Le Docteur James Beall Morrison

Au cours de cette décennie, la création des écoles dentaires et la mise en place d’une législation de la pratique odontologique s’accélèrent aux États-Unis. Inaugurée en 1841 par l’Etat d’Alabama, cette réglementation instaure une licence pour légaliser la profession de dentiste après l’examen des candidats. Cette « prohibitory law » qui élimine les empiriques est ensuite adoptée par l’État de New-York en 1868 suivi jusqu’en 1876 par les États d’Ohio, Géorgie, New-Jersey et Pennsylvanie (1).

Par ailleurs, de nouvelles revues comme le Dental office and laboratory, le Dental advertiser et le Johnston’s dental Miscellany sont créées par des firmes rivales de celle de Samuel S. White.

Ce climat d’ordre et de concurrence ainsi établi va favoriser, au cours du dernier quart du XIXe siècle, un essor technologique sans précédent.

Parmi les pionniers de cette décennie, James B. Morrison est celui qui va le plus contribuer au développement de l’aménagement opératoire du cabinet dentaire. Le Dr Morrison est né le 5 décembre 1829 dans l’Ohio. Sa formation professionnelle résulte essentiellement de l’apprentissage qu’il effectue à partir de 1848 chez plusieurs dentistes renommés de l’Ohio. Son goût pour la mécanique s’explique par ses origines familiales: son père dirige une fabrique de wagons et matériels agricoles alors qu’un de ses oncles est horloger. Au cours de sa vie professionnelle, il a ainsi la possibilité de confectionner lui-même le prototype de ses inventions. En 1857, il s’associe avec son frère, le Dr William Morrison. En 1862, il s’établit à Paris en tant que collaborateur d’un dentiste américain de la capitale, le Dr H. J. Kellops de Saint-Louis. Il se rend ensuite à Londres pour exercer pendant six ans au côté de praticiens prestigieux comme les Drs John Tomes et Cercombe (2).

Le fauteuil opératoire

Le fauteuil de Morrison de 1868
Fabrication Claude Ash and Son, Londres
Fauteuil de Morrison, modèle de 1868

C’est lors de son séjour à Londres que Morrison présente son premier fauteuil à l’  » Odontological Society  » et qu’il fait breveter avant son retour aux États-Unis. Avec sa très longue frange qui limite le pourtour de l’assise, ce modèle s’apparente encore au fauteuil de salon. Malgré ses apparences conservatrices, ce modèle présente de nombreuses innovations.

Le piétement

Sa forme en étoile permet une meilleure approche du malade que celui formé de quatre pieds équidistants. La colonne centrale aboutit à un mécanisme à rotule du type Perkin qui solidarise la base au corps du fauteuil en assurant son inclinaison dans toutes les directions. Le blocage s’effectue à l’aide d’une pédale.

Le corps du fauteuil

Fauteuil de Morrison, modèle de 1868, détail
(coll. part.)

Il est totalement réglable en hauteur, alors que dans les fauteuils précédents le siège, les accoudoirs et le repose-pied étaient réglables séparément.

Le mécanisme de levage situé au niveau du dossier est composé d’un système à crémaillères et roue crantée à rochet dont l’axe supporte la manivelle.

Les accoudoirs

Ils sont réglables en hauteur et escamotables.

La têtière à rotule

Ses deux faces peuvent s’inverser pour assurer un meilleur redressement de la tête du malade et un meilleur accès aux dents mandibulaires.

Le dossier, inspiré du fauteuil de Betjemann, comprend une partie coulissante qui permet de faire varier sa hauteur de 33 à 60 cm.

Morrison est le premier auteur à préconiser un fauteuil permettant de travailler à la fois en posture debout et assise afin de préserver la santé de l’opérateur tout en assurant une meilleure efficacité de son travail.

Malgré ces avantages, il semble que ce fauteuil ait été peu vulgarisé. A notre connaissance, l’exemplaire du Musée de Copenhague et celui d’un collectionneur bruxellois sont les seuls fauteuils qui subsistent de cette série.

Le fauteuil de Morrison de 1872
Fabrication Johnston brothers, New-York
c. 1875 Claude Ash and sons, Londres
c. 1881 Samuel S. White, Philadelphie
c. 1885 Adam Schneider, Berlin


Fauteuil de Morrison, modèle de 1872
(à droite, coll. part.)

L’échec du modèle précédent est confirmé par la présence de ce nouveau modèle qui fut introduit 3 ans seulement après la commercialisation du modèle londonien. Le remplacement du piétement à rotule par une base à quatre pieds asymétriques est significatif. Elle permet de supposer que des accidents consécutifs à un mauvais blocage fauteuil avaient définitivement condamner ce mécanisme de liaison à rotules.

La salle de clinique de l’Université de Nebraska en 1901

détail

Le piétement

L’accessibilité est ici améliorée par un écartement plus réduit des pieds arrières.

