Pierre BARON
Docteur en Sciences Odontologiques,
D.E.A. Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sorbonne, Paris,
Vice-Président de la S.F.H.A.D.

Introduction

Si le recensement des livres et des publications concernant l’art dentaire a été fait à plusieurs reprises par différents auteurs (1), en revanche, le recensement des dentistes du XVIIIème siècle n’a, jusqu’à ce jour, jamais été fait en France d’une façon radicale. Cela n’est pas étonnant, compte tenu des difficultés matérielles rencontrées. Seul Dagen (2) a fait ce travail en recensant tous les dentistes de Paris, non seulement au XVIIIème siècle, mais toutes époques confondues : remarquable travail servant de référence.

Les publications concernant l’histoire de l’art dentaire au XVIIIème siècle n’y ont pas trouvé un intérêt majeur. Elles se sont contentées, en général, de donner un chiffre, pour une région ou une ville, du nombre d’experts pour les dents, en se basant sur une lecture rapide d’un almanach ou d’un annuaire. Nous allons constater que s’il fallait s’imposer un tel travail, ce serait une œuvre de titan, et que ce ne pourrait pas être l’œuvre d’un seul, mais qu’il faudrait un grand nombre de chercheurs répartis sur tout le territoire pour récolter les noms de ces dentistes dans toutes les sources possibles.

Publications

La dernière publication où il est question de nombre de dentistes date de novembre 1997 (3). Vidal nous dit : « Paris 34 experts pour les dents », se référant à De Horne et La Servolle (4). En consultant cet ouvrage dont le titre est « Etat de la Médecine, de la Chirurgie et de la Pharmacie en Europe », nous trouvons un total de 43 dentistes experts et maîtres en chirurgie-dentistes pour 1776 et 36 pour 1777. Dans une autre publication, Vidal (5) nous dit, à propos des experts :  » …en 1785, ils sont une cinquantaine leur nombre n’avait pas baissé…. ». Là il s’agit du chiffre pour tout le territoire.

Plus loin de nous Hoffmann-Axthelm (6), toujours avec la même source, affirme qu’à Paris le chiffre des dentistes est de 30 en moyenne au XVIIIème siècle.

Ces publications se basent essentiellement sur les chiffres donnés par des Almanachs, comme le Jeze pour Paris, ou l’Etat de la médecine, etc. pour l’Europe qui est pour 1776 et 1777 la référence mais qui a bien des lacunes, nous le verrons tout à l’heure.

Dentiste

Avant de commencer à recenser, il faut, tout d’abord, se demander ce qu’on entend par « dentiste » : qu’est-ce qu’un dentiste en France au XVIIIème siècle ?

En 1776, l’Encyclopédie donne du dentiste la définition suivante : 

Chirurgien qui s’applique spécialement à la chirurgie des dents, à traiter leurs maladies, et à pratiquer les opérations qui ont lieu sur ces parties. Les qualités d’un bon dentiste sont premièrement celles d’un bon chirurgien. Il doit être ensuite bien instruit particulièrement de tout ce qui concerne l’objet de son occupation, il doit avoir le poignet souple et fort, et s’être par conséquent singulièrement exercé à tirer sur les dents, à en plomber, à en limer, et en un mot à les traiter méthodiquement et avec sureté (7).

Au début du XIXième siècle, le Dictionnaire Panckoucke nous donne une définition similaire : 

DENTISTE, s.m., dentarius ; on nomme ainsi le chirurgien qui s’applique au traitement des maladies des dents ; qui pratique sur ces organes les diverses opérations dont ils sont susceptibles ; qui remplace celles qui manquent, en y substituant, d’après les règles de la prothèse, des dents étrangères à l’individu, soit qu’elles aient appartenu à l’homme (8), soit qu’elles aient été construites avec des défenses ou autres os d’animaux (9) ; soit enfin qu’elles résultent d’une composition de pâte de porcelaine, ou d’autres substances prises dans le règne animal.

