Livre II
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Chapitre VI. Comment observer la nature de la fine petite peau [épiderme], de la peau [derme], de la graisse et de la membrane charnue [hypoderme] par la dissection.

Dans le livre précédent, après avoir terminé la description des os et des cartilages, j'ai donné la procédure et le moyen par lesquels chacun peut correctement préparer ces parties pour lui-même en vue de leur étude ; de même, dans ce livre-ci, après la description de toutes les parties qui doivent être traitées dans l'ordre, j'inclurai l'art de les disséquer[208], de sorte que l'on puisse aborder correctement toute l'anatomie des muscles et des ligaments dans un seul cadavre, et la terminer en bon ordre[209]. Par ailleurs, j'ajouterai la procédure anatomique des parties qui seront décrites dans les livres suivants dans ces mêmes livres, où elle sera plus en situation, me semble-t-il. Vous pouvez maintenant commencer à examiner la cuticule, la peau, la graisse et la membrane de la manière suivante. Avec un rasoir très affûté, vous ferez une incision dans l'abdomen, ou dans tout autre partie du corps que vous aurez choisie, en coupant la peau jusqu'à la graisse par une incision verticale puis transversale (pour former ainsi un ou plusieurs angles), en appliquant le rasoir à la surface et sans geste brusque, afin d'inciser seulement la peau et de laisser la membrane charnue intacte. Vous n'aurez aucun mal à faire cela chez l'homme, surtout si la personne est assez grasse, puisque souvent, et surtout chez les femmes, l'épaisseur de graisse sur le thorax et l'abdomen dépasse la largeur de deux doigts ; et nous avons même vu dans des dissections publiques, des femmes qui n'étaient pas particulièrement obèses, dont la graisse sur leurs hanches et leurs fesses était plus épaisse que la largeur de la paume. Il faudra faire les incisions avec d'autant plus de précautions que le corps que vous aurez obtenu sera plus maigre. Ensuite il faudra essayer de vous habituer à faire cette incision avec aisance, tant à cause des muscles issus de la membrane charnue que pour apprendre l'ordre des nerfs qui se portent entre la peau et cette membrane, comme nous le dirons, et aussi à cause du très grand nombre de veines qui devront être étudiées avec le plus grand soin, parce que nous incisons seulement les veines distribuées dans la membrane charnue quand nous traitons les maladies[210]. Après avoir incisé la peau jusqu'à la graisse (en laissant la membrane charnue intacte), utilisez un crochet ou vos ongles pour soulever la peau dans un des angles[211]des incisions, ensuite, avec un rasoir affuté, séparez la peau de la graisse à votre guise, en faisant des incisions transversales dans la membrane charnue. Approchez ensuite de la peau que vous aurez réclinée une bougie allumée de telle sorte que sous la chaleur de la flamme, l'épiderme se soulève comme une vésicule et que vous puissiez examiner la peau et l'épiderme séparément. Pendant que vous détachez la peau de la graisse (si vous n'êtes ni patient ni désireux d'apprendre, c'est un travail que vous ne ferez pas longtemps sans vous fatiguer !), il convient d'examiner les petits nerfs et les veines qui courent par-dessus la membrane charnue, se répandent dans la graisse et arrivent à la peau ; ensuite il faut inspecter avec soin cette membrane elle-même, qui est reliée à la peau par de nombreuses fibres. Si le cadavre que vous avez sous la main est obèse, essayez de séparer la graisse de la membrane, de la même manière que vous avez séparé la peau de la graisse. Prenez garde à ne pas enlever par inadvertance la membrane en même temps que la graisse ; les Anatomistes de notre temps se sont trompés sur ce point, en niant l'existence de cette membrane [fascia] chez l'homme, et à cause de cette erreur, en ignorant les muscles constitués par la membrane charnue et les veines et les nerfs qui la parcourent, ils se sont nécessairement trompés sur tous les autres muscles, veines et nerfs dans le corps. Après avoir ôté la graisse, faites une incision superficielle à travers la membrane charnue jusqu'aux muscles sous jacents et séparez cette membrane des parties sous jacentes- vous ferez cela très facilement en mettant les doigts de part et d'autre de l'incision et en y introduisant un couteau en buis, ou, si vous préférez, un rasoir ; et vous apprendrez ainsi que séparer la membrane de la peau est différent de la détacher des corps qu'elle recouvre, ce qu'Hérophile a appelé darsis. C'est une opération facile, qui se fait rapidement, et qui ressemble à celle avec laquelle nous voyons écorcher sans difficulté des bœufs, des veaux, des brebis ou des lièvres ; en fait cette membrane se détache si facilement que chez des chevreaux, des agneaux, et même de jeunes veaux, nous voyons qu'elle se sépare des organes sous jacents en même temps que la peau sous l'effet de la respiration. Mais la peau ne peut être séparée de la graisse ou de la membrane sans de très nombreuses incisions faites avec des rasoirs très affutés. C'est ce que nous apprennent aussi les bouchers toutes les fois qu'ils entreprennent d'enlever la peau sous les aisselles en laissant la membrane charnue attachée au corps du bœuf (pour éviter d'enlever trop de viande). Ce ne sont pas les seules choses que les bouchers connaissent bien ; ils savent aussi ce qu'est l'épiderme en rasant des porcs auparavant passés à la flamme, ou mieux, plongés dans de l'eau bouillante, avant d'enlever les poils en même temps que l'épiderme[212].

×Comme Vésale, nous distinguons dans la traduction la technique, la procédure pour disséquer (administratio) et l'acte de dissection (dissectio).
×Le début de ce chapitre est profondément modifié dans l'édition de 1555 : Vésale y justifie la différence de présentation des muscles dans l'Epitome (ordre de proximité) et celui choisi pour la Fabrique de 1543 (des muscles superficiels aux muscles profonds). Voir introduction au livre II.
×Allusion à la phlébotomie.
×C'est à dire au croisement des incisions.
×Les bouchers connaissent mieux le corps des animaux que les professeurs en chaire ne connaissent le corps humain. Cf. Préface de la Fabrique *3 : « Et c’est ainsi que tout est enseigné de travers dans les écoles et que des jours entiers passent en discussions ridicules ; dans une telle confusion, les spectateurs voient moins de choses que ce qu'un boucher pourrait montrer à un médecin sur un marché ». www.biusante.parisdescartes.fr/vesale/?e=1&p1=00005&a1=f&v1=00302_1543x00&c1=2