Introduction

Les corporations, qui sont à l’origine du prestige des métiers d’art, furent abolies une première fois le 12 mars 1791 par l’assemblée Constituante qui les rétablit en partie un mois plus tard. Elles purent ainsi continuer leur mission jusqu’à l’établissement de la loi du 19 brumaire an VI (9 novembre 1797), date de leur abolition définitive par le Conseil des Cinq Cents.

S. Granjean affirme : « Cette loi permit l’achèvement d’une désorganisation amorcée par la Révolution et l’anéantissement d’une tradition plusieurs fois séculaire, entraînant la ruine des orfèvres ainsi que la dispersion sinon la fermeture des ateliers. » (11)

En dépit de ces bouleversements, certains orfèvres du début du XIXe siècle comme Biennais et des couteliers comme Grangeret réussirent à maintenir leurs traditions technologiques et artistiques.

 

Le 1er avril 1983, le mécène le plus ignoré de France rédigeait son testament qui faisait du « Souvenir napoléonien » humble association régie par la loi de 1901 consacrée à la gloire de l’Empereur, l’une des trois plus riches de France.

Martial LAPEYRE
1904-1984

 

Il s’agit de Martial Lapeyre, auvergnat de mère normande, né à Paris qui fit fortune dans la menuiserie industrielle tout en menant une vie de collectionneur érudit et cultivé.

Amateur d’art passionné, il privilégia ses recherches sur les souvenirs de Napoléon et de sa famille.

Le legs de Martial Lapeyre apportera en 1984 au « Souvenir napoléonien » la plus grande partie de sa fortune comprenant, entre autre, un immeuble de la rue de Monceau et le très beau Nécessaire de voyage de Biennais ayant appartenu à Fouché.

L’importance de la collection aboutit en 1988 à la constitution de la Fondation Napoléon qui joue aujourd’hui un rôle culturel important.

C’est elle qui fut présente à Londres lors de la vente d’objets d’art de Christie’s du 9 juin 1994 et à qui fut adjugé après une longue série d’enchères, un « Nécessaire à dents » de l’Empereur, attribué à Martin-Guillaume Biennais pour la somme de 62 000 £.

A l’annonce de cette adjudication, on peut s’interroger sur la signification du terme « attribué à Martin-Guillaume Biennais » et sur une éventuelle correspondance de ce coffret avec le « nécessaire d’or pour les dents » que Napoléon légua dans son testament à son fils.

Martin-Guillaume Biennais (1764-1843)

Biennais – Tabletier

Portrait de Martin-Guillaume BIENNAIS

 

L’acte baptistaire de Martin-Guillaume Biennais extrait du registre de la paroisse de St Sauveur de la Cochère diocèse de Sées dans l’Orne, nous apprend qu’il est né le 29 avril 1764, fils de Guillaume Biennais et de Marie Huet (1).

Lorsque son père, laboureur de son état, meurt en 1772 ; Biennais n’a que 8 ans. Lorsque sa mère décède à son tour en 1783, son cousin André, François Chéron demeurant à Paris devient alors son tuteur et est vraisemblablement à l’origine de l’orientation professionnelle du jeune Biennais.

Venu très tôt à Paris, ce dernier achète le 20 avril 1788, le fond d’une boutique de tabletier à la veuve de Claude Louis Anciaux (2). Il se marie le 2 juin 1788 avec Rosalie Maheu, lingère.

L’acte de mariage (3) nous apprend que le dit Sieur mineur Biennais, âgé alors de 24 ans est Maître tabletier demeurant rue St Honoré, paroisse St Roch.

Costume de tabletier (Estampe de Larmessin)

 

« L’annonce particulière » qu’il fait passer dans : « Annonces, affiches et avis divers » du 20 avril 1790 précise qu’il est tabletier et éventailliste et que sa boutique est située « rue St Honoré près de la rue de l’Échelle, à l’enseigne du Singe Violet » (4).


Annonces et avis divers du 1er janvier 1789

 

Sa femme meurt l’année suivante le 6 juin 1789 en laissant une fille Adrienne, Rosalie. Il se remarie le 8 septembre avec Marie-Anne Gaudin (5).