Pour être un bon dentiste, il faut être naturellement doué de beaucoup d’adresse, et avoir fait les mêmes études élémentaires que celui qui veut exercer la chirurgie proprement dite (10). La connaissance de l’anatomie et de la physiologie est surtout indispensable au dentiste, qui, dans beaucoup de cas, doit manier le bistouri. Indépendamment de ces connaissances, le dentiste a besoin d’en savoir sur la pathologie interne; car son art ne se borne point aux opérations de la main, il doit guérir bien des affections dentaires, par le secours de la médecine interne, qui en détruit ou en affaiblit les causes(11). L’implantation des dents naturelles ou artificielles, la construction des dentiers, exigent un mécanicien (12) : il est indispensable, si le dentiste veut exceller dans cette partie importante de son art, qu’il soit orfèvre; car il doit travailler sur les métaux, particulièrement l’or et le platine, à l’aide de la forge et des outils de l’orfèvre, dont il faut que la main-d’œuvre lui soit familière. Lorsque le dentiste n’est qu’un empirique qui arrache des dents, les nettoie et les plombe, ainsi qu’il l’a vu faire, il ne mérite ni la qualification de chirurgien, ni celle de dentiste (13) ; il faut même, pour qu’il soit digne de celle d’expert, qu’il excelle par son adresse(14). Dans l’enfance de l’art, les dentistes plus ignorans encore que les chirurgiens-barbiers, se montrant sur les places publiques, parcourant les campagnes, pour extraire et blanchir les dents, trompant le public par de mensongères promesses ; reçurent à juste titre le nom de charlatans (15) et donnèrent lieu à ce proverbe : menteur comme un arracheur de dents. De là nacquit l’opinion que tout dentiste est ignorant et menteur. De nos jours, elle n’est qu’un préjugé fort injuste et fort ridicule, car il y a des dentistes très-savans dans l’art de guérir ; et tous sont gens de bien qui savent se respecter (16)

Il serait peu équitable aux gens du monde de confondre les dentistes avec les misérables qui s’établissent encore dans les carrefours, étalent des enseignes ambulantes (17) ; et qui, non contens de rompre la plupart des dents qu’ils veulent extraire, vendent au peuple des poudres et des eaux dont l’effet, hâtant la carie des dents (18) leur ramène de nouvelles pratiques. L’un de ces misérables s’est fait peindre sur son enseigne, et oser affubler son image de l’uniforme des chirurgiens-majors (19) . Il me semble que la police devrait faire justice de pareils charlatans, et en délivrer cette portion crédule du peuple, qui en est incessamment la victime(20).

Dans ces deux définitions, nous voyons la volonté de défendre le monde médical, pris dans son ensemble, en défendant le monde des chirurgiens, de défendre aussi la légalité, le diplôme, la connaissance, en ignorant et en rejetant l’empirisme.

Mais nous nous devons de prendre en compte une autre définition, qui, elle, nous semble plus près de la réalité historique de l’époque : 

C’est celui dont le métier est d’arracher, nettoyer, entretenir les dents et d’en mettre d’artificielles. On doit distinguer le Chirurgien-dentiste d’avec le dentiste empirique : le premier, instruit de ses principes, exerce avec sûreté un art tout chirurgical et qui demande plus que la main; le second ne fait que suivre une routine qui devient souvent très nuisible à ceux qui ont assez de courage pour s’y livrer… (21)

Forts de cette dernière définition, nous nous devons de chercher dans toutes les sources possibles qui étaient ces dentistes, diplômés ou pas, qui composaient le tissu social de cette profession.

Méthodes et résultats

Les archives

Les Archives Nationales

En France les archives sont groupées et conservées dans de très diverses administrations, plus ou moins importantes suivant le critère de choix et le lieu géographique. Les Archives Nationales (22) viennent, bien sûr, en premier par la quantité de documents, mais pour ce qui nous concerne il n’existe qu’un registre de la Communauté de Saint Côme : c’est un registre de recettes de l’année 1757-1758 (23) , 13 mois plus exactement.

Les Archives Départementales et Municipales

Les Archives Départementales, très fournies et très utiles pour ce travail, sont en général dans la ville-Préfecture de chaque département. Ces archives nous révèlent le contenu des registres des Communautés de Chirurgiens dont faisaient partie les experts pour les dents : registres de réceptions (24), registres de recettes et de présence, registres des séances plénières. Ce travail a été fait pour Rennes, Lyon, Sens et Dijon, Toulouse. Il serait utile de faire ce travail de recherche systématique.

Les Archives Hospitalières

C’est une source à ne pas négliger. Un exemple : c’est grâce à ces archives qu’on peut distinguer deux Plisson dentistes à Lyon : Charles Félix et Charles.

Les autres archives

Il faut consulter les archives des facultés de médecine, les archives de la Police, les archives d’associations, comme par exemple celles de la bibliothèque de l’Académie de Médecine où on peut consulter des registres des procès verbaux de séances de l’Académie Royale de Chirurgie (25).

D’autres archives utiles sont les archives notariales avec les inventaires après décès, les contrats de location, les archives judiciaires pour les litiges et procès. Ce type de documents peuvent être conservés aux Archives Nationales, départementales ou municipales. Il y a aussi les archives privées. Mais, si certaines sont répertoriées, d’autres, hélas, sont totalement anonymes, donc inaccessibles. Dans les archives de la Faculté de Médecine de Paris, il reste très peu de documents concernant la Communauté de Saint Côme des Chirurgiens de Paris : des registres d’inscriptions aux cours de l’Ecole de Chirurgie de Paris couvrant les années 1752-1791(26).

