Livre II
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Puisque nous avons mentionné des rasoirs et des crochets et que dans les chapitres suivants nous parlerons très souvent de ces instruments et d'autres semblables qui concernent la dissection, il ne sera pas inutile d'ajouter rapidement ici un mot sur les instruments que vous pourriez utiliser au cours d'une dissection, bien que cela eût pu être fait à la fin du premier Livre. Ils sont très peu nombreux, très faciles à se procurer, bien qu'un certain nombre de ceux que je vais énumérer soient plus nombreux et plus perfectionnés que ceux que j'utilise aujourd'hui dans une dissection publique.Rasoirs Il faut commencer par se procurer plusieurs couteaux que les barbiers utilisent pour raser les poils et que nous appelons vulgairement des rasoirsaa F; certains doivent être tranchants, d'autres émoussés, mais de ces derniers, vous en aurez toujours plus que nécessaire ! Il faut choisir des rasoirs petits et légers, bien que rien n'empêche qu’il y en ait aussi quelques grands, et il faudra en acheter ou en demander beaucoup aux barbiers, parce qu’ils s’abîment facilement en coupant les membranes, les tendons ou les ligaments, et parce que le fil s’émousse rapidement, étant réalisé dans un fer très fragile, surtout si vous utilisez des rasoirs neufs, qui n'ont pas encore été affûtés par aiguisage. Pour certains d'entre eux, surtout les petits, vous avez intérêt à ôter la butée en fer qui empêche la lame d’aller au-delà de l’axe du manche, surtout lorsque vous ne trouvez pas de rasoir à manche courbe, tels ceux utilisés par les barbiers de nos pays et de France. En Italie, on utilise des rasoirs grossiers, avec de grandes poignées ou des manches droits, ce qui constitue souvent un inconvénient dans les incisions en biais et empêche la main de fléchir librement[216].Petits scalpels sur lesquels on adapte des calames Il faut y ajouter de petits scalpelsbb G plus fins et aussi plus émoussés, auxquels on adapte un calame[217], et parmi ceux-ci certains doivent avoir une extrémité arrondie, d’autres une longue pointe étroite. Les meilleurs sont ceux tout en fer, car, lorsque nous essayons de couper des ligaments transverses avec les autres, le manche se brise facilement et la lame en fer branle dans le manche si la résine a été amollie par les lavages à l'eau chaude. Il faut absolument rejeter les scalpels incurvés comme des faucilles, parce que nous utilisons presque toujours la pointe seule en disséquant, et que dans les scalpels incurvés la pointe revient vers l'intérieur et passe difficilement sous les ligamentscc 1, 2, 3, 4, 5, 6 et Δ , ϛ , Ξ planche I transverses[218].Couteaux ordinaires On y ajoutera en outre deux couteaux ordinairesdd H, I comme ceux que nous posons sur la table [à manger], dont l'un sera plus long que l'autre, mais plus émoussé, et plutôt en fer qu'en acier, ou du moins pas aussi fragile[219].Couteaux en buis Si vous le désirez, vous pourrez ajouter deux couteauxee K faits en buis, ou dans le bois des Indes dont nous faisons usage pour traiter des maladies[220] ; vous en taillerez un fin, avec une longue pointe, et l'autre plus épais, avec une extrémité arrondie ; mais j'utilise très peu ces couteaux, car j'ai toujours des rasoirs émoussés à portée de main.Crochets Vous pourrez aussi fabriquer deux crochetsff L semblables à ceux que j'ai placés au début de ce chapitre ; je les prépare d'ordinaire à partir des fourchettes que l'on pose tous les jours sur la table. Donc, prenez une fourchette, usez à la lime ses deux dents et courbez légèrement leurs pointes en oblique comme pour former un hémisphère ; vous vous serez ainsi procuré un beau crochet, dont il est facile de limer les pointes à votre guise. Rien ne vous empêche de fabriquer un crochet obtus, et un autre pointu. Bien qu'il soit plus utile parfois de laisser les crochets de côté et de se servir de ses doigts pour soulever certains corps, sauf si l'ombre de la main gauche obscurcit l’incision[221].Stylets En outre, ayez soin d'avoir des styletsgg M, des longs, des courts et des plus épais, que vous obtiendrez en coupant du fil d'argent ou de cuivre ; vous pourrez aussi demander à un orfèvre d’en tirer d’autres à partir d’un plomb très souple et très flexible pour qu’ils soient aussi fins que des fils. Ils sont parfaits pour différents usages et surtout pour explorer la nature des conduits obliques[222].Siphon Il vous sera utile aussi d'avoir à disposition un siphon que vous pourriez introduire dans la vessie en passant par le pénis, afin de vous rendre plus habile dans cette manœuvre manuelle[223]. Et de la même manière que nous attachons un bouton aux siphons, il vous sera utile d’en attacher un à