Jean CIVATTE
Robert Degos est et restera une des grandes figures de la dermatologie non seulement française mais mondiale: en ce dixième anniversaire de sa mort il n’est que juste de s’en souvenir. Une façon d’évoquer sa mémoire consiste à rappeler, sinon toutes, du moins les principales affections qu’il a décrites ou dont il a précisé les cadres nosologiques.
Certaines maladies portent à juste titre son nom.
La principale est la papulose atrophiante maligne. Elle est né le 12 février 1942.
Robert Degos, alors médecin des hôpitaux depuis 1936 et libéré après plusieurs mois de captivité, dirigeait à l’Hôpital Saint Louis le service qu’Arnault Tzanck, contraint à l’exil et réfugié au Chili, avait été obligé de quitter. Avec J.Delort comme assistant et R.Tricot comme interne, il présente à la Société Française de Dermatologie, avec un moulage à l’appui, l’observation d’un homme de 49 ans porteur d’une éruption datant de quelques mois, survenant par poussées, en ces termes: « nous présentons à la Société un malade atteint d’une éruption cutanée qui ne semble rentrer dans aucun cadre dermatologique connu…….. Il semble s’agir d’une dermatose non encore décrite ». L’appellation suggéré est celle de « dermatite papulo-squameuse atrophiante ». L’examen histologique, fait par mon père, permet à celui-ci de conclure à « l’originalité absolue des lésions ». Sept mois après les premiers symptômes cutanés survient un épisode intestinal aigu qui fait pratiquer une laparotomie dans le service du Dr. Banzet: celle-ci révèle la présence de nombreuses petites taches jaunâtres sur l’intestin grêle, mais sans perforations. Le malade décède six jours plus tard.
Cette évolution fatale est rapportée par les mêmes auteurs le 21 mai 1942 sous le titre « dermatite papulo-squameuse atrophiante (Épilogue) »: cette appellation est donc, pour l’instant, conservée pour cette affection qui comporte les mêmes altérations histologiques sur la peau et l’intestin et qui fait discuter, mais pour l’éliminer, un lupus érythémateux aigu, en particulier du fait de l’absence de fièvre.
Le 15 janvier 1948 A.Tzanck, A.Civatte et E.Sidi présentent à la Société Française de Dermatolgie le moulage des lésions cutanées d’une homme de 24 ans porteur d’une vingtaine d’éléments identiques à ceux de l’observation de Degos, Delort et Tricot, et en bon état général. Mais, trois semaines plus tard, survient un drame abdominal qui, ici encore, entraîne la mort du malade en quelques jours. La similitude du tableau clinique, des altérations macroscopiques intestinales et des images histologiques cutanées fait considérer que ces deux malades étaient atteints du même syndrome; ici encore était envisagé le lupus érythémateux aigu, dans sa variété de lupo-érythémato-viscérite maligne de Libman-Sachs, comme diagnostic différentiel, mais pour être rejeté. L’appellation « ulérythème porcelainé en goutte » est suggérée par les auteurs qui la préfèrent à celle de « dermatite papulo-squameuse atrophiante », le terme ulérythème (du grec oul : cicatrice) ayant d’ailleurs été forgé par Unna pour le lupus érythémateux.
En 1948, R.Degos,J.Delort et R.Tricot présentent devant la Société Médicale des Hôpitaux de Paris un travail sur ce même sujet avec, comme titre, « papulose atrophiante maligne (syndrome cutanéo-intestinal mortel) ». Ils utilisent à nouveau ce nom, qui est désormains unaninement accepté, dans un article publié en 1952 dans les Annales de Dermatologie dans lequel ils rappellent leur observation, celle de Tzanck, Civatte et Sidi, et citent un cas présente en juin 1950 par F.P.Merklen et F.Cottenot qu’ils rapprochent du leur, mais sans l’y assimiler faute de renseignements suffisants. Depuis, le nom de maladie de Degos, ou Degos’s disease ou syndrome dans la littérature anglo-saxonne, est adopté partout.
Un point mérite cependant discussion. En 1941, W. Köhlmeier, de Vienne, publie dans les Archiv für Dermatologie und Syphilis un article intitulé « Multiple Hautnekrosen bei Thromboangiitis obliterans » concernant un homme de 22 ans porteur de lésions cutanées dont les photographies cliniques reproduites sont très évocatrices du même syndrome, et qui, au bout d’un an, meurt par suite de perforations intestinales avec des lésions histologiques identiques sur la peau et l’intestin grêle. Dans la discussion l’auteur élimine une périartérite noueuse.
Toutefois, il n’insiste guère sur l’aspect déshabité de la zone nécrosée du derme: il faut remarquer que les examens histologiques cutanés ont été pratiqués sur le cadavre.