Certaines bibliothèques, comme la Bibliothèque Nationale (27) détiennent également un certain nombre de documents écrits.

Les almanachs et annuaires

Les almanachs et annuaires sont censés donner noms, qualités et adresses des personnages importants ou utiles d’une ville ou d’un département. Il en existe un très grand nombre, mais ce n’est que dans les dernières années du siècle que les annuaires du commerce font leur apparition, pratiquement un par département et par année. Pour Paris c’est à partir de l’an VI (22/9/1797 – 21/9/1798) que l’annuaire du commerce paraît, c’est le fameux Bottin : toutes les professions sont censées être répertoriées avec une liste de dentistes.

Les Journaux

Source extraordinaire de renseignements, les journaux n’ont été jusque là que très peu exploités. Les annonces que faisaient paraître les dentistes nous font découvrir principalement leurs itinéraires, pour les itinérants, leurs différentes adresses pour les plus stables avec les jours et heures de consultations, les produits qu’ils proposaient au public et à quel prix. Parfois ces annonces nous font découvrir un nouveau nom, un dentiste passé incognito jusque là. Par exemple Joseph Daniel à Paris (28) et Vaucher à Lyon (29).

Mais ce n’est pas tout, car nous découvrons tout un monde mal connu, nous pensons au monde des revendeurs de produits, mais ce n’est pas le sujet du jour, nous l’avions abordé il y a un an avec les vendeurs d’orviétan.

Pour certaines villes la consultation est relativement simple : par exemple pour Sens et le Senonais il semble qu’il n’y ait eu que deux parutions régulières : les « Affiches de Sens » et les « Affiches du Senonais », une seule pour Toulouse, les « Affiches et Annonces de Toulouse ». Pour Lyon c’est le « Journal de Lyon » et pour Rennes les « Affiches de Rennes ». Ce journal qui se vendait sous toutes les latitudes avait un titre presque identique d’une ville à l’autre avec comme sujet central : Affiches, Annonces et Avis divers de … C’était la Gazette locale et il y en avait une à Paris également.

Mais pour Paris, le nombre de journaux est considérable, principalement à la fin du XVIIIème siècle. Nous n’avons pas pu faire une recherche systématique dans toutes les parutions de l’époque, le nombre de journaux parus régulièrement ou pour une courte période étant très nombreux. Il suffit de consulter des recueils de journaux microfilmés pour se rendre compte de l’ampleur de la tâche s’il fallait faire un travail de recherche systématique (30).

Toutefois certains noms inconnus jusque là ressortent de cette consultation : Vaucher à Lyon. Peut-être est-il expert ailleurs : apparu en 1797 à Lyon, il pouvait avoir été expert à Paris, Bordeaux…

Les Avis

Ce sont des textes plus ou moins longs qui étaient distribués dans la ville où séjournait, ou passait le dentiste. Comme exemples nous pouvons citer Ristorini à Rennes et Carnelli à Aix en Provence

Les livres

C’est une source de renseignements utile pour établir les biographies des dentistes, mais ils ne nous font plus, aujourd’hui, découvrir de nouveaux auteurs. Mais un Dentiste comme Botot n’apparaît sur aucune liste : c’est bien par ses livres et ses annonces dans les journaux que nous le connaissons (31).

Les publications sur cette période

Certaines publications consacrées à un dentiste ou une famille de dentistes peuvent nous donner des renseignements utiles. Un exemple : Ronald Cohen a écrit un article sur la famille Talma (32) qui nous fait bien discerner les différents membres de cette famille. C’est grâce au courrier échangé entre les Talma de Londres et ceux de Paris que nous pouvons faire la distinction entre

  • Philippe François Joseph Talma (1731-?)
  • Michel François Talma (1733-1806), frère de Philippe François Joseph: expert de Paris exerçant à Londres
  • François Joseph Talma (1763-1826) fils de Michel François dentiste puis acteur
  • Jean Joseph (dit Armand) Talma (1767-1804) frère de l’acteur. Paris puis Chester à partir de 1792.

Un autre exemple : le livre de Besombes et Dagen « Fauchard et ses contemporains » (33) nous démontre que Leroux de la Fondée n’est pas seul. Antoine Le Roux de la Fondet, élève associé de Fauchard et son neveu Clair Michon.

