Daniel WALLACH

Conférence prononcée au 35éme Congrès de médecine du comté de Somogy,
Kaposvar , Hongrie , 8 Septembre 1993


Le premier congrès international de Dermatologie et de Syphiligraphie s’est réuni à Paris en Aout 1889, dans le Musée de moulages dermatologiques de l’Hôpital Saint-Louis.

A cette époque, l’Hôpital Saint-Louis était spécialisé en dermatologie, avec plus de 600 lits d’hospitalisation et une consultation externe où 300 patients étaient examinés chaque jour. Depuis qu’Alibert avait fondé, en 1801, l’école dermatologique de l’Hôpital Saint-Louis, de nombreux médecins s’y étaient illustrés dans l’étude et le traitement des maladies de la peau.

En 1889, s’est tenue à Paris une Exposition Universelle particulièrement importante, pour laquelle la Tour Eiffel a été construite, et qui a été visitée par 28 millions de visiteurs du monde entier. De nombreuses réunions internationales ont été organisées à cette occasion.

Cette époque est aussi celle du développement de la dermatologie comme spécialité médicale, avec la création des revues scientifiques, des chaires d’enseignement, et le début des Sociétés nationales.

Tous ces éléments expliquent la décision des médecins de l’Hôpital Saint-Louis d’inviter à Paris leurs collègues du monde entier.

Le Secrétaire du Congrès et principal organisateur était Henri Feulard, jeune et brillant Chef de Clinique; le Président était Alfred Hardy, âgé de 78 ans, prestigieux symbole de la dermatologie de Saint-Louis, et le Président d’Honneur Philippe Ricord, âgé de 89 ans, Maître de la vénéréologie.

Répondant à l’invitation lancée en 1888, 210 dermatologistes représentant 29 pays se sont donc réunis du 5 au 10 Aout 1889 dans le Musée de l’Hôpital Saint-Louis, qu’ils ont découvert à cette occasion (sa construction datait de 1885), et dont les moulages les ont fortement impressionnés.

Parmi ces congressistes, figuraient 10 dermatologistes venant d’Autriche – Hongrie, dont Riehl, qui avait été un des secrétaires internationaux du Comité d’Organisation et Moriz Kaposi le célèbre Chef de l’ Ecole Dermatologique de Vienne, l’autre centre, avec Paris, de la dermatologie mondiale à la fin du dix-neuvième siècle.

Le Professeur Kaposi a été élu vice – président du Congrès et y a pris une part importante. Dans cette communication, nous examinerons la contribution du Professeur Kaposi à cette première grande rencontre dermatologique mondiale, dominé par les représentants de l’École de Paris et de l’École de Vienne. A la fin du Congrès, il fut d’ailleurs décidé de tenir le suivant trois ans plus tard, à Vienne, sous la présidence du Professeur Kaposi.

Le Professeur Kaposi, en 1889 , était déjà bien connu des dermatologistes du monde entier, et notamment des dermatologistes français. En effet un de ses ouvrages les plus importants, « Leçons sur les maladies de la peau », avait été traduit en français en 1881 par Ernest Besnier et Adrien Doyon, deux des dermatologistes parmi les plus connus. Notamment, Ernest Besnier était un des chefs de file de l’école dermatologique de l’Hôpital Saint-Louis, qui défendait, en matière de pathogénie des dermatoses, des conceptions très différentes de celles de l’École de Vienne.

Cette traduction est un document très important. En effet, Besnier et Doyon ont, d’une part traduit fidèlement le texte de Kaposi, auquel ils témoignent des sentiments d’amitié et de respect, et d’autre part ils ont ajouté de très nombreuses annotations, afin de donner leur propre conception, lorsqu’elle différait de celle de Kaposi, ou lorsqu’ils jugeaient nécessaire d’apporter au lecteur français des notions supplémentaires.

En outre, Besnier et Doyon ont écrit une longue introduction que l’on peut qualifier de « politique », dans laquelle ils font l’éloge de l’organisation de l’Hôpital général de Vienne et de son organisation du point de vue de l’enseignement de la dermatologie.

A cette époque, la plupart des médecins étrangers désireux d’apprendre cette spécialité préféraient Vienne à Paris, et Besnier et Doyon indiquaient quelles améliorations pouvaient être apportées à l’organisation de l’enseignement à l’Hôpital Saint-Louis, en s’inspirant de l’exemple austro – hongrois. Ce texte a certainement eu un grand retentissement, et à ce moment a été décidée la construction d’un nouveau bâtiment à l’Hôpital Saint-Louis, avec au rez-de-chaussée la consultation externe, et au premier étage le Musée dermatologique, et la bibliothèque médicale.

Ce Musée, qui fut inauguré officiellement à l’occasion du congrès de 1889, est dans un parfait état de conservation et contient plus de 4500 moulages.

Plusieurs importantes questions ont été discutées au cours du Congrès.

La première concerne le groupe des « lichens »: cette vieille dénomination doit-elle être conservée, et le groupe des lichens doit-il être modifié ?

Kaposi, le premier, expose sa conception de cette question très discutée,dans un français parfait. Il rappelle que Hebra a été le premier à considérer le lichen, non comme une lésion élémentaire papuleuse, au sens de Willan, mais comme une maladie.