Il s’agit donc d’une observation au moins très voisine de celle de R.Degos. Or Köhlmeier était anatomo-pathologiste (son travail provient de l’Institut de Pathologie de l’Université de Vienne dirigé par le Pr.Chiari) et ne fait guère de rapprochement avec les signes cutanés, bien que le malade soit venu de la Clinique Universitaire de Vienne (Pr.Fuhs) et du Service de Dermatologie de l’Hôpital de la ville de Vienne (Pr.Matras): d’ailleurs ni Fuhs ni Matras ne sont signataires de l’article, ce qui explique le peu de liaison entre les notions cliniques et histopathologiques.
A qui doit-on donc attribuer l’antériorité de la description? Il faut remarquer qu’à l’époque, 1941, il y avait bien peu de relations scientifiques entre Paris et Vienne. Indiscutablement, Robert Degos a fait le rapprochement entre les deux localisations, cutanée et intestinale, du syndrome. D’ailleurs, dans le Traité d’A.Rook, Köhlmeier n’est cité qu’à la bibliographie de l’article intitulé Degos’s syndrome. Toutefois, T.B.Fitzpatrick, dans son livre Dermatology in General Medicine, parle du « syndrome décrit par Köhlmeier en 1941 et reconnu par Degos en 1942 comme une entité spécifique ». Quoi qu’il en soit, l’appellation maladie de Degos est actuellement indiscutée.
Une autre maladie de Degos, qui figure également dans le traité de Rook comme Degos’s syndrome, est celle qu’avec O.Delzant et H. Morival, il présente à la Société Française de Dermatologie le 11 décembre 1947 comme « érythème desquamatif en plaques congénital et familial (génodermatose nouvelle?) » avec le commentaire suivant: « la génodermatose dont nous faisons ici la description ne semble pas avoir été encore isolïése. Elle se caractérise par des plaques érythémateuses arrondies, de grande dimension, dont le centre est couvert par une large squame donnant à certains éléments l’aspect en cocarde ». Les auteurs différencient cette affection de l’érythrokeratodermia variabilis de Mendes da Costa. Ils ne présentent pas de moulage, mais deux photographies de l’observagtion princeps figurent dans le Traité de Dermatologie de Degos (Flammarion Médecine-Sciences éditeur) p. 654c.
L’année suivante, Gougerot et Grupper rapportent devant la Société Française de Dermatologie la deuxiéme observation de cette affection sous le nom de « génodermatose érythémato-squameuse circiné, variable: maladie de Degos ».En 1950, Barriére en publie un cas sous le titre « éruption congénitale érythémato-squameuse, variable, génodermatose de Degos », et, en 1955, Bureau, Jarry et Barriére en présentent un autre, donc le quatriéme cas, comme « génodermatose à type d’érythème desquamatif récidivant par poussées depuis l’enfance ». Il est difficile de dire qui a utilisé le premier le terme, universellement adopté, de génodermatose en cocarde pour cette très exceptionnelle maladie que, d’ailleurs, Bazex et Dupré, en 1956, proposent d’intégrer, de même que l’érythrokeratodermia variabilis de Mendes da Costa et d’autres affections voisines, dans le cadre de ce qu’ils appellent « les génodermatoses à érythème circiné variable ».
Peut-être moins connue est la « maladie de Dowling-Degos », né en 1974 gréce à E.Wilson Jones. Celui-ci reprend la description faite en 1954 par R.Degos et B.Ossipovski dans les Annales de Dermatologie d’une « dermatose pigmentaire réticulée des plis (discussion de l’acanthosis nigricans) » avec, comme conclusion: »présentation d’un cas, qui paraît inédit, d’une dermatose pigmentaire réticulée régionale, affectant surtout les plis, et qui se distingue de l’acanthosis nigricans par la discrétion de l’hypertrophie papillaire et par la coexistence d’atrophie ». Or G.B.Dowling avait antrieurement vu trois malades, dont deux plus particulièrement, atteints d’une pigmentation des plis axillaires et ano-génito-cruraux et avait publié avec W.Freudenthal leurs observations dans le British Journal of Dermatology de 1938, en séparant nettement cette affection de l’acanthosis nigricans. En 1973, Pinol Aguade et Fernandez publient dans Medicina Cutanea le cas d’un malade un peu différent sous le titre « Enfermedad de los puntos pardos: Dark Dot’s Disease ». En juillet 1974, lors de Journées Franco-Britanniques de Dermatologie de Londres, E.Wilson Jones et K.Grice présentent un travail, ultérieurement publié dans le British Journal of Dermatology, intitulé « Reticulate Pigmented Anomaly of the Flexures (Dowling, Degos): a new genodermatosis », ceci d’ailleurs au très grand étonnement de R.Degos très intrigué par cette dénomination inconnue de lui. Ces deux auteurs utilisent le même titre pour l’article qu’ils font paraître en 1978 dans les Archives of Dermatology, dans laquelle ils suggèrent l’acronyme « D.D.D. » aussi bien pour Dowling-Degos Disease que pour Dark Dot Disease.
