F Salaün

Conférence prononcée le 27 Novembre 2001 à l’hôpital Saint-Louis à Paris, à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la spécialisation de l’hôpital en dermatologie


Introduction

Le 13 frimaire an X (4 décembre 1801), le ministère de l’Intérieur homologue un règlement présenté le 6 frimaire an X (27 novembre 1801) par le Conseil Général des Hospices civils de Paris. Cet arrêté codifie les modalités d’admissions dans les hôpitaux parisiens : il annonce la création d’un bureau central de réception pour optimiser la répartition des malades dans les établissements et classe les hôpitaux de la ville en deux groupes, selon qu’ils sont communs (pour le traitement des maladies ordinaires) ou spéciaux (destinés à une catégorie particulière de patients). Cet arrêté présente donc un double intérêt, à la fois administratif et médical. Il témoigne d’une volonté nouvelle de distribuer les secours hospitaliers de façon plus efficace et plus rationnelle. Il s’inscrit également dans une période où la médecine se rénove profondément, dans son enseignement et sa pratique, et s’oriente vers des méthodes d’investigation nouvelles qui favorisent l’émergence des spécialités. Cet arrêté du 4 décembre 1801 signale Saint-Louis comme l’hôpital des « maladies chroniques, soit contagieuses, telles que la gale, la teigne, les dartres, soit rebelles et cachectiques, comme le scorbut, les vieux ulcères, les écrouelles ». Est ainsi entérinée la « spécialité de fait » acquise progressivement par l’établissement. Surtout, sont mises en place les conditions pour favoriser l’émergence de la dermatologie comme discipline médicale.

Rationalisation et réorganisation : la lourde tâche du Conseil général des Hospices

1801 : La centralisation administrative des structures d’assistance et de soins

A Paris, à la veille de la Révolution, la gestion des établissements hospitaliers et d’assistance est répartie entre trois principaux services : l’Hôpital général, le bureau de l’Hôtel-Dieu, le Grand Bureau des Pauvres. Un nombre important de maisons hospitalières fonctionnent par ailleurs de façon autonome. La période révolutionnaire signe la mise à mort du système d’assistance d’Ancien Régime. Après l’échec de la nationalisation du patrimoine hospitalier sous la Convention, le Directoire s’emploie à jeter les bases d’une organisation nouvelle. La loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796) remet la gestion des hôpitaux aux communes et place les établissements sous la surveillance d’une commission administrative. Celle du 7 frimaire an V (28 novembre 1796) confie la gestion des secours à domicile aux bureaux de bienfaisance créés dans chaque commune.

L’arrêté des Consuls du 27 nivôse an IX (17 janvier 1801) met en place un Conseil général d’administration des Hospices civils de Paris, composé des deux préfets et de onze membres, en charge de la direction et de la gestion des établissements hospitaliers. Le domaine exécutif est confié à une commission de cinq membres. Quelques mois plus tard, un second arrêté consulaire (29 germinal an IX-19 avril 1801) confie à la même administration la gestion des Secours à domicile et le Bureau des nourrices. C’est la première fois qu’est réalisée l’unité administrative entre les différents services de soins et d’assistance parisiens. Ce regroupement, spécifique à la capitale, se veut une réponse à la désorganisation antérieure : « En sortant du chaos de l’anarchie, il était raisonnable de tout centraliser pour imprimer à tous les rouages épars de l’administration publique une marche uniforme et régulière ». Face aux besoins croissants de Paris en matière d’assistance, l’enjeu est de taille. Il s’agit de garantir la meilleure coordination possible entre les établissements hospitaliers et les bureaux de bienfaisance.