Kaposi rappelle les conceptions de son maître, prédécesseur, et beau-père Hebra, et indique les liens entre le lichen ruber de Hebra et le lichen planus de Wilson. Il décrit en détail, en montrant des planches de dessins aux congressistes, le lichen ruber acuminatus, et discute de son identité avec le pityriasis rubra pilaire.

Kaposi pense que les maladies suivantes constituent la même entité : lichen ruber (Hebra), lichen ruber acuminatus (Kaposi), pityriasis pilaris (Boeck) et pityriasis rubra pilaire (Besnier-Devergie). Il est arrivé à cette conclusion, notamment, en examinant les moulages des patients de Besnier qui figurent dans les vitrines du Musée où se tient le Congrès.

En conclusion, Kaposi pense que les seules dermatoses qui méritent le nom de lichen sont:

  1. Lichen ruber:

    1. acuminatus

    2. planus

  2. Lichen scrofulosorum.

A la suite de Kaposi, d’autres auteurs expriment des opinions différentes, sur cette question confuse. En particulier, Hans von Hebra, fils de Ferdinand von Hebra et donc beau-frère de Kaposi, « proteste de toutes ses forces » contre l’assimilation du pityriasis rubra pilaire de Besnier et du lichen ruber acuminatus de Hebra, qui était une maladie très grave. La discussion est vive entre Kaposi, Hebra et Unna, qui ne donnent pas le même sens aux descriptions sous différents termes.

Une autre question très discutée a été celle du pemphigus, c’est à dire de la nosologie des dermatoses bulleuses. Ici aussi, se pose un problème de classification, à l’époque où sont décrits, notamment, le pemphigus végétant (Neumann), la dermatite herpétiforme (Duhring) la dermatite prurigineuse polymorphe (Brocq). La communication principale est celle de Brocq, qui défend l’idée que la dermatite herpétiforme, de même que les dermatites polymorphes, doivent être séparées du groupe des pemphigus, sur les quatre critères suivants:

  1. Polymorphisme de l’éruption

  2. Phénomènes douloureux (prurit)

  3. Évolution par poussés

  4. Conservation de l’état général.

Sur cette question, Kaposi n’est pas du tout convaincu par les arguments de Brocq. Il pense qu’il n’est pas possible cliniquement de poser un diagnostic de dermatite herpétiforme, et que les critères ci-dessus s’appliquent également à des cas de pemphigus.

Les deux opinions ne sont pas conciliables: Kaposi regroupe sous le nom de pemphigus la plupart des dermatoses bulleuses et n’accepte pas, contrairement à Unna par exemple, que la dermatite herpétiforme et les dermatites polymorphes de Brocq ne fassent pas partie de ce groupe.

Ultérieurement, le groupe des pemphigus sera démembré, conformément aux conceptions défendues au cours du congrès par Brocq, et l’histologie, qui était très peu utilisée en 1889, confirmera la distinction entre les pemphigus et les dermatoses sous-épidermiques.

La longue communication sur les lichens, et la participation à la discussion sur la nosologie des dermatoses bulleuses, sont les deux contributions principales du professeur Kaposi au Congrès de Paris. Mais dans l’ensemble des Actes du congrès, on note qu’il a participé à la plupart des séances, et figure parmi les principaux intervenants:

notamment,

  • il signale que la tendance aux chéloïédes est plus fréquente dans la race noire;

  • il rapporte un cas de bromides chez un nourrisson, qui lui-même ne prenait aucun médicament, mais était allaité par sa mère qui prenait du bromure de potassium.

  • Dans la longue et difficile discussion sur le traitement de la syphilis par le mercure, Kaposi fait partie de ceux qui attirent l’attention sur les effets toxiques, éventuellement mortels, du mercure.

Enfin, Kaposi participe à la discussion sur un cas de sarcomatose pigmentaire, maladie qu’il a décrite en 1872 et qui porte son nom.

Au cours de la dernière séance du congrès, le Samedi soir, Unna propose qu’un Congrès international se réunisse tous les trois ans, et que le prochain se tienne à Hambourg. Malcolm Morris propose la candidature de Londres, et Unna s’y ralliera. Le professeur Schwimmer, de Budapest, propose de tenir le congrès suivant à Vienne, « ville de Hebra ». Le vote désigne Vienne, par 52 voix, contre 37 à Londres, et Schwimmer propose de nommer le professeur Kaposi président du comité d’organisation de ce congrès; cette proposition est votée par acclamation.

Kaposi prononce alors un bref discours de remerciement, et annonce la composition de ce comité.

Enfin, au cours du banquet de clôture, tenu dans les salles d’attente de la consultation, au rez-de-chaussée du Musée, Kaposi est le premier des vice-présidents étrangers à porter un toast:

il déclare notamment:

« Notre origine, à nous autres dermatologistes, c’est en France, c’est à Paris qu’il faut la chercher ».

Ainsi, le professeur Kaposi, chef de la principale École dermatologique étrangére à ce Premier Congrès International, a apporté une importante contribution aux discussions de nosologie dermatologique. Pour la première fois, les dermatologues de l’École de Paris, celle des successeurs d’Alibert, de Biett et de tant d’autres, rencontraient les élèves de Hebra.

Cette rencontre a été cordiale et fructueuse, et Kaposi était naturellement désigné pour présider, à Vienne, le Congrès suivant.