La liaison avec le corps est assurée par une barre cylindrique qui n’autorise qu’une bascule antéro-postérieure du fauteuil de faible amplitude.

Le corps du fauteuil

Il est muni du même mécanisme à crémaillère qui permet l’élévation globale du fauteuil.

Le débattement vertical passe de 55 cm à 68 cm avec une position basse exceptionnelle réduite à 37,5 cm.

Le dossier

Il est composé de deux parties le dossier supérieur est escamotable ; ce qui permet l’ajustage correct de la têtière chez un enfant, le dossier inférieur est doté pour la première fois d’un mécanisme réglable destiné à soutenir la cambrure dorsale du malade.

Pour compenser la suppression de la bascule latérale du corps du fauteuil, la potence, solidaire des deux dossiers et de la têtière, peut osciller latéralement grâce à une gorge ménagée dans la plate-forme du châssis métallique du dossier inférieur.

Fauteuil de Morrison
(coll. Musée des Hospices civils de Lyon)

Le repose-pied

Il comprend deux plates-formes dont l’une est réglable d’avant en arrière.

La têtière

Le mécanisme à rotule peut coulisser dans une gouttière située perpendiculairement au repose-tête. Par rapport au modèle précédent Morrison améliore les possibilités de travail assis en position de 8 heures compte tenu de l’augmentation du débattement vertical, de la réduction de la position basse maximale et de la diminution de la largeur des dossiers. Ce modèle, adopté par de nombreux fabricants, connaîtra un grand succès jusqu’au début du XXe siècle. Le fauteuil de Morrison est exposé au Musée des Hospices de Lyon, au Musée dentaire de la British dental association de Londres, au Musée de la Faculté dentaire d’Utrecht, aux Musées d’Histoire de la médecine de Copenhague et de Stockholm et au Musée national de Baltimore.

Le fauteuil d’Harris de 1871
Fabrication S. White, Philadelphie

Fauteuil d’Harris (1872)

Fauteuil d’Harris (1875)

Ce modèle constitue la première réalisation d’un fauteuil entièrement métallique.

L’innovation apportée par ce modèle se situe au niveau du dossier et des accoudoirs qui forment un parallélogramme articulé. Ainsi, l’inclinaison du dossier entraîne automatiquement le redressement du tablier du repose-pied.

Le fauteuil d’Hayes, c. 1875
Fabrication Buffalo dental manufacturing Co, Buffalo

Fauteuil d’Hayes

Les pages publicitaires du Dental advertiser présentent le fauteuil du Dr Hayes avec une description détaillée. En dépit de son aspect archaïque et rébarbatif, ce fauteuil est doté du premier dossier à inclinaison compensée; en allongeant le patient, les rapports entre la tête et la têtière et entre le dos du patient et le dossier restent constants grâce à la convergence de l’articulateur axo-fémoral du patient et de celle du dossier avec le siège.

Il est aussi précisé que le dossier peut s’incliner au point de venir en contact des genoux de l’opérateur assis sur un tabouret.

Cette remarque signifie implicitement que le Dr Hayes travaille en posture assise, en position de 9 h à 12 h, comme la majorité des dentistes d’aujourd’hui.

En France

La publication du Cosmos dentaire parrainé par la maison Billard fils débute en 1876. Les pages publicitaires de cette revue comportent désormais des composants de l’équipement dentaire.

Fauteuil de Billard
modèle d’Archer n°2

Fauteuil de Billard de prestige

Les fauteuils présentés dans ce journal sont pour la plupart inspirés des modèles américains d’Archer.

Autres composants de l’équipement

Le crachoir

Le crachoir fontaine de Redman

Crachoir-fontaine de Redman – modèle de Johnston’s

Ce modèle introduit en 1871 fut modifié cinq ans plus tard par Johnston Brother sous le label de « Johnston ajustable fontaine spittoon ». Dans le modèle de Whitecomb, l’eau est répartie dans la cuvette par les perforations d’un tuyau circulaire situé au bord interne du crachoir.

A l’opposé, le crachoir fontaine de Redman est doté d’une arrivée d’eau unique située au centre de la cuvette. Un capuchon central provoque la déflexion de l’eau en forme de parachute.

Le modèle de Johnston est muni d’une colonne orientable qui maintient la cuvette en position toujours horizontale.

Pour le patient, l’accès au crachoir se trouve facilité.

Le crachoir de Codman et Shurtleff

Sur le fauteuil de Hayes, le crachoir de Codman et Shurtleff et la tablette sont réunis sur une colonne fixée au fauteuil. Le bras du crachoir est associé d’un porte-verre. Il n’y a pas d’alimentation d’eau.