certains stylets et d’en courber d’autres comme des siphons. D'autres stylets ne vous seraient pas moins utiles : ils sont faits comme une moitié de tuyau creux, exactement comme les siphons dans la cavité desquels on pratique une incision par laquelle le calcul est chassé de la vessie, ou comme ces stylets par lesquels ceux qui tissent la soie séparent la soie grège en brins[224]. Nous utilisons des stylets de ce genre dans les dissections quand nous coupons une membrane longitudinalement, en prenant garde à ne blesser aucun organe sous jacent ni la membrane qui les entoure.Aiguilles Il faut avoir des aiguilleshh N, n plutôt courbes que droites, ce qui pourra être obtenu sur le champ, en recourbant des aiguilles ordinaires, d'abord passées au feu, et en formant la lettre C ou le signe ( [une demi-parenthèse]. Il sera utile d'en avoir des grandes et des petites, pour passer du fil [ordinaire] et de petits fils fins ; en plus des aiguilles courbes, il faudra avoir à portée de main des aiguilles du genre de celles avec lesquelles nous suturons les plaies, de telle sorte que vous puissiez recoudre la peau si vous craignez qu’en votre absence quelque chose soit endommagé par des spectateurs impatients d’apprendre.Fil Le fil convenant le mieux à ces aiguilles est un fil de soie ou un fil personnel, si vous craignez qu’en votre absence, la couture ne soit défaite ou abîmée par d’autres. Mais pour attacher des vaisseaux ensemble, vous utiliserez le fil ordinaire avec lequel nous relions des fascicules de lettres ; le meilleur fil importé en Italie provient de l’Empire, car celui des autres nations est trop fragile ou trop épais, moins torsadé ou moins fin.

×Vésale utilise un seul nom : cultellus, littéralement petit couteau ou scalpel, à manche étroit, à lame fixe, à un ou deux tranchants, qui sert pour inciser et disséquer, c’est l’instrument de l’anatomiste. Le terme de bistouri pour désigner un couteau chirurgical apparaît chez Ambroise Paré en 1564 dans Dix livres de la chirurgie : avec le magasin des instruments nécessaires à icelle. Il se distingue de la lancette, petit instrument de chirurgie utilisé pour la saignée et l’incision de petits abcès. Voir l’exposition Bistouris, scalpels et lancettes sur le site de l’aspad : https://www.biusante.parisdescartes.fr/aspad/expo106.htm
×Toute tige creuse et rigide, soit de roseau, soit de plume d’oiseau, qui puisse servir de canule. Les scalpels de différentes sortes sont omniprésents dès le début de l’ouverture du corps pour inciser la peau autour de l’ombilic (Cf. Fabrique V, chap. XIX, p. 548).
×Cet instrument n’est pas représenté sur la table de dissection, puisqu’il ne convient pas dans ce contexte. La note marginale renvoie aux légendes de la première figure du livre II.
×L'adjectif latin chalybeus désigne une variété d'acier. Voir Robert Halleux, Sur la fabrication de l’acier dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 151ᵉ année, n° 3, 2007. p. 1301-1319.
×Allusion au bois de gaïac.
×La planche de la Fabrique montre une fourchette à deux dents, que Vésale nomme « jambes » (crures). On attribue communément à Catherine de Médicis l’introduction de la fourchette à trois ou quatre dents pour prendre les petits aliments (les petits pois notamment).
×Le stylet se composait d’une très fine tige souple en soie de porc (seta), ou métallique aujourd’hui. Différentes sortes de stylets (ces derniers remplaçant souvent le siphon) étaient utilisées pour explorer le conduit urinaire (Fabrique V, chap. XIX, p. 553), des foramina tortueux tel le foramen cæcum (Fabrique I, chap. 12, p. 53) ou pour insuffler des organes tels les intestins (Fabrique V, chap. XIX, p. 553). Le stylet (ou le siphon) à bouton était encore utilisé au xviiie siècle pour sonder les fistules lacrymales. Voir M. Petit, « Deuxième mémoire sur la fistule lacrymale », Abrégé de l’histoire et des mémoires de l’Académie royale des sciences, 1739, Collection académique, t. VIII, Paris, G.J. Cuchet, 1785, p. 368-376.
×Le siphon ou catheter était utilisé en cas de rétention d’urine. L’opération était connue depuis l’antiquité, cf. La chirurgie de Paul d’Égine, Paris, Librairie V. Masson, 1855, chap. 59. remacle.org/bloodwolf/erudits/paulegine/chirurgie.htmL’emploi post mortem du siphon pour injecter des liquides colorés dans les vaisseaux est revendiqué par Régnier De Graaf (1641-1673), Tractatulus de usu siphonis in Anatomia, joint au traité De Virorum organi generationi inservientibus (et De Clijsteribus), Leiden et Rotterdam, ex officina Hackiana, 1663 (planche p. 234).
×Le terme latin pili est emprunté au lexique des tisserands : il désigne les fil de soie qui ont subi les premières opérations de moulinage de la soie grège.