Livre II
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chez eux cette membrane est sans aucun doute semblable aux membranes charnues des chevaux et des ânes.D'Avicenne cherum hamechase hagulghleth ou bachedera : membrane couvrant le crâne ou marmite, pannicule charnu[203] Je considère qu'il n'est pas injustifié d'ajouter [l'adjectif]« charnu » à cette membrane, que les Grecs appellent hymen comme les autres membranes, puisque parmi toutes les membranes du corps seule celle-ci apparaît charnue, et doit donc être comptée comme telle. Pour autant que je sache, les Arabes sont les premiers de tous à avoir examiné cette membrane plus attentivement et à l'avoir appelée charnue. Cela aurait dû être plus soigneusement vérifié par d'éminents médecins de notre temps qui soutiennent que ce que certains Barbares ont appelé « pannicule charnu », et avec raison par Hercule!, ne correspond qu'aux huit muscles de l'abdomen, et qui dénient, contre l'enseignement de Galien et la vérité du fait, l'extension de cette membrane sous la peau dans tout le corps[204]aussi bien que dans l'abdomen (qui semble la seule chose qu'ils connaissent). D'autres m'ont vu démontrer que cette membrane s'étend dans tout le corps, mais ils sont si incompétents qu'ils n'admettent pas que c'est celle que Galien mentionne assez souvent ici et là, et surtout dans le Troisième Livre des Procédures anatomiques, parce que je leur montre aussi la graisse (dont je vais bientôt parler) entre la peau et cette membrane, que cette graisse est souvent épaisse de trois doigts et que chez l'homme la membrane est toujours séparée de la peau par l'épaisseur de la graisse. Les hommes de cette espèce, nés seulement pour orner une chaire, auraient dû tenir compte que Galien a parlé de ses singes, et non des hommes : chez ceux-là, il n'y a pas de graisse entre la peau et la membrane, et non seulement la membrane elle-même n'est pas attachée à la peau par des fibres, mais elle lui est contiguë partout sans l'intermédiaire de quoi que ce soit. Et cela explique que séparer la peau uniquement sans blesser la membrane n'est pas aussi difficile chez l'homme que chez les singes, les chiens et les animaux dont Galien décrit l'anatomie. La partie de cette membrane qui est en regard des membranes intrinsèques des muscles est recouverte d'une viscosité mucilagineuse, qu'Aristote a attribuée à la peau recouvrant cette membrane, peut-être pour l'empêcher de gêner les mouvements des muscles sous jacents. En effet, cette humeur visqueuse et mucilagineuse est commune à toutes les membranes qui maintiennent ou entourent un corps qui change quelquefois de lieu ou de position. De ce nombre sont le péritoine, la membrane entourant les côtes [plèvre], l'enveloppe du cœur [péricarde] et enfin les ligaments entourant les tendons comme des anneaux. Il y a donc ainsi trois éléments qui entourent en permanence le corps humain : la « cuticule »[épiderme], la peau [derme]et cette membrane charnue [hypoderme][205].La graisse Il faut ajouter à ces éléments une quatrième observation chez l'homme, il s'agit de la graisse elle-même, que les Latins nomment pinguedo ou adeps, les Grecs pimelé  ; sauf chez les hommes émaciés, elle est contenue en grande quantité presque partout entre la peau et la membrane dont nous venons de parler. À partir des nombreuses veines et des artères (s'il s'en trouve) qui passent à travers cette membrane et qui se propagent entre elle et la peau, beaucoup de sang transpire, à cause de la froideur de la membrane et de son manque de chaleur (c'est ce nous croyons), et se transforme en graisse ou, comme on le dit aussi pour les animaux à cornes, en suif[206].Où y a-t-il le plus de graisse ? Voici l'explication de la formation de cette graisse sur les membranes de tout le corps, sur les ligaments et (pour le dire en un mot) sur toutes les parties qui manquent de sang et qui sont donc froides : émanant des veines, le sang congelé par l'action du froid adhère à ces corps. Mais la nature a pris grand soin que la graisse ne se forme pas là où elle serait nuisible ou inutile. En effet la Nature n'a pas placé de graisse sur les membranes du cerveau, ni sur les enveloppes des testicules, ni sur la partie interne de l'enveloppe du cœur, bien que le cœur lui-même n'en soit pas dépourvu, ni sur la partie interne des ligaments qui recouvrent les tendons transversalement, ni sur la peau des paupières, du front et du pénis ni -et cela est important- sur la partie externe de la main et du pied. Elle a placé la graisse la plus abondante sur les fesses, pour qu'on puisse l'utiliser en guise de coussin.Quels animaux ont le plus de graisse ? La plus grande quantité de graisse est collectée chez les animaux humides et froids (de ce nombre sont l'homme et le porc), mais on n'en trouve jamais ou alors très peu chez les animaux secs et chauds, comme les lions, les chiens de chasse et même les singes. Cependant, à part l'homme, le porc et le hérisson, on ne trouve aucun autre quadrupède terrestre qui ait de la graisse entre la peau et la membrane charnue, bien que l'on trouve souvent des moutons et des loirs très gras. La graisse est blanche, parce que les membranes, la peau et les autres corps auxquels elle adhère sont blancs et ne sont pas rouges comme la chair. Tout ce qui dans notre corps est transformé par quelque chose prend la couleur de ce qui l'a transformé ou altéré. Et il est tout à fait ridicule de penser que la graisse est blanche parce qu'elle serait composée d'une substance aérienne, alors qu'il n'y a rien de plus blanc qu'un os, un cartilage, un ligament de tendons, et qu'il n'y a rien d'autre dans le corps qui soit aussi terrestre[207]que ces éléments. Nous pouvons attribuer à la graisse collectée entre la peau et la membrane charnue la même utilité qu'à un vêtement et à la simple chair : garder le corps chaud quand il fait froid, et dans le cas d'une exposition au soleil, tenir le corps au frais, comme le fait un vêtement, en empêchant la chaleur de pénétrer.

×Transcription en caractères romains dans le texte.
×Au XVIIIe siècle, Jaucourt encore définissait le pannicule charnu comme le quatrième tégument admis dans l'homme par les anciens anatomistes, outre la cuticule, la peau, la membrane adipeuse, la membrane commune aux muscles, et précisait que ce pannicule se trouve chez les quadrupèdes, mais pas chez l'homme qui a peu de muscles cutanés, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1e éd., t. 11, 1765, p. 822 (en ligne). Il s'agit en fait des fascias de revêtement des muscles superficiels dont la fonction a été longtemps méconnue.
×L'énumération correspond au sens de la dissection à partir de la surface du corps.
×Cf. Aristote, Parties des animaux 672, 7 : τέλος δ´ εὐπεψίας αἱματικῆς πιμελὴ καὶ στέαρ ἐστίν : « et le résultat final d'une bonne coction du sang, c'est la graisse (pimelé) et le suif (stéar) ».
×Opposition entre aérien ou spirituel et « terrestre », ici nettement au sens de matériel.