Un inventaire des biens de la communauté est établi le 31 décembre 1789.(6)

Il nous apprend que l’acquisition du fond de tabletterie de Claude Louis Anciaux fut réalisée sous seing privé moyennant la somme de 3200 livres. À l’estimation de 2000 livres faite par le tabletier Jean-Baptiste Latte pour l’acquisition des marchandises composant le fond de tabletterie, la veuve Anciaux exigea un « pot de vin » de 1000 livres. Viennent ensuite les estimations des « marchandises ustensiles et outils servant au commerce du Sieur Biennais » faite par Jean-Baptiste Latte et Pierre Dumesnil, tous deux tabletiers à Paris. Cet inventaire constitue un intéressant tableau de l’achalandage de la boutique de tabletterie de la rue St Honoré de Biennais en 1789.

La corporation des tabletiers (7)

D’après Alfred Franklin, les tabletiers, au 13ème siècle, ne fabriquent que les « tablettes » destinées à l’écriture. Ce sont des petits carnets composés de feuilles en corne, en ardoise, en argent ou en ivoire qui sont recouvertes de cire verte, rouge ou noire sur laquelle on trace les lettres au moyen d’un « style ». Cette spécialité propre aux premiers tabletiers ne pouvait suffire à alimenter cette corporation. Aussi, s’associèrent-ils aux fabricants de peignes et de dès.

Dans les statuts accordés le 30 juillet 1507 à la Communauté, les maîtres sont qualifiés de « peigniers-tabletiers-tourneurs et tailleurs d’images d’ivoire ». Les statuts de 1741 leur donnent le droit de fabriquer des bâtons d’éventails, les tables à jeux et de travailler l’ivoire et par voie de conséquence de fabriquer les dentiers. On qualifie alors ces tabletiers de « remetteurs de dents d’ivoire ».

Citons les nombreux jeux : dames, échecs, dominos, bilboquet, solitaire, tric-trac, loto, etc. ; les peignes en corne en ivoire ou en écaille ; de la petite ébénisterie tels que pupitres, commodes et secrétaires d’enfant ; mais aussi des pots à tabac des bonbonnières, des gardes vues (abats jours) différentes pièces sculptées en ivoire et plusieurs douzaines de brosses à bouche, brosses à dents ainsi que des cure-dents et des gratte langue.

Petit atlas pittoresque des 48 quartiers de la ville de Paris par Perrot (1834)

Plan de Vasserot du quartier des Tuileries

 

Le 11 décembre 1790, il agrandit son local de la rue St Honoré en louant la boutique et arrière boutique situées à droite de la porte cochère de leur maison ainsi qu’un autre grand local dont l’accès s’effectue par la cour. Il obtient un droit au bail de 9 ans moyennant la somme de 2000 livres par an (8).

Une annonce du 11 juin 1791 nous apprend qu’il exécute de très belles pipes en « écume de mer » (17) (9). On perd ensuite sa trace jusqu’à la fin du 18e siècle où un en-tête commercial de Biennais nous révèle qu’il étend désormais ses activités à l’ébénisterie et au coffret nécessaire.

En-tête commerciale (vers 1800)

 

Biennais « Orfèvre du Premier Consul »
En-tête commerciale (début XIXe)

 

La chance paraît sourire à Biennais lorsque, d’après la tradition, il aurait vendu un nécessaire à crédit en 1798 à celui qui n’était encore que le général Bonaparte (10).

L’étoile de Biennais semble monter en même temps que celle de Bonaparte ; à l’exposition de l’industrie de 1800 le  » Premier Consul  » lui achète un bureau en acajou qui appartient aujourd’hui au duc de Broglie.

L’abolition définitive des règlements corporatifs en 1797 lui offre la possibilité de fabriquer lui-même son orfèvrerie pour ses  » Nécessaires  » plutôt que d’avoir recours à des façonniers comme il l’a fait jusqu’alors avec Genu. En 1801-1802, Biennais fait insculper un poinçon d’orfèvre (21). Cet événement l’amènera à fonder son propre atelier d’orfèvrerie au moment où s’efface le souvenir des troubles révolutionnaires où s’affirme la renaissance de la vie mondaine et la formation d’une nouvelle classe fortunée.