Difficultés

Les archives

Pour Paris nous avons évoqué la principale difficulté : l’absence ou la disparition d’une grande partie des livres de la Communauté de Saint Côme. Il serait utile d’aller plus loin dans la lecture des registres d’inscription aux cours de chirurgie qui sont conservés à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de la rue de l’Ecole de Médecine la BIUM. lis sont microfilmés. Il paraît hautement improbable que de nouveaux noms apparaissent, mais cela devrait éclairer certains points comme la présence obligatoire ou non des experts dentistes aux cours réservés aux élèves chirurgiens, et également confirmer éventuellement que les experts que nous avons listés sont bien des experts. En effet si pour certaines villes nous sommes sur des listes d’experts, par la lecture directe des registres de réceptions aux examens ou par les registres de recettes, avec les paiements des cotisations, ainsi pour Lyon, Toulouse, Rennes, Dijon…. pour Paris nous ne connaissons les experts que par les annuaires, et ils sont imprécis et incomplets, par les livres des intéressés eux-mêmes et par les anciennes publications. Une fois de plus n’oublions pas Dagen (34) qui est le seul à avoir fait un recensement, ce travail datant de 1922.

Les almanachs et annuaires

Les Almanachs et Annuaires sont souvent manquants ou incomplets, ou bien encore inexacts. Il faut s’en servir mais s’en méfier également.

Tout d’abord il faut rappeler qu’avec la Révolution, ils ont pour la plupart cessé de paraître pour plus ou moins longtemps. A Lyon, par exemple, l’almanach (35) a cessé de paraître après 1792, pour resurgir en 1797.

Par exemple on relève

1767 5 experts dans un almanach, 4 dans 5 autres almanachs: il manque chaque fois Adrin Morel qui a été reçu en 1758, alors que Hébert reçu justement en 1767 y figure. Morel est-il parti de Lyon ou bien est-ce une omission?
1772 1 expert (Rouland) est-ce exact?
1785-1787 6 experts (dont 1 absent)
1788-1789 7 experts
1790-1792 6 experts
1797-1799 3 experts

Mais avec les inexactitudes de ces almanachs il faut rajouter 2 experts comme Auzebi et Jambon ce qui fait
1785-1787 7 experts
1788 8 experts
1789 9 experts
1790-1792 7 experts

Enfin avec les dentistes non experts et non recensés
1793 2 dentistes
1794 1 dentiste
1797 3 experts 2 dentistes
1798-1799 3 experts

Les almanachs royaux, ayant paru jusqu’à la Révolution, ne font mention que des dentistes de la Cour, comme BOURDET, DAUVERS et DUBOIS-FOUCOU, et des Maîtres en Chirurgie-dentistes parisiens, comme BEAUPREAU, DUBOIS-FOUCOU, DUVAL et PALERMO (36). Mais Palermo, noté comme expert en 1776 et 1777 dans « Etat de la Médecine… », est maître en chirurgie en 1782 et n’apparaît qu’une seule fois dans ces Almanachs Royaux en 1790.

Un maître en Chirurgie comme Jourdain n’est cité dans aucun Almanach Royal comme étant Maître. Il apparaît dans un almanach parisien de 1776, cité par Dagen.

Faisant suite aux Almanachs Royaux, les Almanachs Nationaux font leur apparition en 1793 (37), mais ne font mention que des Maîtres en chirurgie-dentistes, puisqu’il n’y a plus de roi, plus de cour. Ces Almanachs royaux ne sont utiles que pour Paris.

Dans l’almanach de Jézé (38), « Tableau de Paris », il y a des listes d’experts pour Paris pour 1759, 1761 et 1765.

1759 35 experts
1761 3 maîtres en chirurgie-dentistes, 30 experts
1765 2 maîtres en chirurgie-dentistes, 28 experts
Dans « Etat de la Médecine… »
1776 43 dentistes
1777 36 dentistes
Il est impossible de savoir quel était le nombre de dentistes, experts ou non, dans la période étudiée sans avoir pu consulter l’intégralité des almanachs, région par région et ville par ville, que ce soit avant ou après la Révolution. En effet, si on examine la situation en 1776/1777 grâce à l’ « Etat de la Médecine… » (39), on conclue rapidement que des régions entières n’ont pas été recensées, comme par exemple la région de Lille, à propos de laquelle on peut lire :
« Chirurgiens : nous n’avons pas pu procurer cette année les chirurgiens… ».
D’autre part des villes importantes comme Bordeaux, Montpellier, Orléans, Reims, Rennes ou Strasbourg n’ont pas de recensement d’experts pour les dents. Strasbourg a un statut particulier: n’ayant pas de Communauté de Chirurgiens, ni Collège Royal, les dentistes voulant exercer se présentaient devant le Médecin chef de la Ville et pouvaient avoir l’autorisation d’exercer après un entretien. De plus, pour certaines villes, il y a parfois un chirurgien dont le nom est suivi du terme de dentiste ou expert, ou bien encore chirurgien dentiste, et pour d’autres villes il y a des listes de dentistes. Ainsi on peut décompter pour 1776 : Paris 40 dentistes et Provinces 24, mais en sachant que ce chiffre est loin de la réalité.
Si on prend l’exemple de Paris, il semble bien que ce soit la ville la plus fournie en experts pour les dents, et, de plus, la ville où le recensement est le plus proche de la réalité. Ainsi :
1761 31 experts et maîtres en chirurgie
1776 38 experts (dont 2 hors liste) et 2 maîtres en chirurgie-dentistes
1777 43 experts
1798/1799 32 dentistes ( experts et non experts)
1799-1800 34 dentistes (experts et non experts)
On pourrait conclure qu’à Paris le nombre de dentistes, et par là le nombre d’experts a diminué entre 1777 et 1798, puisque le nombre passe de 43 à 32. Mais il faut se méfier et ne pas conclure trop vite: en effet dans les listes de 1776/1777, il n’y a que des experts, les non experts n’étant pas recensés, étant « hors la loi », et dans toutes les listes, avant ou après la Révolution, un nom peut cacher plusieurs praticiens, comme les Talma ou les Le Roux de la Fondée.
Dans l’Annuaire du commerce :
1797 6 dentistes
1798 32 dentistes (3 maîtres + 12 experts + 17 dentistes)
1799 40 dentistes ( 3 maîtres + 14 experts + 23 dentistes)

