Livre III
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et qu'elle se sépare ensuite en deux troncs, comme la grande artère [aorte], qui, comme cette veine artérieuse [tronc pulmonaire], est également originaire du milieu de la base[78]du cœur, comme cela sera enseigné en son lieu[79]. En outre, l'argument démonstratif irréfutable (selon ses propres mots !) que Galien élabore contre Aristote concernant des animaux dont le cœur n'a pas de cavité droite, est totalement irrecevable, puisque chez ces animaux la veine cave se présente à l'unique cavité du cœur de la même manière qu'elle se présente à la cavité droite chez les autres animaux, et que chez les animaux en question le sang se diffuse du foie au cœur au moyen d'artères (même si ce ne sont pas celles des poumons). Et je vous le demande : y-a-t-il quelqu'un d'assez stupide pour affirmer avec Galien qu'Aristote a voulu que chez les animaux de ce genre la veine cave sorte de la cavité droite du cœur, alors qu'ils en sont dépourvus, et pour ne pas reconnaître qu'Aristote aurait pu avoir l'intention de tenir un discours au sujet des animaux sans poumon différent de celui au sujet des animaux qui n'en sont pas dépourvus ? En outre, qui mettrait en doute, pour peu qu'il ait quelque expérience des dissections, le fait que l'argument tiré des petites membranes [valves tricuspides]al K,L,M dans la fig.7 du livre VI placées à l'orifice de la veine cave, puisse être réfuté par les membranes [valves mitrales]mm E,F dans la fig. 9 du livre VI de l'artère veineuse ? Et je ne comprends pas ce que Galien imagine au sujet de la distribution de la veine cave des oiseaux, puisque je n'observe rien de particulier chez eux dans l'agencement de la veine cave, sauf que leur foie a la particularité d'être constitué de deux lobes ou « fibres »[80] : si on admet que la veine cave est originaire de ces lobes, il est certain qu'à son origine elle ne peut pas se diviser en deux troncs comme la grande artère le fait. Par ailleurs, quand Galien assure que la veine cave n'est pas originaire du cœur parce qu'elle n'a pas de pouls comme une artère, il aurait dû remarquer la nature différente de l'artère et de la veine pulmonaires. De même lorsqu'il objecte que la faculté de fabriquer le sang n'est pas portée par le cœur au foie par l'intermédiaire de la veine cave, parce que celle-ci est dure comme du cuir, il lui aurait fallu être attentif au fait qu'il y a très peu d'espace entre le cœur et le foie, et comment lui-même, dans le quatrième livre de l' Utilité des parties , a attribué à toute la veine porte la même faculté de fabriquer du sang qu'au foie. Les Anatomistes ont cependant commencé à décrire la distribution de la veine porte à partir du foie, et non pas à partir des intestins et de l'estomac, organes à partir desquels cette veine porte au foie le suc fabriqué avec la nourriture solide et liquide[81]. Mais je ne voudrais pas donner ici l'impression de critiquer exagérément les doctrines de Galien, le prince de l'anatomie et par conséquent de toute la médecine, ou de rejeter successivement ses autres arguments ; je ne voudrais pas plus me battre « pour nos autels et nos foyers »[82] contre d'autres médecins qui n'ont jamais mis la main à une dissection, ni défendre des probabilités avec des arguments inventés ; aussi je commencerai la distribution de la veine cave à partir du foie, puisque je ne pourrais pas dénier que c'est à partir du foie que le sang est distribué dans la veine cave, ou tout au moins qu'il est pris par des ramifications de la veine cave à partir de branches de la veine porte[83].Description de la distribution de la veine cave à partir du foie Mais en disant cela, je ne dis pas que la veine cave est originaire du foie[84]. Et je ne veux pas que ce qui peut tomber par inadvertance de ma plume pendant que j'écris soit considéré comme une sentence de ma part au sujet de son origine, ceci pour éviter de donner prise à la calomnie de certains médecins puants[85], qui ne font rien sinon s'attarder à des balivernes de ce genre, et qui rejettent la connaissance des os et des muscles et toute la distribution des vaisseaux comme quelque chose qui ne les concerne pas. Et s'ils pouvaient machiner quelque méchanceté contre moi, ils nous[86]poursuivraient de leur haine pestilentielle, fermant les yeux vertueusement et sans mot dire sur les innombrables passages dans lesquels j'ai déjà montré les erreurs anatomiques de Galien. Et dans le futur, je ne vais sans doute pas les passer sous silence non plus, tout simplement pour justifier la haine des sycophantes et des dénigreurs de ce genre en même temps que ma pratique dans ces matières dont ils se détournent à cause de leur paresse ! Aussi je ne vais pas décider catégoriquement que la veine cave est originaire du foie, puisque le foie me paraît résulter des veines qui s'y entrelacent plutôt que les veines ne tirent leur origine du foie, et cela même dans la toute première formation du fœtus. Vous apprendrez dans le cinquième livre que le foie n'est rien d'autre qu'un assemblage infini de petites veines environnées de sang « coagulé » (ce qui est la substance intrinsèque du foie)[87], et que l'orificenn CCC dans la fig. 7 du livre VI ; Comparez avec chacune des fig. 6 [7], 8, 9, 10 du livre VI. de la veine cave touchant au cœur est tout à fait semblable à celui de la grande artère [aorte], à celui de l'artère veineuse [veine pulmonaire] et à celui de la veine artérieuse [tronc pulmonaire]. Et personne de sensé ne pourrait nier que ces dernières sortent du cœur, à moins d'avoir l'audace d'affirmer qu'un corps puisse provenir d'un autre