Sa réussite le met rapidement en situation de concurrencer les deux grands de l’orfèvrerie : Auguste et Odiot.

Biennais « Orfèvre de leur MM impériales et royales (12) »
Mémoire de Biennais

 

La proclamation de l’empire en 1804 va l’amener au sommet de la notoriété ; c’est Biennais qui est chargé d’exécuter les insignes impériaux de la cérémonie du sacre : la couronne de feuilles de laurier en or, immortalisée par le célèbre tableau de David, et le grand collier d’or de l’Ordre de la légion d’honneur.

Une médaille d’or lui est attribuée à l’exposition de 1806 où il expose une soupière destinée à Joséphine (13)

En 1810, c’est l’important service à café en vermeil que possède le Musée du Louvre, commandé par Napoléon à l’occasion de son mariage avec Marie-Louise.

Le service de plus de 1000 pièces livrée au grand duc Michel Pavlovitch en 1818 peut-être considéré comme le crépuscule des activités de Biennais.

Il cède son commerce en 1821 à son collaborateur Jean-Charles Cahier et meurt le 27 mars 1843 dans sa maison de la rue St Honoré (14).

Les « coffrets nécessaires » de Biennais
Coffret-nécessaire de voyage par Biennais

 

Ce sont pourtant ses « nécessaires » qui constituent la grande réussite de Biennais et qui lui valent de devenir le fournisseur de l’Empereur, de la famille impériale et de la plupart des souverains d’Europe.

Le terme de nécessaire correspond aux coffrets de bois rares, toujours creusés dans la masse, facilement transportables, contenant un maximum d’objets dans un minimum d’espace.

L’habileté de Biennais se surpasse dans ce domaine où les nombreuses pièces s’encastrent en un véritable puzzle dans les logements creusés dans l’acajou, la loupe de thuya ou d’amboine.

Sa formation de tabletier le prédisposait à exceller dans la confection des nécessaires où Biennais prend plaisir à rassembler d’une façon harmonieuse les matières les plus diverses : l’or, l’argent, le cuivre, l’acier, la nacre, l’ivoire, l’écaille, le cristal, le bois, voir le velours et le maroquin.

La création la plus célèbre des nécessaires de Biennais est assurément la cassette de campagne de l’Empereur qui servit le matin d’Ulm et d’Austerlitz.

C’est par ses dimensions et son contenu – 103 pièces comprenant des instruments de travail, des objets de toilette et un service de table – le nécessaire le plus important que Napoléon ait utilisé.

Ce sont pourtant des nécessaires moins connus mais pas moins prestigieux qui ont retenu notre attention.

Le nécessaire de voyage de Fouché
Le coffret-nécessaire de Fouché

 

Ce nécessaire a été commandé à Biennais par Fouché (20) en cadeau de mariage à sa seconde femme Ernestine de Castellane. Il a été acquis par Martial Lapeyre lors de la vente de l’Hôtel Drouot du 29 janvier 1980. L’estimation de 150 000 F a été pulvérisée par l’adjudication de 420.000 F en faveur de l’amateur.

Ce travail de Biennais comprend 75 pièces contenues dans un coffret rectangulaire en acajou ramageux à deux anses à écoinçons de cuivre et incrustations de filets, rinceaux et griffons. Au centre du couvercle, un écu gravé au chiffre C.F. couronné de Fouché est entouré d’une guirlande de laurier.

L’originalité de ce nécessaire se situe à la base du coffret qui renferme un écritoire portatif. Derrière le miroir se trouve un ensemble de soufflets en cuir rouge doré au fer.

Les 75 pièces

Les plateaux pivotants

 

Il est composé d’un service à thé et à café et de diverses pièces de toilette comprenant notamment des flacons à sel et à élixir en cristal taillé et bouchon en or ciselé, une brosse à dents à manche en or ciselé et brosse amovible et « six instruments à dents » décrits au catalogue comme des pièces à manucure.

