lui couper le filet de la langue « . Et sur les 5h du soir, Monsieur Guillemeau , chirurgien s’y reprend à trois fois pour le faire !

Il se met à téter avidement et longtemps tout en demeurant  » allouvy « . Le défaut de lait est manifeste : mamelle petite, lait clair et chaud de Cath Hotman dont Héroard dira un peu plus tard  » qu’il ne l’a jamais tétée qu’il ne se soit mis en colère « .

Le 14 octobre : on lui donne sa première bouillie pour pallier le déficit.

19 octobre Helin, femme Lemaire est appelée en renfort.

Fin décembre : Hothman est congédiée, remplacée par Galand, femme de Charles Butel, barbier chirurgien à Paris.

13 janvier 1602 Galand trop malpropre,  » elle sentait le doux dans le lit « ,  » avait les yeux chassieux  » etc… est congédiée.

La Reine amène Antoinette Joron, femme Bocquet.

21 janvier Helin est remerciée à son tour.

Désormais, Antoinette Joron, celle qu’il appellera  » Doudoun  » s’occupera tendrement de lui et Louis le lui rendra bien en lui déclarant souvent :  » je vous aime ma belle Doudoun, pouce que je suis fou de vous « 

Son attachement pour Madame de Monglat,  » Maman GA «  sera plus ambivalent, d’autant qu’elle est la gouvernante de tous les enfants légitimes ou bâtards qui vivent au château  ; Elle s’entendra souvent dire :  » vou n’ete pas belle, vous ete mecante, car je scay bien que vou me doneré le fouet  » 

Amaigri par cette odyssée nourricière, le Dauphin va connaître dès trois mois, le début de ses

Vicissitudes dentaires

Tout d’abord Héroard observe qu’ : « il mâchonne sa langue depuis 8 jours «  (à deux mois et demi) puis qu’il mord ses poings, douleurs aux gencives, rougeurs aux joues comme il advient à un mal des dents. A crié. A sucé 2 amandes avec plaisir.

Traitement des douleurs :

  • Rafraîchir la bouche avec de l’eau de licorne.

  • Sucer un bout de bougie de cire blanche mêlé de sirop violat.

  • Frotter la gencive avec de la cervelle de lièvre ou de la crête de coq.

Premières éruptions

Le 15 avril, à 8h30, la remueuse découvre avec son doigt la première incisoire droite de la mâchoire basse.  » il est joyeux outre mesure « , Mr Guérin son apothicaire part à 10h pour porter la nouvelle au Roi , à Fontainebleau, et Héroard vers les 5 h du soir, découvre à son tour, avec son doigt, la deuxième gauche.

La tension demeure et l’on peut lire souvent :  » pleure à grosses larmes, mal aux dents, doigts souvent dans la bouche  » ; la douleur des gencives hautes et basses est présente puis apparait la troisième incisoire, le 1er juillet.

Etat général

Durant ces premiers mois la bouche n’est pas la seule à donner du souci. Visage, lèvres, joues, oreilles et pratiquement tout le corps sont couverts de gale, de dartres, d’eslevures (rougeurs). Inlassablement, on frotte, on pommade partout où c’est nécessaire. De plus les tranchées et les coliques fréquentes seront de plus en plus préoccupantes. De surcroît, le visage est ingrat : bouffi, lippu, les bosses frontales saillantes, les yeux à  » fleur de tête  » et l’œil droit chassieux et enflé.

Du charme en dépit des disgrâces

Héroard, visiblement sous le charme d’un enfant qui malgré ses disgrâces n’en est pas dépourvu,  écrit :  » danse au son du violon « , « joyeux, rit à chacun, gentilles grimaces, imite tout ce qu’il voit faire «  et plus loin  » écoute avec ravissement la musique « .

Puis au onzième mois le teint s’éclaircit, la peau s’assainit, une amélioration générale survient;  » il n’est plus recognoissable « 

En décembre : en moins de 15 jours lui percent six maschelières.

A 25 mois il est sevré, (pour Madame, sa sœur on sait qu’on a utilisé la moutarde !)

A 30 mois Louis a percé toutes ses dents. Les maux de ventre n’en finissent pas pour autant et il est noté, pour la 1ère fois en août 1604 :  » il a la bouche de l’estomach, fort sensible « . Maux de coeur, maux de ventre, vomissements confirment sa complexion fragile.

Les manières de propreté

Le journal est presque muet sur ce que nous appellerions les soins élémentaires d’hygiène : l’inlassable répétition  » mains nettes, grâces à Dieu  » est la seule information précisant que les mains sont rendues propres, à la fin de chaque repas, en même temps que les Grâces sont rendues à Dieu par l’aumônier, toujours présent  ;  » gache a Dieu  » reprend Louis.

