Livre II
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comme ceux qui placent je ne sais quelle espèce de chair simple dans les gencives et dans le pénis. Ils n'ont pas suffisamment pris en compte les innombrables fibres nerveuses et les veines fines comme des cheveux qui entremêlent cette substance, ni le fait que ni par la couleur, ni par la substance ni par la continuité elle ne ressemble à la chair des muscles (qui justement est entremêlée de tant de fibres). La Nature a préparé cette substance - que vous ne pourriez comparer à rien d'autre qu'à une petite boule de graisse dure -, pour qu'elle soit une espèce de couverture ou de terre, sur laquelle un nombre infini de rameaux nerveux peuvent s'implanter : pour produire une sensation parfaite de toucher, ces rameaux en provenance de plus grandes branches nerveuses, doivent en effet se propager par toute la face palmaire de la main. Par ailleurs bien que cette graisse soit assez dure et très nerveuse, elle est assez souple pour céder aux objets qui viennent à son contact, et cela est un avantage, et pas des moindres, pour les doigts. En effet elle se trouve entre les tendons fléchisseurs des doigts et les corps durs que nous prenons en main et elle est très efficace pour éviter aux tendons d'être comprimés ou écrasés ; pour la même raison, une quantité considérable de cette substance se trouve justement sous la peau de la plante du pied ; en outre, elle corrige la rigidité des os lorsque la main se prépare à saisir un objet en l'encerclant. Le Créateur du monde n'a pas donné cette substance à la région externe [dorsale] des doigts, car elle aurait été un poids inutile pour les doigts, puisque cette région ne demande pas un sens du toucher aussi parfait, ne prend aucun objet en l'encerclant, et n’est pas aussi souvent sollicitée pour manipuler des alènes, des scalpels ou d’autres instruments de métiers de ce genre. C'est donc dans la partie palmaire de la main, moins dans les articulations elles-mêmes qu'entre les articulations, que le Créateur du monde a habilement placé une plus grande quantité d'une telle substance. En effet à l'endroit où les phalanges osseuses s'articulent entre elles, une telle substance n'était pas nécessaire, puisque l'articulation doit fléchir : loin d'apporter une aide utile, cette substance ferait obstacle au mouvement, soit en étant un poids superflu qui gênerait, soit en occupant et en remplissant l'espace dans l'articulation et en empêchant cette dernière de fléchir en angle aigu. Sur les côtés des doigts, il a disposé autant de cette substance qu’il était nécessaire pour remplir les parties entre eux, parties qui autrement seraient restées vides, de telle sorte que la main pût accomplir sa fonction non seulement comme un organe divisé en nombreuses parties, mais aussi différemment, comme un organe non divisé. En effet, quand les doigts sont rapprochés les uns des autres, l'espace entre eux est si rempli par cette substance que l’on pourrait même verser un liquide dans le creux de la main tourné vers le haut sans rien en laisser échapper. Finalement, au moyen de cette substance la main peut assouplir, ameublir et polir des matériaux qui, étant médiocrement souples, demandent des instruments qui assouplissent et polissent, tels qu'il en existe dans beaucoup de métiers. Que cette substance soit utile pour prendre un objet par l'extrémité des doigts, est un fait absolument évident pour tout un chacun, et il n'échappe à personne que si aucune substance assez souple n'avait été placée à l'extrémité des doigts, cette extrémité aurait pu facilement se casser et n'aurait pu soulever un si grand nombre d'objets ; ce que nous faisons avec succès au moyen de cette substance et des ongles qui lui résistent[416]. Telles sont donc les fonctions intrinsèques de cette substance, mais on comptera comme commune la fonction qu'elle partage avec la chair et la graisse, qui est de rafraîchir dans les canicules et de réchauffer par temps froid[417].

Chapitre XLIII. Les muscles moteurs des doigts de la main

Les mouvements des doigts En décrivant la structure des os des cinq doigts dans le Livre précédent, nous avons écrit que la forme d'articulation dans les premières jointures [articulations métacarpophalangées] des cinq doigts et dans la seconde articulation du pouce, diffèreaa Les figures du chap. 27, livre I montrent ces dispositions de celle entre les deuxième et troisième phalanges des quatre doigts [articulations interphalangées] et de la troisième dans le pouce. En effet ces jointures se font en entrant l'une dans l'autre sous la forme que les Grecs nomment éginglymeé. L'os supérieur [distal] reçoit l'os inférieur [proximal] dans son sinus et l'os inférieur admet dans ses sinus les tubercules de l'os supérieur. D'où il résulte que ces jointures ou articulations ne réalisent qu'un seul mouvement, qui se fait en extension ou en flexion, sans jamais s'incliner un tant soit peu latéralement. Cependant les premières phalanges des quatre doigts sont restreintes par leur type d'articulation[418]avec les os qui les soutiennent. En effet l'unique sinus de l'os inférieur [métacarpe] reçoit l'unique tubercule de l'os supérieur ; c'est pourquoi les doigts ne font pas qu'un seul mouvement, mais un double, d'abord en fléchissant et en s'étendant, puis en s'inclinant latéralement sur les côtés, c'est-à-dire- comme nous le dirons désormais-, en se portant en adduction ou en abduction par rapport à tels ou tels doigts. Je pense qu'il est clair pour tout un chacun qu'il n'y a aucune différence si je compte la flexion et l'extension comme un seul mouvement, ou un double, soit un mouvement par la flexion et l'autre par l'extension, ou si je considère le mouvement latéral comme un seul mouvement ou si je le compte pour deux, et qu'ainsi l'un soit réalisé sur un côté et l'autre sur le côté opposé. Par ailleurs,

×Vésale décrit ici les torules (coussinets) tactiles placés sur la face palmaire de la phalange distale des doigts.
×L'idée que la graisse aide à la régulation thermique du corps a été longtemps répandue.
×Traduction littérale latine inarticulatio pour le grec enarthrosis voir Fabrique I, chap. IV, p. 12 et sq. www.biusante.parisdescartes.fr/vesale/?e=1&p1=01013&a1=f&v1=00302_1543x01&c1=5