par André CORNET

SUMMARY

Raphael Blanchard, parasitologist and medical historian, 1857-1919

Raphaël Blanchard,founder of the French Society of Medical History in 1902, was one of the first to carry on research in human parasitology. He was elected member of the National Academy ofMedicine in 1894. As a professor of parasitology at the School 0f Medicine in Paris, he gaves the best of himself with an original and huge work to the development 0f pathological geography. He described the transformation and propagation of numerous human parasites at a time when very little had been done in thisfleld. He revealed the importance of the inferior organisms in human pathology, indicating the prophylaxis to be used in tropical diseases.

Well known as a learned and art lover, he published a great number of articles in various reviews which concerned this particular discipline.

La Société française d’Histoire de la Médecine célèbre aujourd’hui le quatre-vingt-dixième anniversaire de sa fondation par Raphael Blanchard. Fière de son passé et reconnaissante envers celui à qui nous devons d’être réunis, notre Société a tenu à commémorer comme il convenait cet événement, qui nous rassemble dans les lieux mêmes où se tint son Assemblée constitutive, le 29 janvier 1902.

Pour la circonstance, la Faculté de Médecine de Paris avait prêté son petit amphithéâtre, où se pressaient les nombreux adhérents de la première heure. En effet, plus de quatre-vingt-dix personnes appartenant pour la plupart au milieu médical, avaient répondu avec enthousiasme à l’appel lancé par Raphaël Blanchard. Mais il convient d’ajouter que ce n’était pas la première fois que celui-ci avait formé un tel projet. A vrai dire, dès l’été 1893, une première tentative de création de la Société fut sur le point de voir le jour. Le professeur d’Histoire de la Médecine en exercice à la Faculté de Paris, Jean-Alexandre Laboulbène, pressenti comme président, s’était récusé en estimant sans avenir un groupement hétéroclite d’amateurs, animés de bonne volonté certes, mais dépourvus de formation professionnelle. Pourtant, l’idée devait peu à peu faire son chemin, et trouver dix ans plus tard, un ardent défenseur en la personne d’Albert Prieur, rédacteur en chef d’un important périodique, la France Médicale.

A l’offre de prendre cette fois la présidence soumise par Albert Prieur à Raphaël Blanchard, ce dernier répondit sans réticence. Nous devons donc à ces deux hommes d’avoir jeté les bases de la Société devenue ainsi la doyenne de toutes celles qui se créèrent ensuite à travers le monde, si l’on en croit Sondervorst, cité par notre ancien président, le professeur Jean Cheymol.

Né le 28 février 1857, en Touraine, à Saint Christophe sur le Nais, aux confins de l’Indre et Loire et de la Sarthe, Raphael Blanchard fit de brillantes études scientifiques et médicales menées de front. Attiré par la zoologie, il sera, en 1879, le secrétaire général de la Société zoologique de France, et le restera jusqu’en 1900. Collaborateur de Paul Bert, il prépare, sous la direction de son Maître, sa thèse de médecine, consacrée à l’anesthésie au protoxyde d’azote, soutenue en 1880. Deux ans plus tard, il est licencié de Sciences naturelles, et nommé, en 1883, à l’agrégation d’Histoire naturelle de la Faculté de Médecine. Il a déjà publié avec Paul Bert, un volume intitulé Eléments de zoologie. A la Faculté de Médecine, son enseignement lui vaut un très grand et très légitime succès. Le Traité de zoologie médicale, en deux volumes, le premier tome paru en 1885, le second cinq ans plus tard, résume en partie cet enseignement.

Séduit très tôt par la microbiologie, Raphaël Blanchard eut le mérite d’orienter ses recherches sur la pathologie parasitaire en pathologie humaine. Il a rédigé de nombreux articles -pour le Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales de Dechambre et Lereboullet. En 1895, il a fait paraître, avec Alphonse Laveran, un ouvrage en deux volumes sur les hématozoaires de l’homme et des animaux.

