Livre III
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Chapitre VI. Comment des branches de la veine cave s'unissent à celles de la veine porte dans la substance du foie, et comment la veine cave émerge du foie ou lui distribue des branches.

Toutes les fois où nous écrivons « figure du sixième chapitre du troisième livre » dans des marges internes, nous renvoyons au schéma de la veine cave, pour éviter d'écrire systématiquement « figure précédant le sixième chapitre ».

Les autorités ont longuement discuté de l'origine de la veine cave L'origine de la veine caveaa Figure intégrale placée au début de ce chapitre mériterait une longue discussion, si l'on voulait exposer la controverse entre les autorités à ce sujet ; cela est attesté par plusieurs passages insérés par Galien dans ses propres ouvrages, mais essentiellement dans le sixième livre des Doctrines d'Hippocrate et de Platon, qui est entièrement consacré à la question de savoir de quel viscère les veines sont originaires. De fait, si je voulais entrer dans cette controverse[71], je ne pourrais en aucun cas traiter les arguments de Galien à la légère, mais je devrais les examiner un à un très minutieusement, et expliquer ceux que je considère comme vrais et ceux que je considère comme faux.Les arguments de Galien contre Aristote au sujet de l'origine dela veine cave n'ont pas été dictés par un oracle En effet, il ne faut jamais acquiescer aux paroles de Galien au point de penser que tout ce qu'il a réuni contre Aristote dans le livre mentionné soit vrai et indubitable. N'importe qui pourra s'en rendre compte dans la suite de mon exposé, qui décrira le véritable agencement de la veine cave. Je laisse donc de côté la dispute au sujet de l'origine de la veine cave (au sujet de laquelle Hérophile, le coryphée des anatomistes, émettait avec raison des doutes)[72]pour aborder sa distribution, que je commencerais par le cœur,bb D puisque je pense que cette distribution doit débuter à partir de la partie de veine cave la plus grande et la plus volumineuse[73]. Car, contrairement à l'avis de Galien, et devant la solidité de l'opinion d'Aristote, nous devrons reconnaître bon gré, mal gré, et même si cela nous contrarie énormément[74], que l'orifice de la veine cave [orifice tricuspidien]cc C,C dans la fig. 7, livre VI qui regarde la cavité droite du cœur[75]est plus ampledd D est plus ample que B, ζ que le corps de la veine cave, quel que soit l'endroit où vous voudriez la mesurer. Le chapitre suivant enseignera que Galien se trompe dans le commentaire où il assure que la veine cave est le plus ample à l'endroit où elle rejoint la partie convexe du foie, et où il déclare qu'elle se divise immédiatement après sa sortie en deux troncs, comme la grande artère [aorte]ee Dans la fig. du chap. 12, C se divise en i, V et D  ; selon lui, un des troncs se dirige en haut, l'autre en bas, et celui qui se porte en bas en longeant les vertèbres lombales est le plus grand des deux. Cela montre immédiatement que les « filets »[76]qu'il a tissés avec tant de soin et d'habileté par analogie avec le cours des eaux et des rivières et les racines des troncs d'arbres sont à rejeter. De la même manière, il faut aussi rejeter le passage dans lequel Galien nie que la veine cave sorte du cœur sous prétexte que son commencementff Comparez à cet endroit C,D,F dans la fig. 5 livre VI avec O,P,R dans la fig. 6. Ensuite examinez la même surface dans la dernière fig. du livre III à cet endroit ne ressemble pas à celui de la grande artère, ce qui signifie qu'elle ne se divise pas en deux troncs immédiatement après sa sortie mais qu'elle a un trajet vertical le long du cœur. Premièrement, c'est un axiome faux et absolument indigne d'un professeur d'anatomie, que d'affirmer, comme le fait Galien, que la veine cave sort de la partie convexe du foie et qu'elle se divise immédiatement en deux troncs, comme la grande artère, et d'en conclure- mais en ne suivant pas sa propre méthode de démonstration !- que la veine cave ne sort pas du cœur pour la raison qu'elle longerait le cœur. En effet, quiconque examine attentivement la naissance de l'artère [aorte], remarquera assurément qu'elle est originaire du milieu de la base du cœur comme si c'était de son centre (ce que Galien non plus n'ignorait pas), et qu'elle devait immédiatement et nécessairement se scinder dès sa sortie, puisque une partie de l'artère se dirige vers le bas. Au contraire, selon l'opinion d'Aristote, la veine cave (étant un vaisseau plus souple qu'une artère) se trouvant sur le côté de la base du cœur n'a pas besoin de se diviser en deux troncs immédiatement après son origine, puisqu'elle peut aisément se diriger en haut et en bas, et cela sans se diviser ; cette division ne servirait donc à rien, outre le fait que le résultat ne serait pas beau. En effet, si la veine qui s'avance à cet endroit s'était divisée comme une artère, d'abord son origine -ou sa racine- située à une certaine distance dans la cavité droite du thorax se serait divisée à cet endroit-là, ensuite, les troncs résultant de cette division auraient dû se diriger vers le côté gauche, si du moins la racine de la veine cave se dirigeait également vers le milieu du corps (comme c'est le cas).