corps dont la substance diffère (comme un ligament originaire d'un os).Distribution de la veine cave dans le foie Par ailleurs (je dois empêcher mon exposé de s'écarter davantage du sujet avec le risque qu'il ne devienne prolixe, aussi je n'ajouterai pas d'autre argument), les fines ramifications des petites veines [veines hépatiques]oo AAA dans la fig. du chap. 5 en face de 1,2,3,4,5 et peut-être de B provenant des parties périphériques et de la région concave du foie se rassemblent progressivement en cercle vers le milieu du foie en se dirigeant vers l'arrière et, comme nous l'avons dit, en se rassemblant elles forment de plus grandes veines, et à partir de ces dernières, s'en forment d'autres, encore plus grandes, jusqu'à ce que toutes ces branches se terminent dans la base du tronc de la veine porte. De la même manière pour engendrer (si on ose employer ce mot ici !) la veine cave, d'innombrables ramificationspp A,A,A, vers B de petites veines ont leur origine dans les cavités périphériques au sommet du foie dans sa région convexe : elles se dirigent progressivement vers le milieu de la région postérieure du foie et se rassemblent pour former des veines plus grandes ; celles-ci s'unissent à nouveau pour devenir encore plus grandes, jusqu'à ce qu'elles forment enfin une seule veine,qq B, ζ dans la région supérieure du foie, en regard des vertèbres sur la partie droite du corps.Les noms de la veine cave À cause de son grand calibre, cette veine a quelquefois été appelée par les Grecs « veine creuse », « grande veine », « veine ayant la forme d'un tronc d'arbre » (comme la veine porte) ou « veine hépatique ». Les traducteurs des médecins arabes l'appellent hanabub, c'est-à-dire « la veine ayant un ventre ». Chez les Latins, elle porte le nom de « veine creuse », « grande veine », « veine du foie », et plus rarement « veine du tronc ». Certains ont écrit que Galien l'a appelée « la veine commune », mais je ne les rejoindrai pas sur ce point, je pense qu'ils ont confondu avec la veinerr α dans l'avant-bras, que des médecins plus expérimentés appellent de ce nom.

×La base du cœur est la portion du cœur à l'opposé de l'apex, formé essentiellement par l'atrium gauche. Il faut entendre ici que la base du cœur se projette au- dessous du milieu du sternum, puisqu'elle repose sur le diaphragme.
×Ce passage est remanié dans l'édition de 1555 de la Fabrique (page 457) et inclut un développement sur les controverses savantes au sujet de la formation du premier organe chez l'embryon. Vésale refuse de trancher, tant que la chose ne lui paraîtra pas indubitable (indubitatum). C'est une des manifestations assez rares du doute en sciences au XVIe siècle, qui mérite d'être relevée.
×Sur la synonymie entre le grec lobos et le latin fibra, cf. Epitome (trad. J. Vons et S. Velut), p 126, note 89 : le terme de fibra est hérité de Celse, De medicina IV, I, 5.
× Galien, De usu partium IV, chap. 12.
×Cicéron, De natura deorum 3, 40. Pro aris et focis est une locution latine qu’Érasme a commentée dans ses Nuper recognita et emendata Adagia ad hanc diem collecta (« Adages recueillis jusqu’à ce jour, revus et corrigés ») : Crebro apud Romanos scriptores, pro aris et focis, quod idem ac sacra et prophana defendere. Originem habent ex sacramento militari : inter cætera enim milites etiam iurabant, se pro aris et focis pugnaturos. Aulus Gelius (« Fréquent chez les écrivains romains, l'expression pour les autels et les foyers, a la même signification que 'défendre le sacré et le profane'. Les deux expressions tirent leur origine du serment militaire car entre autres engagements, les soldats juraient qu’ils combattraient pour les autels et les foyers. Aulu Gelle). L'expression deviendra la devise de nombreux collèges et sociétés secrètes ( par exemple dans les Pays-Bas du sud, où une tentative de créer une république, les États belgiques unis ou Verenigde Nederlandse Staten, n'auront qu'une existence éphémère de 1789 à 1790).
×Ce brutal abandon de la discussion est une feinte. L'attaque reprend contre les contemporains.
×Colombo, tout en admettant avec Vésale que le foie humain n'a pas de lobes, reviendra à la conception galénique faisant du foie l'origine de toutes les veines, in De re anatomica XV, éd., trad et com. A G. Baldo, Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 453 (lib. VI : De iecore et venis).
×Littéralement : « qui sent le bouc », cf. Plaute, Merc. 575.
×Deux pronoms se succèdent : me et nos. Si le « je » peut être une référence aux premiers démêlés de Vésale avec Sylvius à Paris, démêlés auxquels Boerhaave et Albinus feront allusion dans la Préface des Opera omnia de 1725 (passim, surtout ***, [****2v], [*****v]), le « nous » semble inclure de manière plus générale les Modernes, disciples de Vésale. La posture de l'auteur est double : à la fois martyr et justicier. Si Sylvius n'est pas explicitement désigné ici, il se découvre lui-même en 1551 lorsqu' il reprend textuellement contre son adversaire l'accusation injurieuse d'une « haleine pestilentielle »(pestilenti halitu), dans Vaesani cujusdam calumniarum in Hippocratis Galenique rem anatomicarum depulsio, Paris, Catherine Barbé, 1551, f° 28v. Voir notre Introduction aux Opera omnia anatomica et chirurgica, cura Hermanni Boerhaave... et Bernhardi Siegfried Albini, Lugduni Batavorum : apud J. Du Vivie et J. et H. Verbeek, 1725. Accéder à l'article
×Vésale fait une observation très fine du parenchyme hépatique car sa description évoque celle des lobules hépatiques, unités fonctionnelles du foie de quelques millimètres limitées par des cloisons émanant de sa capsule fibreuse.