Livre II
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mais lui-même ne peut pas être l'organe du mouvement volontaire, puisqu'il tire son origine de l'os ou du cartilage, et non pas de la source du mouvement volontaire, comme le nerf. Personne ne met en doute que la substance d'une telle source ou origine doit être molle, puisque rien de résistant ne peut procéder de quelque chose de mou, ni rien de mou de quelque chose de résistant. C'est pour cette raison que la Nature n'a pas pu utiliser les ligaments seuls pour les mouvements volontaires, puisque, n'étant pas reliés au siège de l'âme principale, ils n'ont ni sensibilité ni mouvement ; et il ne lui aurait pas été possible d'utiliser les nerfs seuls, puisque ceux-ci, à cause de leur souplesse et leur finesse, n'auraient pas eu la force de déplacer de si grands poids.Le muscle devait être par nature entre le ligament et le nerf Il fallait donc que tout instrument du mouvement fût créé avec cette double nature[142], parce qu'il devait être plus résistant que le nerf et plus souple que le ligament, et par conséquent avoir moins de sensibilité que le nerf mais plus que le ligament. Donc il devait être à mi-chemin entre la force et la faiblesse, et aussi entre tous les autres caractères opposés des ligaments et des nerfs. C'est pourquoi l'instrument du mouvement participe des deux substances qui le composent, il n’en possède aucune des deux seule et sans mélange, mais il est composé des deux.[Le muscle est] un mélange de nerf et de ligament Mais comme il est impossible de complètement mélanger des substances sans les avoir au préalable réduites en menus fragments, il était donc nécessaire que ces deux substances, celle des nerfs et celle des ligaments, fussent scindées en fines fibres réunies ensuite les unes avec les autres pour créer l'instrument du mouvement volontaire. La séparation du nerf et du ligament en fibres se fait de la manière suivante. Un nerf se rapproche d’un ligament et dès qu’ils s'anastomosent, chacun se divise pour ainsi dire en deux fibres, chacune d'elles se divise en d'autres, et ainsi de suite jusqu'à ce que les fibres deviennent extrêmement fines et membraneuses ; lorsqu'elles sont arrivées à la fin de leur parcours, de la même manière qu'elles se sont divisées au début, elles se rassemblent à nouveau, se mélangent et se réunissent en un seul corps.La tête du muscle. Sa terminaison ou sa queue et son tendon. Son ventre La première divisionaa D dans fig. 1 constitue la tête du muscle, de même la réunion finale [des fibres]bb F dans fig. 1 constitue la terminaison du muscle, que les Grecs appellent aponeurosis, comme qui dirait « énervation »[143], et que nous appelons aussi le « tendon du muscle ». Mais la partie médianecc E dans fig. 1, où se trouve l'enchaînement des divisions de fibres, nous l'appelons le « ventre » du muscle, d'après sa ressemblance avec une souris ou un lézard, un « poisson-pilote »[144]ou un poisson en général. Nous comparons donc la tête du muscle[145]à celle d'une souris et d'un lézard, le tendon à leur queue, le ventre à leur ventre.Fonction de la chair dans le muscle Par ailleurs, si la Nature s'était contentée de diviser les nerfs et les ligaments de cette manière sans remplir les régions médianes et les interstices entre les fibres d'une substance molle [fascia], destinée à leur donner un tore[146], une texture et un siège fermes, jamais, les muscles n'auraient pu, un tant soit peu, conserver leurs fibres intactes et sans dommage[147]. Ce siège et ce tore sont une simple chair recouvrant les fibres, et s’entrelaçant avec elles, comme dans les corbeilles et paniers dans lesquels les fromagers font cailler le lait[148]. Imaginez donc que les fibres distribuées à partir du nerf et du ligament correspondent aux brins d'osier, que le sang est analogue au lait, et la chair au fromage ; en effet, la chair est faite à partir de sang, comme le fromage à partir de lait. Cependant, vous vous forgerez une image d'autant plus vraie que vous aurez imaginé les brins d'osier ou les joncs plus nombreux et plus serrés traversant le fromage et ne le longeant pas seulement sur les bords.Des veines et des artères sont nécessaires au muscle. La membrane du muscle Mais pour ne pas laisser la chair ou tout autre substance musculaire privées de sang et de nourriture, et pour