Les pièces d’hygiène dentaire

 

On relève, en fait, cinq rugines à détartrer et une lime ; les manches sont en nacre incrustés d’un écu en or alors que les viroles et les culots sont en or ciselés en relief.

Ces pièces d’hygiène dentaire sont toujours présentes dans les nécessaires de voyage ou de toilette de Biennais.

Le nécessaire à dents de l’Empereur de la Fondation Napoléon
Le nécessaire à dents de l’Empereur de la Fondation Napoléon

 

Le coffret de l’Empereur dispersé chez Christie’s le 9 juin 1994 provient de la collection du baron Nathaniel de Rothschild dont la tradition familiale stipule que ce nécessaire dentaire fut acquis par son grand-père auprès d’un soldat qu’il l’aurait subtilisé dans les bagages du train de Napoléon à la bataille de Waterloo en 1815.

Le coffret

Le nécessaire à dents de l’Empereur de la Fondation Napoléon

Le coffret fermé

 

Il est en loupe d’amboine, de forme rectangulaire et mesure 19 cm sur 13 cm 6 et 4 cm d’épaisseur.

Les incrustations au centre reproduisent les armoiries impériales. Le grand écu est entouré du collier de la légion d’honneur coiffé de la couronne impériale à huit arceaux. Au milieu, on distingue l’aigle impérial les ailes abaissées.

Il se détache sur le grand manteau semé d’abeilles et doublé d’hermine. Deux hampes se croisent derrière l’écu, l’une surmontée de la main de la justice et l’autre d’un aigle.

Aux quatre coins, les lyres sont réunies par une frise composée de palmes, de fleurs de lotus et de palmettes. Deux griffons sont face à face de part et d’autre de l’entrée de la serrure.

L’aménagement intérieur

Le coffret et son plateau

Instruments de Gariot

 

Il est composé de pièces et d’instruments à manche en or avec viroles et culots en or ciselé représentant une série de palmettes.

Les instruments sont présentés dans deux plateaux en acajou l’un au-dessus de l’autre.

Chaque plateau est creusé de huit logettes pour recevoir huit instruments qui s’adaptent avec une grande précision dans leur logement. Sur les seize instruments, on relève douze rugines à détartrer, un fouloir et deux cautères.

Tous ces instruments sont apparentés à ceux de Gariot reproduits dans son ouvrage de 1805 aux planches p.2-3- et 4. Seules les motifs ciselés se différencient de ceux de Biennais.

L’aménagement intérieur

Quelques pièces en or

 

Sous le 2ème plateau, six instruments reposent au fond du coffret dans leur logette respective :

  • une paire de ciseaux,
  • deux lancettes,
  • une paire de précelles,
  • un petit manche avec une extrémité filetée, qui sert à la préhension d’un compartiment.
  • un porte bâtonnet de nitrate d’argent qui coulisse dans un fourreau cylindrique et que Maury appelle  » pierre infernale « .

Autour des plateaux, deux compartiments séparés sont aménagés pour recevoir différentes pièces :

  • le compartiment de gauche comprend une boite en or de forme ovale ciselée au pourtour avec une série de palmettes, et deux flacons en cristal avec bouchons en or ciselé de l’aigle impérial.
  • le grand compartiment présente une boite en or à pans coupés avec une bordure de palmettes ciselées, une prédelle et deux lancettes.

L’ énigme de l’absence de marquage

Le nécessaire de l’Empereur est répertorié au lot n°7 du catalogue du 9 juin 1994 de la vente londonienne de chez Christie’s.

Dès le début de la présentation de cette pièce, l’expert utilise le qualificatif :  » attributed to Martin-Guillaume Biennais « . Ce libellé ne garantit pas la réalisation de ce nécessaire par l’  » orfèvre de l’Empereur « .

Cette prudence résulte de prime abord par l’absence de tout marquage alors que Biennais identifiait toujours ses nécessaires par un libellé gravé sur la serrure. À cette époque l’inscription la plus fréquente était  » Biennais, Orfèvre de S-M l’Empereur et roi, au Singe violet 283, rue St Honoré Paris « .

