Dr Hanna T. BACHOUR
Tartous (Syrie)
E-mail: htb@net.sy

Communication au 38ème Congrès international d’Histoire de la Médecine,
Istanbul, 1-6 Septembre 2002


Deux grandes théories s’affrontent quant à l’origine de la syphilis :

1. La théorie uniciste
2. La théorie colombienne ou américaine

L’auteur semble appuyer la première, qui soutient que la maladie existait déjà dans l’Ancien Monde.

« L’étude de la médecine doit toujours préparer les progrès de l’avenir »
Prof. Sleïm AMMAR (1)

Feu le Prof. Sleïm AMMAR, pionnier de la psychiatrie maghrébine, historien de la médecine, est l’auteur de plus de 300 publications à portée médico-psychologique, médico-sociale et médico-historique.

J’ai eu l’honneur de le connaitre, il m’a poussé et guidé dans le domaine de l’histoire de la médecine. Permettez-moi de présenter ce travail en hommage à son souvenir.

Le mot syphilis doit son nom à un chirurgien de Vérone, Hiéronymus Frascatorius, qui en 1530 écrit un poème ayant pour titre : « Syphilis Sive Morbus Gallicus », où son héros, le berger Syphilis, est frappé par Apollon, et fut le premier homme atteint de cette maladie contagieuse (2).

D’après les livres et les manuscrits, je vais traiter de la syphilis, (al Hab al Ifranji), maladie qui a suscité beaucoup de discussions concernant sa nature et la date de son apparition, tout en soumettant certaines idées à la discussion dans l’espoir que les savants ici présents voudront bien m’aider à atteindre la vérité.

Deux grandes théories s’affrontent quant à l’origine de la syphilis:
1 – La théorie uniciste
2 – La théorie colombienne, ou américaine (2)

Il ne fait pas de doute que dans les oeuvres médicales arabes, la mention la plus parfaite de cette maladie se trouve dans Al Tadhkira (le mémorial) de David d’Antioche. Au premier chapitre, tout en parlant du mercure, il mentionne : « après son épuration, il – le mercure – déssèche les plaies, les traces de An-nar al-Farissi et al Hab al Ifranji ». Puis dans la suite de Al Tadhkira, écrite par l’un des élèves de David, dans le chapitre de An-nar al-Farissi, l’auteur dit : Il – An-nar al-Farissi – est proche des pustules du al Hab al Ifranji, car les médecins ne les ont pas mentionnées à part, mais rattachées à lui. Et c’était par ignorance. Il aurait mieux valu qu’on les mentionne sous la lettre (H), mais le cheikh avait l’habitude de parler d’une maladie et de toutes les autres qui lui sont rattachées sous la même rubrique.

En Egypte, il est connu sous le nom de al Moubarak (le béni) par optimisme, tandis que certaines régions arabes et au Hidjas, on le nomme al chajar (les arbres).

Cette maladie s’est d’abord répandue aux pays des Francs, puis a été transmise à la presqu’île arabique en 807 de l’hégire (1404 après JC). S’étant trop répandue et devenant un mal commun, nous allons en parler longuement, et ce sera fait gratis pour l’amour de Dieu. C’est une maladie qui se transmet par la simple fréquentation et surtout par le coït. Sa substance est formée de toutes les humeurs, du sang et ses symptômes sont:la pustule se développe et s’arrondit, sa rougeur devient très forte, elle sécrète du sang et du liquide, avec infammation et démangeaison. De la bile, ses symptômes sont ceux mentionnés plus haut avec moins de liquide et plus d’acuité et de couleur jaune, on la nomme en Egypte Daan (Ovin). Du flegme ou pituite, ses symptômes sont:dissémination des pustules sur tout le corps du malade, démangeaison, abondance et blancheur du liquide sécreté. De l’atrabile, ses symptomes sont:la séchresse, la dureté et l’opacité des pustules. Elle pourrait se former de plusieurs humeurs ensemble. Les symptômes, alors, se rajoutent les uns aux autres. Dès que l’humeur vénéneuse atteint le corps, elle entre dans les vaisseaux causant la paresse, la lourdeur et la fièvre. La forme très ardente et aiguë provoque des battements dans les articulations, ensuite la pustule s’ouvre en un seul endroit appelé (Ama), la forme la plus maligne commence par atteindre la verge et les aines. Certains médecins ignorants commencent leur traitement par l’application des pommades cicatrisantes, la plaie se ferme, mais le mal passe au reste du corps. Il faut bien en prendre garde.

Pendant la révision que j’ai faite de certains manuscrits, j’ai trouvé que al Hab al Ifranji était mentionné dans le manuscrit de al Kafi el Toub de ibn el-Ainzourbi, qui se trouve à la bibliothèque Zahiria à Damas, nº4281, copie en 1122 de l’hégire (1710 après JC), et cela aux marges des pages 154, 155, 156, 158, 159 (figures 1, 2, 3, 4, 5). De même qu’à l’index des notes en marge, à la première page du manuscrit.des fois il est nommé Al Faranqui et parfois al Hab al Ifranji.

Une autre copie de ce même livre datant de 1724 (1155 de l’hégire ) et qui se trouve à la bibliothèque maronite à Alep, mentionne cette maladie sous le nom du (mal français) al Wajjah al Faranssawy, dans le texte des pages 321, 322, 324, 325, 326, 327, 328 (figures 10, 11, 12, 13 ) et non pas dans les notes en marge. De même qu’on la mentionne dans l’index alphabétique sous la lettre w (figure 7).