Brillant orateur, il parlait couramment plusieurs langues, et sa réputation lui valut de prendre place dans les comités d’organisation de nombreux congrès internationaux. Chercheur infatigable, on lui doit la connaissance de nombreux faits nouveaux concernant hirudinées, téniades, hymenolepis, ankylostomes, moustiques, comme le soulignait Alphonse Laveran, rapporteur de son dossier de candidature à l’Académie de Médecine. Il y fut élu brillamment en 1894, âgé à peine de trente-sept ans.

Appelé en 1897 à prendre la Chaire d’Histoire Naturelle de la Faculté de Médecine, dévolue jusqu’alors à l’enseignement de la botanique, il en obtint la transformation en Chaire de Parasitologie, qui lui offrait un domaine encore peu exploré. Le succès de sa pédagogie lui amènera un nombreux public d’étudiants qui se pressaient alors sur les bancs d’un amphithéâtre autrefois à peu près déserté. En 1898, il décida de fonder un périodique spécialisé les Archives de parasitologie, et développa une collection d’ouvrages destinés aux praticiens. En grand nombre, ses élèves fréquentèrent l’Institut de Médecine Coloniale, créé par lui en 1902. Dès lors, celui-ci orientera sur la France d’Outre-Mer, Madagascar et l’Indochine, notamment, les promotions successives formées à cette nouvelle discipline (8).

Erudit sans esprit de système, amateur de belles lettres, Raphaël Blanchard s’intéressait beaucoup aux oeuvres des peintres et des sculpteurs des temps passés. Il nous paraît significatif de mentionner l’ouvrage de 482 pages, qu’il fit paraître sur les inscriptions latines ayant trait à la médecine, recueillies au cours de ses nombreux voyages en Italie (1). Il reconnaissait lui-même qu’un tel ouvrage ne répondait pas à un besoin urgent, ni impeneux, et que la chasse aux inscriptions, si passionnante qu’elle fût, n’était réalisable que si l’on voyageait seul.

Président indiscuté de la Société française d’Histoire de la Médecine, il eut à ses côtés, Albert Prieur, secrétaire général, Mac Auliffe et Nicaise, secrétaires du comité d’organisation. Les lettres d’encouragement ou d’adhésion avaient afflué au cours des semaines précédentes, et parmi les plus brillants de ses correspondants, figurait le professeur Lacassagne, de Lyon. Un an auparavant, cette grande ville avait créé le Musée d’Histoire de la Médecine, qui devait prendre une importance croissante avec le temps. A cette époque, l’histoire devenait très à la mode, et la section de médecine, créée pour le Congrès International d’Histoire des Sciences, tenu à Paris en 1900, avait connu un réel succès. Ce précédent permettait à Raphaêl Blanchard d’annoncer la participation de la toute nouvelle Société dont il était le président fondateur, au Congrès international d’Histoire, qui allait s’ouvrir, à Paris, quelques semaines plus tard en avril 1902.

La Société française d’Histoire de la Médecine était ouverte aux étrangers, mais le secrétaire général ainsi que le président avaient insisté pour que les publications ne se fissent qu’en langue française. Les femmes devaient être admises dans la Société, fait significatif de l’évolution des esprits dans le corps médical, si longtemps hostile à l’entrée de nos consœurs dans la profession. On procéda, au cours de cette première séance, à la constitution du bureau. Aux membres déjà cités plus haut, devaient s’adjoindre plusieurs vice-présidents le docteur Motet, membre de l’Académie de Médecine, le professeur agrégé Gilbert Ballet, médecin des hôpitaux de Paris, le docteur Dureau, bibliothécaire de l’Académie, lui-même ancien collaborateur de Littré et de Daremberg, le docteur Triaire de Tours, correspondant de l’Académie de Médecine. Au trésorier, Monsieur Prévost, rédacteur au secrétariat de la Faculté, revenait la nécessaire mission de collecter les cotisations fixées à dix francs-or par an, chiffre maintenu de 1902 à1909. Le poste d’archiviste bibliothécaire fut confié au docteur Beluze.

Très rapidement, la Société devait recevoir de nombreux ouvrages et périodiques qu’il convenait de mettre à la disposition des lecteurs. L’article 9 des statuts précisait que ces pièces figureraient sur un double registre, aucune d’entre elles ne devant quitter la Bibliothèque. Ce vœu n’a pas toujours été respecté, et l’on ne peut que le regretter aujourd’hui.