Lorsque l’expert ajoute que  » des concurrents pouvaient réaliser un tel travail  » il confirme sa suspicion sur l’authenticité de ce coffret.

Pour tenter de résoudre cette énigme, nous avons fait appel à un collectionneur parisien qui possède un nécessaire dentaire signé Biennais et apparenté à celui de l’Empereur.

Un nécessaire dentaire de Biennais
Un nécessaire dentaire de Biennais (coll. part.)

 

Le coffret, légèrement moins important, mesure 17 cm 5 sur 11 cm 5 et 3 cm 5 d’épaisseur. Il est en acajou jaspé avec toutes les faces décorées d’incrustations d’argent et d’ébène.

Le motif central est composé de deux griffons qui sont face à face en posant chacun une patte sur l’écu central qui est surmonté d’une croix couronnée par deux rameaux d’olivier.

Le libellé de la serrure

Le nécessaire et ses plateaux

 

Sur la serrure en argent est gravé le libellé suivant :  » Biennais Md (19), Orfèvre, tabletier, ébéniste au Singe violet, rue St Honoré n°511.

L’aménagement intérieur

L’examen de ce nécessaire dentaire révèle de nombreuses similitudes avec celui de l’Empereur :

  • les deux plateaux en acajou sont identiques tout en ne comprenant que 7 logettes au lieu de huit ;
  • les 14 instruments sont homologues par leur forme et leur fonction. Ils se différencient par leurs motifs décoratifs au niveau des viroles et des culots. La mise en place dans leur logette respective s’effectue avec une étonnante précision, caractéristique de l’ébénisterie de Biennais.
  • deux flacons en cristal avec bouchon en or s’adaptent avec précision dans leur compartiment respectif ;
  • un logement rectangulaire à pans coupés a été prévu pour recevoir une boite en or qui est manquante ;
  • une paire de ciseaux en acier s’emboîte dans son logement au fond du coffret.
Un flacon en cristal taillé

Le nécessaire et ses plateaux

 

L’examen minutieux des deux nécessaires effectué avec Béatrice de Durfort de la Fondation Napoléon, nous amène à dégager des conclusions concordantes quant à l’authenticité de ce coffret de l’Empereur :

Le nécessaire (coll. part.)

Le nécessaire de l’Empereur

 

  • compte tenu que le coffret n’est pas creusé dans la masse, que la facture décorative ne correspond pas à celle de Biennais, que le heaume n’est pas représenté dans les armoiries impériales, que la qualité de l’ébénisterie n’atteint pas le niveau habituel de ses nécessaires et que l’absence de signature est d’autant plus inexplicables que ce modèle était destiné à l’Empereur, nous pensons que la cassette ne peut être affectée à Martin-Guillaume Biennais.
  • par contre, la similitude des plateaux des deux nécessaires et de leurs instruments ainsi que l’élégance et la richesse décorative des pièces en or sont des éléments significatifs de la facture de Biennais qui nous conduisent à reconnaître l’authenticité des composants du contenu de ce nécessaire.

Cette dualité entre la cassette et les éléments de l’aménagement intérieur ne peut s’expliquer qu’en postulant que le coffret d’origine de l’Empereur a subi d’importants dommages au point de nécessiter la confection d’une réplique.

L’énigme du nécessaire d’or pour les dents de Napoléon

Norvin, dans son histoire de Napoléon, reproduit  » l’état 6  » du testament de l’Empereur qui est ainsi libellé :

 » je donne à mon fils le nécessaire d’or, pour les dents resté chez le dentiste.  »

Cette phrase laconique peut évidemment susciter une interrogation pour déterminer si ce nécessaire d’or correspond à celui de la Fondation Napoléon.