Mais il manque un certain nombre de dentistes qu’avait signalé Dagen :

  • Daniel (repéré par annonce)
  • Goy (Dagen)
  • Launois (Dagen)
  • Le Monnier (Dagen)
  • Regnart (Dagen)
  • Giuseppangelo Fonzi n’est répertorié nulle part.

En revanche, les almanachs du commerce sont très utiles, parce que plus complets, mais n’ont commencé à paraître que tout à la fin du XVIIIème siècle (40).

Vidal (41) met bien en évidence cette impossibilité de comptabiliser, de recenser. Il faut nuancer: non pas impossibilité mais plutôt grande difficulté.

Les Journaux

La principale difficulté, nous l’avons évoquée tout à l’heure, c’est le nombre considérable de journaux qu’il faudrait consulter, et, pour l’avoir fait partiellement, à la recherche d’annonces, j’affirme que c’est un travail gigantesque, titanesque: microfilmés ou microfichés, la lecture de ces journaux du XVIIIème siècle est épuisante; en consultation directe, la fatigue et la lassitude se font vite sentir également. Nos amis Anglais sont là pour témoigner, avec une énorme différence avec nous : ils l’ont fait pour les XVIII et XIXèmes siècles en 20 ans et au minimum 100 collaborateurs. Dans ces conditions ils ont dû probablement quadriller le temps et l’espace d’une façon presque radicale.

Erreurs

Les erreurs proviennent :

Des prénoms

Les prénoms des parents sont souvent donnés aux enfants, ce qui entraîne des confusions ou des erreurs d’interprétation. Par exemple l’expert lyonnais PLISSON est noté sur le livre des réceptions avec comme prénom Charles. Mais il avait un fils, dentiste également connu sous le nom de Charles PLISSON ou PLISSON fils. Mais le père signait ses livres du prénom de Félix, et nous l’avons noté avec ses 2 prénoms de Charles Félix. Il en est de même dans les almanachs HEBERT de Lyon qui apparaissait sous ce nom et qui, soudain est apparu sous le nom de HEBERT l’aîné.

Nous l’avons vu pour les Talma que les prénoms peuvent entraîner des erreurs :

  • Philippe François Joseph
  • Michel François
  • François Joseph
  • Jean Joseph

Et au XVIIIème siècle les annuaires mettaient souvent, soit du fait de la confusion des prénoms, soit par simplification ou ignorance, un nom pour tous.

Des noms sans prénom

  • Talma
  • Leroy
  • Dubois de Chémant
  • La Fondée

Erreurs par défaut

Le principe à avoir en tête est : un nom peut en cacher d’autres.

Exemples : 

  • Talma apparaît en 1776 (42) 1 seul nom pour probablement 2 Talma, Philippe François Joseph et Michel François Joseph.
    En 1777 Talma « à Londres » vrai et faux Michel François Joseph est à Londres mais pas Philippe François Joseph.
    Talma réapparaît en 1798 (43) pour être toujours mentionné dans l’Almanach du Commerce en 1810. Mais entre 1776 et 1810, il y a eu 2 autres Talma dentistes à la même adresse: François Joseph, devenu acteur en 1787, et Jean Joseph, parti en Angleterre en 1792.
  • Dubois de Chémant est sans arrêt entre Londres et Paris et par le courrier de la Manufacture de Sèvres on découvre qu’il a un frère, Mathurin. D’après Dagen ils n’étaient pas que 2, mais une grande quantité de Dubois de Chémant dentistes. Quand on constate le nombre d’adresses que l’on a attribué à Nicolas, le plus célèbre, on peut se poser la question: est-ce bien lui ou des membres de sa famille?
  • Antoine Leroux de la Fondée, élève de Fauchard est bien mentionné de 1776 à 1789, date de sa mort, mais nous savons qu’il avait un neveu, Clair Michon Leroux de la Fondet, répertorié en 1797 à la même adresse, mais qui a probablement travaillé en même temps que son oncle
  • Dentiste de père en fils