Les établissements dont hérite le Conseil général sont au nombre de dix-neuf. « Neuf sont consacrés au soulagement des malades de tout âge et de tout sexe. Six sont consacrés à secourir les indigents valides de tout sexe. Quatre sont consacrés à recueillir l’enfance et la jeunesse pauvre ou délaissée. […] La population moyenne de ces hospices est de 16 000 individus. » La tâche qui attend le Conseil général des Hospices est d’envergure. Il lui faut rationaliser la gestion de cet ensemble de structures et en définir des principes de fonctionnement. « Le nombre des hôpitaux et des hospices actuellement établis dans la commune de Paris, et la destination de chacun d’eux, sont-ils en rapport avec les besoins et les moyens de cette commune ? Ce sera l’une des premières questions que vous aurez à résoudre et la première base que vous aurez à poser. », indique le préfet de la Seine Frochot dans son discours d’installation du Conseil. Tout est alors à faire, reconnaît humblement Frochot : « il faut avoir la franchise d’avouer que la science d’administration des hôpitaux est presque entièrement à créer parmi nous. […] Il est temps de donner à cette partie de l’administration publique la direction qui lui convient ; à tous égards, c’est à la commune de Paris qu’il appartient d’en donner l’exemple. » La mission confiée à la nouvelle institution tient en quelques mots : « le retour de l’ordre dans tous les détails et de l’économie dans tous les moyens ». Cette demande s’accorde avec les principes du temps : « le mouvement de l’époque était le rétablissement de l’ordre et de la régularité dans toutes les branches de l’administration publique. »

Dès 1801, la centralisation est à l’œuvre dans tous les domaines. L’arrêté du 4 décembre 1801 s’inscrit dans un ensemble réglementaire qui vise à réorganiser l’offre de secours et de soins hospitaliers. La réglementation concernant les admissions dans les hospices et maisons de retraite de la capitale précède celle des hôpitaux. Le 18 vendémiaire an X (10 octobre 1801) en effet, le ministère de l’Intérieur homologue un règlement sur les admissions dans les hospices. Ces établissements sont désormais classés en fonction de leur destination (selon qu’ils accueillent des indigents valides, des époux en ménage, des infirmes ou des orphelins) et du régime de leur administration (pension ou gratuité).

L’arrêté du 4 décembre 1801

L’arrêté du 4 décembre 1801 codifie les procédures d’admissions des malades et blessés (articles 23 à 47) et pose les conditions générales de la répartition des malades dans les établissements hospitaliers de la ville à partir du bureau central de réception (articles 1 à 22).

La création du Bureau central

La création d’un bureau central de réception apparaît comme l’une des mesures majeures de l’arrêté du 4 décembre 1801. Ce service est mis en place pour réguler les admissions et répartir les malades dans les hôpitaux en fonction de leurs affections ou de leurs domiciles. « Ce moyen était le plus sûr pour établir la classification des maladies et pour remédier à ce fatal encombrement de quelques établissements, lorsque les autres restaient vides. » La raison la plus fréquemment avancée pour motiver la création de ce bureau est la volonté de réduire les admissions injustifiées dans les hôpitaux. L’absence de sélection des malades est pointée comme un problème qui « compromet à la fois la sûreté du service par l’excès des dépenses, et la salubrité des habitations par l’encombrement des personnes. » Dans son discours d’installation du Conseil général des Hospices, Frochot développe longuement la question du « pèlerinage d’hôpital en hôpital, et par là j’entends la facilité que le nombre des hôpitaux et leur dispersion dans les divers quartiers de Paris donne à tout individu de se présenter dans un hôpital en en quittant un autre. […] il en résulte que l’homme à qui le vice donne l’industrie du mensonge, peut ainsi, à son gré, distribuer son année entre tous les hôpitaux de Paris, et assurer à son oisiveté une existence au moins paisible et dégagée de tous soins. » Pour remédier à cet abus, Frochot ne voit qu’une solution : « la régularisation du service d’admission » afin de réduire les admissions de « faux malades ». L’objectif annoncé n’est autre que l’équilibre des dépenses : « le Conseil […] s’est occupé de diminuer les dépenses, qui jusqu’alors avaient excédé les recettes. A cet effet, il a établi un bureau central d’admission, pour ne recevoir dans les hôpitaux que des indigents vraiment malades. »

Les attributions des officiers de santé du Bureau central sont les suivantes : ils vérifient si les personnes qui se présentent ont droit aux secours publics et si leur état nécessite qu’elles soient hospitalisées ou dirigées vers le comité de bienfaisance de leur arrondissement de domicile. Ce Bureau central d’admission (parfois également appelé bureau central de réception ou de visite) entre en exercice le 22 mars 1802, à proximité de l’Hôtel-Dieu. Dès le premier bilan annuel, les chiffres attestent des bons résultats de ce service. D’après Clavareau, qui dresse un inventaire des hôpitaux parisiens en 1805, le bureau central « depuis longtemps réclamé par le bon ordre et l’économie, […] est un des établissements les plus utiles pour les hôpitaux et hospices de Paris ; […] il évite toute confusion et réunit les plus précieux avantages ».

