Le coffret attribué à la Reine Hortense
Musée de l’APHP

Installé à l’hôtel Miramion depuis 1934, le musée de l’Assistance publique, alors musée historique et artistique des hôpitaux, ne publia son premier catalogue qu’après la deuxième guerre mondiale en 1947.

Le numéro 812 de cette plaquette portait la mention « Trousse de chirurqie dentaire dite – Napoléon – : Inscription d’un H couronné sur une face de l’instrument – a appartenu à la Reine Hortense ».

La trousse n’a quitté le musée que pour figurer sur la liste des pièces exposées à l’exposition historique « Cinq siècles d’art dentaire » du XlVème congrès dentaire de la F.D.I. de 1967 à Paris et à celle de l’A.D.F. « Du charlatan au chirurgien-dentiste » de 1982.

La description du catalogue de 1967 était ainsi rédigée : « Trousse de chirurgie dentaire dite – Napoléon – ayant appartenu à la Reine Hortense ».

En 1982, elle était présentée avec la mention « Trousse chirurgicale ayant appartenu à la Reine Hortense ».

Elle était aussi reproduite dans l’article de Claude Marchal de 1979 avec la légende : « Coffret de chirurgie dentaire ayant appartenu à la Reine Hortense ». L’unanimité concernant cette attribution semblait parfaite jusqu’au jour où M. Sainte Fare Garnot, le nouveau conservateur du musée de l’Assistance publique, nous confia qu’il faisait des réserves sur la véracité de cette attribution.

Les archives de ce coffret ayant disparu, l’imputation à la Reine Hortense n’était fondée que sur la présence d’un H couronné, gravé sur le corps métallique du pélican et corrélativement sur son absence des instruments du coffret de l’Empereur, exécutés pourtant par le même coutelier.

Pour résoudre le problème posé par cette énigme, il fallait déterminer si cet H couronné correspondait au « chiffre » de la Reine Hortense, ou à une marque de coutelier.

Le coffret – sa composition

De taille plus modeste, il mesure : L : 22,5 cm, H : 3 cm, l :14 cm. Le coffret gainé de maroquin rouge est en très mauvais état. Le fond, mieux protégé, présente un joli cuir patiné avec des motifs dorés au petit fer composés de guirlandes en bordure et d’un soleil à chaque coin.

On remarque une étiquette de propriété de l’administration de l’Assistance publique avec le numéro 9 de l’inventaire. Une seconde étiquette porte l’inscription

Chirurgie dentaire
812
Ayant appartenu à la Reine Hortense
Napoléon

L’intérieur est garni de velours grenat  le rebord est revêtu d’un galon.

L’unique instrument du coffret, un pélican avec ses accessoires est très semblable à celui de l’Empereur. Il s’en différencie par une décoration plus simple. Le manche est doté d’un embout en ivoire et d’une virole en argent. Le corps, à section octogonale, est un ébène. Chaque face est ornée d’un losange de nacre gravée en alternance avec un écu empire en or.

Le pélican à plusieurs fonctions.
Similitude avec le modèle de l’Empereur.

Le corps de l’instrument est tout à fait semblable à celui du coffret de l’Empereur. Il est signé sur une face : « Grangeret C. de l’Empereur ». Latéralement il porte d’un côté la mention : « Rue des Saints-Pères à Paris » et sur l’autre face une marque composée d’un H surmonté d’une couronne à huit arceaux avec une petite croix au sommet.

La marque : H couronnée

Les branches à crochets

Par rapport au coffret de l’Empereur, on retrouve les trois mêmes branches articulées

– les deux branches en baïonnette,

– le nombre de branches droites passe de deux à trois.

Les supports amovibles et leurs accessoires

Ils constituent la grande originalité de ce coffret. Leur nombre est augmenté en passant de trois à cinq pièces dont l’une remplit trois fonctions.