Erreurs par excès

  • Un exemple extraordinaire c’est Morel: Paris, Lyon, Rennes, Bordeaux, Toulouse et tout ce que nous ne savons pas à son sujet… De son vrai nom Jacques Morel de la Bourgade. Expert à Lyon le 30 novembre 1773, étant déjà expert à Paris, devient expert à Bordeaux le 10 octobre 1774, à Toulouse le 16 juin 1778, et passe à Rennes en 1787. Nous avons commencé par recenser plusieurs dentistes: Jacques Morel de la Bourgade à Lyon, venant de Paris, Morel de Rennes, Morel de Toulouse et Morel de Bordeaux. Une étude sur Toulouse (44) a permis de rapprocher le Morel de Bordeaux et le Morel de Toulouse, et puis par déduction ne plus compter qu’un Morel pour Paris Lyon Toulouse Bordeaux et Rennes. Adrin Morel de Lyon est un autre Morel (7 octobre 1758)
  • Beaupréau Maître en chirurgie dentiste à Paris (1760-1796) puis à Sens (1794- 1801)
  • Charles Martin Laforgue expert à Nancy le 1 septembre 1782, à Paris le 28 mai 1784 (aucune trace parisienne) et ayant travaillé principalement à Strasbourg, tout d’abord avec son père Jean Claude Fidèle.

Erreurs par changement de l’orthographe du nom:

Après la Révolution les noms se sont simplifiés afin de paraître plus républicains : Borsary de Logpré devient Borsary, Lerox de Le Fondet devient Lafonde, Morel de la Bourqade devient Morel, Hallé de la Touche devient Halle.

D’autres noms sont très souvent mal orthographiés :

  • Louis Laforgue en Delaforgue (un seul mot)
  • Laudumiey avec 8 orthographes différentes suivant les années et les annuaires ( !)

Discussion critique

Il faut tout d’abord bien clarifier cette définition du dentiste au XVIIIème siècle. L’image que nous avons de ces praticiens est floue quant à leur activité réelle. Faut-il voir une très grande différence entre un expert, un empirique et un charlatan?

Pour nous le charlatan véritable est en marge du monde des arts de guérir, alors que l’empirique, considéré comme un charlatan par les experts, Ies chirurgiens et les médecins, est un dentiste dans la fonction du dentiste au XVIIIème siècle. En effet nous ne possédons que très peu de preuves de la qualité des soins effectués par les experts: quelques prothèses stockées dans des musées ou chez des collectionneurs, quelques rares squelettes découverts par les archéologues et possédant des travaux prothétiques. Les publications rarissimes sur ce su jet nous font pencher vers la thèse que le décalage devait être grand entre les écrits et leur application technique. Quelles preuves avons-nous , si ce n’est ces deux avocats parisiens enterrés à Genève avec des prothèses fixées dignes de ce nom (45) et cet abbé parisien découvert dans les fouilles du chœur de l’église Saint Martin des Champs, qui avait une attelle de contention en fil d’or (46).

Une enquête personnelle auprès de nombreux archéologues, amis et relations, fouillant un peu partout en France, m’a fait conclure que, puisque aucun d’entre eux n’a jamais découvert de squelette de cette époque pourvu d’une quelconque prothèse, le fait d’en avoir devait être une chose rare. Remarquons que de nos jours les squelettes étant dépouillés de tout or lors de changements de concessions, la statistique de squelettes pourvus de prothèses serait d’autant plus faussée.

Alors dans ces conditions, c’est à dire si on admet que les prothèses dentaires étaient rares, voire rarissimes, pourquoi établir comme l’on fait les historiens de l’art dentaire, une différence entre un expert et un empirique, si ce n’est une différence juridique, tout au moins jusqu’en 1791-1792, date à laquelle il ne fallait plus de diplôme pour pratiquer la dentisterie. Il. semble que l’écrasante majorité des praticiens vivaient essentiellement de la vente de produits dentaires (opiats, élixirs), et d’actes simplissimes comme l’extraction, le blanchiment et le limage.