J'ai dessiné par cette figure la disposition que la veine cave aurait nécessairement si elle se divisait en deux troncs sur le côté droit du cœur. Si vous voulez vérifier l'argument de Galien, argument qu'il répète si souvent au lieu de bien le démontrer, comparez la présente figure avec quelques-unes du sixième livre, et en particulier avec la cinquième figure, et aussi avec la figure de la veine cave intégrale : vous remarquerez ainsi comment elle aurait dû partir en diagonale avant toute division, pour s'étendre depuis le côté droit du rachis en direction de son milieu.

[Illustration]

Galien ajoute à cela un autre argument, qu'il répète avec un très grand sérieux : si le cœur était l'origine des veines, toutes les veines devraient nécessairement être en contact avec le cœur, comme elles sont en contact avec le foie ; mais la veine artérieuse [tronc pulmonaire]gg Fig. 1 du chap. 15 n'est pas plus en contact avec le foie que la veine portehh Fig. du chap.5 ne l'est avec le coeur. Ou, si nous voulions apporter nos suffrages à l'opinion de Galien et soutenir que la veine artérieuse n'est pas en contact avec le foie parce que son corps est celui d'une artère, nous devrions concéder en retour que l'artère veineuse [veine pulmonaire],ai Fig. 2 du chap. 15 formée d'un corps de veine, est originaire de la même partie de la cavité gauche du cœur, de la même manière que la veine cave est originaire de la cavité droitekk Comparez C dans la fig. 5 du livre VI avec G dans la fig.6, où vous verrez que la distribution marquée I diffère de celle marquée G du cœur[77]. On peut ajouter à cela que la veine artérieuse [tronc pulmonaire] se dirige depuis son origine dans la partie droite et dans la partie gauche du poumon, de la même manière que la veine cave se dirige vers le haut et vers le bas à partir du cœur, et qu’elle conserve une seule racine sur une certaine distance à partir de son origine,

×Bel exemple de prétérition.
× Galien, De placitis 6.5.22.1-6. Le terme de coryphée qui désigne le chef du choeur de danse dans les tragédies antiques a une valeur laudative.
×Se situant dans la filiation de l'anatomiste alexandrin, Vésale dit ses propres doutes et ses incertitudes avant d'entamer une longue et sévère critique des opinions de Galien.
×Le verbe ringor signifie littéralement « grogner en montrant les dents, enrager, être furieux ». La tournure est très ironique.
×Il s'agit de l'oreillette droite [atrium dextrum] du cœur : cette cavité où débouchent les deux veines caves, le sinus coronaire et les petites veines cardiaques s'ouvre dans le ventricule droit par l'orifice tricuspidien.
×Le rete jaculum (Ovid., Art. Am. 1, 173) désigne un filet de pêcheur. Le procédé analogique utilisé par Galien dans le De Placitis 6, 3, 18 est ici dénoncé, bien que Vésale en use largement ailleurs.
×La veine cave et le tronc pulmonaire proviennent de la cavité droite du cœur ; Vésale fait de l’atrium gauche un large vaisseau qu’il nomme « veine pulmonaire », sans évoquer les quatre veines pulmonaires qui s’y drainent, cf. Epitome (trad. J. Vons et S. Velut), Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 80.