La classification des hôpitaux

« Une des premières occupations du Conseil fut de classer les Hôpitaux et Hospices, et de donner à chacun une destination particulière. Le nombre des Etablissements hospitaliers fut fixé à dix-neuf : onze hôpitaux et huit hospices ». En ce qui concerne les hôpitaux (ou hospices de malades), l’article 12 de l’arrêté du 4 décembre 1801 établit une distinction entre les hôpitaux communs « pour le traitement des maladies ordinaires » et les hôpitaux « spéciaux pour certaines maladies particulières ».

Les hôpitaux communs sont au nombre de six : « Le grand hospice d’Humanité [Hôtel-Dieu], les hospices de l’Unité [la Charité], de l’Est [Saint-Antoine], du Sud [Cochin], de l’Ouest [Necker] et du Roule [Beaujon] ». Une sous-distinction est établie dans ce groupe d’hôpitaux communs : « les plus considérables sont destinés au service général de tous les quartiers de Paris, et aux malades étrangers et sans asile, tandis que les autres hôpitaux, moins étendus, ne reçoivent que les malades des arrondissements voisins ». L’introduction de cette notion d’hôpital d’arrondissement témoigne d’un souci réel de répartir de la façon la plus efficace possible les malades dans les différentes structures dont dispose la capitale. Deux établissements, l’Hôtel-Dieu et la Charité, cumulent les fonctions d’hôpitaux d’arrondissement et de service général. Les hôpitaux d’arrondissement (Necker, Cochin, Beaujon, Saint-Antoine) « sont distribués à raison d’un pour deux mairies. Ils sont destinés uniquement aux malades domiciliés dans les sections que ces arrondissements comprennent » (article 15). Il semble néanmoins que cette disposition soit restée un principe théorique, difficilement applicable dans les faits : « les hôpitaux d’arrondissement n’offrent pas tous un nombre de places proportionné à la population des différents quartiers qu’ils sont destinés à servir », déplore le rapport sur les opérations du Bureau central de février 1804.

A côté de ce groupe principal d’hôpitaux communs, les hôpitaux spéciaux sont définis comme étant « exclusivement affectés, soit au traitement de certains genres de maladies contagieuses ou chroniques, soit à des classes particulières de malades ». L’article 13 de l’arrêté du 4 décembre 1801 définit la vocation des trois hospices spéciaux, à savoir : « l’hospice des Vénériens, pour les malades des deux sexes attaqués de maladies de ce genre ; l’hospice de la Couche (à la Maternité), pour les femmes enceintes parvenues à la fin du huitième mois de leur grossesse ; l’hospice du Nord, pour les maladies chroniques, soit contagieuses, telles que la gale, la teigne, les dartres, soit rebelles et cachectiques, comme le scorbut, les vieux ulcères, les écrouelles ». L’article suivant est consacré à deux autres hospices spéciaux : « l’un pour les enfants des deux sexes âgés de moins de quinze ans, et qui sont atteints de maladies pour lesquelles ils pourraient être reçus dans les hospices destinés aux malades adultes ; l’autre pour le traitement de la petite vérole et la pratique des méthodes qui en préservent ». Le traitement de cette question en deux articles distincts résulte du fait que l’article 13 liste les hôpitaux déjà affectés à des populations spécifiques, tandis que l’article 14 annonce la création de deux nouveaux hôpitaux. La conversion de la Maison de l’Enfant-Jésus en hôpital pour enfants ne devient effective que l’année suivante (arrêté du 18 floréal an X–8 mai 1802). Quant à l’hôpital destiné au traitement de la petite vérole, il n’en est plus fait mention par la suite… Chose étonnante : les documents officiels (rapports, règlements) parus à la suite de l’arrêté du 4 décembre 1801 ne se tiennent pas à cette classification et donnent des listes sans cesse différentes des hôpitaux spéciaux. Cette confusion laisse penser que la notion d’hôpital spécial n’est pas encore, au début du 19e siècle, clairement établie.

La spécialisation hospitalière au début du 19e siècle

Spécialisation médicale ou séparation hospitalière ?