Crachoir de Codman et Shurtleff

Crachoir de Codman et Shurtleff, porte-verre et tablette solidaires d’une potence fixée au fauteuil d’Hayes

Les crachoirs de Billard

Les modèles de crachoirs présentés dans le Cosmos dentaire de 1876 sont encore très archaïques.   

Crachoir statuette de Billard

Crachoir de Billard

 

L’éviction salivaire

L’injecteur à salive de Fisk

Le Dental Cosmos de 1875 introduit l’injecteur à salive de Fisk, premier modèle de pompe à salive à dépression d’eau. Ce système est directement inspiré de l’injecteur de Giffard qui fut en premier lieu utilisé pour remplir les réservoirs d’eau de machines à vapeur à l’aide d’un jet de vapeur. Ce principe est universellement appliqué au sein des postes d’eau des équipements contemporains.

Injecteur à salive de Fisk

L’injecteur à salive de Snow

Pour pallier aux installations qui ne possédaient pas l’eau courante, Snow présente dans le Dental advertiser de 1876 un modèle à réservoir d’eau mural comprenant une trompe à eau située entre le bocal distributeur et le bocal récepteur.

Injecteur à salive de Snow

 

Les tablettes murales

La tablette de Morrison

Lors de son séjour à Londres, Morrison a conçu une tablette porte-instruments qui permet d’importants débattements dans des plans verticaux et horizontaux.

Cette tablette s’avérait indispensable aux possesseurs du fauteuil de Morrison à grand débattement vertical. Ce modèle perfectionné par Claude Ash et celui de S. S. White furent les plus vulgarisés.

Tablette de Morrison

La tablette des Drs Requa et Alling

En juillet 1877, le Dental advertiser comporte une page publicitaire consacrée au « Parallele motion bracket » des Drs Requa et Alling. Ce modèle moins connu est pourtant plus fonctionnel que les précédents. Son mécanisme, comprenant deux bras réalisant des parallélogrammes articulés, est équilibré par un puissant ressort.

Avec ce dispositif, le positionnement de la tablette s’effectue avec une seule manoeuvre. Alors qu’avec les modèles de Morrison et de White, deux réglages sont nécessaires, l’un sur le plan horizontal, l’autre sur le plan vertical.

Tablette des Drs Requa et Alling

 

La clinique du « Cambridge dental Institute for Children » du Dr. George Cunningham

Le Dr Cunningham est un personnage hors du commun (3). Il est surtout connu en tant que co-fondateur avec Godon et Sauvez de la Fédération dentaire internationale. Né à Edinbourg en 1852, il se singularise très tôt par ses nombreux centres d’intérêt. En effet, il commence l’étude de la médecine à l’université d’Edinbourg. Il se rend ensuite à Paris pour continuer ses études de médecine, tout en postulant une licence de lettres et de sciences en 1874.

En 1876 , il suit les cours de la « Harvard school of dental medecine » et obtient avec les honneurs le diplôme de D.M.D.

La clinique du « Cambridge dental Institute for Children » du Dr George Cunningham

En tant que pionnier de l’indépendance de la profession dentaire, il est un ardent supporter de Charles Godon, créateur de l’Ecole dentaire de Paris.

Au congrès mondial de Chicago, il obtient la médaille d’or pour ses travaux de dentisterie conservatrice.

C’est au fameux congrès de Paris de 1900 qu’il jette les bases de la future Fédération dentaire internationale avec Godon et Sauvez.

Mais, Cunningham est aussi le pionnier de la pédodontie et de l’hygiène bucco-dentaire.

C’est après avoir assisté à l’inauguration de la clinique de dentisterie infantile du Dr Ernst Jessen à Strasbourg en 1902, qu’il décide, grâce au parrainage du mécène Sedley Taylor, de créer le « Cambridge dental Institute for Children », qu’il destine uniquement aux soins conservateurs.

L’institut était composé d’une grande salle de jeux servant de salle d’attente, de deux salles de clinique agrémentées d’un grand jardin.

Comme l’indique le document photographique de la page précédente, la clinique est composée des fauteuils de Morrison de 1872 modifiés, à l’usage de jeunes enfants, par l’adjonction d’un second repose-pied. On distingue aussi la tablette murale, le tour à pédale, le crachoir fontaine sur socle et le meuble de rangement contre le mur. Cette scène très familiale est animée par la jeune patiente soignée par le Dr Gant sous les regards bienveillants du Dr Cunningham et de l’assistante Miss Muncey. Ce document unique, au charme désuet, restitue parfaitement l’atmosphère bon enfant transmise par le vieil homme.

Bibliographie

1 TURNER Charles : Seventy-five years of dental education and législation in the United-States Dental Cosmos 1920 Vol. LXII N°1 p 56-64
2 MORRISON James B. : Chronique nécrologique – Dental Cosmos, march 1918, Vol. LX N°3 p 269-270
3 CUNNINGGAM George : the man and his message. British dental journal, december 2, 1963 p 527-537