restaurer leur chaleur innée, il fallait introduire dans les muscles des veines et des artères comme pour les irriguer. Ensuite, il fallait aussi étendre une membrane [fascia] recouvrant tout le corps du muscle, à partir des ligaments qui joignent la tête et la terminaison du muscle aux os.Le muscle n'est pas composé de nerf et de ligament en proportions égales. Livre 2 du Mouvement des muscles L'explication précédente de la structure du muscle ne convient pas exactement à tous les muscles ; en fait dans tout le corps, vous n'en rencontrerez aucun, composé en proportion égale d'un ligament (c'est-à-dire issu d'un os ou d'un cartilage) et d'un nerf. Galien a clairement signifié cela en assurant que le muscle est par nature entre le ligament et le nerf, mais il a remarqué plus tard que le nerf et le ligament ne sont pas en proportion égale dans certains muscles. Pour ne donner qu'un exemple, le tendon inséré sur la partie postérieure du talon [tendon calcanéen ou tendon d’Achille]dd tendon des muscles n, o, q dans planche XIV est à lui seul plus épais que les racines des quatre nerfsee chiffres 57, 60, 66, 71 dans fig. 2, chap. 11, livre IV, bien que l'on ne puisse pas voir la vraie proportion d'après les planches des nerfs et des veines cheminant vers la cuisse, même si vous les réunissez. Ensuite si vous prêtez attention à tous les tendons insérés sur le tibia, et aux autres qui vont aux os du pied, et que vous les ajoutiez au tendon inséré sur le talon, comment pourrait-on prouver que ces tendons sont formés en proportion égale d'une moitié de nerf et d'une moitié de ligament ? Assurément si nous comparons ici les tendons aux nerfs, nous devrons reconnaître que pas même la quatre-vingt-dixième partie des tendons ne consiste en nerf. Et si un muscle composé en parties égales de ligament et de nerf pouvait être trouvé, ce serait assurément le muscle temporalff Γ dans la planche IV
g Δ dans planche VII
comme le septum transverse [diaphragme]g car deux très grands nerfs [branches du nerf phrénique]hh n dans les fig. 2 et 3, chap. 11, livre IV sont implantés dans ce dernier, et j'enseignerai que cinq rameaux nerveuxii Q, R, b, c, d dans fig. 2, chap. 2, livre IV vont dans le muscle temporal ; cependant dans aucun de ces deux muscles, la proportion de nerf ne semble être supérieure d’un tiers par rapport au ligament. Mais nous qui vénérons les préceptes de Galien comme des oracles et qui embrassons pieusement ses livres sur Le mouvement des muscles, que devrons-nous dire au sujet de ces muscles qui ont une très ample origine et qui progressivement deviennent plus étroits en approchant de leur insertion de terminaison ? Parmi d'autres exemples, sont ainsi faits le musclekk Ξ dans planche IV ; Δ dans planche X
l Δ dans planche III
qui élève le bras [m. deltoïde], celuil qui porte le bras sur la poitrine [m. grand pectoral] et presque tous ceux qui servent aux mouvements de la cuisse, dans l'origine desquels nous ne pouvons pas nous représenter le nerf qui, selon Galien, serait distribué avec le ligament.

×Cf. Galien, Sur le mouvement des muscles I, 2.
×Enervatio en latin est un calque du grec aponeurosis, pour désigner le tendon. La confusion de termes a survécu dans la terminologie anatomique jusqu'au siècle dernier, par exemple dans l'expression galea aponeurotica de l'epicranion. Le terme français d'énervation n’est plus utilisé dans ce sens.
×Cf. chapitre suivant.
×Vésale utilise ici deux synonymes : musculus et lacertus, dont les noms évoquent l'analogie avec mus (la souris) et lacerta (le lézard). Voir infra. Venter désignait l’estomac en latin classique, cf. Jacques André, Le vocabulaire latin de l’anatomie, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 132-135.
×Un tore (thorus) appartient au lexique architectural et désigne une moulure saillante demi-cylindrique qui entoure la base d'une colonne, d'un pilier (synonyme : boudin). Il désigne ici la forme en relief du muscle.
×Galien, Sur le mouvement des muscles, I, 2.
×Calathus et fiscella sont des termes poétiques empruntés à Virgile (Enéide 7, 805 , b 5 , 61 et b 10, 71), désignant respectivement un panier et une corbeille en osier, en particulier pour égoutter le lait caillé et faire du fromage. Le texte de Vésale contient un terme inconnu Lacharum rerum, peut-être une erreur pour lactarum rerum ?