Quelles sont les raisons qui motivent la création d’hôpitaux spéciaux à Paris au début du 19e siècle ? Si l’on prend l’exemple de l’hôpital des Enfants malades, on constate qu’il est présenté comme « un service général pour les jeunes sujets des deux sexes, âgés de moins de 15 ans et qui sont atteints de maladies qui les rendraient admissibles dans les hôpitaux communs ». Cette définition indique bien que ce ne sont pas les pathologies infantiles qui fondent la spécificité de cet hôpital, mais l’âge de la population à laquelle l’établissement est destiné. Cette « séparation des enfants d’avec les adultes » est essentiellement motivée par des arguments moraux. Quand le Conseil général des Hospices expose les motifs qui ont dicté la création de cet hôpital, il cite en premier lieu « les avantages moraux et physiques qu’il voyait à séparer les enfants malades des malades plus âgés ».

En ce qui concerne l’hôpital des vénériens (rebaptisé hôpital Ricord en 1893), l’établissement est ouvert depuis mars 1792. Comme son nom l’indique, il est destiné à l’accueil des vénériens adultes (pour la plupart en provenance de Bicêtre) mais aussi des enfants syphilitiques antérieurement hospitalisés à l’hospice des enfants gâtés (hospice de Vaugirard). Ce regroupement des personnes atteintes de maux vénériens dans un seul établissement constitue l’aboutissement d’un mouvement de mise à l’écart des vénériens de la société amorcé dans le second 17siècle.

A la lumière de ces deux exemples, il semble que la spécialisation des hôpitaux soit encore très largement, au début du 19e siècle, comprise dans un sens de séparation des malades entre eux, cette ségrégation étant motivée par des raisons plus morales que médicales.

L’hôpital Saint-Louis : de la peste aux affections cutanées

L’épidémie de peste de 1606 fait prendre conscience du manque de structures hospitalières d’isolement pour les pestiférés. Pour pallier cette lacune, un édit d’Henri IV ordonne en mai 1606 la fondation d’un hôpital spécialement destiné au soin des pestiférés. Achevé en 1612, l’hôpital Saint-Louis entre en fonctionnement en mai 1616 : il accueille alors des malades ordinaires en provenance de l’Hôtel-Dieu surchargé. A la fin de l’année 1618, Saint-Louis reçoit pour la première fois des malades atteints de la peste, mais après la disparition de ce fléau, il est surtout mis en service lors des épidémies de scorbut. Jusqu’au dernier tiers du 18e siècle, Saint-Louis reste un hôpital intermittent, appelé à fonctionner en temps d’épidémie ou pour désencombrer les salles de l’Hôtel-Dieu. C’est à la faveur de l’incendie du vieil hôpital de la Cité, en décembre 1772, que Saint-Louis cesse d’être un hôpital temporaire : il devient une sorte d’annexe permanente de l’Hôtel-Dieu et non plus strictement un lieu d’isolement. Saint-Louis s’oriente alors vers l’accueil d’un type spécifique de malades. « L’hôpital St-Louis était destiné dès lors au traitement de scorbutiques, cancéreux, scrophuleux, dartreux, galeux et teigneux. » On le voit dans cette énumération : si l’hôpital, à la fin du 18e siècle, continue d’accueillir des pathologies contagieuses comme le scorbut, son activité s’étend au traitement des maladies cutanées chroniques. Ce glissement progressif de la contagion à la chronicité paraît assez logique. Saint-Louis, encore au début du 19e siècle, reste un hôpital éloigné du centre : pour des raisons pratiques, on y rassemble des malades chroniques qui réclament une surveillance médicale moins régulière que les autres patients.

Mais la chronicité n’est pas le seul point commun des pathologies traitées à Saint-Louis : « dans cet hôpital sont rassemblées les maladies les plus tenaces, les plus dégoûtantes, et celles qui rendent les malades le plus hideux. » Les termes utilisés par l’administrateur des Hospices Camus parlent d’eux-mêmes : les affections cutanées, même non contagieuses, isolent ceux qui en sont atteints du reste de la société, y compris des malades « ordinaires ». « Ces infirmités aggravées ont un aspect hideux et repoussant, qui ôte aux individus encore valides le moyen de trouver du travail, et souvent même leur fait refuser un asile chez les logeurs ». Les contemporains se félicitent de cette mise à l’écart : « une sage distribution a séquestré dans cet hospice toutes les maladies contagieuses et celles que le contact peut rendre et multiplier ». Ils présentent cette disposition comme une mesure sanitaire, prise dans « l’intérêt public ».