Pour la bouche, des attouchements de Licorne trempée d’eau semblent réservés  aux douleurs provenant probablement d’ulcérations aphteuses. L’entretien quotidien est passé sous silence. Quant aux dents, notons qu’en dehors des lavages contre la douleur, elles ne doivent être nettoyées qu’avec l’aide de la langue comme l’exige Héroard et non pas avec le doigt passé sur les gencives comme le fait l’enfant qui justifie son geste par un :  » Mai ma langue e pas asse longue, j’i tache, mai je ne saré  » .

Importance des dents

Le Dauphin réserve aux dents des autres comme aux siennes une attention tout à fait remarquable. Ni la fonction, ni l’aspect esthétique, ni le parti à en tirer éventuellement ne lui échappent.

Côté fonction : conscient de leur possibilités, il dit  » couper la tête des poires avec le couteau de ses dents et il les montre « . A cinq ans, il pleure, venant de se mordre les doigts en mangeant, on lui dit qu’il fallait lui limer les dents, il rétorque :  » Hoo je mangerai pu « .

Côté esthétique : à la chasse, il remarque les dents du sanglier et dit  » il a de gan den  » ; un énième jour où Madame de Monglat s’est obstinée à lui refuser ce qu’il demandait, dépité, lui tournant le dos, il dit :  »  fi, qu’ele e laide, e n’a que deux dents « .

Côté douleur : de par son caractère tant redouté, elle peut aussi servir d’alibis : ne veut-il pas dire sa prière avec maman Ga qu’il se plaint auprès de Héroard en lui disant que  » aussito que j’ai commencé à pié Dieu, la dent m’a fait mal «  qui lui suggére  » monsieur, dites seulement la petite oraison que vous aimez tant, Seigneur Dieu et Père etc…  » , il la dit et la douleur se passe. D’autres fois encore, pour ne pas rester avec le roi, dit  » qu’il a mal a une dent « , c’etait faincte. Le roi lui donne congé « .

Négociations :

Grâce à leur importance, les dents seront l’objet de négociations

Louis feint parfois de tousser pour avoir du sucre rosat ; pour obtenir quelque chose de lui on lui promet ce même sucre rosat !.

On lui dit que ses dents noirciraient en abusant du massepain, jauniraient avec la conserve de roses etc… Alors soit, parce qu’il n’en veut plus, soit, parce qu’il accepte d’être raisonnable, il refuse le massepain ou s’abstient de tremper son doigt dans le sucre, ce qu’Héroard commente :  » il avait peur que ses dents se gâtassent  » .

Mais très vite, dès la sixième année, les dents se gâtent  réellement.

Première dent tombée

Enfin , pour ses sept ans, la première tranchante droite basse lui tombe , poussée seulement de la langue ;  » he ma dent est tumbée, elle m’a point fait de mal « . En marge est notée : 1ère tombée, 1ère apparue .

Première extraction

Environ un mois après :  » à 8 heures (le matin) Simon Berthelot, barbier de sa chambre, lui arrache avec les doigts la deuxième dent canine du côté gauche, en la mâchoire basse qui etait la deuxième sortie. Ne cria point, lava la bouche avec du vin pur.

L’on en tira une pareille à Monsieur de Verneuil (fils d’Henriette d’Entragues, favorite d’Henri IV. Agé d’un mois de moins que Louis , il sera préféré à tous les autres bâtards., tout le premier, pour assurer Monsieur le Dauphin) .

Puis va au lever du roy, lui monstre sa dent. ( à noter que c’est l’unique fois où il est fait mention de l’intervention d’un barbier.)

Evolution inéluctable

Les maschelières se font de plus en plus douloureuses :sauge, emplastre de cire blanche, rostie de pain, huile d’amandes douces et coton cardé sont tentés, sans grande efficacité. Les autres tomberont souvent par morceau, il arrachera lui-même une surdent , (probablement une canine de lait) et tout au long de sa vie souffrira des dents : à 15 ans « s’arrache deux dents qui branlaient ; l’œillère basse gauche et celle qui la joignait du côté des meulaires »

Mais le journal ne s’est pas borné à l’évolution de la dentition et à tous ses avatars, il témoigne par de précieuses observations des parafonctions : grincements de dent, mâchonnements de langue et de ce qui fut le handicap le plus douloureux de l’enfance de ce futur Roi. : le bégaiement.

Grincement des dents

A juste un an, nanti de ses quatre incisives, le bébé grince des dents. Héroard pense : » y a mal  » ; à 16 mois, il décrit cette fois ci avec plus de perspicacité:  » se joue à la petite Marguerite, la baise, l’accole, la renverse à bas, se jette sur elle avec trépignements de tout le corps et grincement de dents « .