R.Degos aurait aussi été très étonné en trouvant à la page 1777 de la dernière édition du traité de Rook, sous la signataire de J.L. Burton, la description du Degos-Touraine syndrome: c’est en effet ainsi qu’est rapportée l’observation présentée le 12 janvier 1961 par lui-même et R. Touraine comme « Incontinentia Pigmenti avec état poïkilodermique »: il s’agissait d’une petite fille de 6 ans porteuse d’une dermatose réticulée atrophique et pigmentée du visage et des membres survenue après une phase bulleuse de 18 mois, accompagnée de taches pigmentaires disséminés « en éclaboussures » du thorax et de troubles digestifs améliorés par la diiodohydroxyquinoléine.
On parle moins maintenant, sinon plus du tout, de la réticulose lymphocytaire bénigne de Degos. Le 12 janvier 1950, il présentait en effet à la Société Française de Dermatologie, avec P. Vermenouze, J. Poulet et H. Basset, une observation pour laquelle il proposait le titre de « réticulose lymphocytaire bénigne, micronodulaire et annulaire ». Il considérait cette entité comme se situant « entre les lymphocytomes cutanés bénins (dont, dans la même séance, il rapportait un cas localisé au cuir chevelu), à infiltrat beaucoup plus dense et massif, et les hyperplasies lymphoïédes plus diffuses atteignant les organes hématopoïétiques, le sang et la moelle osseuse, de pronostic autrement grave ». Cette « réticulose lymphocytaire » a subi le sort des autres réticuloses et est actuellement plus ou moins intégrée dans le cadre de la maladie de Jessner-Kanof.
Telles sont les maladies, ou syndromes, auxquelles, à juste titre, est attaché le nom de R.Degos. Mais il en existe un grand nombre auxquelles son nom n’a pas été accolé mais qui le mériteraient plus ou moins vu l’intérêt tout particulier qu’il leur a porté et qu’il a, sinon décrites, du moins contribué à faire connaître.
Il n’y a guère lieu de parler du sujet de sa thèse de doctorat « les érythrodermies primitives streptococciques », datant de 1933, inspirée par son maître G. Milian avec lequel il avait fait, en 1931, une communication sur ce sujet devant la Société Française de Dermatologie.
En revanche, son nom figure dans beaucoup de publications sur les mastocytoses cutanées, à la classification desquelles il a beaucoup contribué, notamment en séparant bien l’urticaire pigmentaire des formes d’aspect tumoral comme les mastocytomes, les mastocytoses papuleuses et nodulaires et, surtout, des mastocytoses cutanées diffuses pour lesquelles, avec E.Lortat-Jacob et Mallarmé, il avait, le 5 juillet 1951, proposé le terme, bien entendu rejeté à l’heure actuelle, de « réticulose à mastocytes ».
Le nom de R.Degos pourrait aussi être attaché à une forme particulière d’élastome, dit élastome en nappe du nez, qui a fait l’objet de plusieurs publications, avec les signatures conjointes de J.Delort, J.Civatte et S.Bélaïch, aussi bien devant la Société Française de Dermatologie en 1966 et 1970, que dans une séance en hommage à Jean Pérard dont les comptes rendus ont paru dans les Archives Belges de Dermatologie de 1970.
Il pourrait en être de même du syndrome des pemphigus induits, dont la première description lui revient: en effet, le 9 octobre 1969, il présente à la Société Française de Dermatologie, avec R.Touraine, S.Bélaïch et J.Revuz, un cas de « pemphigus chez un malade traité par pénicillamine pour maladie de Wilson ». C’est là le premier d’une série d »autres publiés ultérieurement par diverses écoles dermatologiques, et également avec d’autres médicaments.
R.Degos est également à l’origine d’un autre syndrome dont il a élaboré le concept avec E.Lortat-Jacob et J.Delort, le syndrome dit du Morbihan: il s’agissait d’une appellation non officielle, à usage interne du service, s’appliquant à plusieurs malades originaires de cette même région porteurs d’un érythème œdémateux du haut du visage, d’étiologie imprécise, mais pouvant en réalité correspondre à une forme particulièrement œdémateuse de lupus érythémateux tumidus ou de maladie de Jessner-Kanof.
Il ne faut pas non plus oublier l’intérêt de R.Degos pour le laboratoire: d’une part, il venait souvent se faire montrer les préparations histopathologiques de ses malades; d’autre part il a mis au point avec B.Ossipowski, en 1957, une technique d’étude cytologique des infiltrats dermiques, surtout tumoraux, qu’il avait baptisée dermogramme.
Cette liste n’est bien entendu pas exhaustive: son seul but est de donner une idée du considérable apport de R.Degos à la dermatologie et dont l’importance n’est contestée par personne.