Ils se composent de

  • deux supports d’appui comprenant :
  • un appui convexe articulé et recouvert de velours rouge,
  • un appui concave de nacre gravée, ce support se singularise par un axe qui peut recevoir un élévateur poussoir et une petite clé dentaire à racine à appui dentaire en forme de cuvette imaginée, en 1803 par Henrich Lautenseblager de Berlin. Le crochet et l’appui sont dotés d’axes articulés dans les plans verticaux et horizontaux.
La clef à racine à appui dentaire
  • deux supports de tige de clé dentaire (les crochets manquent).
les supports d’appuis, d’élévateur et de clefs.

 

L’interchangeabilité des crochets est assurée respectivement par un bouton moleté et par un système « a pompe  Les tiges de clé dentaire se caractérisent par des pannetons munis de pièces rotatives en laiton pour éviter de meurtrir le tissu gingival.

Le tige coudée est signée : Manini INV (Manini invenit) auteur de  cet ingénieux dispositif.

  • un support d’élévateur droit

Il est semblable à celui du coffret de l’Empereur.

Les multiples fonctions de ce pélican, encore augmentées par rapport au précédent, constituent la principale originalité de cet ensemble.

La clé à appui dentaire, ainsi que les deux tiges de clé, sont des modèles exclusifs de ce coffret.

Le « chiffre » de la Reine Hortense

Hortense de Beauharnais, plus connue sous le nom de la Reine Hortense, est née à Paris en 1783 et morte à Arenenberg en 1837.

Fille d’Alexandre de Beauharnais et de Marie, Josèphe, Rose Tascher de la Pagerie (plus connue sous le prénom de Joséphine), elle épouse en 1802 Louis Bonaparte, 3ème frère de Napoléon 1er. Elle fut Reine de Hollande de juin 1806 à février 1810. Le musée de la Malmaison conserve de nombreux objets de la Reine Hortense qui datent de cette période.

Nous en avons sélectionné quatre qui portent, soit son Chiffre, soit ses Armes :

  • Coffret à flacons en loupe de thuya incrusté d’ébène et de cuivre. Il a été réalisé par Biennais, orfèvre de l’Empereur à Paris. Il mesure H : 5,5 cm, L : 18 cm, l :13 cm Le couvercle porte les Armes de la Reine Hortense. Le H est à caractère calligraphique. La couronne à huit arceaux est surmontée d’une croix.
Le coffret à flacons de Biennais

Les armes de la Reine Hortense

 

  • Coffret à flacons en loupe d’orme. Une plaque en cuivre incrustée dans le couvercle est gravée au Chiffre de la Reine Hortense. Exécuté aussi par Biennais, bien que beaucoup plus modeste. Il mesure H : 6cm, L :16 cm, 1:10,5cm.

Le H est à caractère calligraphique avec un dessin similaire au coffret précédent. La gravure de la couronne, de même type que la précédente, est néanmoins plus rustique.

  • Verre en cristal taillé avec anse et couvercle en vermeil avec son étui en maroquin rouge (photo 8).
Le verre en cristal taillé de Biennais

Le « chiffre » de la Reine Hortense

Le couvercle est gravé de la devise suivante : « Moins connue, moins troublée – Mieux connue, mieux aimée » et porte le Chiffre de la Reine Hortense (photo 9). Le H est à caractère typographique. Le couronne, de même facture que les précédentes, est plus richement ornée. L’étui porte aussi le Chiffre de la Reine. Le H est ici à caractère calligraphique. Le couronne, très élaborée, diffère aussi par son dessin. Le croix est stylisée. Cet ensemble a été offert à la Reine par son fils, le Prince Louis-Napoléon à Arenenberg.

  • Album de romances en maroquin rouge

Il a été mis en musique et dédié au Prince Eugène par sa sœur. Il porte le Chiffre de la Reine Hortense. Le H richement orné est à caractère typographique. Le couronne se différencie par la base des arceaux représentant des aigles. Il ressort de cette étude que chaque objet présente une composition différente de son Chiffre. La richesse ornementale affecte aussi bien le dessin des H que celui des couronnes.

