Livre II
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Chapitre LIII. Les muscles moteurs de la jambe

Si nous avions décidé d'aborder les muscles dans le sens de leur proximité par rapport à l'emplacement des muscles expliqués juste auparavant, il faudrait maintenant décrire les muscles moteurs de la cuisse ; mais puisque nous avons décidé de suivre le sens de la dissection plutôt que celui de proximité, nous devons examiner maintenant les muscles moteurs de la jambe[495]avant ceux de la cuisse, car vous ne pouvez pas disséquer convenablement ces derniers tant que vous conservez intacts les muscles de la jambe[496]. Par ailleurs, dans la mesure où les muscles moteurs de la jambe sont plus larges, plus longs et plus visibles, je peux d'autant moins donner mon assentiment à l'opinion de Galien à leur sujet, principalement dans l'explication de leur fonction, bien qu'il ne soit pas partout cohérent avec lui-même.L'opinion de Galien au sujet des muscles moteurs de la jambe, livre 3 de l' Utilité des parties En effet, en recensant les muscles moteurs de la jambe presque à la fin du troisième livre de l' Utilité des parties, et guidé par son imagination et par des livres d'autres professeurs d'anatomie plus que par une vraie dissection, il compte neuf muscles entourant le fémur, qui sont pour lui les muscles moteurs de la jambe, et dont il donne la brève description[497]qui suit : « Trois muscles, qui occupent la région antérieure de la cuisse et qui sont les plus grands de tous les muscles de cet endroit, se dirigent verticalement vers le genou : l'un d'eux est implanté sur la patella par une prise charnue, les deux autres procréent un très grand tendon qui en s'élargissant s'implante sur toute la patella, en la maintenant exactement dans son emplacement et en l'attachant aux parties sous jacentes. Ensuite, dépassant l'articulation, ce tendon s'insère sur la partie antérieure de la jambe, l'étendant, s'il en reçoit l'ordre, avec toute l'articulation du genou. Les deux autres muscles de chaque côté des muscles précédents, l'un latéral, l'autre médial, s'insèrent sur les côtés de la jambe et tous deux sont responsables des mouvements obliques. Celui qui est à l'intérieur [médial] porte la jambe [membre inférieur] en dedans, l'autre en-dehors. Le premier sort de la commissure des os du pubis, le second des parties les plus externes de l'os coxal ; ainsi ils devaient être les meilleurs abducteurs du membre inférieur dans les mouvements obliques. Dans l'espace entre eux, il y a trois autres origines de muscles qui donnent de petits mouvements au genou. Le muscle qui est contigu au muscle médial fléchit le genou et porte la jambe en dedans ; celui qui est contigu au muscle latéral est abducteur de la jambe et en même temps la fléchit comme s'il lui donnait un mouvement de rotation. Celui qui reste, qui est au milieu de tous les autres, s'insère sur la tête interne du fémur, fléchit toute la cuisse, et tire toute la jambe en-dehors, en se mêlant aux ligaments qui entourent l'articulation, jusqu'à l'un des très grands muscles reposant sur le tibia, de telle sorte qu'il tire en même temps toute la jambe en-dehors. Le dernier et neuvième muscle moteur de la jambe est fin et long, il est originaire de l'ilium, et tend la jambe en haut, constituant cette figure de tout le membre inférieur dans laquelle, en marchant et en poussant, nous tirons le pied vers le haut en direction de l'aine du membre opposé. » Après ce passage, et dans l'intention de louer la Nature dans la fabrique de ces muscles, Galien avait sans doute suivi des textes plus anciens, en écrivant : « Et ici aussi la Nature a veillé à tout de manière admirable », et ce qui suit. Mais, avec le temps, ayant pris connaissance du muscle [m. poplité]bb Γ planche XIV qu'il décrit comme dissimulé dans le mollet, et devenu plus expérimenté dans la