Livre IV
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est présenté au cœur par la sixième paire de nerfs crâniens de la même manière que les nerfs sont présentés à tous les autres viscères, comme nous l'enseignerons, et puisque ce nerf du cœur est extrêmement fin, on en déduit facilement que non seulement le cœur n'est pas l'origine de ce nerf de la sixième paire de nerfs crâniens, mais qu'il est impossible de considérer ce petit nerf comme étant l'origine de tous les autres nerfs. En outre, les fibres que nous connaissons comme étant celles tissant la substance du cœur ne sont pas plus nerveuses que celles d'autres organes, par exemple celles de l'estomac, des intestins, des veines et des artères. À cela s'ajoute le fait que les fibresgg Sous K,K (L), M dans la fig. 7, livre VI ; et G,G sous E,F dans la fig. 9 bien visibles et dépourvues de chair dans les cavités ou les ventricules du cœur, et qui ne sont que des processus des membranes, ne doivent absolument pas être comptées comme des nerfs. En effet les fibres qui se présentent dans le ventricule droit du cœur sont considérées comme des processus des trois membranes [valvule tricuspide] préposées à l'orifice de la veine cave [ostium atrio-ventriculaire droit][7]. Et les fibres apparentes dans le ventricule gauche du cœur sont de fins processus des deux membranes [valvules mitrales] propres à l'orifice de l’artère veineuse [veine pulmonaire]. Comme les fibres de ce genre ne sont donc pas plus nerveuses que celles de toutes les membranes en général, rien n'empêcherait de nommer ces parties « nerfs » selon l'usage commun, à condition d'en déduire qu'il faut également donner ce nom aux ligaments, aux tendons, aux membranes et aux nerfs, qui sont le sujet que nous venons d’aborder. Mais puisque les fibres du cœur ne doivent jamais être comptées dans la catégorie des nerfs qui, comme des « canaux »[8], amènent l'esprit animal dans les parties du corps, il faut également accepter que l'on ne puisse pas recenser des nerfs dans le cœur à cause de ces fibres précisément et surtout puisque rien ne sort de ces processus membraneux sauf la substance du cœur[9].Les nerfs ne sont pas originaires de la dure-membrane [dure-mère] du cerveau Par ailleurs ceuxhh A,A,B,B dans la fig. 1, livre VII ; et H,H dans la fig. 2 (parmi lesquels Érasistrate jusqu'à son extrême vieillesse) qui ont affirmé que le début des nerfs provient de la dure ou épaisse membrane [dure-mère] du cerveau n'ont examiné que la partie externe du nerf, une fois sorti de la dure-membrane du cerveau.De quelles parties un nerf est constitué La natureii α,β,γ dans la fig. 17, chap. 14, livre VII de n'importe quel nerf est constituée d'une triple substance : celle qui est au milieu est tout à fait semblable à la moelle [sève] contenue à l'intérieur des arbres, et provient sans aucun doute du cerveau, correspondant en tout point à la substance concentrée, coagulée et dure du cerveau. Des deux substances externes, nous avons découvert que l’une est la même que la substance intime et proximale originaire de la fine membranekk E,E dans la fig. 2, livre VII ; O,O, dans la fig. 3 du cerveau et que l'autre provient de la dure-membrane. En effet on considère que la dure ou épaisse membrane a été faite surtout pour recouvrir [le cerveau], mais que la fine-membrane a été faite certes pour la même fonction, mais plus encore pour maintenir ensemble et en toute sécurité tous les petits vaisseaux et leurs réceptacles, comme les veines et les artères, contenus dans le cerveau. De la même manière qu’elles recouvrent le cerveau, ces membranes recouvrent des processus provenant du cerveau (c'est-à-dire les nerfs mêmes)[10]qui s'avancent dans les parties du corps. Aussi quiconque accorde foi à ses yeux pourra reconnaître que l'origine des nerfs provient du cerveau.D'où vient l'esprit animal fourni aux nerfs Et par conséquent, il est inutile de disputer pour savoir si c'est à partir du cerveau ou à partir du cœur que l'esprit animal s'écoule dans les nerfs pour être transporté dans toutes les parties du corps. Plusieurs [auteurs] (parmi lesquels Chrysippe), même s'ils ont fait du cerveau l'origine des nerfs, ne l'ont cependant pas considéré comme l'origine de la sensibilité et du mouvement pour les nerfs. Mais il suffit de faire une vivisectionll On peut bien voir ces vaisseaux dans la dernière fig. du livre III dans laquelle tous les organes qui vont du cœur au cerveau ont été rompus, enserrés par des lacs ou même coupés, pour complètement réfuter [l'opinion de ces auteurs]. Car si elle est faite correctement, comme je l'ai montré plus d'une fois dans des dissections publiques, une vivisection enseignera que le cerveau a assurément grand besoin de ce qui est fourni par la fonction du cœur, c'est-à-dire l'esprit vital, mais aussi que le cœur exige l'air que nous inspirons et le sang fourni par le foie pour remplir son office. Et cette dissection montrera que le coeur ne fournit pas plus l'esprit animal aux nerfs que le foie ne procure l'esprit vital au cœur, ainsi que nous le savons. Mais parce que cette controverse[11] concerne plus la description du cœur et du cerveau que la nature des nerfs, nous allons la reporter à plus tard et aborder maintenant les différences entre les nerfs proprement dits.Différenciation des nerfs par la mollesse ou la dureté, donnant naissance à différentes sortes de nerfs De même que la substance du cerveau et de la moelle spinale qui naît du cerveau lui-même, n'a pas la même dureté ni la même forme partout, de même les nerfs originaires de ces parties n'ont pas la même substance partout mais ils varient beaucoup en dureté et en mollesse[12]. Et cela est dû à la substance de l'origine d'où le nerf provient. C'est à cause de cela que les nerfs de la visionmm G dans les fig. 1 et 2, chap. 2
n M dans les mêmes fig.
