Lydie BOULLE
Docteur en Histoire de la médecine,
Ecole pratique des Hautes Etudes,
Sorbonne, Paris

Les inscriptions du mausolée élevé à la mémoire perpétuelle des Maupertuis, à l’Eglise Saint Roch, Paris (1er arrondissement), permettent de cerner et de mesurer l’ampleur des personnalités, seigneurs de Maupertuis :

  • le père, courageux corsaire, homme d’affaires enrichi,
  • le fils, savant malouin, homme d’action, explorateur.

Au cours de cette brève présentation, c’est du fils dont il sera question. Il s’agit donc de Pierre Louis Moreau, né à Saint Malo, le 28 septembre 1698. Génie pluridisciplinaire, il était à la fois géomètre, mathématicien, physicien, astronome, explorateur de la Laponie (1736-1737), philosophe, biologiste, dont le XXème siècle révèle la précocité.

Dès 25 ans, il débute une carrière hiérarchique à l’Académie des Sciences, à Paris. En 1743, il est élu à l’Académie française. De 1746 à 1759, il assure la présidence de l’Académie royale des sciences et des belles-lettres à Berlin, où il jouit de la confiance du roi Frédéric II de Prusse (1712-1784). D’autres Académies européennes en feront un sociétaire de marque, en Angleterre, Suède, Italie.

Homme d’action et d’autorité, il observe et expérimente avec une curiosité et une imagination remarquables. Habitué des salons parisiens, il a su établir des contacts et conserver des amitiés. Montesquieu est un exemple célèbre (1689-1755). Les deux hommes disparaissent, avant que la guerre de sept ans ne dessine un sillon sanglant au milieu des lumières du siècle. La personnalité exceptionnelle de Pierre Louis a déterminé un destin majeur à son existence: la participation et la précipitation dans les grandes querelles scientifiques du temps. C’est la perspective d’une vie de marin qui a été engloutie par les réflexions savantes. Parallèlement, à la défaillance du commerce maritime du temps de Louis XV, sont créés de nouveaux cadres savants, dotés de la noblesse et de l’Eglise. Il est important de noter que le classement de la société avait été par ordre au préalable. A noter aussi que l’ascension sociale de Maupertuis est parachevée par un brillant mariage avec Eléonore de Boerke, d’une importante famille administrative prussienne, dans l’état européen de Frédéric II. L’ambition du père de Pierre est comblée. Représentant de l’élite négociante, René quitte ce monde, satisfait, le 5 juillet 1746. La jalousie acerbe du  » roi  » Voltaire a certes peiné le baron de Maupertuis, mais n’a jamais abouti à lui retirer la confiance du Roi de Prusse.

Le savant biologiste est une découverte du XXème siècle. Jean Rostan, dans un ouvrage publié chez Gallimard, en 1966,  » Hommes d’hier et d’aujourd’hui « , qualifie Maupertuis d’étonnant précurseur de la génétique. Dix ans avant, Bentley Glass, de l’Université de Baltimore, a publié un ouvrage dont le titre est:  » Maupertuis a forgotten genius « . L’évidence était que Maupertuis est en avance sur son temps. Dans une dissertation sur le nègre blanc, les points suivants se dégagent: la couleur blanche du nègre est une anomalie héréditaire. Cette anomalie peut se perdre spontanément. Darwin (1802-1889) dira qu’une anomalie peut se perdre dans la nature, au milieu des individus normaux, ou bien, pourrait en être séparée et donner une race nouvelle. On voit que Maupertuis insiste sur un fait que nous appelons, aujourd’hui, mutation.

En 1745 parait un écrit fondamental:  » La Vénus physique « . Cette création est destinée à séduire un public curieux de sciences, très à la mode dans les salons parisiens. On y trouve, sous une forme charmante, le pittoresque et la galanterie. L’auteur en profite pour y glisser des réflexions et des hypothèses. Le succès est certain. L’ouvrage connaît sept éditions. Dans l’introduction sont précisées les différentes manières dont se fait la génération. Sont dégagés l’hérédité et ses problèmes; un individu peut tenir, de ses parents ou d’un quelconque de ses aïeux, des caractéristiques, des anomalies. Le savant breton croit en l’évolution des espèces. Il en cherche une explication. Il réalise aussi des expériences sur des caractères acquis.

En 1751, Maupertuis est à Berlin. Il est très réservé sur la parution d’un nouveau livre sur la biologie, rédigé en latin, sous le nom de Baumann. L’auteur nommé en fait sa thèse, soutenue à l’Université d’Erlangen. Cette soi-disant thèse est imprimée dans les oeuvres complètes de Maupertuis. Il s’agit de la formation des êtres organisés. Les conceptions préfigurent un transformisme très proche de Darwin.

Le philosophe malouin pose la question de la multiplication des espèces. A l’origine, il y a la variation fortuite. C’est une idée très voisine des biologistes modernes. Significatives sont les études sur le  » sixdigitisme  » alterné, observé à Berlin. L’étude est l’expression d’un vrai généticien. Les conclusions méritent d’être relevées: le  » sixdigitisme  » se transmet de génération en génération. Il dresse le pedigree de l’anomalie. Il est également transmis par le père et la mère.

Buffon (1707-1788) a mesuré toute la portée de l’analyse de Maupertuis en disant que son travail représente, quoique court, plus d’idées philosophiques que celles glanées dans de gros volumes. Il serait passionnant de savoir, si Lamarck (1744-1829), Kant, ont centré des discussions sur les idées originales de Maupertuis. Notez que les premières éditions du  » système de la nature  » ont vu le jour en Allemagne.

Tout en constatant les aspects incontestés de Maupertuis mathématicien et physicien, comment se fait-il qu’il n’ait pas été un Newton français ? Serait-il intéressant de remarquer que des recherches internationales autoriseront des pistes honorables au savoir biologique, aux idées neuves d’un incontestable précurseur de la biologie moderne ? Pour l’instant, je conclurai que Pierre Louis Maupertuis est une passionnante réalité de la science française qui a assuré le prestige du savoir et de la réflexion cartésienne dans l’Europe du XVIIIème siècle.