Les recherches que nous avons déjà effectuées sur Grangeret nous ont permis de découvrir deux nécessaires dentaires du Coutelier de l’Empereur :

  • un nécessaire de chirurgie dentaire exposé lors de l’exposition « Du charlatan au chirurgien-dentiste » de 1983.
  • un mémoire de réparation daté de 1810 concernant un autre nécessaire de l’Empereur composé principalement de rugines à détartrer.
Mémoire de réparation de Grangeret concernant un autre nécessaire de l’Empereur

 

A l’examen de ces deux nécessaires on ne remarque ni manche d’instrument en or, ni pièce accessoire en or. Ce qui nous amène à penser que, dans l’état actuel de nos connaissances, seul le nécessaire dentaire de Biennais de la Fondation Napoléon pourrait correspondre au  » nécessaire d’or pour les dents  » que Napoléon légua au roi de Rome.

 

Conclusion

La présence de plusieurs douzaines de brosse à bouche et de brosse à dents répertoriées dans l’inventaire de la boutique de Biennais de 1789 constitue un premier témoignage de la vulgarisation de la brosse à dents en France. Elle s’inscrit dans la tendance exprimée déjà par Beaupréau en 1764 (15) qui associe l’usage de l’éponge et de la brosse à dents en crin.

En adjoignant systématiquement des brosses à dents, des gratte langues, des cure-dents et des rugines à détartrer dans ses nécessaires de toilette et de voyage, on peut considérer que Martin-Guillaume Biennais a contribué au développement de l’hygiène bucco-dentaire en France.

Biennais, humble tabletier à ses débuts, aux origines familiales modestes, s’affirme dès l’acquisition de son fond de la rue St Honoré comme un artisan consciencieux mais aussi comme un brillant homme d’affaire. La période révolutionnaire ne semble pas trop avoir entravé son ascension commerciale car dès les premières années du XIXe siècle, il est en mesure d’étendre l’éventail de ses articles dont l’originalité et la qualité lui valent les titres les plus prestigieux. Il acquiert alors une fortune qu’aucun orfèvre n’avait pu constituer avant lui.

La lecture de sa déclaration de succession du 2 septembre en 1843 permet de mesurer l’étendu de sa réussite (16).

A l’opposé d’Auguste qui fit faillite en adoptant la technique industrielle de l’estampage, le succès prestigieux de Biennais repose sur sa fidélité à la tradition artisanale de ses prédécesseurs associée à un grande rigueur et à un exceptionnel talent.

Bibliographie et Notes

1 Archives Nationales,  Et. CX 522
2 Archives Nationales,  Et. LXII 654
3 Archives Nationales,  Et. CX 522
4 Bibliothèque nationale,  V.28329 p. 1006
5 Archives Nationales,  Et. LXXXI 539
6 Archives Nationales,  Et. LXII 654
7 Franklin Alfred ; dictionnaire historique des arts et métiers exercés dans Paris depuis le XIIIe siècle – Paris 1906 p. 669-670.
8 Archives Nationales,  Et. CVIII 743
9 Bibliothèque nationale,  V 28336 p. 2162
10 Tallandier M.A ; Discours prononcé aux funérailles de Biennais – Paris 1843
11 Grandjean Serge ; l’orfèvrerie du XIXe siècle en Europe p. 20-24
12 Comte de Salverte ; le dictionnaire des ébénistes de la fin du XVIIIe siècle, leurs œuvres et leurs marques Lebrun Isidore ; annuaire de Normandie M.G. Biennais, Orfèvre de Napoléon Bottineau Yves, Lefuel Olivier • Les grands orfèvres de Louis XIII à Charles X • Catalogue de l’Orfèvrerie du Musée du Louvre p.192-204-1958 Nocq Henri, histoire de l’orfèvrerie du XVIe au XIXe siècle 1926
13 Lorion André ; les expositions de l’Industrie française à Paris (1798-1806) Revue de l’ Institut Napoléon p.125-130
14 Archives de Paris,  DQ18 208
15 Beaupréau M. – Dissertation sur la propreté a la conservation des dents 1764
16 Archives de Paris,  DQ7 3476
17 Silicate hydrate de magnésie utilisé dans la fabrication des pipes.
19 marchand
20 voir le livre de Jean Tulard sur Fouché.
21 BHVP 149 364 Armington, Beaupuis, Bilinoff, 1991, n° 00459, p. 84