Livre II
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comme toute la peau du corps, excepté celle du front[195]et de la face, et celle qui recouvre l'avant et les côtés du cou. La peau de ces régions participe au mouvement, soit par ses muscles intrinsèques préposés à cette fonction, comme les muscles [m. frontal] de la peau du front, ceux du cou et des joues [m. platysma, m. buccinateur] et des lèvres [m. orbiculaire de la bouche], soit par le mouvement de la peau qui est contigüe ; ainsi la peau de la mâchoire supérieure [maxillaire] n'a pas de muscles, mais elle bouge en même temps que la peau qui lui est contigüe.par la pilosité, Je pense qu'il est évident pour tout le monde que certaines parties de la peau sont pileuses, comme le vertex, les aisselles, les sexes, le menton de l'homme, et que d'autres sont glabres, comme la paume de la main et la plante du pied.par les foramina, Je sais qu'il n'échappe à personne que la peau est la plus grande partie de tout le corps et qu'elle est formée d'une structure continue, mais percée de petits foramina disposés pour l'évacuation des excréments fuligineux et pour la naissance des poils, et aussi discontinue et percée de trous visibles par exemple dans les paupières, le nez, les oreilles, la bouche, l'anus, les sexes, et à l'endroit d'où sortent les ongles. En outre, de toute la surface de la peau, celle qui revêt la paume de la main (et de la plante du pied) est la plus continue et elle est très peu trouée, une caractéristique également attribuée à la peau des nouveau-nés selon certains. Rien de tout cela n'est inutile et n'a été fait en vain, comme je le montrerai lorsque je traiterai individuellement chacune des parties recouvertes par la peau.Définition de l'épiderme La peau que les Grecs nomment derma est entièrement recouverte par une autre petite peau, extrêmement fine et complètement dépourvue de sang ; elle ressemble aux enveloppes fines et transparentes des oignons, sauf en quelques endroits, principalement dans la paume de la main et dans la plante du pied, où elle apparaît plus épaisse et plus dure. C'est comme une efflorescence de la peau, les Grecs la nomment epidermis. S'il arrive qu'elle se détache, quand on la gratte en cas de gale[196], ou quand on applique des onguents sur des blessures, ou quand elle est en contact avec le feu ou aspergée d'eau bouillante, ou quand on a longtemps marché, et qu'elle se soulève de la peau [derme] en formant des espèces de vésicules et de papules, une nouvelle petite peau renaît très rapidement, différente de la vraie peau, composée uniquement de sang et d'esprit vital ; les très fines terminaisons des veines, des artères et des nerfs affluent vers la peau et, selon certains, grandissent en même temps qu'elle, et la constituent.Les veines, artères et nerfs s'étendent vers la peau qui possède ainsi la sensibilité Il ne faut certainement pas écouter Aristote[197]qui prive la peau de sensibilité comme si la sensation du toucher n'était produite qu'avec l'aide de la chair placée sous la peau, alors que la dissection nous a appris que des nerfs spécifiques et en nombre défini se présentent à la peau [nerfs cutanés][198], principalement à celle de la face, du bras, de l'avant-bras et de la main, des jambes [membres inférieurs] et des pieds. Dans le reste du corps, même si les nerfs se présentent à la peau dans un ordre variable, ils sont cependant très nombreux à se terminer à cet endroit ou en-dessous, principalement sur les côtés du thorax [nerfs intercostaux], en se diffusant dans la membrane sous cutanée (comme les veines elles-mêmes), comme je le développerai plus explicitement dans le quatrième livre, dédié aux nerfs. Et ainsi ce n'est pas grâce aux muscles (qu'Aristote appelait « chair ») que la peau est sensible, mais comme nous l'avons dit, au fait que la peau a des nerfs qui lui sont propres[199]. Et bien que la peau du vertex n'éprouve que des sensations faibles, elle est cependant sensible, même si ce fut une tâche très difficile pour la Nature que de distribuer les nerfs jusqu'au vertex et cela même si la peau à cet endroit n'a pas besoin de beaucoup de sensibilité. Y a-t-il quelqu'un qui n'ait pas été instruit par l'expérience quotidienne et qui ne sache pas que la peau arrachée des muscles sous cutanés ou des os, lorsqu'on la détache au moyen d'un couteau ou qu'on l'arrache avec les ongles, a de la sensibilité ? Et il est impossible qu'un quelconque sectateur d'Aristote m'accuse ici de terrestréité, en affirmant que les nerfs issus de la mœlle spinale sont plus durs[200]que la peau, et que les tendons (dont personne ne dénie qu'ils sont les premiers affectés) sont encore plus durs que les