Livre II
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peu mobile, pour plusieurs raisons et particulièrement pour prendre des objets de manière plus sûre et plus assurée, mais aussi parce qu'il fallait que la région palmaire de la main fût recouverte d'une peau ayant des sensations plus précises que partout ailleurs sur le corps. Car il ne devait pas y avoir un instrument pour prendre, un autre pour toucher, un pour soulever, transporter ou plus généralement palper des objets externes, un autre encore pour juger la nature de ces objets d'après la chaleur, le froid, la dureté, la mollesse, et autres qualités perçues par le toucher. Mais dès qu’elle saisit un objet, la main doit être capable de reconnaître dans le même temps la nature de l’objet, et cela uniquement par les parties de la paume qui en font aussi un organe de préhension[409]. Donc si la main devait être un organe du toucher, puisqu'elle aussi instrument de préhension, elle a été justement construite avec les mêmes parties pour toucher que pour prendre. Ce n'est cependant pas au moyen de ce tendon que la main a un sens précis du toucher, mais avec l'aide de plusieurs nerfs dont quatre faisceaux [nerfs digitaux palmaires communs]ii Voyez la main dans la fig. 2, chap. 11, livre IV ; et g dans la main de la dernière fig. de ce livre se propagent dans chacun des quatre doigts, comme nous l'enseignerons dans le quatrième Livre : deux à la face externe [dorsale] des doigts, et autant à la face interne [palmaire], ces derniers étant plus proéminents à cause de leur volume. Le fait que la peau de la paume n'ait pas de poils contribue beaucoup à la précision de la sensation, ce que Galien attribue principalement au tendon qui s'élargit sous la peau. Car si cette peau était entièrement pileuse, elle ne pourrait pas toucher les objets qui l'approchent, parce que les poils seraient en contact avec cet objet avant la peau et empêcheraient le contact direct. Puisque ce tendon rend aussi la peau de cette région dure, n'importe qui se rend compte qu'il accomplit plusieurs offices pour nous, et que c'est pour ces raisons que ce tendon est attaché à la peau de la paume de la main[410].Le muscle dont le tendon s’élargit [dans la paume] n'est pas toujours présent J'ai plus d'une fois montré à Padoue et à Bologne que le muscle que nous décrivons était indubitablement absent et qu'en fait, une partie des tendons fléchisseurskk h et m, planche III du poignet[411]se terminait en ce large tendon, avant de dépasser le poignet. Nous avons vu quelquefois que la partie qui a le rôle du large tendon ne provenait pas de ces tendons [fléchisseurs du poignet], mais du ligamentll Θ planche IV transverse[412]qui recouvre les tendons dans la face interne du poignet. Chez les hommes contrairement aux singes, aucun tendon ne s'élargit sous la plante du pied ; vous apprendrez en effet qu'une membrane [aponévrose plantaire]mm ϖ planche XIII provenant du calcanéum a la nature du large tendon.De la graisse est placée entre la peau et le tendon. Livres 1 à 3 de l' Utilité des parties  ; livres 1 et 2 des Procédures anatomiques Par ailleurs il ne faudrait pas conclure d'après plusieurs passages de Galien que ces tendons ou que leur nature[413]nerveuse soient attachés à la peau sans aucun intermédiaire, ni qu'il n'existe aucun espace entre la peau et le tendon. En fait, il y a une grande quantité de graisse entre le tendon et la peau, dans la main et dans le pied. Je vais expliquer brièvement sa nature et l'appeler « substance charnue » selon l'usage des autres Anatomistes, je dirai également qu'elle est présente non seulement chez les hommes, mais aussi en abondance chez les chiens. En effet, tout le tubercule à la base de leurs quatre orteils et sur lequel ils reposent principalement le pied, est saillant à cause de la présence de cette substance adipeuse, bien que les singes et les chiens soient dépourvus de graisse entre la membrane charnue et la peau.

Chapitre XLII. La substance charnue couvrant la région interne [palmaire] des doigts, leur base et le milieu de la paume.

Nous n’avons donné aucune figure de la substance qui doit être décrite dans ce chapitre, parce qu’il était impossible de la dessiner en-dehors de la peau et de la graisse que nous avons tenté de représenter sur le côté droit de la poitrine dans la vingt-cinquième figure du cinquième livre.

Sur toute la longueur des quatre doigts, sur les deuxième et troisième phalanges du pouce, et sur les quatre petites éminences que nous situons à la racine des quatre doigts en chiromancie[414], on trouve une espèce de substance charnueaa muscles indiqués par Π planche III [fascia], qui s'étend vers le milieu de la paume ; elle est placée en partie entre le large tendon et la peau, en partie (mais en moindre quantité) sous le tendon. Mais cette substance n'est pas une chair vraie et non mélangée, comme il y en a dans le ventre des muscles, mais c'est une espèce de substance blanchâtre qui ressemble (pour être plus explicite) à de la graisse dure et nerveuse ou à tout autre matière grasse. À mon avis, elle est rendue plus dure par la substance osseuse et nerveuse qui lui est partout adjacente, comme celle que l'on trouve quelquefois dans les articulations osseuses. En outre, cette graisse, augmentée par de nombreuses fibres nerveuses et par des terminaisons veineusesbb Voyez la main dans les dernières figures des livres III et IV devient une substance intermédiaire entre de la chair et de la graisse dure, et même dans les cadavres très émaciés ou morts de marasme[415], on trouve toujours une petite partie de cette substance au cours d'une dissection, alors qu'il n'y a pas d'autre graisse. Mais les Arabes sont le jouet de leur imagination quand ils affirment que cette substance en-dehors du corps du muscle est de la chair simple et non mélangée,

×Rappel : Instrumentum et organum sont des termes synonymes.
×La démonstration avance laborieusement dans ce passage hérité de Galien, Utilité des parties II, 3.
×Muscle fléchisseur radial et muscle fléchisseur ulnaire du carpe.
×Rétinaculum des muscles fléchisseurs.
×Natura désigne ici la substance.
×Les masses musculaires plus ou moins saillantes à la base des quatre doigts, à l’articulation métacarpophalangienne, portaient, comme les doigts auxquels ils correspondent, un nom qui les rattachaient à une planète : mont de Jupiter (index), mont de Saturne (médius), mont du Soleil ou d'Apollon (annulaire), mont de Mercure (auriculaire). On distinguait en outre le mont de Vénus (thénar) situé sous le pouce et le mont de la Lune (hypothénar). Ces monts entourent la dépression dans la partie médiane de la paume, qui était nommée plaine de Mars. Vésale a pu connaître cette « astrologie naturelle » par différents ouvrages de médecine astrologique, en particulier celui du prêtre astrologue allemand Iohannes Indagine (1467-1537), plusieurs fois réédité : Chiromantia. Physiognomia, ex aspectu membrorum Hominis. Periaxiomata, de faciebus Signorum. Canones astrologici, de iudicis Aegritudinum. Astrologia naturalis. Complexionum noticia iuxta dominium Planetarum, Argentorati, apud Jo.Schottum, 1522. Cette nomenclature astrologique est reprise par Realdo Colombo dans le De re anatomica, livre V, chap. XXXV, ed. Baldo, Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 444-445.
×Une des rares indications de Vésale sur le type de corps qu'il avait à sa disposition. Marasmus est une translittération du grec Μαρασμός (« déssèchement »), état qui caractérisait la vieillesse selon Hippocrate. Galien avait décrit les effets psychiques (apathie, langueur) de cet état dans le traité De marasmo. Voir Simon Byl, « La gérontologie de Galien », History and Philosophy of the Life Sciences, 1988, vol. 10, n°1, p. 73-92.