Le deuxième point de la discussion sera centré sur le fait que nous ne pouvons pas parler du XVIIIème siècle en France sans diviser ce siècle en trois parties historiquement différentes, quant aux dentistes :

  • 1700-1750 : Très peu d’experts, que des empiriques. Les Lettre Patentes de 1699 ne furent appliquées qu’en 1719 à Versailles, 1725 et 1736 à Lyon, 1750 à Nantes, 1754 à Bordeaux et 1769 à Marseille.
  • 1750-1791 : Experts + empiriques, pour la plupart non répertoriés
  • 1791-1800 : Experts encore en activité, officiers de santé, médecins-dentistes et empiriques

Conclusion

Le recensement des dentistes du XVIIIème siècle est un travail gigantesque, que j’ai pu commencer, avec l’aide des recherches faites par Louis Philippe Cosme (Sens Dijon), Xavier Deltombe (Rennes), Pierre Laudet(Toulouse), et des publications faites par Jean Rousset (Lyon), René Droz (Nancy Strasbourg) et surtout Dagen (Paris). Comme moi-même cela fait quelques années que je cherche dans ce but, j’ai pu pour la période 1785-1800 recenser : 117 dentistes dont 66 pour Paris. Pour tous ces dentistes il a été établi une biographie allant de 1 ligne à quelques pages.

Alors quand pourra-t-on avoir une chaire d’histoire et des étudiants pour mettre en place un réseau pour réaliser ce travail de fourmi du décryptage des registres et des journaux, ville par ville et sur tout le territoire? Il est permis de rêver. Quant à moi, je m’engage ici à poursuivre ce travail…

