Sacha BOGOPOLSKY
Docteur en Sciences Odontologiques,
Professeur des Universités

L’hygiène bucco-dentaire fait partie de l’Histoire des Arts et des Traditions car elle a toujours été à la source des besoins d’une population plus ou moins aisée et cela depuis la plus haute antiquité et sous diverses formes. On trouve ainsi :

  • les cure-dents, premiers instruments utilisés depuis la Préhistoire et par exemple chez les Sumériens dans la ville d’Ur,
  • le bâtonnet frotte-dents comme le KO YO JI japonais, ou chez les Chinois car on cite que Bouddha l’aurait utilisé,
  • les masticatoires à base de plantes odorantes appelés « Pan » ou le Siwak des pays musulmans dont le nom change constamment dans la grande mosaïque des pays de l’Afrique Noire,
  • la brosse à dents, proche de la conception actuelle, créée par les Chinois en 1498, il y a 500 ans !

On avance qu’elle serait arrivée en France après l’Angleterre où William Addis l’aurait conçue en 1780 pour lui-même et se consacra alors à en faire une production artisanale et devint le fournisseur du roi Georges IV. Cependant, déjà en 1773, un prospectus parisien vante la qualité des fabrications des brosses et en particulier celle des brosses à dents par le sieur Collié exerçant quai de Gévres, du côté du Pont au Change à Paris. On peut se poser la question de savoir comment était sa brosse ? Pourquoi la région de l’Oise en est-elle devenue le centre de la brosserie ? Afin d’essayer d’y répondre succinctement, on constate

Origine du mot « brosse »

Il semble en exister deux.

L’ étymologie

Si, à l’origine on brosse couramment ses habits ou ses cheveux, le terme de brosse prend d’autres significations comme, par exemple, le joueur heureux qui « brosse » son partenaire. De même, dans une rixe, le perdant reçoit une brossée du vainqueur et un cerf qui court dans un fourré, écartant les branches en passant, brosse les bois. En effet Ronsard nous dit dans  » Les Amours de Cassandre  »  » Le fer au poing, je brossay dans les bois  » Le mot brosse ne trouve-t-il pas son origine dans cette expression que l’on rencontre par ailleurs chez les auteurs du XIIIème au XVIème s. Du Baîf, Chrétien de Troyes ou J. de Meung.

Les Corporations

Si l’étymologie nous donne des références sur l’origine du mot brosse ce sont les corporations qui nous en expliquent l’évolution et nous font comprendre les raisons du choix du département de l’Oise pour les fabrications des brosses à dents en particulier..

Les Tabletiers

Les premiers documents remontent au XIIIèmes. époque à laquelle les tabletiers ne fabriquaient que des tablettes destinées à l’écriture. On peut les comparer à de petits carnets composés de feuilles minces en corne, en bois dur , en argent ou en ivoire enduits de cire verte, rouge ou noire. On écrivait avec un style, pointu d’un côté pour graver les lettres et aplati de l’autre pour effacer un mot gravé en rendant la surface unie. Devenus importants les tabletiers soumirent au Prévôt Et. Boileau, en 1268, les statuts de la corporation qui comprenait aussi des raquettiers. Chaque maître, avant d’ouvrir boutique, devait payer 5 sous au Roi, 5 sous à la Confrérie et 2 sous aux Jurés. On compte 21 maîtres Tabletiers en 1292 et 20 en 1300. La corporation avait alors pour patrons St. Eloi et St. Léonard

Les Brossiers

C’est en remontant à la fin du XVème s. qu’on a trace en  » Ile de France « d’une certaine corporation de  » Vergetiers  » (car les vergettes ou brosses faites en menus brins de bruyère, servaient alors à épousseter les habits ou à peigner les fibres tissées par les ouvriers en toile ) laquelle devint celle des  » Brossiers  » vers 1640. La brosserie, secteur également issu de la tabletterie, était déjà implantée au 18° siècle. Avant la Révolution, les maîtres vergetiers ou brossiers avaient le droit de faire quantité d’autres ouvrages que les brosses. Ils vendaient des soies de porc ou de sanglier en détail ou en gros et toutes sortes d’ingrédients pour les professionnels ( cordes à boyaux, raquettes….) La corporation avait pour patron St. Hildevert. Mais, la réforme de 1778 supprima la corporation des Vergetiers-Brossiers, et Colbert par des jurandes demanda à des corps de métiers de s’installer en dehors de Paris.

Trois raisons de s’installer dans l’Oise

La vallée du Thérain et du pays de Thelle

avec un prolongement du plateau picard ( canton de Noailles ) qui doivent leur origine de centre de la brosserie fine au déclin de la tabletterie et à la crise de l’industrie du textile et du cuir.

Autour de la commune de Tracy-le-Mont

à la confluence des rivières Oise et Aisne. En 1810 0 Cauvigny et en 1846 implantation de la brosserie de M. Laurencort, du fait que les habitants de la région étaient peu aptes à l’agriculture et qu’ils avaient l’habitude de travailler dans des usines de filatures. La spécialité de brosserie fine a été également choisie dans la gamme des brosses.

La vallée de l’Automne

par imitation des communes d’alentour au XVIIème s., dont St. Sauveur, où l’on ne fabriquait que les bois de brosses depuis 1765 avec les hêtres de la forêt de Compiègne.. Puis le développement du chemin de fer et de l’hygiène permit à cette industrie de s’étendre et à prospérer jusqu’en 1914. C’est ainsi que l’infrastructure se trouvait en place pour le développement des fabriques puis des industries de brosses à dents dans le cadre de la brosserie fine de toilette. L’évolution de la fabrication de ces brosses à dents après le stade manuel a vu la mise en place d’une fabrication semi-automatique pour finir par des chaînes entièrement automatisées. La fabrication artisanale des brosses à dents ne dépassait guère 5 à 6 brosses à l’heure par les monteuses à domicile pour atteindre actuellement entre 800 et 1500 brosses à l’ heure par unité de machine automatique. Les chaînes ne comportent aucune intervention manuelle depuis le moulage des brosses par injection jusqu’à la mise en blister et en emballage pour l’expédition. Sur le nombre important de fabricants de brosses à dents implantés à l’origine , il ne reste plus que deux noms dans l’Oise et deux autres en France :

  • Dans l’Oise La Brosse et Dupont à Beauvais, leader sur le marché européen 60 millions de brosses à dents annuelles La Société Générale de Brosserie à Mouy, fabrique la brosse à dents « Charcot  »
  • En France La Celluloïd à Sélestat du groupe La Brosse et Dupont La SAMAP à Endolsheim , fabrique exclusivement pour Fluocaryl

Pour bien expliquer la fabrication manuelle des brosses à dents l’Ecomusée de l’Oise a su préserver l’ancienne fabrique de M. Autin. Elle fonctionne toujours grâce à un moulin à eau qui anime toutes les machines à l’aide de courroies de transmission. La conception de ce moulin est très rare car il comporte un régulateur à boules en fonte datant de la seconde moitié du XIXème siècle de marque GRANGER de Rouen. Il commande l’ouverture et la fermeture des vannes motrices situées devant la roue afin de réguler la vitesse de rotation de la roue hydraulique en fonction des besoins.