De la ressemblance que j’ai constatée dans la préscription des traitements dans les deux copies citées plus haut, celle de Damas et celle d’Alep, je me permets de proposer l’interprétation suivante : la mention de al Hab al Ifranji a été ajoutée au livre al Kafi ultérieurement, soit par le propriétaire du manuscrit, comme pour ce qui est de la copie de Damas, soit par le copieur, comme pour ce qui est de la copie d’Alep. J’ai aussi trouvé une mention du al Hab al Ifranji dans un manuscrit appartenant à Majles Chouray Milli à Téhéran (parlement iranien), une photocopie de ce manuscrit se trouve dans la collection de mon professeur Nachaat El Hamarneh, pour qui j’éprouve une grande reconnaissance de m’avoir orienté vers le domaine de l’histoire de la médecine. Le manuscrit est intitulé:Kasr al Nouzha.(figure 14). A la page 100 (figure 16), il y a plusieurs prescriptions pour le traitement de al Hab al Ifranji, très proches de celles qu’on a rencontrées dans les deux copies du livre al Kafi. Mais ce qui m’a intrigué dans ce manuscrit, c’est que ni son titre, ni le nom de l’auteur cité à la page 2 (figure 15) – cheikh Abi Abdallah Mohammad al Kourachi – ne sont mentionnés dans les livres de biographie que j’ai eu l’occasion de consulter. Mais par hasard, j’ai trouvé le titre du livre et le nom de l’auteur dans un manuscrit appartenant à la bibliothèque Zahiria de Damas nº6209. La page 50 (figure 18 ) commence comme suit : « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux, extrait du livre du Tib al Foukara Wal Massakin

(médecine des pauvres et besogneux) composé par le vénérable savant, Cheikh abil Hassan Ali Ben Abi Abdallah Mohammad al Kourachi, auteur du livre Al Nouzha, que Dieu ait pitié de lui ». Ce manuscrit a été copié en 115 de l’hégire (1744 après JC) (figure 17).

Ceci est donc ce que j’ai trouvé sur la syphilis, en faisant mes premiers pas en matière d’histoire de la médecine. J’ai rapporté des événements, j’ai posé des questions, tout en vous priant, chers Professeurs, chers confrères, de m’apporter le soutien, l’aide et l’orientation nécessaires, pour pouvoir poursuivre mon chemin.

Je vous remercie.

Bibliographie

1. Dr. Sleïm AMMAR. En souvenir de la médecine arabe. Imp Bascone et Muscat Tunis.1965

2. André SIBOULET. Maladies sexuellement transmissibles. Masson 1984.

Figures

Fig. 1 : Feuille 154 du manuscrit de al Kafy el Toub de Ibn el-Ainzourbi, bibliothèque Zahiria à Damas, n° 4281, copié en 1710 après JC. Al Hab al Ifranji est mentionné dans les marges des deux pages, à droite et à gauche.

Fig. 2 : Feuille 155 du manuscrit n° 4281 de Damas. Al Ifranki et Al faranki sont inscrits dans les marges de la page de gauche.

Fig. 3 : Feuille 156 du manuscrit n) 4281 de Damas. Al Hab al Ifranji est mentionné dans les marges des deux pages.

Fig. 4 : Feuille 158 du manuscrit n° 4281 de Damas. Al Hab al Ifranji est mentionné dans les marges des deux pages.

Fig. 5 : Feuille 159 du manuscrit n° 4281 de Damas. Al Hab al Ifranji est mentionné dans la marge de la page de gauche.

Fig. 6 : Copie de al Kafy, datant de 1724 après JC. Cette copie se trouve à la bibliothèque maronite à Alep. Sur la première page est écrit : présenté comme cadeau par le père Sarkis Jampi à l’église Saint Eli Maronite à Alep en 1745.

Fig. 7 : Index alphabétique. Sous la lettre W est mentionné le mal français (al Wajjah al Faranssawy).

Fig. 8 : Titre du manuscrit, nom de l’auteur, nom du propriétaire, le père Sarkis Jampi, et date de la rédaction de cette copie, Novembre 1724.

Fig. 9 : les deux premières pages du manuscrit d’Alep.

Fig. 10 : pages 321 et 322 du manuscrit d’Alep. Al Wajjah al Faranssawy figure page 322.

Fig. 11 : pages 323 et 324 du manuscrit d’Alep. Al Wajjah al Faranssawy figure sur les deux pages.

Fig. 12 : pages 325 et 326 du manuscrit d’Alep. Al Wajjah al Faranssawy figure sur les deux pages.

Fig. 13 : pages 327 et 328 du manuscrit d’Alep. Al Wajjah al Faranssawy figure page 328.

Fig. 14 : Couverture du manuscrit Kasr al Nouzha, bibliothèque du parlement iranien (Majles Chouray Milli).

Fig. 15 : Pages 1 et 2 du manuscrit de Téhéran ; à la page 2 est noté le nom du manuscrit, Kasr al Nouzha, et le nom de l’auteur : Cheikh Abi Abdallah Mohamed al Kourachi.

Fig. 16 : Pages 99 et 100 du manuscrit de Téhéran. A la page 99 est mentionné un médicament pour Al Hab al Ifranji.

Fig. 17 : feuille 49 du manuscrit n° 6209 appartenant à la bibliothèque Zahiria de Damas. Ce manuscrit a été copié en 1157 H (1744 après JC).

Fig. 18 : feuille 50 du manuscrit n° 6209. Au début de la page de droite figure le nom de l’auteur du manuscrit Kasr al Nouzha de Téhéran: Cheikh Abi Abdallah Mohamed al Kourachi.