Dès lors, il relie bien le grincement avec des manifestations d’excitation, voire d’agressivité.

Mâchonnement de langue – Macroglossie

On se souvient du filet de la langue, coupé maladroitement à sa naissance, par Guillemeau et du mâchonnement de sa langue à deux mois et demi,.

Cette habitude ira en s’intensifiant: «  mâche sa grosse langue comme il avait coutume de le faire quand il faisait quelque chose avec ardeur « . Mais la mordra aussi, lors des moments de colère :  »  il entre soudain en colère extrême, mordant sa langue, égratignant les mains de l’aumônier, le voulant mordre…. « .

Bégaiement

La macroglossie a t-elle joué un rôle dans son bégaiement ?

A la fin de 1609, la Reine très contrariée par le défaut d’élocution de son fils, se laisse dire que  » cela procédait pour avoir encore le filet. Il fut jugé qu’il n’en avait pas besoin. Il craignait qu’on eût voulu lui couper la langue quand on la lui faisait tirer.  » comment me la veult on coupé ?  » et commençait d’en pleurer. Le lendemain, il redemande un peu de conserve de rose sèche et de fleur d’aurange confite sèche parce que cela l’empêche de bégayer. « 

Or ce bégaiement le rendait réellement très malheureux : à trois ans,  » il bégaye en parlant, se fâche, a ne taré dire !  » puis il le disait.  » bégaye fort, fort ce jourd’huy d’aspreté en parlant « .

Nicolas Le Fevre, son second précepteur notera en août 1612  » qu’un jour, ne pouvant bien sortir à son gré, je ne sais quel mot, il s’empoignait le visage de ses mains, a demi en furie, de ne pouvoir prononcer comme les autres « .

Méthodes éducatives : « mignotage », fouet, humiliation

Sans s’appesantir sur les méthodes éducatives pour le moins chaotiques auxquelles le Dauphin est soumis, on ne peut s’empêcher de faire un lien avec ses réactions enragées allant jusqu’à l’étouffement lors de séance de fouet, et son bégaiement pour lequel on va jusqu’à l’en menacer!.

Henri IV, fouetté dans son enfance estimait devoir en faire bénéficier son fils. Madame de Monglat semble s’acquitter de la besogne sans état d’âme, sans doute même, avec zèle, sottement imbue de la hauteur de sa mission..

Il est fouetté pour toutes raisons, dira Héroard avec des regrets dans la plume.

Certes le Dauphin est, et se dit  » opiniate « , mais il est plein d’humour, railleur, espiègle, facétieux, capable de réparties toujours pertinentes et drôles, et en dehors des colères est doté d’un  » bon naturel « .  » bon gachon  » :  » je tui bon, bon gachon, je ne pante a nu ma  » se plaisait-il à chanter. Il s’adonne à toutes les activités ou les jeux qui se passent du langage. Doué, il aime dessiner, peindre, chanter, écouter et jouer de la musique, il danse avec grâce. Il a de nombreux animaux (chiens, oiseaux, singes etc et les chevaux qu’il monte admirablement) ; il aime tout ce qui est mécanique et par dessus tout montre une  » inclination à tout ce qui est du mestier de la guerre, tant hommes que instruments « .

En conclusion, le journal de Jean Héroard est par la qualité un document unique et incomparable. Son auteur a su, par la richesse et la sensibilité de ses observations tant buccales que comportementales nous montrer le caractère et les souffrances d’un enfant surinvesti par un entourage dont les incohérences, déplorées discrètement, ne seront pas sans d’authentiques répercussions sur sa vie privée, sa fonction royale et sa santé déjà constitutionnellement fragile.

Bibliographie

BATIFFOL louis. – Au temps de louis XIII. – 1903 Paris Calmann-Levy
BERNIER JJ, Chevallier P, Teysseire D, André J. – La maladie de Louis XIII. Tuberculose intestinale ou maladie de Crohn ? – 1981 La Nouvelle Presse Médicale, 20 juin, 10, n°
GAGNIERE Paul. – Louis XIII et ses médecins. – 1963 La Presse Médicale, t ; 71, n° 55 25 dec.
HIMELFARB Hélène. – Un journal peu ordinaire. – 1979 Nouvelle Revue de Psychanalyse n° 19
HÉROARD Jean, médecin de Louis XIII. – Journal sous la direction de Madeleine FOISIL. – 1989 Fayard
RUEL-KELLERMANN M. – Louis XIII enfant, sa bouche et son médecin Jean Héroard. – C D F n° 1126, 12 juin 2003 p 44-52
TRENEL docteur. – L’Epilepsie de Louis XIII. -1969 Revue d’Histoire de la Médecine, mars , avril