Les conditions de la spécialisation de Saint-Louis

« C’est à vous […] de tourner au profit de la société, les talents distingués et nombreux qu’ils [les hôpitaux] renferment, et d’en faire des lieux d’instruction où l’art de la médecine étende ses connaissances, et d’où il les répande sur le reste de l’Europe. » En installant le Conseil général des Hospices au début de l’année 1801, Frochot incite ses administrateurs à transformer l’institution hospitalière pour en faire un lieu d’enseignement et de diffusion du savoir médical. Cette mutation de l’hôpital est à l’œuvre depuis les années 1790. La réforme de l’enseignement de la médecine, due à Antoine Fourcroy et mise en place par le décret du 14 frimaire an 3 (4 décembre 1794), recentre la formation des médecins sur la pratique, attribuant à l’hôpital un rôle majeur dans le cursus des études médicales. Une nouvelle étape décisive sur cette voie est franchie par le Conseil général des Hospices quelques mois après l’arrêté du 4 décembre 1801 avec l’organisation du service de santé des hôpitaux (arrêté du 4 ventôse an X – 23 février 1802). Cette réglementation définit le cadre de l’organisation médicale, chirurgicale et pharmaceutique des établissements. Elle s’emploie tout spécialement à assurer un recrutement médical de qualité, avec la création des concours de l’internat et de l’externat. Parmi les médecins attachés à Saint-Louis au moment de la mise en place du service de santé, figure Jean-Louis Alibert.

L’essor de la dermatologie à l’hôpital Saint-Louis au 19e siècle est déclenché par la conjonction entre ces deux facteurs (présence médicale renforcée et regroupement des malades atteints d’affections cutanées). Il est également fortement lié à l’orientation nouvelle des sciences médicales. Depuis la fin du 18e siècle, la médecine, rénovée en profondeur dans ses méthodes d’investigation, a modifié son regard sur la maladie. S’appuyant sur des connaissances anatomiques plus solides, les médecins s’orientent désormais vers l’identification et le classement des maladies. Ils se livrent à l’étude des signes cliniques et des symptômes, éléments qu’ils confrontent avec les lésions observées sur les cadavres. La description progressive des maladies s’édifie sur les tableaux anatomo-cliniques ainsi obtenus. Dans ce système, la présence d’un grand nombre de malades atteints des mêmes affections est essentielle pour permettre de multiplier les données et faire avancer la connaissance des pathologies. A Saint-Louis, ce critère primordial se combine avec la longueur des hospitalisations. Le Compte moral de l’année 1803 rapporte que la durée moyenne de séjour des malades à Saint-Louis est de 141,7 jours (contre 35 jours à l’Hôtel-Dieu). Ces conditions sont particulièrement favorables à l’observation suivie des affections cutanées et à l’étude de leur évolution.

Conclusion

Mesure administrative et médicale, l’arrêté du 4 décembre 1801 s’inscrit dans un mouvement général de réorganisation hospitalière. L’un des maîtres d’œuvre de cette réforme n’est autre que le signataire de l’arrêté, Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur de 1800 à 1804. L’objectif de cette vaste entreprise de rénovation vise à transformer en profondeur l’hôpital, à favoriser sa médicalisation pour en faire un lieu de recherche et d’enseignement de la médecine. Le préalable à cette mutation était la réorganisation administrative, garante de l’efficacité et de la cohérence du système d’admissions. C’est l’objet de l’arrêté du 4 décembre 1801, qui met en place une structure (le bureau central) et des principes de fonctionnement destinés à réguler les admissions dans les hôpitaux et à répartir de façon efficace les malades dans les établissements de la ville. Pour l’hôpital Saint-Louis, désigné pour la réception et le traitement des malades atteints d’affections cutanées chroniques, l’arrêté de décembre 1801 constitue un texte majeur. Prise dans un contexte scientifique médical en pleine transformation, cette mesure organisationnelle met en place les conditions favorables pour que se développe, à Saint-Louis, une école de dermatologie.

Notes

 

Ce texte  » règlement pour l’admission dans les hospices de malades  » est cité sous l’une ou l’autre de ces dates par les auteurs selon qu’ils considèrent plutôt le règlement du Conseil général des Hospices (27 novembre 1801) ou l’arrêté ministériel (4 décembre 1801).