Le succès de la Société fut rapide, et conduisit, en moins de deux ans, au doublement de ses effectifs. Parmi les adhérents de la première heure, figuraient de nombreux membres de l’Académie de Médecine. On comptait, en effet, dix-sept des siens, mais aussi des chirurgiens et médecins des hôpitaux de Paris au nombre de seize. Les Facultés de Médecine avec un nombre important de professeurs titulaires et d’agrégés, des internes des hôpitaux, d’éminents médecins militaires, des pharmaciens dont plusieurs membres du corps enseignant, des conservateurs et bibliothécaires d’établissements d’Etat complétaient cet ensemble, ainsi que quatre éditeurs fort connus dont MM. Baillière et Maloine.

Un tel départ permettait d’augurer favorablement de l’avenir. Les réunions mensuelles souhaitées initialement dans le cadre de l’ancienne Faculté rue de la Bûcherie, furent tenues, pour des raisons de commodité et de prestige dans les bâtiments de la Faculté, 12 rue de l’Ecole de Médecine.

Au cours des quatre-vingt-dix années qui viennent de s’écouler, cette tradition a été solidement maintenue, bien que certaines de nos assises aient lieu, également, dans les villes universitaires où la Société compte aujourd’hui de nombreuses amitiés.

Ces débuts prometteurs incitaient le président Raphaël Blanchard et son bureau à s’associer à la célébration du centenaire de la mort de Bichat, cérémonie prévue cinq mois plus tard, le 22 juillet 1902. A l’invitation de la Société d’Histoire de la Médecine, les associations qui animaient le mouvement scientifique français avaient répondu par l’envoi d’importantes délégations. Celle de la Faculté de Médecine de Paris était représentée par les professeurs Tillaux, Charles Richet, Pouchet, Landouzy, Déjerine, ainsi que par les agrégés Chauffard, Achard et Jeanselme. La Société de Biologie, la Société de Chirurgie, la Société Médicale des Hôpitaux de Paris, la Société d’Anthropologie, la Société Zoologique de France, avaient délégué leur bureau et l’on comptait, parmi les personnalités présentes, le représentant du Conseil Municipal de Paris, M. Maurice Quentin, et le Directeur général de l’Assistance Publique. La Société Historique du IVe arrondissement et l’Association Corporative des Etudiants en Médecine complétaient cet aréopage.

Plusieurs discours au cimetière du Père Lachaise, devant la tombe de Bichat, l’apposition d’une plaque commémorative sur la maison de Desault, 14 rue Chanoinesse, où mourut Bichat, la réunion solennelle à dix-sept heures au Grand Amphithéâtre de la Faculté, furent les événements de cette journée, que l’on trouve consignée dans le Bulletin de la Société d’Histoire de la Médecine.

Les recherches poursuivies par Raphaël Blanchard permirent de faire connaître des documents inédits concernant Xavier Bichat, tous communiqués par l’un de ses petits neveux, M. Adet de Roseville (2).

L’activité de Raphaël Blanchard ne se démentit pas tout au long de ses trois années de présidence de la Société. S’il déclarait volontiers n’être pas un historien, mais un amateur, du moins s’efforça-t-il de susciter, de la part de ses collègues, des travaux spécialisés, originaux. A Raphaêl Blanchard, on doit plusieurs publications, dont l’une traite des fournitures pharmaceutiques et des soins chirurgicaux donnés au Chevalier d’Eon, désigné sous le nom de Mademoiselle la Chevalière d’Eon, en 1782 et 1783 (3). Une lettre inédite de Corvisart, recueillie par Raphaël Blanchard, probablement écrite en 1810, fournit d’intéressants jugements de l’illustre praticien en matière thérapeutique (3). Le renom de Raphaël Blanchard en parasitologie, nous l’avons dit, fut incontesté. Son amitié pour Alphonse Laveran était bien connue, mais cela ne le gênera nullement pour faire état de recherches antérieures à celles de celui-ci sur l’agent du paludisme. Leurs auteurs étaient, il est vrai, restés à peu près ignorés jusque là, faute d’avoir procédé à une méthodologie sans reproche pour identifier l’hématozoaire. Ce fut le cas en 1853 de Klencke, auteur allemand, puis de Maxime Cornu en 1871 en France, dont le travail était connu du professeur Brissaud.