1 Georges Geo-Crowley: Dental Bibliography: a standard reference list of books on dentistry published throughout the world from 1536 to 1885. Philadelphia, SS White dental Mfg Co 1885. Thomas David : Bibliographie française de l’art dentaire. Paris. Félix Alcan. 1889. Gian Battista Poletti.De re dentaria apud veteres. Milano. Melodiani. 1951
2 Georges Dagen (Montcorbier): Documents pour servir à l’histoire de l’art dentaire en France et principalement à Paris. Paris. La semaine dentaire. 1922
3 François Vidal: La chirurgie du XVIIIème siècle. Le Chirurgien Dentiste de France. No 864. 13 novembre 1997. pp 68-74
4 De la Horne et de la Servolle: Etat de la Médecine, de la Chirurgie et de la Pharmacie en Europe 1776. Idem pour 1777
5 François Vidal: Regards sur la législation chirurgicale au XVIIIème siècle. Le Chirurgien Dentiste de France. No 855. 11 septembre 1997. pp38-46
6 W. Hoffmann-Axthelm: History of Dentistry. Quintessence. 1981. 435p
7 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers. Amsterdam, M.M. Rey 1776. Reprint Stuttgart-Bad Cannstatt, Friedrich Frommann, 1967. Supplément Tome 2 Vol. 19 p 698
8 Allusion aux dents de cadavres qui servaient aux prothèses dentaires, avant qu’elles ne soient supplantées par les dents artificielles après les travaux de DUBOIS de CHEMANT, FONZI et MAGGIOLO entre autres.
9 L’os d’hippopotame était le plus utilisé.
10 Là nous avons bien le problème du diplôme, qui pour certains est essentiel. Nous sommes en 1814 et l’auteur (FOURNIER) défend une position qui a été celle des médecins et chirurgiens de l’époque, c’est à dire de penser que seuls les « diplômés » avaient la capacité de pratiquer avec succès. Cela veut dire que seul un médecin, un chirurgien, un ancien expert ou bien encore un officier de santé est à même de bien pratiquer. En 1814, et depuis 1791, il n’y a pas de diplôme de dentiste. Alors on peut se poser la question, un empiriste pratique-t-il plus ou moins bien qu’un médecin, chirurgien etc. qui n’a pas été formé dans ce domaine? La réponse est bien difficile, mais notre avis est qu’un empiriste qui ne fait que pratiquer cette partie de la chirurgie a plus de chances de bien le faire qu’un médecin, chirurgien etc. qui ne le fait qu’occasionnellement, à moins qu’il n’en fasse son activité principale.
11 On voit encore là la défense de la connaissance médicale
12 Ce terme de mécanicien ou de mécanicien-dentiste fut encore en vogue dans les années 1980, le terme de prothésiste l’ayant remplacé. Actuellement la tendance étant d’employer le mot de technicien de laboratoire (plus vague). D’ailleurs il faut rappeler qu’avant l’obligation du diplôme ré-instauré en 1892, de nombreux mécaniciens-dentistes devenaient dentistes-agréés. Dans le langage populaire le mécanicien était un « mécano »
13 Nous allons y revenir, c’est important
14 Le mot expert est vraisemblablement employé dans le sens large et nom pas dans le sens d’expert pour les dents (diplôme)
15 On sait très bien que « charlatan » n’est pas synonyme de « dentiste » mais de « usurpateur dans le domaine médical » quel qu’il soit
16 Là l’auteur fait allusion aux dentistes les plus savants de l’époque comme DUVAL, DUBOIS-FOUCOU ou encore DUBOIS de CHEMANT, entre autres. Mais l’auteur fait tout de même un compliment à l’ensemble des dentistes
17 Ce sont ceux-là mêmes qu’il sera difficile, voire impossible, de retrouver aujourd’hui
18 Cela semble être de la calomnie, ces remèdes ne faisant qu’au pire aucun effet
19 Au XVIIième siècle de nombreuses représentations de dentistes sont avec des enseignes arborant de faux diplômes, mais il y en a avec leur propre effigie comme dans le tableau de Faustino BOCCHI (1659-1742) (Ecole italienne, collection privée: voir dans BARON A. et P. « L’art dentaire à travers la peinture » Paris 1986 ACR 254p, BOCCHI p 126), ou le dessin de Jan STEEN (1625-1679) (Ecole hollandaise, Musée du Louvre: BARON op cit p 131). Il y en a également au XVIIIième siècle: Francesco MAGGIOTTO (1750-1805) (Ecole italienne, Cologne: BARON op cit p164), Gianbattista TIEPOLO (1696-1770) (Ecole italienne, Musée des Arts Décoratifs de Barcelone: BARON op cit p 182) ou Giandomenico TIEPOLO (1727-1804) (Ecole italienne, 1754, Musée du Louvre: BARON op cit p 187)
20 Dictionnaire PANCKOUCKE op cit  » Dentiste  » par FOURNIER ? vol.8 1814 pp 407-408
21 Abbé Pierre JAUBERT. Dictionnaire raisonné universel des Arts et Métiers. Paris P.F. Didot jeune. 1773
22 Paris: A.N. ou C.A.R.A.N.
23 Ce registre couvre 13 mois dans la période 1757-1758 (AN, Y 11860)
24 C’est dans ces registres qu’étaient mentionnés tous les évènements concernant les chirurgiens de légère expérience tout comme les bandagistes, herniaires, oculistes, dentistes, lithotomistes et chirurgiens de campagne
25 BAM : Bibliothèque de l’Académie de Médecine (Ms 18-26)
26 BIUM : Bibliothèque Interuniversitaire de Médecine (Ms 50-69)
27 Paris
28 Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel
29 Journal de Lyon
30 Journaux et Revues sur Microfilms. Catalogue N° 5. Publié sous la direction de Jean Pierre Veuve. Paris Bibliothèque Nationale. 1995. Association pour la Conservation et la Reproduction Photographique de la Presse (ACRPP). 273 p.
31 David op. cit.
32 Ronald A. Cohen : Les Talma. Revue Française d’Odonto-Stomatologie. N° 3 1969 pp. 334-348
33 André Besombes et Georges Dagen : Pierre Fauchard et ses contemporains. Paris. Société des Publications Médicales et Dentaires. 1961.
34 Dagen op. cit.
35 Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon. Lyon. De La Roche. 1768 à 1803.
36 Almanachs Royaux de 1785 à 1792
37 Almanachs Nationaux de la France de 1793 à 1800
38 De JEZE
1754 : Journal du Citoyen. La Haye. In 8° 484p.
1757 : État de Paris. Paris. Claude Hérissant éditeur. ln 8° 486p.
1759 : Tableau de Paris. Paris. Claude Hérissant éditeur. In 12° 300p.
1760 : Etat ou tableau de la ville de Paris. Paris. Prault, Valat-Lachapelle, Guillin, Duchesne, Lambert éditeurs. In8° 153p.
1765 : Etat ou tableau de la ville de Paris. Paris. Prault, Guillyn, Duchesne, Panckoucke éditeurs. In8° 150p.
A-t-il continué a paraître après cette date ? Nous ne le savons pas.
39 op. cit.
40 Almanach du Commerce de Paris, an VI (22 septembre 1797 – 21 septembre 1798). Cet almanach ou annuaire continue d’être publié de nos jours : c’est le fameux « Almanach Bottin »
41 Vidal op. cit. 13 nov. 1997
42 Etat de la Médecine… op. cit.
43 Almanach du commerce
44 Pierre Laudet
45 Kurt Werner Alt : La pratique de la médecine dentaire au XVIIIème siècle. Revue Mensuelle Suisse Odontostomatologique. vol 103 n° 9 1993 pp. 1146-1157
46 Frédérique Valentin et Jean Granat : Anthropologie, pathologie et soins dentaires au XVIIIème siècle : découverte exceptionnelle à Saint-Martin-des Champs de Paris, Bulletin et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, ns t.9, 1997, 3-4, pp. 305-318