Ministère de l’Intérieur. Règlement pour les admissions dans les hospices de malades, 13 frimaire an 10 [4 décembre 1801]. (Archives de l’AP-HP, B-637912)

L’absence de cohésion de l’offre hospitalière à Paris est dénoncée par Jacques Tenon qui dans ses Mémoires sur les hôpitaux de Paris (1788) propose une réorganisation complète des structures de soins de la capitale.

Notice historique sur l’Hôpital Saint-Louis, 1832, p. 31. (Archives de l’AP-HP, 707 FOSS 17/1)

Discours [de Frochot], préfet du Département de la Seine en prononçant l’installation du Conseil général d’administration des Hospices civils de Paris, 5 ventôse an IX [24 février 1801], pp. 3-4. (Archives de l’AP-HP, B-63794)

Ibid., p. 3.

Ibid., p. 28.

« C’est à vous, Citoyens, de réaliser les heureux effets que j’ai promis de votre institution ; c’est à vous de rendre nos établissements de bienfaisance communale plus secourables pour le malheur, plus favorables à l’industrie, plus utiles pour la société toute entière ; c’est à vous d’assurer leur prospérité par le retour de l’ordre dans tous les détails et de l’économie dans tous les moyens. » Ibid., p. 31.

Notice historique…, op. cit., p. 35.

Ibid., pp. 31-32.

Discours de Frochot…, op. cit., p. 15.

Ibid., p. 14.

« Le but que s’est proposé le conseil était d’empêcher que l’on ne reçût dans les hôpitaux les individus qui ne sont pas malades, ou qui ne le sont pas assez gravement ; une foule de fainéants, surtout à l’entrée de l’hiver, se faisaient admettre dans les hôpitaux, non pour se faire traiter, mais pour y vivre sans rien y faire ; refusés quelquefois à la porte d’un hôpital, ils en trouvaient presque toujours un plus facile. » Compte administratif de l’an XI, cité dans : Le bureau central des Hôpitaux, rapport présenté à la Société des chirurgiens des hôpitaux par le Dr Nicaise, Paris, librairie Germer Baillière et Cie, 1877, pp. 4-5.

« L’établissement du bureau central a […] éloigné des hôpitaux, un nombre de fainéants qui se faisaient un état de circuler toute l’année dans les hospices, en se présentant successivement à divers officiers de santé qui ne pouvaient pas les reconnaître. Les officiers de santé du bureau central étant toujours les mêmes, ils reconnaissent facilement ces paresseux qui feignent des maladies, ou qui s’en procurent même, pour être toute leur vie pensionnaires dans les hôpitaux. » Rapport au Conseil Général des Hospices, sur les Hôpitaux et Hospices [au 1er germinal an XI – 22 mars 1803], rédigé par Camus], Paris, fructidor an XI, pp. 29-30.

Administration des Hospices civils et Secours de la ville de Paris. Comptes généraux de l’an XI, p. xix. (Archives de l’AP-HP, 1M1)

« Des officiers de santé instruits y discernent la nature de la maladie de l’individu qui se présente ; ils reconnaissent si son état exige un traitement suivi et méthodique, et s’il a réellement droit à un lit dans une de ces maisons qui sont uniquement consacrées aux secours que réclament des maux sérieux, ou si quelques conseils, quelques légers médicaments suffisent pour le rendre à la santé, sans l’enlever à son ménage et à ses habitudes. Ils administrent sur le champ ces secours de circonstance, et les hôpitaux ne sont pas grevés d’une surcharge inutile. On y examine aussi les titres qu’on peut avoir à être admis dans un hospice d’indigents. On y distingue l’indigence absolue et bien constatée, qui réclame des secours pour la durée de la vie, d’avec celle qui, tenant à quelques circonstances momentanées, n’exige qu’un secours passager, qui rend au travail et à leurs familles, les individus qui les reçoivent. Enfin on y tient un registre exact du mouvement et de la situation de tous les hôpitaux de Paris ; on y a la connaissance précise du nombre de malades et d’indigents qui y existent, et de celui qui peut y être placé. On dirige, en conséquence, les individus qui se présentent, suivant leur état et la quantité des places vacantes dans telle ou telle maison ; et de-là résulte une prompte application des secours, et leur meilleure administration. » Clavareau, Mémoire sur les hôpitaux civils de Paris, Paris, Prault, an XIII [1805], pp. 164-166.