Brillant esprit, doué d’une mémoire prodigieuse, grand amateur d’objets d’art, de gravures, de peintures, de sculptures, Raphaël Blanchard a publié dans le Bulletin de la Société un très beau mémoire sur l’iconographie des maladies vénériennes au XVe et au XVIe siècles (4). Il aimait faire part à ses collègues de ses remarques sur certaines manifestations artistiques de l’époque, et publiait la relation d’une exposition tenue au Pavillon de Marsan, dévolue aux primitifs français et faite d’enluminures, d’émaux et de dessins, concernant la médecine (5).

Le centenaire de la naissance du médecin militaire François-Clément Maillot, ne pouvait laisser indifférent notre premier président. Il a conté les succès dûs à Maillot dans la lutte contre le paludisme en Algérie (6). Pour la première fois, le traitement par le sulfate de quinine, récemment découvert par Pelletier, était appliqué de façon systématique à une armée en campagne. Les résultats furent très vite démonstratifs. Le fléau qui, en 1834, avait frappé mortellement 2 157 victimes, n’en faisait plus que 538 l’année suivante.

Nous ne pouvons citer toutes les publications de Raphaël Blanchard parues dans la revue de la Société française d’Histoire de la Médecine. Mais il convient de rappeler que le président avait vivement souhaité qu’un Musée d’Histoire de la Médecine vint compléter la Bibliothèque spécialisée, due aux efforts de la Société. Il ne lui fut pas permis d’assister à la réalisation de ce vœu. Son décès survint, brutalement, le 7 février 1919, alors qu’il venait de signer le bon à tirer du numéro de juillet 1914, la Société n’ayant pas tenu de réunions au cours des années de guerre.

Deux ans plus tard, le Musée, qui réunissait de nombreuses et remarquables pièces, offertes principalement par le professeur Gilbert, était inauguré en présence des professeurs Jeanselme et Menetrier. Il nous semble que Raphaël Blanchard eût été satisfait de trouver dans la préface, écrite beaucoup plus tard, par Pierre Huard et Charles Coury (7) pour la réédition des premiers bulletins de la Société, ces phrases qui témoignent de leur fidélité à l’œuvre de leur illustre devancier  » l’histoire de la médecine fournit d’innombrables idoles à ceux qui ont le culte des grands hommes « . A travers la vie et la carrière de ceux qui ont marqué l’existence de notre Société, vous trouverez, mes chers Collègues, Mesdames et Messieurs, la justification de cette pensée.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. BLANCHARD R. Epigraphie Médicale. Corpus inscriptionum ad medicinam biologicamque spectantium. T. I. Asselin et Houzeau Edit., Paris, 1909, 482 p.
  • 2. BLANCHARD R. Documents inédits concernant Xavier Bichat. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd. 1902, T. 1, p. 309.
  • 3. BLANCHARD R. Comptes d’apothicaire et de chirurgien provenant des papiers du Chevalier dEon. Lettre de Corvisart. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd. 1902, T. 1, 491-497.
  • 4. BLANCHARD R. Qui a vu le premier l’hématozoaire du paludisme ? Bull. Soc. Fr. Hist. Méd.1903, T. Il, p. 155.
  • Les maladies vénériennes dans l’art. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd. 1903, T. Il, p. 433.
  • 5. BLANCHARD R. La médecine à l’exposition des primitifs français. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd.,1904, T. III, p. 215.
  • 6. BLANCHARD R. Centenaire de la naissance de Maillot. Bull. Soc. Fr. Hist. Méd. 1904, T. III, p. 158.
  • 7. COURY Ch. et HUARD P. Introduction à la réimpression du Bulletin de la Société Française d’Histoire de la Médecine. T. 1, 1902, Lacer Edit., Paris, Sept. 1967.
  • 8. THÉODORIDÊS J. Deux figures originales de la parasitologie française, David Gruby (1810-1898), et Raphaêl Blanchard (1857-1919). An. Mus. Hist. Nat. Perpignan, 2, 1991, 17-19