[nerfs optiques] comme ceux de la languen sont extrêmement mous, alors que ceux qui sont originaires de la moelle spinaleoo De F à G dans la fig. 1, chap. 11 dans la région du sacrum sont très durs. Ensuite selon que la distance parcourue est longue ou brève, les nerfs sont plus durs ou plus mous ; par exemple, les nerfs de la vision, de l'auditionpp G,M,a dans les fig. 1 et 2, chap. 2 et du goût sont mous, parce qu'ils parcourent une très brève distance. C'est à cause de son parcours ou chemin tortueux qu'une branche [nerf buccal]qq R dans la fig. 2, chap. 2 de la troisième paire de nerfs crâniens [n. trijumeau], tordue comme une vrille de vigne ou de courge[13], est déjà dure dès qu’elle émerge. En outre selon que le trajet du nerf traverse un corps dur, mou ou sec, ou entre en contact avec ce genre de corps, le nerf devient plus mou ou plus dur. Par exemple le nerf optique a un trajet très court à travers un foramen [canal optique]rr E dans les fig. 1 et 3, chap. 12, livre I
s M dans les fig. 1 et 2, chap. 2
incisé dans l'os, tout comme la majeure partiesde la troisième paire de nerfs crâniens, et pour cette raison, ces nerfs s’endurcissent très peu au contact des os. Mais une branche [nerf facial]tt c dans les fig. 1 et 2, chap. 2 de la cinquième paire de nerfs, qui passe à travers le foramenuu b dans la fig. 2, chap. 12, livre I caecum[14] et tortueux, une petite branche [nerf maxillaire supérieur]xx O dans la fig. 2, chap. 2 de la troisième paire de nerfs crâniens

×Cf. schéma de la veine cave, Fabrique III, p. 269 [369].
×Le terme de canal ici ne signifie pas que les nerfs sont creux (Vésale nie en effet cette interprétation), mais qu'ils sont les vecteurs de l'esprit animal.
×La phrase est très contournée, mais le sens assez clair : les fibres issues des membranes sont en fait la substance du cœur,et c'est à tort qu'on les appelle les nerfs du cœur.
×Les parenthèses sont de Vésale. Le terme « processus » est employé ici au sens général et ne désigne pas spécialement les nerfs optiques ou le tractus olfactif.
×Galien développe une longue controverse avec le philosophe Chrysippe dans le De Hippocratis et Platonis placitis, que Vésale a pu connaître dans la traduction qu’en avait donnée Jean Guinter d’Andernach et qui fut publiée à Paris, chez Simon de Colines en 1534. Le fait qu’il cite à plusieurs reprises le texte de Galien sous le titre De decretis laisse penser qu’il a également eu accès à la traduction de J. Bernard Félicien, publiée chez A. Cratander, à Bâle, en 1535. Cf. Fabrique VI, chap. 15, p. 594 sq. : Cor cuius anima sedes (« De quelle âme le cœur est-il le siège ? »). Sur cette question voir Vivian Nutton, De placitis Hippocratis et Platonis in the Renaissance », dans P. Manuli and M. Vegetti (ed), Le opere psicologiche di Galeno, Pavie, 1986, p. 281-309 ; voir aussi mon article « La réponse de l’anatomiste au philosophe. Andreas Vesalius and the Platonis anatomica dogmata », dans J.W. Prins et E.V. Thomas (ed), Plato’s Timaeus and the Foundations of Medieval and Renaissance Thought: Philosophy, science and art, Leyde, Brill studies (à paraître).
×On distingue aujourd’hui les nerfs crâniens et les nerfs spinaux, ces derniers étant mixtes, comprenant une branche motrice et une branche sensitive. Vésale suit ici Galien,De partium usuXVI, chap. 2, qui distingue les nerfs mous ou nerfs sensitifs et les nerfs durs ou moteurs. Le traducteur anonyme de Galien auteur de L’anatomie des nerfz du corps humain publiée chez Martin le Jeune à Paris en 1556 rappelle dans l’argument du livre que sept paires de nerfs mous descendent de la moelle du cerveau tandis que les neuf paires de nerfs durs descendant de la moelle de l’échine du col, du dos et des reins servent aux mouvements du corps. Voir notre introduction au livre IV.
×Nervus capreolis : le nerf en forme de vrille (de vigne ou de courge). On trouve également : « le tendon ou la clavicule de la vigne ». Sur cet emploi métaphorique, voir Françoise Henry, « Des vrilles de la vigne : leurs dénominations au XVIe siècle », Le français préclassique, Champion, 2005, p. 119-190.
×Le foramen cæcum est un trou borgne creusé à la face endocrânienne de l'os frontal.