Livre II
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Le premier livre a décrit tout ce que nous pensons concerner les os et les cartilages du corps humain ; ce livre-ci décrira les ligaments des os et des cartilages et les muscles qui les mettent en mouvement. Il était nécessaire de commencer par rechercher la nature des os et des cartilages, avant de passer rapidement à la présentation concise des ligaments et des muscles, puisque ces parties du corps sont placées sous toutes les autres comme des fondements ou des bases[117].La nature du ligament Donc le ligamentaa dans la figure au début de ce chapitre, que nous incluons dans le terme général de « nerf », est appelé par les Grecs syndesmos, au sens propre, et pas dans le sens général[118] ; c'est un corps d'une seule substance qui est originaire d'un os, d'un cartilage ou de n'importe quelle membrane un peu dure ; il est dépourvu de toute sensibilité, il est dur, mais cependant moins dur que le cartilage, et blanc ; il a diverses fonctions[119]chez l'homme : il sert à relier, à maintenir, à recouvrir, et entre dans la constitution des muscles[120].La [première] fonction des ligaments est de relier Si les articulations des os et des cartilages n'étaient pas maintenues par des ligamentsbb O.P.S.T.V, absolument rien ne pourrait empêcher ces os ou ces cartilages de se luxer chaque fois qu'ils bougent et qu'ils quittent leur emplacement naturel pour un autre[121]. Pour éviter cela, Dieu, le très grand Artisan du monde, a entouré toutes les articulations d'os et de cartilages avec des ligaments très solides, mais supportant d'être très relâchés et très tendus.La substance du ligament Le talent du Créateur est absolument admirable, lui qui a voulu que de l'articulation des os entre eux provienne une substance à l'aide de laquelle les os sont en même temps réunis sans danger, et articulés sans risquer de s'écarter brutalement l'un de l'autre lors de mouvements violents ; la dureté de cette substance lui permet de résister, et de ne pas être endommagée au cours de mouvements continus et constants. En outre, pour que les cartilages et les os répondent plus rapidement lorsqu'ils sont sollicités par les muscles, il fallait façonner une substance ligamentaire souple, mais qui risquait dans ce cas d'être peu solide. Car ce qui est faible, mou et souple est le contraire de ce qui est dur et solide. Combien grande alors fut l'habileté de l'Artisan du monde, qui fabriqua un corps pourvu abondamment de chacune de ces qualités et de leur fonction, mais résistant aux chocs, vous pourrez l'apprendre par la dissection de la fabrique du corps humain. Vous découvrirez en effet que tout ligament est suffisamment dur pour entourer fermement l'articulation sans l'empêcher de bouger autant qu'elle le doit, mais sans qu'elle se rompe facilement ; telle est la principale et première fonction du ligament, d'où vient aussi son nom. En effet les ligaments qui s'étendent d'un os à un autre os (comme les ligaments des articulations de l'épaule et du genou), ou d'un cartilage à un autre cartilage (comme ceux qui joignent les cartilages du larynx entre eux), ou d'un os à un cartilage (comme ceux qui joignent les cartilages des côtes à l'os de la poitrine [sternum]), forment un lien commun aux articulations des os et des cartilages, qui a pour seul but de les attacher l'un à l'autre, lorsque leur mouvement est soit manifeste, soit obscur et à peine visible.La [deuxième] fonction du ligament est de maintenir les tendons La deuxième fonctioncc b, c du ligament consiste à maintenir les tendons en place dans les dépressions[122]dans lesquelles ils passent et à les empêcher d'en dévier ou d'en sortir ; quand nous décrirons les muscles des mains et des pieds, nous enseignerons que les ligaments de ce genre sont très nombreux chez l'homme. Par exemple, dans la partie externe [latérale] de l'avant-bras, à l'endroit où il est articulé avec le carpe, on voit six ligamentsdd 3, 4, 5, 6 planche I ; 1, 2, 3, 4, 5, 6 planche II
e θ planche IV
de cette catégorie, mais une seul, très solide, dans la région interne du poignet ; dans la partie interne des doigts et des orteils, il y a un seul ligament qui s'étend sur presque toute leur longueur. Dans la partie antérieure de la jambe, à l'endroit où elle est articulée avec le pied, on observe également un seul ligamentff δ planche I ; λ planche II
g ϛ et Σ planche II. Il suffirait d'avoir annoté l'un et l'autre dans chacun des exemples.
, large et solide, et d'autresg encore entre le tibia et le talon, et entre la fibula et le talon : ils ont tous été créés dans le but d'éviter que le tendon ne s'échappe de la dépression qui lui est propre lors de la contraction du muscle. En effet s'il n'y avait pas de ligament de ce genre à l'avant de la jambe près du pied pour donner un passage aux tendons qui mettent les orteils en extension et pour les maintenir en place [retinaculum m. extenseurs] parmi tous les autres tendons qui passent par cet endroit, chaque fois que nous étendrions les orteils, ces tendons se relèveraient en avant[123], vers l'articulation de la jambe avec le pied, comme si on tendait jusqu'au genou une corde attachée à un orteil et qu'on essayait de redresser l'orteil vers le haut en tirant avec cette corde en direction du genou : on lèverait alors l'orteil beaucoup plus haut que l'articulation du pied avec la jambe. Mais si on a attaché une autre corde transversalement, autour du bas de la jambe et passant sous celle avec laquelle je voulais étendre l'orteil, cette corde, même si on tire fort sur elle, ne s'éloigne pas beaucoup de la jambe, elle reste le long du pied et de la jambe grâce au lien transversal, et elle redressera l'orteil.