Le poinçon de Grangeret, coutelier de l’Empereur

Le 19 septembre 1772, un arrêt de la Cour des monnaies et le procès-verbal en date du 23 septembre 1772 (5) accordent à Simon-Pierre Grangeret, demeurant rue de l’Arbre sec à Paris, un poinçon ayant pour marque un K couronné et à Pierre Grangeret, demeurant rue des Saints-Pères à Paris, un poinçon ayant pour marque une H couronnée ».

L’arrêt de la Cour des monnaies du 23 septembre 1772

L’acte de naissance de Pierre-François Grangeret et la déclaration de succession de Pierre Grangeret (6) révèlent que Pierre-François Grangeret, né le 27 janvier 1776 était le fils et l’unique héritier de Pierre Grangeret décédé rue des Saints-Pères, n° 42, le 15 prairial de l’an X (4 juin 1802).

Le catalogue d’orfèvrerie du musée du Louvre rapporte, à la page 208 du numéro 301, la présence d’un couteau de Pierre-François Grangeret « coutelier de l’Empereur et roi » 45 rue des Saints-Pères à Paris.

Les almanachs du commerce de 1805 à 1843 (7) citent Grangeret coutelier de l’Empereur » sur la liste des couteliers.

Conclusion

Cette série de documents atteste que Grangeret, coutelier de l’Empereur rue des Saints-Pères n° 45, mentionné sur les coffrets de l’Empereur et de la Reine Hortense, était Pierre-François Grangeret fils de Pierre Grangeret demeurant au 42 rue des Saints-Pères et ayant pour marque « une H couronnée ».

Il nous restait alors à déterminer qu’elle était la marque de Pierre François, le coutelier de l’Empereur.

Cette information nous a été révélée par l’enseigne des mémoires de Grangeret (8) des archives de la Maison de l’Empereur et ainsi libellée : « A’ l’H couronnée rue des Saints-Pères n° 45 à côté de l’Hôpital de la Charité Grangeret Coutelier de S.M. l’Empereur et des hôpitaux de la marine »

Ces mémoires apportent la preuve que Pierre-François Grangeret avait repris la marque de « l’H couronnée » de son Père Pierre Grangeret.

A ce stade de nos recherches, il était alors impératif de rechercher un coffret de Grangeret portant la marque de ce coutelier. On pourrait ainsi vérifier si le marquage du Pélican du coffret de la Reine Hortense correspond ou pas à la marque de ce coutelier.

Bibliographie

1) Guide des corps des Marchands et des Communautés des Arts et Métiers; à Paris chez la veuve
Duchesne, Libraire; 1766 p 222- B.H.V.P. in-12, 4049.
2) Registre de réception aux Maîtrises, Jurandes et Métiers de la ville et des faubourgs de Paris, paragraffé le 12 septembre 1735 au greffe du Chatelet de Paris – C.A.R.A.N.; Y 9323.
3) Registre de réception des Maîtrises de la ville de Paris au Chatelet de Paris du 27 avril 1752 – C.A.R.A.N.; Y 9327 p 81.
4) Registre de réception des Maîtrises de la ville de Paris au Chatelet de Paris du 26 juin 1758 – C.A.R.A.N.; Y 9329.
5) Arret de la Cour des Monnaies du 23 septembre 1772 qui accorde des poinçons à dix couteliers
(dont Simon-Pierre et Pierre Grangeret ) C.A.R.A.N. Z/ 1b/ 429
6) Déclaration de succession de Pierre Grangeret du 8 brumaire an 11.- Archives de Paris DQ7 1787 p. 290
7)Almanachs du Commerce; B.H.V.P. 4° Z1.
8) Mémoires de Grangeret C.A.R.A.N. ; O2 33- O2 815- O2 816