nerfs. En fait si l'on n'accorde pas moins de confiance au raisonnement qu'à l'expérience, j'oserais affirmer qu'un grand nombre de ventres de muscles (comme ceux d'un certain nombre de muscles entourant le fémur) sont moins sensibles que la peau de la main et de la face. Ils me font rire, ceux qui refusent d'admettre que la peau est sensible, sous prétexte qu'il n'y a pas ici quelque hymen[201], comme si nous n'avions jamais vu qu'un nerf même complètement dénudé de ses membranes ou divisé en son milieu, est gravement affecté toutes les fois que sa substance mise à nu reçoit des projections de poudres âcres. Et même si, contre toute raison, nous voulions qu'il y ait un medium dans le sens du toucher, ne serait-ce pas de toute évidence cette cuticule attachée à la peau, et en même temps privée de sensibilité (comme nous le croyons) ?La membrane charnue Abordons maintenant la membrane charnue [hypoderme][202]placée sous la peau, sur l'ensemble du corps ; elle est beaucoup plus forte et plus épaisse que l'épiderme ; elle est attachée aux muscles sous jacents par quelques rares fibres éparses, mais elle est jointe plus fermement à la peau. Des veines en très grand nombre, avec des artères très peu nombreuses et extrêmement fines, nourrissant la peau, ainsi que des rameaux nerveux communiquant la sensibilité à la peau, passent par cette membrane et sont supportés par elle pendant leur cheminement entre la peau et cette membrane et pendant qu'ils relient cette dernière à la peau, en plus d'une série continue de fibres membraneuses qui lui sont adjacentes et au moyen desquelles la membrane est très solidement attachée à la peau. Cette membrane charnue n'a pas la même épaisseur sur tout le corps mais dans certaines régions du corps elle s'accroît de fibres charnues, elle s'épaissit et devient si charnue qu'elle reçoit le nom de muscle.Pourquoi cette membrane est dite charnue Une surface de cette sorte se trouve sur tout le couaa Γ planche III
b A et dans la face planche III
[m. platysma], sur le front [m. frontal]b et sur le reste de la face, mais chez certains animaux, principalement chez ceux qui peuvent faire bouger la peau de leur corps tout entier (comme nous celle du front), cette membrane est presque tout entière remplie de fibres charnues. On m'a raconté que des hommes sont capables de faire bouger la peau de la région thoracique et ailleurs sur le corps ;

×La galea aponeuvrotica est en effet enrichie de fibres musculaires souvent très ténues.
×Scabies en latin désigne la gale mais aussi la syphilis.
×Cf. Aristote, Parties des animaux I, 8 et De l'âme II, 11. Voir infra, notes 199 et 201.
×La sensibilité nerveuse de la peau ne peut être vérifiée que sur le vivant.
×S'appuyant strictement sur l'observation et un raisonnement déductif simple, Vésale engage ici une polémique concernant le rôle des sensations, des sens et du sensible dans la vision « philosophique du corps » d'Aristote. On pourra lire à ce sujet Daniel Heller-Roazen, « Le corps tactile », Revue des langues romanes, t. CXXII, n°1, 2018, p. 33-51. [en ligne], http://journals.openedition.org/rlr/544 ; Étienne Krotky, Le Rôle des sens dans la Connaissance, dans Former l’homme : L’éducation selon Comenius (1592-1670) [en ligne], Paris : Éditions de la Sorbonne, 1996, http://books.openedition.org/psorbonne/15798.
×Dureté ici au sens de manque de souplesse.
×Vésale prend nettement position en faveur de Galien (Utilité des parties VIII, 2-3) dans la polémique qui l'opposait à Aristote concernant l'utilité de l'encéphale par rapport aux organes des sens. Le philosophe avait dénié à l'encéphale toute sensibilité et toute connexion directe avec les organes des sens (Parties des animaux II, 7, 652b) et associait la sensibilité et le mouvement à l'âme sensitive logée dans le cœur. Vésale critique la théorie aristotélicienne de la médialité dans la perception, et retourne contre les défenseurs d'Aristote l'argument selon lequel la chair serait nécessairement « l’intermédiaire du sens tactile », l'organe et l'objet de sens n'étant pas en contact immédiat. Le terme grec hymen désigne quelque chose d'intermédiaire, situé « au milieu », ce que Vésale traduit par medium. Voir à ce sujet Emmanuel Alloa, « Metaxu. Figures de la médialité chez Aristote », Revue de métaphysique et de morale, 2009/2 (n° 62), p. 247-262. https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2009-2-page-247.htm.
×Couche de tissu située au-dessous du derme profond. Elle consiste en un tissu graisseux banal cloisonné par des travées conjonctivo-élastiques qui délimitent des lobules remplis de cellules adipeuses-TA : tela subcutanea (Dictionnaire de l'Acad. Nationale de Médecine).