Rapport sur les opérations du bureau central d’admissions dans les Hôpitaux. Hospices civils de Paris, 18 pluviôse an XII [8 février 1804]. (Archives de l’AP-HP, C-1601 1)

« D’après l’arrêté du 13 frimaire de l’an XI, pendant lequel eut lieu la première application de la nouvelle organisation, nous trouvons que sur le chiffre de 34 256 malades admis dans les hôpitaux, 14 241 sont entrés par le Bureau central, et 20 005 ont été reçus par urgence. Les résultats obtenus par la création du Bureau central ont été, paraît-il, considérables dès la première année, et c’est ce qu’indique ainsi le compte de l’an XI : « On ne peut se dissimuler que la grande diminution de la population des hôpitaux, et par suite, dans les dépenses, ne soit due en partie à l’établissement du Bureau central. » Le bureau central des Hôpitaux, op. cit., pp. 4-5

Clavareau, op. cit., p. 164

Administration des Hospices civils et Secours de la ville de Paris. Comptes généraux de l’an XI, p. xvij. (Archives de l’AP-HP, 1M1).

Rapport sur les opérations du bureau central d’admissions…, op. cit.

Ibid.

Ibid.

Ainsi, le rapport de février 1804 sur les opérations du bureau central mentionne que les hôpitaux spéciaux sont au nombre de six : Saint-Louis, les Enfants malades, les Vénériens, la Maternité, mais aussi l’hôpital de Charenton (insensés des deux sexes) et l’infirmerie de la Salpêtrière (folles).

Rapport sur les opérations du bureau central d’admissions…, op. cit.

« La séparation des sexes est un premier article qui était observé et qu’il a suffi de maintenir : mais on a remarqué qu’un second article, non moins intéressant pour les mœurs, était la séparation des enfants d’avec les adultes ; et c’est ce que l’on a exécuté par l’établissement de l’hôpital des Enfants malades, où l’on rassemble tous les enfants qui n’ont pas atteint leur 15e année ». Rapport au Conseil Général des Hospices, sur les Hôpitaux et Hospices…, op. cit., p. 32.

Ibid., p. 77.

Périodes pendant lesquelles Saint-Louis est utilisé comme hôpital de contagieux (scorbut) : janvier à juillet 1670 ; août 1676 – 1690 ; avril 1709 – début 1710 ; mai à septembre 1729 ; mai 1754 à septembre 1767. (Cf. M. Dogny. Histoire de l’hôpital Saint-Louis depuis sa fondation jusqu’au XIXe siècle, Paris, Baillière et fils, 1911).

Rapport au Conseil Général des Hospices…, op. cit., pp. 60-67.

Ibid.

L’emploi péjoratif des mots « gale » ou « teigne » dans le vocabulaire populaire témoigne des réactions de rejet que suscitent ces maladies au 19e siècle.

Rapport sur les opérations du bureau central d’admissions…, op. cit.

Discours de Frochot…, op. cit., p. 16.

« celles-ci [les maladies de peau réputées contagieuses] doivent par leur nature arrêter d’abord notre attention, parce qu’étant susceptibles de se répandre facilement, il est de l’intérêt public de les traiter le plutôt possible. » Rapport sur les opérations du bureau central d’admissions…, op. cit.

Discours de Frochot…, op. cit., p. 31.

« Voici les noms des Médecins, Chirurgiens et Pharmaciens attachés à l’hôpital St-Louis au moment de l’organisation du Service de santé. MM. Delaporte, médecin en chef, Alibert, adjoint, Rufin, chirurgien en chef, Richerand, adjoint, Galès, pharmacien en chef, 8 élèves internes en chirurgie, 4 élèves externes, 2 internes en pharmacie. » Notice historique…, op. cit., p. 35.

Administration des Hospices civils et Secours de la ville de Paris. Comptes généraux de l’an XI. (Archives de l’AP-HP, 1M1).

Cette situation s’observe dans d’autres centres parisiens. Le regroupement d’une population de femmes âgées à la Vieillesse femmes (Salpêtrière) et le fait qu’elles résident pour la plupart à l’hospice jusqu’à leur mort sont des conditions favorables à l’étude des pathologies séniles au cours du 19e siècle.