[Illustrations]

Nous voyons que les cochers imitent l'habileté de la Nature avec des anneaux qu'ils attachent aux jougs des chevaux, pour conduire plus facilement les chevaux sur lesquels ils ne sont pas assis, à l'aide d'une longue rêne passée à travers l'anneau[124]. Parce que ces ligaments passent transversalement par-dessus des tendons, ou plus exactement qu'ils les embrassent comme dans un cercle, comme l'anneau par rapport aux rênes, les Grecs les ont appelés enkarsia, et nous les appelons aujourd'hui tantôt « ligaments transverses », tantôt « ligaments annulaires ». La surface interne des ligaments de ce genre correspond exactement aux anneaux à travers lesquels passent les cordes ;

×Le terme basis est emprunté à la langue de l'architecture (base de colonne, soubassement) ou des mathématiques (base d'un triangle). Les deux premiers livres constituent un ensemble consacré à l'appareil locomoteur.
×Le terme de nerf au sens général chez Vésale qualifie toute substance blanche et résistante jointe à une masse charnue et non un organe appartenant au système nerveux proprement dit. La même définition est donnée dans l'Epitome (éd. Vons-Velut), Paris, Les Belles Lettres,2008, p. 24 et p. 119 note 28. Le nom grec syndesmos a subsisté en français dans la syndesmose désignant une articulation dans laquelle les deux os sont reliés l'un à l'autre par des ligaments ou des tissus fibreux (http://dictionnaire.academie-medecine.fr).
×On notera le parallélisme dans la construction des premiers chapitres des livres I et II.
×Ces 4 fonctions identiques à celles indiquées dans l'Epitome sont ici développées individuellement.
×Le début de ce chapitre développe le chapitre II de l'Epitome, éd. Vons-Velut, Paris, Les Belles Lettres, 2008.
×Vésale désigne par le terme de sinus toute espèce de dépression, sillon ou gouttière.
×Antrorsum : latin médiéval, « en avant » a un long usage en médecine.
×Cf. Galien, Procédures anatomiques II, 321 (consulté dans, Galen, On Anatomical Procedures : de Anatomicis administrationibus / translation of the surviving books with introduction and notes by Charles Singer. London : Oxford University Press for the Wellcome Historical Medical Museum, 1956. https://wellcomecollection.org/works/udyqryja. . https://creativecommons.org/licenses/by/4.0