dissection des singes, il interpola dans son texte les mots suivants qui nous sont parvenus : « En plus de tous les autres, il y a un petit muscle dans le mollet, qui fléchit également le genou. » Aussi, doit-on compter dix muscles dans la série de ceux qu'il a décrits. Son discours est d'une clarté absolue, et à partir de là, sans avoir besoin de disséquer les muscles qu'il a décrits, est capable de se les représenter en imagination. Mais si cela est conforme à la vérité, vous le comprendrez en partie d'après ses propres termes dans le deuxième livre des Procédures anatomiques, en partie par la dissection.L'opinion de Galien dans le livre 2 des Procédures anatomiques conforme à la vraie description des muscles Mais comme son discours dans le deuxième livre des Procédures anatomiques est trop long pour être copié ici dans sa totalité, je vais décrire les muscles de la cuisse dans l'ordre où ils y sont considérés, en plaçant systématiquement l'opinion de Galien sous ma description du muscle, et en ajoutant pareillement l'ordre dans lequel il a énuméré l'un ou l'autre muscle dans le discours de l' Utilité des parties précédemment cité.Les mouvements de la jambe Mais avant d'aborder les muscles, je vous recommande fermement d'examiner soigneusement combien de mouvements a votre jambe. Comme le montre le développement précédent, dans les livres de l' Utilité des parties, Galien a simplement dit que la jambe a un mouvement d'extension, sans ajouter si elle s'étend plus en dedans ou en-dehors, ou en ligne droite entre les deux[498]. Mais il semble compter trois mouvements de flexion : selon lui, un mouvement tire la jambe en arrière, ou vers l'arrière en haut et en-dehors ; il dit que le deuxième mouvement tire la jambe en haut et en dedans ; par le troisième mouvement nous fléchissons la jambe de manière rectiligne [dans l'axe], sans l'incliner d'un côté ou de l'autre. Cependant, il ne semble gratifier du nom de flexion que ce troisième mouvement, principalement dans le deuxième livre des Procédures anatomiques. Ensuite, dans son discours précédent, et contrairement à ce qu'il écrit dans les Procédures anatomiques, il affirme que la jambe a des mouvements latéraux, puisqu'il écrit qu'un muscle est abducteur en-dehors, et que l'autre est adducteur en dedans. Ensuite, il assigne partout à la jambe un mouvement par lequel elle est portée obliquement en haut, pour ainsi dire en direction de la cuisse de l'autre membre. Nous voyons que la jambe est mue par ce mouvement chez les artisans qui assouplissent des peaux sur des châssis en bois avec leurs pieds ou lorsque des boulangers pétrissent de la pâte avec leurs talons[499], ceci dans un grand nombre de pays. Galien décrit ces mouvements comme s'il pensait qu'ils appartiennent intrinsèquement à la jambe et il leur assigne des muscles intrinsèques,

×Rappel : le terme latin tibia désigne la partie du membre inférieur comprise entre le genou et le pied.
×Vésale justifie ce choix dans le chapitre XXIII de ce livre ; voir Jacqueline Vons et Stéphane Velut, « Dissection et représentation des muscles chez Vésale », Les carnets d'histoire de la médecine, Tours, Faculté de médecine 2022, n°1, p. 6-21.
×Une des rares citations textuelles de Galien, Utilité des parties III, 16. La traduction donnée ici est celle du texte latin de Vésale. Une note marginale externe précise : « Puisque nous allons traiter dans l'exposé chacun des muscles moteurs de la jambe séparément, nous n'ajouterons aucune note marginale [c'est-à-dire de référence aux planches] avant le début de notre description ».
×Soit dans l'axe longitudinal.
×Les anecdotes ont ici une valeur pédagogique : elles rendent concrètes des actions qui chez Galien étaient peu compréhensibles. Elles montrent encore le sens très développé de l'observation chez Vésale, qui se montre perméable au monde qui l'entoure.